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Tribunal de commerce Liège (div. Liège), 18/06/2018, O/18/00043, R.D.C.-T.B.H., 2019/4, p. 581-583

Tribunal de commerce de Liège (div. Liège)18 juin 2018

FAILLITE
Faillite - Champ d'application - Notion d'entreprise - Gérant
A noter que, du point de vue de la sécurité sociale: la définition de l'activité professionnelle suppose à tout le moins l'espoir d'une rémunération, c'est-à-dire un but de lucre, et il existe une présomption d'assujettissement, dans le chef des personnes exerçant un mandat dans un organe de gestion, à la sécurité sociale des travailleurs indépendants.
FAILLISSEMENT
Faillissement - Toepassingsgebied - Ondernemingsbegrip - Zaakvoerder
We noteren dat vanuit een sociaal zekerheidsrechtperspectief: de definitie van economische beroepsactiviteit minstens een oogmerk tot renumeratie veronderstelt, met andere woorden een winstoogmerk, en er een veronderstelling bestaat dat de zaakvoerder, die een mandaat uitoefent binnen de onderneming, is onderworpen aan het sociaal statuut van zelfstandigen.

Z. Traore

Siég.: A. Jansen (juge présidente), M. Devalckeneer et A. Salmon (juges consulaires)
Pl.: Me F. Rozenberg
Affaire: O/18/00043

Vu l'aveu de cessation de paiement (et ses annexes) de:

Z. Traore, né à Bagnagara (Guinée) le 9 septembre 1985, domicilié à (…), ayant pour conseil maître Fanny Rozenberg, avocat,

fait au greffe du tribunal de commerce de Liège, division Liège, le 22 mai 2018;

Vu la note d'audience valant conclusions déposée à l'audience du 4 juin 2018;

Entendu monsieur Z. Traore et maître Fanny Rozenberg en leurs explications à l'audience du 4 juin 2018, les débats étant ensuite déclarés clos.

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire et le Livre XX du Code de droit économique, en particulier les articles XX.98 et s.;

Ce tribunal s'est interrogé sur la qualité d'entreprise de Z. Traore.

Le droit de la faillite est en effet désormais intégré dans le Livre XX du Code de droit économique et la qualité d'entreprise remplace désormais celle de commerçant à titre de critère d'application personnelle du droit de la faillite.

M. Traore soutient qu'il percevait et avait droit à une rémunération en qualité de gérant, bien que les statuts prévoient, en l'espèce, la gratuité du mandat et bien que, à partir de 2016, une telle rémunération n'a plus pu être versée, en pratique, compte tenu des difficultés financières de la société ayant conduit à l'aveu de faillite soumis au tribunal.

1. L'article I.1, 1°, du Code de droit économique (et non l'art. XX.1, § 1er, CDE comme repris dans la note d'audience déposée par le conseil de l'auteur de l'aveu) définit la notion d'entreprise comme:

« chacune des organisations suivantes:

(a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant;

(…) »

2. Quelle est la portée de cette définition?

2.1. Le professeur Verougstraete enseigne: (« La genèse et les lignes directrices de la réforme », in Le nouveau Livre XX du Code de droit économique consacré à l'insolvabilité des entreprises, Bruxelles, Bruylant, 2017, pp. 15-16):

« 11. Le livre XX concerne en premier lieu les personnes physiques qui exercent à titre indépendant une activité professionnelle. Cette énonciation confirme que la notion de commerçant est dorénavant devenue inutile au moins dans ce contexte et plus tard dans d'autres contextes quand le projet de rénovation du Code économique complet aura été approuvé.

La nouvelle définition de l'entreprise personne physique englobe donc toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant. Le choix des concepts 'à titre indépendant' et 'activité professionnelle' a pour effet de mettre fin à des discussions antérieures concernant la notion reprise dans le Code de commerce d''activité économique durable'. En effet, le concept d''indépendant' est l'opposé de celui de 'sous les liens d'un contrat de travail' (la différence entre un indépendant et un travailleur), alors que celui de 'durabilité' est inhérent à une 'activité professionnelle'. A titre d'exemple, on peut penser à des personnes physiques qui travaillent en tant que commerçant, artisan, ou personne exerçant une profession libérale. Les activités durables dans le cadre de l'économie collaborative (Uber, Airbnb, ...) sont également comprises dans la définition.

Pour autant, toute activité habituelle d'une personne physique ne doit pas nécessairement tomber sous la notion d'entreprise. Ainsi, une activité qui s'inscrit purement dans le cadre de la gestion normale du patrimoine personnel d'une personne physique peut ne pas tomber sous la notion d'entreprise. En ce sens, la simple souscription, acquisition ou détention d'actions, titres ou parts dans une société dotée de la personnalité juridique par une personne physique est présumée s'inscrire dans le cadre de la gestion normale de son patrimoine personnel.

