Article

Tribunal de commerce francophone Bruxelles, 31/08/2015, R.D.C.-T.B.H., 2018/1, p. 83-86

Tribunal de commerce francophone de Bruxelles 31 août 2015

DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Code D.I.P. - Compétence judiciaire - Compétence extraordinaire - Obligations contractuelles
Dans la mesure où les parties n'ont pas prévu de clause de juridiction dans le contrat et où il n'existe pas de convention internationale déterminant les juridictions compétentes en cas de litige entre des parties belge et chinoise, il convient de se référer au Code de droit international privé belge pour répondre au déclinatoire de juridiction soulevé par la partie chinoise.
En vertu de l'article 96 du Code de DIP, les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande en matière d'obligations lorsque cette demande concerne une obligation contractuelle devant être exécutée en Belgique. En l'espèce, l'obligation contractuelle qui sert de base à sa demande et dont l'exécution est demandée n'est cependant pas l'obligation de payer une facture ainsi que l'ensemble des sommes dues en exécution du contrat mais l'obligation de payer une indemnité pour la résiliation du contrat. En conséquence, le juge belge est sans compétence pour connaître de l'affaire sur la base de l'article 96 du CODIP.
En vertu du Code DIP, les juridictions belges sont exceptionnellement compétentes lorsque la cause présente des liens étroits avec la Belgique et qu'une procédure à l'étranger se révèle impossible ou qu'on ne peut raisonnablement exiger que la demande soit formée à l'étranger. Cette impossibilité ne se vérifie pas en l'espèce (procédure à mener à Hong Kong).
INTERNATIONAAL PRIVAATRECHT
Wetboek IPR - Algemene bepalingen - Rechterlijke bevoegdheid - Uitzonderlijke bevoegdheid
Een Belgische onderneming gaf een licentieovereenkomst in concessie aan een Chinese onderneming. Gelet op deze licentieovereenkomst, was de Chinese onderneming periodiek minimumbedragen verschuldigd ten aanzien van de Belgische concessiehouder, bij gebrek waaraan de overeenkomst in haar nadeel zou worden verbroken. De Chinese onderneming bleef in gebreke het minimaal verschuldigde te betalen en de Belgische concessiehouder dagvaardde de Chinese concessionaris voor de Franstalige rechtbank van koophandel te Brussel. In haar vonnis, stelde de Franstalige rechtbank van koophandel te Brussel vooreerst vast dat bij gebrek aan een internationaal verdrag tussen China en België dat de bevoegdheid regelt en bij gebrek aan een forumbeding, zij haar bevoegdheid diende te onderzoeken aan de hand van het WIPR. De rechtbank oordeelde vervolgens dat noch het artikel 96 (forum loci contractus), noch artikel 11 (forum necessitatis) als basis kan dienen voor de bevoegdheid van de Belgische rechtsmacht.




SA IBC / Wenzhou Financial Investment Company Ltd.

Siég.: S. Frankignoul (juge, présidente), P.-J. Hislaire et B. Gillis (juges consulaires)
Pl.: Mes M. Dal, A. Despontin et J.-P. Buyle, Th. Malengreau
Affaire: A/14/00379

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Vu la citation du 15 octobre 2013;

Vu l'ordonnance de mise en état du 4 septembre 2014;

Vu les conclusions et les dossiers de pièces des parties;

Entendu les conseils des parties en leurs plaidoiries à l'audience publique du 22 avril 2015 où les débats ont été déclarés clos et la cause mise en délibéré.

I. Objet des demandes

1. La demande de IBC tend à entendre:

- condamner Wenzhou à lui payer la somme de 20.500.000 EUR, à titre de minimum garanti, à majorer des intérêts au taux légal depuis le 15 août 2012;

- condamner Wenzhou à lui payer la somme provisionnelle de 1 EUR à titre d'indemnisation du manque à gagner;

- désigner un expert judiciaire dont la mission sera notamment d'évaluer le manque à gagner subi par IBC sur la base des excédents de chiffres d'affaires, des royalties et des investissements prévus par le contrat, tant en France qu'en Chine;

- condamner Wenzhou aux frais et dépens de l'instance liquidés à 893,50 EUR de frais de citation et 16.500 EUR d'indemnité de procédure.

Wenzhou demande que le tribunal se déclare sans juridiction pour connaître de la présente cause et liquide l'indemnité de procédure à son montant maximal de 33.000 EUR.

II. En faits

2. Par contrat de licence du 9 juillet 2012, IBC a concédé à Wenzhou le droit exclusif de fabriquer et de distribuer les textiles et accessoires de mode sous la marque « Torrente » en République populaire de Chine moyennant le paiement de redevances avec un minimum garanti annuel.

Le contrat était consenti pour une durée de 10 ans prenant cours le 9 juillet 2012 et se terminant le 9 juillet 2022; un renouvellement pour une nouvelle période de 10 ans était prévu à certaines conditions.

