Dans son arrêt du 2 mai 2019, la Cour de justice s’est prononcée sur l’étendue de la protection de l’appellation d’origine protégée (AOP) contre l’évocation par un usage fait pour des produits non protégés par l’AOP. L’action fut, en l’espèce, introduite par les producteurs du fromage bénéficiant de l’AOP « Queso Manchego » contre l’usage fait sur des étiquettes pour identifier et commercialiser les fromages non protégés par l’AOP « Adarga de Oro », « Super Rocinante » et « Rocinante », ainsi que contre l’usage des termes « Quesos Rocinante ». La Cour suprême espagnole connaissant du dossier pose trois constats factuels. D’abord, le mot « manchego » utilisé dans l’AOP « Queso Manchego » est l’adjectif qui qualifie, dans la langue espagnole, les personnes et les produits originaires de la Mancha. Ensuite, l’AOP « Queso Manchego » couvre les fromages élaborés dans la région de la Mancha avec du lait de brebis, dans le respect de conditions spécifiques relatives à la production, l’élaboration et l’affinage, contenues dans le cahier des charges. Enfin, Miguel de Cervantes a situé l’essentiel de l’action de son personnage Don Quijote de la Mancha dans la région de la Mancha, Ce personnage incorpore certaines caractéristiques physiques et vestimentaires analogues à celles du personnage représenté sur le motif figuratif représenté sur l’étiquette d’un des produits litigieux. Par ailleurs, l’une des dénominations utilisées pour certains des fromages litigieux correspond au nom du cheval monté par Don Quijote de la Mancha, à savoir « Rocinante »
Compte tenu de ces éléments, la Cour suprême espagnole a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice.
La première question posée à la Cour vise à savoir si l’évocation d’une AOP dans l’esprit du public, interdite par l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006 (remplacé par l’article 13, paragraphe 1, sous b) du règlement n° 1151/2012 du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires) doit nécessairement résulter de l’emploi de dénominations qui présentent une similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle avec l’AOP ou si elle le peut également de l’emploi de signes figuratifs. La Cour y répond par l’affirmative. Alors qu’elle ne s’était prononcée précédemment que sur l’évocation d’une AOP par l’usage d’éléments verbaux, la protection de l’AOP contre « toute évocation » au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006 doit, selon la Cour, se comprendre comme visant les évocations produites tant par un élément verbal que par un élément figuratif. C’est à la juridiction de renvoi de vérifier si, en l’espèce, « les dessins d’un personnage ressemblant à Don Quijote de la Mancha, d’un cheval maigre et des paysages avec des moulins à vent et des brebis » dont il a été fait usage pour des produits non protégés par l’AOP sont susceptibles d’évoquer, c.à.d. d’appeler directement à l’esprit du consommateur, les produits bénéficiant de l’AOP.
La deuxième question est celle de savoir si l’évocation d’une AOP de nature géographique, à savoir celle qui contient la référence à une région déterminée, doit également être interdite lorsqu’elle est générée par un producteur établi dans cette même région, mais pour un produit qui n’est pas couvert par l’AOP dès lors qu’il ne respecte pas les conditions prévues dans le cahier des charges. Ici également, la Cour répond par l’affirmative. Le fait que le producteur fabriquant des produits non protégés par l’AOP, similaires à ceux protégés par l’AOP, soit établi dans l’aire géographique liée à l’AOP n’exclut pas l’atteinte à l’AOP par application de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006.
La troisième question vise à identifier le consommateur de référence, à savoir celui qui est amené ou ne l’est pas, à avoir directement à l’esprit comme image de référence, le produit bénéficiant de l’AOP protégée. La Cour rappelle le principe de protection effective et uniforme des AOP. En vertu de celui-ci l’absence d’évocation par les consommateurs d’un seul Etat membre ne suffit pas pour exclure la violation de l’AOP sur le territoire européen, et a contrario l’existence d’une évocation dans l’esprit des consommateurs d’un seul Etat membre suffit pour déclencher la protection sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.