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Tribunal de l'entreprise Liège (div. Namur), 06/12/2018, Q/18/00031, R.D.C.-T.B.H., 2019/4, p. 595-598

Tribunal de l'entreprise de Liège (div. Namur)6 décembre 2018

RÉORGANISATION JUDICIAIRE
Réorganisation judiciaire - Champ d'application - Notion d'entreprise - Gérant
Pour déterminer si un dirigeant d'entreprise (exerçant en personne physique) est - ou non - une entreprise, il conviendra donc uniquement de déterminer si ses activités de dirigeant constituent une activité professionnelle exercée à titre indépendant.
En l'espèce, le requérant est le seul gérant de la SPRL et son mandat est rémunéré. Il a affirmé à l'audience qu'il se rendait tous les jours au siège de la société pour exercer son mandat. Le tribunal considère que, dans ces circonstances, ce mandat constitue « l'exercice régulier d'une activité en vue de se procurer des revenus nécessaires à l'existence » et que cette activité s'exerce nécessairement à titre indépendant puisqu'elle est rémunérée. Le requérant revêt dès lors la qualité d'entreprise et peut, à ce titre, solliciter l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire.
GERECHTELIJKE REORGANISATIE
Gerechtelijke reorganisatie - Toepassingsgebied - Ondernemingsbegrip - Zaakvoerder
Om te bepalen of een zaakvoerder-natuurlijke persoon van een onderneming wel - of niet - een onderneming is, is het enkel noodzakelijk om te bepalen of de activiteiten als zaakvoerder een beroepsactiviteit uitmaakte die op zelfstandige basis werd uitgevoerd.
In casu is de verzoeker de enige zaakvoerder van de vennootschap en zijn mandaat wordt vergoed. De zaakvoerder bevestigt bovendien dat hij iedere dag op de zetel van de onderneming aanwezig is om zijn mandaat uit te oefenen. De rechter oordeelt bijgevolg dat in deze omstandigheden dit mandaat de uitoefening van een normaal mandaat behelst met het oog op het bekomen van noodzakelijke inkomsten en dat deze noodzakelijkerwijze op zelfstandige basis worden uitgeoefend omdat deze vergoed worden. De verzoeker wordt valt daarom onder het begrip onderneming van Boek XX WER.

N. Etienne

Siég.: W. David (juge, président), M. Ronvaux et J.-P. Lebrun (juges consulaires)
Pl.: Me P. Moens
Affaire: Q/18/00031
I. Procédure

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Vu le dossier de la procédure et en particulier:

- la requête en réorganisation judiciaire déposée au Registre central de la solvabilité le 31 octobre 2018 ainsi que les annexes jointes;

- l'ordonnance du 16 novembre 2018 désignant M. P.-A. Brisbois en qualité de juge délégué;

- le rapport du juge délégué;

- l'avis favorable de madame B. Biemar, substitut du procureur du Roi;

Entendu en chambre du conseil le 30 novembre 2018:

- maître P. Moens, avocat du requérant;

- M. N. Etienne;

- le juge délégué.

A l'issue des débats, la cause a été prise en délibéré.

II. L'entreprise

1. Le requérant est actif dans le secteur de la gestion d'entreprises. Il n'emploie pas de personnel.

III. La demande

2. Le requérant sollicite l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire par accord amiable avec un sursis de 2 mois.

IV. Discussion
La compétence territoriale du tribunal

3. L'article XX.12 CDE dispose que:

« Le tribunal de l'insolvabilité seul compétent pour ouvrir une procédure d'insolvabilité est celui dans le ressort duquel se situe le centre des intérêts principaux du débiteur au jour où le tribunal est saisi.

(...) Pour une personne physique exerçant une profession libérale ou toute autre activité d'indépendant, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve du contraire, être le lieu d'activité principale de l'intéressé, ou, s'agissant du titulaire d'une profession libérale soumis à une inscription, du lieu principal où il est inscrit. Cette présomption ne s'applique que si le lieu d'activité principale n'a pas été transféré dans un autre ressort au cours des trois mois précédant la demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité. »

L'article I.22, 17°, CDE définit, quant à lui, le « centre des intérêts principaux » comme suit: « le lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par des tiers ».

4. En l'espèce, le requérant est domicilié à Namur et la société qu'il gère, la SPRL New Ecopostale, a son siège à Bruxelles. Le juge délégué s'est donc interrogé sur la compétence territoriale du tribunal de céans.

Dans la mesure où, en sa qualité de dirigeant, le requérant constitue une entreprise distincte de la SPRL New Ecopostale (sur le fait que le requérant est bien une entreprise, voir infra), le lieu où il gère son entreprise ne se confond pas avec le siège social de la société qu'il dirige.

En l'espèce, le requérant a affirmé à l'audience qu'il gérait son entreprise de son domicile. C'est également vraisemblablement à son domicile qu'il reçoit et émet les factures liées à son activité (de dirigeant). Le domicile du requérant est donc le lieu où il « gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par des tiers ». Qu'il se rende régulièrement au siège de la société qu'il administre est à cet égard sans importance.