L'inscription à la Banque-Carrefour des Entreprises n'est pas déterminante pour l'application du Livre XX. »

2.2. Z. Pletinck ajoute que:

« Le critère retenu par la nouvelle définition est, dès lors, comme par le passé, celui de la profession c'est-à-dire 'l'exercice régulier d'une activité en vue de se procurer des revenus nécessaires à l'existence'. » (Z. Pletinckx, « Le champ d'application des procédures », in La réforme du droit de l'insolvabilité et ses conséquences (sur les avocats): une (r)évolution?, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 21, n° 7).

A défaut de précision en sens contraire dans la loi, l'activité indépendante à titre complémentaire est également visée.

De même, il n'est pas sérieusement contestable que, au regard de la définition de l'entreprise, le membre d'un organe de gestion d'une société peut, lorsqu'il exerce ce mandat sous le statut indépendant, avoir la qualité d'entreprise - au sens de l'article I.1, 1°, CDE - du seul fait de ce mandat.

D'après Z. Pletinckx, précitée, le législateur aurait même sciemment fait entrer les personnes exerçant un tel mandat dans le champ d'application du droit de l'insolvabilité (o.c., p. 21, n° 6).

2.3. A noter que, du point de vue de la sécurité sociale:

• la définition de l'activité professionnelle suppose à tout le moins l'espoir d'une rémunération, c'est-à-dire un but de lucre; et

• il existe une présomption d'assujettissement, dans le chef des personnes exerçant un mandat dans un organe de gestion, à la sécurité sociale des travailleurs indépendants.

S. Gilson explique à ces sujets (« Panorama de l'assujettissement personnel à la sécurité sociale », in S. Gilson (coord.), Subordination et para-subordination. La place de la subordination juridique et de la dépendance économique dans la relation de travail, Limal, Anthemis, 2017, n° 18, pp. 27-28 et n° 20, pp. 28-29):

1) La notion d'activité professionnelle suppose à tout le moins l'espoir d'une rémunération

« 18. La notion d'activité professionnelle. Assez logiquement, dans un système de sécurité sociale qui trouve sa source dans l'activité professionnelle, il faut, pour qu'il y ait assujettissement, qu'il y ait une activité concrète qui soit exercée. Cette activité doit être professionnelle, en ce qu'elle doit être exercée dans un but de lucre et avoir un caractère habituel. La condition paraît simple, mais ne l'est pas. En effet, en théorie, toute activité humaine peut être exercée soit comme un travail, soit comme un loisir. Ce qui va créer l'activité professionnelle en tant que telle est l'idée que celui qui l'exécute le fait avec une certaine régularité, et non pas de manière tout à fait occasionnelle, et dans un but de lucre. ».

2) Il existe une présomption d'assujettissement dans le chef des membres des organes sociaux (ce tribunal met en évidence)

« 20. Présomption des mandataires de société. Une autre présomption s'applique aux mandataires de société commerciale. Ce système a été profondément modifié. Il existait auparavant deux présomptions légales d'assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés.

(…)

La loi du 25 avril 2014 a remplacé cette ancienne présomption par une double présomption. L'article 3, § 1er, alinéa 4, de cette loi prévoit une première présomption d'assujettissement, selon laquelle les personnes qui sont désignées comme mandataires dans une association ou dans une société de droit ou de fait qui se livre à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, ou qui, sans être désignées, exercent un mandat dans une telle association ou une société, sont présumées de manière irréfragable exercer une activité professionnelle de travailleur indépendant. La deuxième présomption est une présomption de localisation de l'activité en Belgique, selon laquelle l'activité professionnelle du travailleur indépendant comme mandataire au sein d'une association ou d'une société assujettie à l'impôt belge des sociétés ou à l'impôt belge des non-résidents est présumée d'une manière irréfragable avoir lieu en Belgique. Les objections élevées par les juridictions portant sur le caractère irréfragable des présomptions n'ont donc plus cours à ce stade.

Le Roi peut déterminer la manière dont les présomptions visées peuvent être renversées. A l'heure actuelle, il est prévu qu'en ce qui concerne la première présomption,le mandataire peut apporter la preuve de la gratuité de son mandat par une disposition statutaire ou, à défaut, par une disposition de l'organe compétent pour fixer la rémunération des mandataires. Du reste, la preuve de la gratuité du mandat ne peut pas être admise, puisque des revenus en ont découlé. Il s'agit donc de la nécessité de démontrer la gratuité en fait et en droit du mandat. Le mandataire peut toujours renverser la présomption et l'existence d'une activité professionnelle sur la base des autres critères sociologiques et estimer notamment qu'il n'effectue pas son activité de façon habituelle. »

3. Qu'en est-il dans le chef de M. Traore?

3.1. Il est le gérant d'une société SPRL TZ Pavage (BCE n° 843.655.322) et a fait aveu de faillite personnelle en cette qualité.

