Article

Cour d'appel Liège (7e ch.), 16/03/2017, 2016/RG/470, R.D.C.-T.B.H., 2017/8, p. 890-902

Cour d'appel de Liège (7e ch.)16 mars 2017

PRÊT
Généralités - Crédit d'investissement - Qualification de prêt (critères) - Interdiction du remboursement anticipé volontaire - Indemnité de « funding loss » - Indemnité de remploi - Limitation
L'indemnité de funding loss est une variété d'indemnité de remploi au sens de l'article 1907bis du Code civil. L'évolution de la technique des marchés financiers, sur lesquels les fonds sont désormais remplacés en « un clic », anéantit la notion d'indemnité de remploi en ce qu'elle vise essentiellement la perte d'intérêts durant le temps nécessaire au remploi.
Lorsque l'article 1907bis du Code civil est applicable, la distinction entre indemnité de remploi et contrepartie de la renonciation par la banque à son droit de s'opposer au remboursement anticipé est inopérante. Aucune distinction ne peut être faite selon que le remboursement anticipé est ou non autorisé.
Il ne peut en revanche être déduit de l'arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 2016 que l'article 1907bis du Code civil autorise les remboursements anticipés de prêts à intérêts. Sauf abus de droit, la banque demeure libre de refuser un remboursement anticipé non autorisé par le contrat.
L'article 1907bis du Code civil n'est pas applicable aux ouvertures de crédit. La caractéristique essentielle de la définition de l'ouverture de crédit est la liberté dont dispose le crédité de prélever les fonds à sa guise. La stipulation d'une période de prélèvement ne fait pas en tant que telle la preuve d'une liberté de prélèvement, encore faut-il qu'elle soit réelle et effective. Tel n'est pas le cas lorsque le crédité n'a d'autre choix que de prélever l'intégralité des fonds dès leur mise à disposition pour permettre la constitution de garanties et qu'à défaut de prélèvement de l'intégralité du crédit, la banque peut mettre fin au contrat et réclamer une indemnité.
LENING
Algemeen - Investeringskrediet - Kwalificering van lening (criteria) - Verbod van vrijwillige vervroegde terugbetaling - Vergoeding van “funding loss” - Herbelegingsvergoeding - Beperking
De funding loss-vergoeding is een soort herbeleggingsvergoeding in de zin van artikel 1907bis van het Burgerlijk Wetboek. De evolutie van de technieken van de financiële markten, op dewelke de fondsen thans in een “click” worden vervangen, veegt het begrip herbeleggingsvergoeding weg daar deze in essentie interestverlies gedurende de periode van herbelegging beoogt.
Wanneer artikel 1907bis van het Burgerlijk Wetboek van toepassing is, werkt het onderscheid tussen herbeleggingsvergoeding en opzeggingsvergoeding door de bank om zich te verzetten tegen een vervroegde terugbetaling niet. Geen enkel onderscheid kan gemaakt worden op grond van de omstandigheid of de vervroegde terugbetaling al dan niet geoorloofd was.
Daarentegen kan uit het arrest van het Hof van Cassatie van 24 november 2016 niet worden afgeleid dat artikel 1907bis van het Burgerlijk Wetboek de vervroegde terugbetaling van de leningen met interest toelaat. Behoudens rechtsmisbruik, blijft de bank vrij om een niet-toegestane vervroegde terugbetaling door de overeenkomst te weigeren.
Artikel 1907bis van het Burgerlijk Wetboek is niet van toepassing op kredietopeningen. De essentie van de definitie van kredietopening is de vrijheid waarover de kredietnemer beschikt om fondsen op te nemen naar eigen goeddunken. De bepaling van een opnameperiode bewijst als dusdanig niet de opnamevrijheid, maar dan moet deze wel werkelijk en effectief zijn. Dit is niet het geval wanneer de kredietnemer geen andere keus heeft dan bij de terbeschikkingstelling van de fondsen het totale bedrag van deze op te nemen om het stellen van zekerheden mogelijk te maken en dat bij ontstentenis van het opnemen van de totaliteit van het krediet, de bank een einde kan stellen aan de overeenkomst en een vergoeding eisen.