Le domicile du requérant étant le centre de ses intérêts principaux et ce domicile étant situé à Namur, le tribunal est territorialement compétent pour connaître de la demande.

La recevabilité de la demande

5. Les documents visés à l'article XX.41 CDE ont été déposés dans le registre et le requérant a intérêt et qualité à agir. La demande est dès lors recevable.

Le fondement de la demande
a. La qualité d'entreprise du requérant

6. Le requérant est le gérant de la SPRL New Ecopostale. C'est en sa qualité de dirigeant de société qu'il sollicite l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire. Dans la mesure où seule une entreprise peut formuler une telle demande, il convient de déterminer si un dirigeant d'entreprise est - ou non - une entreprise au sens de l'article I.1 CDE.

7. Ce dernier stipule que:

« Sauf disposition contraire, pour l'application du présent code, on entend par:

1° entreprise: chacune des organisations suivantes:

(a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant;

(...) »

Cette définition est extrêmement large puisqu'une personne physique sera une entreprise dès qu'elle exerce une activité professionnelle à titre indépendant, et ce quelle que soit l'ampleur de cette activité (un indépendant à titre complémentaire est donc bien une entreprise) (le tribunal de l'entreprise du Hainaut - division Tournai (jugement du 6 novembre 2018, R.G. 0/18/00108, inédit) estime que l'activité d'un dirigeant doit former une « organisation » pour que le dirigeant puisse être qualifié d'entreprise. Le tribunal de céans ne partage pas cette lecture de la loi. Celle-ci précise en effet que sont des entreprises, « chacune des organisations suivantes » et suivent immédiatement dans le texte les personnes physiques exerçant une activité professionnelle à titre indépendant. Ces dernières sont donc, selon le texte de la loi lui-même, ipso facto des organisations. Il ne s'agit pas d'une condition supplémentaire pour pouvoir être qualifié d'entreprise).

8. Pour déterminer si un dirigeant d'entreprise (exerçant en personne physique) est - ou non - une entreprise, il conviendra donc uniquement de déterminer si ses activités de dirigeant constituent une activité professionnelle (« Le critère retenu par la nouvelle définition est (...) celui de la profession c'est-à-dire 'l'exercice régulier d'une activité en vue de se procurer des revenus nécessaires à l'existence' » (Z. Pletinckx, « Le champ d'application des procédures », in La réforme du droit de l'insolvabilité et ses conséquences (sur les avocats): une (r)évolution?, Larcier, 2017, p. 21 et la référence citée)) exercée à titre indépendant (par opposition aux activités exercées dans les liens d'un contrat de travail).

Si dans le monde associatif, il est vraisemblable que certains dirigeants ne pourront pas être considérés comme des entreprises (M. Vanmeenen et I. Van de Plas, « Het toepassingsgebied van Boek XX WER: hoe meer zielen, hoe meer vreugd? », R.D.C., 2018/3, p. 214), il n'en est pas de même en ce qui concerne les sociétés. En effet, dans nombre de cas, un dirigeant de société exerce son mandat dans le cadre de ses activités professionnelles et à titre d'indépendant.

L'exposé des motifs de la loi du 15 avril 2018 portant réforme du droit des entreprises précise d'ailleurs à cet égard que: « Le choix des concepts 'à titre indépendant' et 'activité professionnelle' ont pour effet de mettre fin à des discussions antérieures concernant 'une activité économique durable'. En effet, le concept d''indépendant' est l'opposé de celui de 'sous les liens d'un contrat de travail' (la différence entre un indépendant et un travailleur), alors que celui de 'durabilité' est inhérent à une 'activité professionnelle'. A titre d'exemple, on peut penser à des personnes physiques qui travaillent en tant que commerçant, artisan, personne exerçant une profession libérale ou administrateur de sociétés. » (Doc. parl., n° 54-2828/001, p. 10. Le tribunal souligne).

Le législateur lui-même a donc considéré que les administrateurs de sociétés (et il n'y a aucune raison de prendre ce terme au sens strict: les gérants, membres du comité de direction et autres délégués à la gestion journalière (pour autant qu'ils ne soient pas liés à la société par un contrat de travail en ce qui concerne cette gestion journalière) sont à l'évidence également visés) sont des entreprises. Le pluriel utilisé par le législateur n'implique pas, selon le tribunal, qu'un administrateur de société ne serait une entreprise que s'il exerce au moins deux mandats de dirigeant. Rien ne justifie en effet de faire une différence entre un administrateur exerçant un seul mandat et un autre qui en exercerait plusieurs.

9. Un autre argument de texte permet de confirmer que les dirigeants de société(s) seront dans la majorité des cas des entreprises. L'article III.82, § 1er, CDE dispose en effet que: « Par dérogation à l'alinéa 1er, les entreprises suivantes ne sont pas soumises à l'obligation comptable: 1° les personnes physiques dont l'activité professionnelle à titre indépendant consiste en l'exercice d'un ou de plusieurs mandats d'administrateur. » Le législateur a donc expressément précisé que les administrateurs de société(s) étaient des entreprises, même si ils ne doivent pas tenir de comptabilité.

