Dans un contexte d’augmentation des actions en justice d’organisations activistes, et d’actions visant à les restreindre, l’Union européenne a adopté la directive 2024/1069 du 11 avril 2024 du Parlement et du Conseil sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les demandes en justice manifestement infondées ou les procédures judiciaires abusives (« poursuites stratégiques altérant le débat public » ; en anglais, « SLAPPs Directive » (pour « strategic lawsuits against public participation directive »)). La directive vise à accorder des garanties procédurales aux journalistes, éditeurs, organisations de médias, les dénonciateurs et les défenseurs des droits de l’homme, ainsi qu’aux organisations de la société civile, ONG, syndicats, artistes, chercheurs et universitaires, lorsqu’ils prennent part au débat public.
La directive s’applique (i) aux procédures judiciaires abusives altérant le débat public (dans le cadre de questions d’intérêt public) (ii) en matière civile ou commerciale (iii) ayant des incidences transfrontalières. Ces notions font l’objet de définitions précises (art. 4).
Les « procédures judiciaires abusives altérant le débat public », en particulier, sont définies comme des procédures judiciaires qui ne sont pas engagées en vue de faire véritablement valoir ou d’exercer un droit, mais qui ont pour principale finalité d’empêcher, de restreindre ou de pénaliser le débat public, fréquemment en exploitant un déséquilibre de pouvoir entre les parties, et qui tendent à faire aboutir des demandes en justice infondées. Des indications d’une telle finalité sont listées dans la directive.
Lorsqu’une procédure judiciaire est engagée contre des personnes en raison de leur participation au débat public, celles-ci peuvent demander des garanties procédurales à la juridiction saisie, qui doit traiter ces demandes de manière accélérée (art. 7) :
- Caution destinée à couvrir les frais de procédure (art. 10) :la juridiction peut ordonner au demandeur de fournir une garantie pour couvrir les frais estimés de la procédure, qui peuvent inclure les frais de représentation juridique du défendeur et, si le droit national le prévoit, les dommages-intérêts estimés.
- Rejet rapide des demandes manifestement infondées (art. 11-13): les juridictions peuvent rejeter, après un examen approprié et par une décision qui doit pouvoir être susceptible de recours, les demandes altérant le débat public comme manifestement infondées au stade le plus précoce possible de la procédure, conformément au droit national. La charge de la preuve du bien-fondé de la demande incombe au requérant.
- Mesures correctrices en réponse aux procédures judiciaires abusives altérant le débat public (arts. 14-15): si la juridiction considère la procédure comme abusive, elle doit veiller à ce que puisse être condamné à supporter tous les types de frais de procédure qui peuvent être alloués au titre du droit national, y compris l’intégralité des frais de représentation en justice engagés par le défendeur, à moins que ces frais ne soient excessifs. Si, comme en Belgique, le droit national ne permet pas le remboursement intégral des frais de représentation juridique au-delà des barèmes légaux, les États membres doivent veiller à ce que le demandeur supporte intégralement ces frais (non excessifs) par d’autres moyens prévus par le droit national. Les tribunaux peuvent en outre imposer des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives », ou « d’autres mesures appropriées tout aussi effectives », y compris le versement de dommages et intérêts ou la publication de la décision de justice, lorsque cela est prévu par le droit national.
Outre ces garanties procédurales, la directive prévoit que les juridictions saisies peuvent autoriser les associations, organisations, syndicats et autres entités qui ont, conformément aux critères fixés par leur droit national, un intérêt légitime à assurer la protection ou la promotion des droits des personnes participant au débat public, à (i) fournir des informations dans le cadre de la procédure et (ii) avec l’accord du défendeur, à soutenir ce dernier (art. 9).
Enfin, la directive prévoit que les juridictions de l’UE doivent refuser de reconnaître et d’exécuter une décision rendue dans un Etat tiers dans le cadre d’une procédure judiciaire altérant le débat public engagée contre une personne domiciliée dans un Etat membre si cette procédure est considérée comme manifestement infondée ou abusive au regard du droit de l’État membre dans lequel la reconnaissance ou l’exécution est demandée (art. 16). Si une procédure judiciaire abusive est engagée par un demandeur domicilié en dehors de l’UE devant une juridiction d’un pays tiers à l’encontre d’une une personne domiciliée dans un Etat membre, la personne concernée peut demander réparation du préjudice et des frais liés à la procédure devant les juridictions de l’Etat de son origine. Les États membres peuvent limiter l’exercice de leur compétence tant que la procédure est pendante dans l’Etat tiers (art. 17). La directive est entrée en vigueur le 6 mai 2024 (art. 23). Les États membres de l’UE, y compris l’Irlande mais à l’exclusion du Danemark, sont tenus de transposer les exigences minimales prévues par la directive dans leur droit national dans un délai de deux ans, soit avant le 7 mai 2026. La directive sera applicable à partir de cette date (art. 22).