B.B. / E.C. SPRL et M.Ch.

Siég.: G. Foxhal (conseiller f.f. de président)
Pl.: Mes D. Blommaert, L. Van Muylem et L. Frankignoul
Affaire: 2016/RG/470

Vu les feuilles d'audiences des 3 mai 2016, 16 février 2017 et de ce jour

Après en avoir délibéré

Vu la requête du 13 avril 2016 par laquelle la SA B.B. interjette appel du jugement rendu le 20 janvier 2016 par le tribunal de commerce de Liège, division Liège.

Vu les conclusions et dossiers des parties.

Antécédents et objet de l'appel

L'objet du litige et les circonstances de la cause ont été correctement relatés par les premiers juges, à l'exposé desquels la cour se réfère.

Il suffit de rappeler que le 18 août 2010, M.C. signe, pour lui « ou toute autre société » un compromis de vente portant sur un immeuble sis (…) à Grivegnée pour le prix de 170.000 EUR sur lequel il remet un acompte de 8.500 EUR.

La vente est soumise à la condition suspensive d'une durée de 30 jours de l'obtention d'un prêt hypothécaire de 170.000 EUR.

M.C. et la SPRL E.C. (ci-après E.C.) s'adressent à l'agence de Visé de la SA D.B. (ci-après D.), devenue SA B.B. (ci-après B.), aux fins d'obtenir le crédit nécessaire.

Le 29 septembre 2010, D. leur écrit avoir le plaisir de leur accorder un crédit d'investissement de 170.000 en 15 ans « pour l'achat de votre bâtiment à Grivegnée ».

Le 26 octobre 2010, D., M.C. et E.C. concluent un crédit d'investissement selon les modalités suivantes:

« Type de crédit: crédit avec remboursements mensuels constants sur une base 360/360, remboursable en 180 tranches fixes mensuelles, composées du capital et des intérêts. La première échéance en capital et intérêts tombe le dernier jour du mois suivant celui au cours duquel aura lieu le premier prélèvement. La date exacte de cette première échéance sera communiquée au(x) crédité(s) lors de ce premier prélèvement.

But du crédit: acquisition terrain, immeuble et/ou construction immeuble.

Montant du crédit: 168.300 EUR.

Durée: 180 mois.

Montant d'un remboursement périodique: le plan de remboursement vous sera transmis après la mise à disposition de votre crédit.

Taux d'intérêt annuel nominal: 4,86%

Période de révision du taux d'intérêt: pas de révision du taux d'intérêt.

Taux d'intérêt de retard: 6,36%.

Plan de prélèvement: en plusieurs tranches, dans les 9 mois suivant l'ouverture du présent crédit.

(…)

Commission de réservation: 1,80% calculé sur tous les montants non prélevés conformément au règlement des crédits.

Numéro du compte centralisateur: (...)

Garanties:

Tous les engagements du (des) crédité(s) envers D.B., quelle que soit leur nature, sont couverts par les garanties précédemment constituées ainsi que par:

Une inscription hypothécaire pour un montant en principal de 50.000 EUR, en 1er rang, sur le bien immeuble situé (…) Grivegnée et appartenant à M.C. et E.C. SPRL. (...)

Un mandat hypothécaire pour un montant en principal de 118.300 EUR sur tous les biens immeubles actuels et futurs, dont le bien immeuble situé (…) Grivegnée et appartenant à M.C. et E.C. SPRL (...).

Conditions d'octroi: (...) Moyennant la production de l'avant-projet de l'acte d'achat dont il semble qu'il est bien la société E.C. SPRL qui est acquéreuse de l'immeuble faisant l'objet du présent crédit. (...)

Conditions générales:

Un crédit d'investissement est un crédit à durée déterminée qui est utilisable dans le cadre des activités professionnelles ou commerciales du (des) crédité(s). (...)