10. La doctrine précise, par ailleurs, à juste titre que:

« La conséquence de cette nouvelle définition de l'entreprise personne physique dans le droit de l'insolvabilité est également son extension à des personnes physiques qui n'étaient, jusque-là, pas considérées comme telles (au regard de l'art. I.1 CDE ou de l'art. 573 C. jud.). Ainsi, il est traditionnellement admis que les personnes physiques, organes de personnes morales ou détentrices d'un mandat de gestion dans un organe d'administration ne constituent pas des entreprises au sens des dispositions précitées sauf si le mandat est exercé à travers une société de gestion. L'idée sous-jacente est que le mandataire personne physique, lorsqu'il agit comme organe, engage la personne morale et non lui-même de sorte qu'il ne poursuit pas une activité économique à titre personnel au contraire de la société de gestion qui exerce une activité économique propre distincte de celle d'être l'organe de la personne morale qu'elle représente. Dès lors que l'on abandonne la notion d''activité économique' au profit de celle d''activité professionnelle à titre indépendant', cette justification n'a plus à vocation à s'appliquer. L'extension de la notion d'entreprises aux organes des personnes morales dans la nouvelle loi a été relevé expressément par le Conseil d'Etat qui a interpellé le législateur sur ce point et a suggéré d'éventuellement remplacer l'adjectif 'professionnel' par l'adjectif 'économique'. Cette suggestion n'a pas été retenue dans la loi précisément pour garantir une plus grande sécurité juridique. Il peut donc s'en déduire que le législateur a sciemment fait entrer les personnes physiques exerçant un mandat de gestion dans une personne morale dans le champ d'application du droit de l'insolvabilité. » (Z. Pletinckx, « Le champ d'application des procédures », in La réforme du droit de l'insolvabilité et ses conséquences (sur les avocats): une (r)évolution?, Larcier, 2017, pp. 20-21; dans le même sens: M. Vanmeenen et I. Van de Plas, « Het toepassingsgebied van het nieuwe insolventierecht: leve de ondernemingen) », In Foro, 04/2017, p. 7; M. Vanmeenen et I. Van de Plas, « Het toepassingsgebied van Boek XX WER: hoe meer zielen, hoe meer vreugd? », R.D.C., 2018/3, p. 214; pour un avis plus nuancé sur la question: J.-P. Lebeau et D. Gol, « Le tribunal de l'entreprise. Nouvelles règles en matière de compétences, de composition, de procédure et de preuve », J.T., 2018, pp. 843-844).

11. Enfin, plusieurs jugements ont également considéré que des dirigeants de société(s) pouvaient, si les conditions susvisées étaient réunies, revêtir la qualité d'entreprise (voy. not.: Comm. Liège (div. Liège), 18 juin 2018, R.G. O/18/00043, inédit).

12. En l'espèce, le requérant est le seul gérant de la SPRL New Ecopostale et son mandat est rémunéré. Il a affirmé à l'audience qu'il se rendait tous les jours au siège de la société pour exercer son mandat. Le tribunal considère que, dans ces circonstances, ce mandat constitue « l'exercice régulier d'une activité en vue de se procurer des revenus nécessaires à l'existence » et que cette activité s'exerce nécessairement à titre indépendant puisqu'elle est rémunérée. Le requérant revêt dès lors la qualité d'entreprise et peut, à ce titre, solliciter l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire.

b. La demande d'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire

13. « La procédure de réorganisation judiciaire a pour but de préserver, sous le contrôle du juge, la continuité de tout ou partie des actifs ou des activités de l'entreprise. » (art. XX.39 CDE). Elle « est ouverte si la continuité de l'entreprise est menacée, à bref délai ou à terme. » (art. XX.45, § 1er, CDE).

14. En l'espèce, la continuité de l'entreprise du requérant est menacée, à bref délai ou à terme, dans la mesure où il a de très importantes dettes fiscales et sociales, qui sont exigibles et auxquelles il est incapable de faire face à brève échéance.

Compte tenu des pièces déposées et des explications fournies à l'audience, le tribunal accordera au requérant le sursis qu'il sollicite, à savoir un sursis de 2 mois.

V. Décision

Après en avoir délibéré, le tribunal, statuant contradictoirement,

Dit la demande recevable et fondée;

Déclare ouverte la procédure de réorganisation judiciaire par accord amiable et accorde à N. Etienne un sursis de 2 mois prenant cours ce jour pour se terminer le 6 février 2018;

Invite N. Etienne à participer à une réunion avec le juge délégué au greffe du tribunal de céans à une date qui lui sera communiquée par le juge délégué;

Ordonne la publication du présent jugement par extrait au Moniteur belge dans les 5 jours de sa date et invite le greffe à procéder à cette mesure;

Réserve les dépens.

(…)