L'article 11 prévoyait que: « En cas de non-règlement par le licencié d'une quelconque des échéances prévues à l'article 11, le licencié perdra tous ses droits sur le contrat de licence, le contrat sera automatiquement résilié aux torts et griefs exclusifs du licencié » et « Le Licencié s'engage en cas de cessation du contrat pour quelles causes que ce soit, à verser l'intégralité du minimum garanti restant dû au concédant. »

Cet article prévoit le paiement au plus tard le 15 août 2012 d'un minimum garanti de 200.000 EUR pour la 1ère année contractuelle.

Le 13 juillet 2012, IBC a ainsi émis une facture de 200.000 EUR correspondant à la redevance minimum garantie pour la 1ère année; cette facture venait à échéance le 15 août 2012.

3. Par courrier de son conseil français du 7 décembre 2012, IBC a mis Wenzhou en demeure de payer la facture.

Par courrier du 15 mars 2013, IBC informait Wenzhou qu'en application de l'article 11 du contrat, ce dernier était automatiquement résilié à ses torts pour non-paiement de la facture.

Par courriers de son conseil chinois des 27 mai et 24 juin 2013, IBC a mis Wenzhou en demeure de lui payer un montant de 20.500.000 EUR tel que prévu à l'article 11 du contrat.

Le 15 octobre 2013, IBC a lancé citation pour obtenir le paiement de la somme de 20.500.000 EUR correspondant à l'intégralité du minimum garanti (5.000.000 EUR pour les 10 premières années et 15.500.000 EUR pour les 10 années suivantes) et la somme provisionnelle de 1 EUR à titre d'indemnisation des pertes encourues.

III. Discussion
A. Quant au déclinatoire de juridiction

4. Wenzhou conteste la compétence des juridictions belges pour connaître du présent litige.

Dans la mesure où les parties n'ont pas prévu de clause de juridiction dans le contrat et où il n'existe pas de convention internationale déterminant les juridictions compétentes en cas de litige entre des parties belge et chinoise, les parties s'accordent sur le fait qu'il faut se référer au Code de droit international privé belge (ci-après « Code D.I.P. ») pour répondre au déclinatoire de juridiction soulevé par Wenzhou.

1. L'article 96 du Code D.I.P.

5. IBC fonde la compétence des tribunaux belges sur l'article 96 du Code D.I.P. en ce qu'il prévoit que: « les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande en matière d'obligations (...) lorsque cette demande concerne (...) une obligation contractuelle devant être exécutée en Belgique ».

Contrairement à ce que soutient IBC, l'obligation contractuelle qui sert de base à sa demande et dont l'exécution est demandée n'est cependant pas l'obligation de payer une facture ainsi que l'ensemble des sommes dues en exécution du contrat mais l'obligation de payer une indemnité pour la résiliation du contrat.

Le fait que l'article 11 du contrat prévoit que cette indemnité de rupture sera égale à l'intégralité du minimum garanti restant dû à IBC n'y change rien; le contrat a en effet été résilié par courrier du 15 mars 2013 de sorte que son exécution ne peut plus être poursuivie; seuls des dommages et intérêts pour rupture du contrat aux torts du cocontractant peuvent être réclamés; c'est ce que fait d'ailleurs IBC.

Les développements faits par les parties sur le lieu d'exécution du paiement de la facture ne sont donc pas pertinents.

Le contrat ne prévoit nullement le lieu du paiement de l'indemnité de rupture; les parties s'accordent sur le fait qu'à défaut de dérogation expresse ou tacite par les parties, le principe de quérabilité des dettes est applicable en l'espèce.

Le lieu d'exécution du paiement de l'indemnité de rupture par Wenzhou, société du droit de Hong Kong et ayant son siège social à Hong Kong, n'est donc pas la Belgique.

2. L'article 11 du Code D.I.P.

6. IBC fonde ensuite la compétence des tribunaux belges sur l'article 11 du Code D.I.P. en ce qu'il prévoit que « (...) les juridictions belges sont exceptionnellement compétentes lorsque la cause présente des liens étroits avec la Belgique et qu'une procédure à l'étranger se révèle impossible ou qu'on ne peut raisonnablement exiger que la demande soit formée à l'étranger ».

Comme le rappelle IBC, c'est la théorie dite du « for de nécessité » dont l'objectif est de contourner les risques d'un déni de justice; pour pouvoir invoquer cette attribution exceptionnelle, il faut donc réunir deux conditions cumulatives, à savoir: (1) que la cause présente des liens étroits avec la Belgique et (2) qu'une procédure à Hong Kong soit impossible à mener ou qu'il soit déraisonnable d'exiger qu'elle y soit menée.

7. En ce qui concerne les liens étroits, il faut relever que le contrat a été fait à Paris et prévoit qu'une réunion de collection sera effectuée 2 fois par an à Paris et que Wenzhou s'engage à ouvrir une boutique d'image à Paris au plus tard fin 2014.

La marque « Torrente » est localisée en France et est exploitée par la société de droit français France Luxe dont le siège social est à Paris; IBC précise que la marque « Torrente » est entrée dans le cercle très restreint de la haute couture en devenant membre de la Fédération française de haute Couture et occupe une page dans l'histoire de la mode du luxe parisien.