D.B. se réserve le droit de revoir les modalités du crédit dans sa totalité, si le plan de prélèvement n'est pas respecté.

D.B. se réserve le droit de considérer le présent contrat comme nul et non avenu si l'accord du (des) crédité(s) n'est pas parvenu à D.B. au plus tard le 24 novembre 2010 ou si la (les) garantie(s) demandée(s) n'a (n'ont) pas été valablement constituée(s) dans les 3 mois à dater du présent contrat.

Le(s) crédité(s) s'engage(nt) aussi à remplir toutes les conditions posées avant l'expiration d'un terme de 3 mois qui commence à courir à partir de la date de ce contrat.

Le crédit doit être prélevé aux fins pour lesquelles il a été octroyé, conformément aux dispositions du règlement des crédits. Le(s) prélèvement(s) doit (doivent) avoir lieu sur présentation de factures ou autres documents attestant que les investissements financiers ont été effectués, le cas échéant, suivant le schéma de prélèvement convenu. Si les travaux sont étalés dans le temps, D.B. se réserve le droit de limiter le nombre de prélèvements à 4 tranches. (...).

Le règlement des crédits de novembre 2004 et le règlement général des opérations, dont le(s) crédité(s) reconnaît (reconnaissent) avoir reçu un exemplaire, en avoir pris connaissance et en approuver intégralement le contenu, s'appliquent à ce contrat, à moins qu'il n'y soit expressément dérogé dans la présente convention ».

Le 2 novembre 2010, D. demande au notaire chargé de passer l'acte authentique de lui communiquer, notamment, une copie du projet de l'acte d'acquisition et son décompte.

L'acte authentique de vente de l'immeuble est passé le 2 décembre 2010, E.C. est le seul acquéreur.

Le montant du crédit est prélevé intégralement le jour-même.

L'hypothèque à concurrence de 50.000 EUR et le mandat hypothécaire à hauteur de 118.300 EUR sont constitués par actes authentiques du même jour.

En 2014, M.C. et E.C. souhaitent rembourser anticipativement le crédit d'investissement.

Le 3 septembre 2014, B. leur écrit:

« En date du 27 octobre 2010, B.B. vous a octroyé un crédit d'investissement d'une durée de 15 ans, portant le numéro (...), dont la date d'échéance est le 31 décembre 2025.

Vous souhaitez rembourser ce crédit anticipativement.

Les conditions sous lesquelles ceci pourra s'effectuer ont été déterminées dans la lettre de ce crédit et dans le règlement des crédits qui constituent ensemble la convention de crédit.

En cas de remboursement anticipé de votre crédit, une indemnité est due qui est égale à la perte financière subie par la banque, avec un minimum de 6 mois d'intérêts.

En effet, chaque remboursement anticipé perturbe l'équilibre financier existant: les intérêts et les frais sur les moyens utilisés par la banque continuent à courir alors que la banque ne perçoit plus les intérêts sur le crédit.

Cette perte financière pour la banque est égale à la différence entre les intérêts contractuels encore à recevoir selon le tableau d'amortissement de votre crédit et les intérêts que la banque reçoit sur le marché financier lors du réinvestissement du capital remboursé anticipativement.

Plus grande est la différence entre le taux d'intérêt de votre crédit et les taux d'intérêts de marché actuels, plus grande sera la perte financière et l'indemnité.

Plus longue est la période restante jusqu'à l'échéance de votre crédit, plus grande sera la perte financière et inversement.

Pour votre crédit susmentionné, la perte financière due suite à un remboursement anticipé en date du 15 septembre 2014 s'élève à 33.312,47 EUR. »

Par courrier de leur conseil du 25 septembre 2014, M.C. et E.C. contestent l'indemnité réclamée par B. et précisent qu'ils n'en paient le montant que pour obtenir la mainlevée de l'inscription hypothécaire et la radiation du mandat, mais qu' « En aucun cas, il ne pourra être vu dans ce paiement une quelconque renonciation (...) à la protection impérative de l'article 1907bis du Code civil ».