Les statuts de la société prévoient que le mandat de gérant est exercé à titre gratuit tout en précisant qu'il pourra néanmoins être alloué des émoluments fixes ou variables imputables aux frais généraux par décision de l'assemblée générale.

Dans ce contexte:

- la décision de nomination de M. Traore et son épouse en qualité de gérants de la société précise que le mandat sera gratuit;

- M. Traore ne produit aucune décision d'assemblée générale décidant de modifier les statuts aux fins d'octroyer une rémunération ni la moindre décision d'assemblée générale décidant d'accorder une telle rémunération.

3.2. Cependant, M. Traore produit la preuve que, en tout cas pour la période imposable 2015, une rémunération de dirigeant a été versée et imposée à ce titre dans le chef des époux Traore-Boutigny.

M. Traore n'exerçait selon toute vraisemblance pas d'autre mandat à cette époque.

Les revenus visés ci-avant correspondent donc manifestement à des revenus perçus dans le cadre du mandat de gérant de la société précitée.

En effet:

- en qualité de gérants, M. Traore et son épouse ont fait aveu de faillite au nom de la société précitée (faillite publiée aux annexes du M.B. du 1er juin 2018), ceci corroborant leurs explications concernant l'impossibilité - vu les difficultés de la société - de payer effectivement une rémunération en 2016 et 2017;

- qui plus est, les fondateurs et associés de la société sont - selon les éléments soumis au tribunal - M. Traore et son épouse. Ils constituent ensemble l'assemblée générale des associés de la société, habilitée à octroyer des émoluments aux gérants;

- surtout, M. Traore produit la preuve qu'il doit des arriérés de cotisations de sécurité sociale d'indépendant ceci pour plusieurs années en ce compris jusqu'au dernier trimestre 2017.

3.3. Au regard de  l'ensemble de ce qui précède, notamment:

- du but poursuivi par le législateur;

- des présomptions issues du droit de la sécurité sociale,

mais aussi:

- des éléments de fait soumis au tribunal, notamment l'assujettissement effectif de M. Traore à la sécurité sociale des travailleurs indépendants (il existe d'ailleurs des arriérés de cotisations) en ce compris jusqu'au 4ème trimestre de 2017, ainsi que

- de la déclaration sur l'honneur signée par M. Traore,

et sans que ce tribunal doive ici se prononcer sur la régularité de l'octroi de la rémunération invoquée, il est établi à suffisance que M. Traore a exercé un mandat de gérant présumé rémunéré au sein de la société TZ Pavage et doit être considéré à ce titre comme une entreprise au sens de l'article I.1, 1°, du Code de droit économique.

4. Au surplus, vu les pièces produites à l'appui de l'aveu et les déclarations faites à l'audience, les autres conditions de la faillite, à savoir la cessation persistante de paiement et l'ébranlement du crédit sont établis à suffisance.

L'aveu de faillite de M. Traore est recevable et fondé.

Par ces motifs,

le tribunal déclare en état de faillite sur aveu Z. Traore, préqualifié.

Nomme pour remplir les fonctions de juge-commissaire monsieur Jean-Paul Jamin, juge consulaire, et pour remplir celles de curateur maîtres Jean-Marc van Durme, avocat à 4000 Liège, rue de Joie, 56 (jm.vandurme@defenso.be) et Koenraad Tanghe, avocat à 4000 Liège, rue Duvivier, 22 (k.tanghe@tanghe-louis.be), ces derniers ayant le pouvoir d'agir chacun séparément.

Ordonne la publication du présent jugement par extraits au Moniteur belge par les soins de la curatelle.

Ordonne aux créanciers de faire la déclaration de leurs créances avec leurs titres, dans les 30 jours à compter du présent jugement, exclusivement dans le Registre central de la solvabilité via le site www.regsol.be, sans préjudice des exceptions visées à l'article XX.155, § 2, du Code de droit économique.

Dit que le premier procès-verbal de vérification des créances sera déposé le 2 août 2018 dans le Registre central de la solvabilité via le site www.regsol.be.

Ordonne la gratuité de la procédure en application de l'article 666 du Code judiciaire dès lors que l'actif de la faillite apparaît de prime abord insuffisant pour couvrir les premiers frais de liquidation, ceci sans préjudice à la prise en charge directe de ces frais par la masse s'il s'avère que, contrairement à cette analyse sommaire, l'actif sera suffisant pour les supporter (art. 693 et 695, al. 3, C. jud.).

Commet à cette fin maître Paul Tintin, huissier de justice à Liège.

(…)