La société de droit français France Luxe a concédé les droits d'exploitation de la marque « Torrente » sur le territoire de la République populaire de Chine à IBC qui l'a concédé à son tour à Wenzhou.

Comme le relève Wenzhou, s'il est vrai que IBC est une société belge, il s'agit sans doute là du seul lien avec la Belgique; lors de l'audience des plaidoiries, le tribunal a interrogé les parties sur la raison pour laquelle les droits d'exploitation de la marque « Torrente » n'ont pas été concédés directement par la société de droit français France Luxe à Wenzhou; il semble que le détour par IBC soit justifié par des considérations fiscales.

Il résulte de ce qui précède que la cause ne présente nullement des liens étroits avec la Belgique.

8. Afin de démontrer qu'il est impossible de mener une procédure à Hong Kong ou qu'il serait déraisonnable d'exiger qu'elle le fasse, IBC produit un courrier du 31 octobre 2014 du cabinet d'avocats Thomas, Mayer & Associés établi à Hong Kong rédigé dans les termes suivants:

« En cas d'assignation devant les tribunaux de Hong Kong par un demandeur résidant à l'étranger, le défendeur a la possibilité de demander que le demandeur verse, sous séquestre, une somme au titre de Security for costs. Cette somme permet de garantir le paiement des frais afférents à la procédure que le demandeur pourrait être amené à payer s'il était débouté de sa demande, dans la mesure où le demandeur, étranger, ne disposerait à Hong Kong d'aucun actif.

En pratique, cette somme est souvent équivalente aux sommes réclamées au défendeur à travers l'assignation. ».

Elle en déduit qu'elle serait contrainte de déposer sous séquestre un montant d'au moins 20.500.000 EUR dès l'introduction de la procédure en Chine, ce que l'on ne peut raisonnablement exiger d'elle et ce qu'elle serait de toute façon dans l'impossibilité de faire vu son bilan financier.

Wenzhou produit alors, à son tour, un courrier du 12 décembre 2014 du cabinet d'avocats Yuen & Partners établi à Hong Kong qui confirme que le défendeur peut demander au tribunal d'ordonner au demandeur étranger de déposer les fonds nécessaires pour garantir le paiement des frais de procédure du défendeur; ce cabinet précise cependant que ces fonds doivent correspondre uniquement aux frais de procédure du défendeur que le demandeur pourrait être amené à devoir lui rembourser et non pas au montant de la demande du demandeur étranger;

IBC produit ensuite un courrier du 27 janvier 2015 du cabinet d'avocats Cheung & Lee établi à Hong Kong qui confirme que les fonds que le demandeur étranger peut être obligé de déposer doivent couvrir les frais de procédure du défendeur; il précise que ces fonds doivent couvrir aussi bien les frais déjà exposés que les frais futurs du défendeur de sorte que le tribunal doit se livrer à une estimation qui peut, en fin de compte, ne pas correspondre à la réalité; il ajoute que la demande du défendeur pour le dépôt de fonds nécessaires à garantir ses frais de procédure peut être utilisée pour décourager les demandeurs étrangers.

L'affirmation du cabinet d'avocats Thomas, Mayer & Associés selon laquelle « En pratique, cette somme est souvent équivalente aux sommes réclamées au défendeur à travers l'assignation. » est donc démentie aussi bien par cabinet d'avocats Yuen & Partners que par le cabinet d'avocats Cheung & Lee selon lesquels seuls les frais de procédure du défendeur doivent être couverts.

Il n'est, par conséquent, nullement établi que IBC devrait déposer sous séquestre un montant d'au moins 20.500.000 EUR dès l'introduction de la procédure en Chine.

IBC ne démontre, par conséquent, pas que les conditions prévues par l'article 11 du Code D.I.P. pour attribuer exceptionnellement compétence aux juridictions belges sont réunies.

B. Quant aux dépens

9. Wenzhou demande de condamner IBC à l'indemnité de procédure maximale de 33.000 EUR au motif que cette dernière aurait développé une argumentation peu sérieuse et souvent erronée et que cette attitude volontairement négligente aurait rendu cette affaire particulièrement complexe et révélé le caractère manifestement déraisonnable de la situation.

Le montant très élevé de la demande de IBC donne lieu à une indemnité de procédure de base déjà fort élevée également précisément parce que ce genre d'affaire implique souvent un investissement important en termes de temps et d'argent.

Vu les montants en jeu, la présente affaire ne paraît pas particulièrement complexe et la situation ne paraît pas particulièrement déraisonnable de sorte qu'il n'y a pas lieu de se départir de l'indemnité de procédure de base de 16.500 EUR.

Par ces motifs, le tribunal

Statuant contradictoirement;

Se déclare sans juridiction pour connaitre de la présente cause;

Condamne IBC à l'ensemble des dépens liquidés comme suit dans le chef de Wenzhou: 16.500 EUR d'indemnité de procédure.

(...)