B. écrit accepter de réduire le montant de l'indemnité « à titre de geste commercial exceptionnel ».

Les parties échangent divers courriers sans aboutir à un accord.

Le 31 mars 2015, M.C. et E.C. assignent B. en paiement de la somme de 29.959,95 EUR à majorer des intérêts légaux jusqu'à complet paiement, outre les dépens.

Les premiers juges font droit à cette demande et liquident les dépens à 2.511,03 EUR dont 2.200 EUR à titre d'indemnité de procédure et 311,03 EUR de frais de citation dont à déduire la TVA s'il échet.

Discussion

1. B. estime la qualification du contrat conclu entre les parties (prêt ou ouverture de crédit) indifférente au motif que l'article 1907bis du Code civil n'autorise pas la réduction d'une indemnité de funding loss, quelle que soit la nature du crédit.

Selon elle, l'indemnité de funding loss n'est pas une indemnité de remploi en raison de son objet et parce qu'elle s'applique dans l'hypothèse où un crédit à durée déterminée ne prévoit pas la possibilité de procéder à un remboursement anticipé. Elle constitue la contrepartie de la renonciation de la banque à son droit de s'opposer au remboursement anticipé, ce qui constitue sa spécificité par rapport à l'indemnité de remploi.

« L'indemnité de remploi, aujourd'hui rebaptisée funding loss, vise à indemniser le créancier, au profit duquel le terme a été stipulé, du préjudice qu'il encourt ou est susceptible d'encourir à l'occasion d'un remboursement anticipé. Outre les frais, notamment de décompte, est par là visé le préjudice lié à l'anticipation sur le terme convenu. Parce que le terme a également été stipulé au profit du prêteur, celui-ci n'entend pas, s'il se déclare prêt à accepter un paiement anticipé de son capital ou si, eu égard aux défauts de paiements du crédité, il met en oeuvre la clause d'exigibilité immédiate, souffrir une perte due au fait que son placement prend fin plus tôt que prévu » (C. Biquet-Mathieu, « L'article 1907bis limite l'indemnité de remploi à six mois d'intérêts en cas de remboursement anticipé », R.G.D.C., 2007, p. 633; C. Biquet-Mathieu, « Crédit, remboursement anticipé et indemnité de remploi », Rev. not. belge, 2006, pp. 494 et s., n° 10).

« Dans une conception ancienne, dont s'est vraisemblablement inspiré le législateur de 1934 lorsqu'il a limité, au sein de l'article 1907bis du Code civil, l'indemnité de remploi à 6 mois d'intérêts, le préjudice dû à l'anticipation sur le terme convenu est essentiellement constitué par la perte d'intérêts durant le temps nécessaire au remploi.

Dans une conception plus moderne en revanche, le préjudice dû à l'anticipation sur le terme convenu résulte essentiellement de « l'écart entre le taux du prêt et celui du remploi par le prêteur des fonds remboursés au cas où ce dernier taux serait inférieur au premier » (C. Biquet-Mathieu, o.c., Rev. not. belge, 2006, n° 10).

« Quoi que l'on puisse prétendre, [l'indemnité de funding loss] n'est en réalité [qu'une] variété d'indemnité de remploi calculée de façon à indemniser le prêteur en tenant compte de l'écart entre le taux du crédit et le taux du remploi (...) (C. Biquet-Mathieu, o.c., Rev. not. belge, n° 15).

« L'indemnité de remploi vise à indemniser le prêteur du préjudice qu'il encourt ou est susceptible d'encourir à l'occasion d'un remboursement anticipé. L'anticipation sur le terme convenu bouleverse les prévisions du prêteur quant au placement effectué. Il convient qu'il affecte le capital reçu anticipativement à un autre placement, peut-être moins lucratif. L'indemnité de remploi vise ainsi à compenser la perte d'intérêts durant le temps nécessaire au remploi ou, du moins, la perte d'intérêts découlant du caractère moins lucratif du nouveau placement opéré. L'indemnité de remploi vise en outre, le cas échéant, à compenser les coûts administratifs (décomptes, correspondance avec le client, démarches pour replacer le capital, ...) engendrés par le remboursement anticipé.

(...) l'indemnité de funding loss, apparue il y a une vingtaine d'années, n'est qu'une variété d'indemnité de remploi, calculée de façon à indemniser le prêteur en tenant compte de l'écart entre le taux du crédit et le taux du remploi. Dans la philosophie de ces fameuses indemnités de funding loss, le préjudice dit « réel » - mais en réalité calculé de manière forfaitaire - de l'établissement de crédit s'élèverait, pour faire bref, à la différence entre, d'une part, les intérêts que cet établissement aurait perçus si le crédit n'avait pas été remboursé anticipativement, d'autre part, les intérêts qu'il pourra percevoir en replaçant le capital remboursé anticipativement sur le marché interbancaire pour la durée restant à courir et selon les mêmes échéances. (...) » (C. Biquet-Mathieu, « Crédit hypothécaire et crédit d'investissement - Indemnités, frais et pénalités », R.F.D.L., 2015, pp. 231-328, nos 65 et 66).

Indépendamment de la spécificité invoquée par B. qui différencierait l'indemnité de funding loss de l'indemnité de remploi par le fait qu'elle constitue la contrepartie de la renonciation de la banque à son droit de s'opposer au remboursement anticipé (laquelle sera examinée ci-après), l'appelante ne démontre pas que l'indemnité de funding loss qu'elle réclame doit, en tant que telle, être distinguée de l'indemnité de remploi au sens de l'article 1907bis du Code civil. Elle en est une variété. Toutes deux sont des indemnités réclamées en raison de la perte d'intérêts subie par la banque lors du remploi des fonds remboursés anticipativement. B. reconnaît en termes de conclusions que « L'indemnité de remploi est celle qui vise à compenser la perte d'intérêts durant le temps nécessaire au remploi ou, du moins, la perte d'intérêts découlant du caractère moins lucratif du nouveau placement opéré par la banque. » (p. 6, 2e paragraphe). Elle définit l'indemnité de funding loss comme « le manque-à-gagner correspondant à la différence entre les intérêts qui auraient été perçus si le crédit avait suivi son cours normal et ceux qui pourront être perçus en replaçant le capital remboursé aux conditions du marché » (ses conclusions, p. 6, 3e paragraphe). Ce faisant, elle ne démontre pas que l'indemnité de funding loss litigieuse ne répond pas à la définition légale d'indemnité de remploi.

Il ne résulte d'aucune disposition ou analyse que l'indemnité de remploi est forfaitaire.

La loi doit être interprétée conformément à l'esprit du temps où elle est appliquée en tenant compte de l'objectif poursuivi par le législateur. « Le juge ne doit pas s'attacher à rechercher obstinément quelle a été, il y a cent ans, la pensée des auteurs du code en rédigeant tel ou tel article. Il doit se demander ce qu'elle serait si le même article était rédigé aujourd'hui par eux. Il doit se dire qu'en présence de tous les changements qui, depuis un siècle, se sont opérés dans les idées, dans les moeurs, dans les institutions, dans l'état économique et social, la justice et la raison commandent d'adapter libéralement, humainement, le texte aux réalités et aux exigences de la vie moderne. » (H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, t. I, Bruylant, 1933, p. 203, n° 215).

L'évolution de la technique et des marchés financiers, sur lesquels les fonds sont désormais replacés en « un clic », anéantit la notion d'indemnité de remploi en ce qu'elle vise le préjudice dû à l'anticipation sur le terme convenu constitué essentiellement par la perte d'intérêts durant le temps nécessaire au remploi. Donner à cette notion la portée que justifie le mode de fonctionnement actuel des marchés financiers ne constitue pas une interprétation extensive de l'article 1907bis du Code civil mais une interprétation conforme à l'esprit actuel, laquelle est nécessaire à éviter un anachronisme et à atteindre le but du législateur.

L'interprétation restrictive postulée par l'appelante ne se justifie pas.

« A l'instar du choix posé par les rédacteurs de l'article 1907bis du Code civil, c'est habituellement sous la dénomination d''indemnité de remploi' que l'on désigne l'indemnité réclamée lors du remboursement anticipé d'un crédit. Le remploi s'entend ici dans son sens ordinaire de l'usage nouveau d'un capital et, dans l'esprit du législateur de l'époque, l'indemnité éponyme devait couvrir la perte du loyer de l'argent pendant un temps suffisant pour la réaffectation du capital remboursé. » (M.-D. Weinberger, « Funding loss ... in translation », D.B.F. - B.F.R., 2014, pp. 3-29, n° 5).

« En ce qui concerne l'article 1907bis du Code civil, les questions sont désormais classiques et leur enjeu connu: en limitant l'indemnité de remploi à 6 mois d'intérêt au taux convenu sur le capital remboursé anticipativement, cette disposition légale réduit potentiellement la compensation financière éventuellement due au dispensateur de crédit à une somme (très) inférieure à celle qui résulterait de l'application de la formule d'indemnité de réinvestissement commentée [lire indemnité de funding loss].

L'on avance parfois que l'article 1907bis du Code civil est une disposition dérogatoire au droit commun devant, par conséquent, recevoir une interprétation restrictive. La systématicité de ce précepte peut toutefois être discutée et, en définitive, si l'on a pu s'accorder quant aux restrictions affectant le champ d'application de la disposition [voyez ci-après] - déduites de ses termes et de la place qu'elle occupe au sein du Code civil - c'est probablement surtout parce que les travaux préparatoires de la loi du 27 juillet 1934 n'ont jamais vraiment pu susciter une autre lecture. » (o.c., nos 35 et 36).

Indépendamment des modalités de détermination de la formule de calcul de l'indemnité de funding loss, le régime juridique de l'indemnité de remploi - en ce compris donc celle ainsi qualifiée - dépend de l'existence, ou non, de dispositions légales protectrices spécifiques (telles l'art. 1907bis du Code civil ou une législation en matière de crédit).

« En droit commun, dès lors que le terme a été stipulé au profit des deux parties, le remboursement anticipé est en principe interdit. Le créancier peut cependant l'autoriser moyennant le paiement d'une indemnité de remploi et, le cas échéant, de frais annexes. Une telle autorisation peut figurer ex ante dans le contrat de crédit ou être consentie ex post alors que le crédité entend opérer le remboursement anticipé, pourtant interdit. (...) » (C. Biquet-Mathieu, o.c., n° 68).

« Si l'indemnité de remploi n'a pas été prévue dans le contrat de crédit et qu'elle est négociée ex post en vue d'autoriser le remboursement anticipé que le crédité souhaite opérer alors qu'il n'en a pas le droit, le créancier sollicité à cet effet se trouve en position de force. Nous raisonnons, rappelons-le, dans l'hypothèse où l'article 1907bis ne s'applique pas. Etant, sous réserve de l'abus de droit, admis à refuser purement et simplement le remboursement anticipé voulu par le crédité, il peut préférer le monnayer. Lors de la négociation du remboursement, il peut même exiger plus que l'indemnisation du préjudice qu'il encourt effectivement du fait du remboursement anticipé et partant saisir cette occasion pour engranger une prime. Selon la formule consacrée: « C'est à prendre ou à laisser. » Parce que la simple lésion ne vicie pas les conventions, le juge n'a pas le pouvoir de jauger le prix exigé par le créancier en contrepartie de la libération anticipée du crédité. (...). » (o.c., n° 71).

La thèse de B. selon laquelle l'indemnité de funding loss est la contrepartie de la renonciation de la banque à son droit de s'opposer au remboursement anticipé est incontestable dans le contexte ainsi décrit du droit commun.

Par contre, si l'article 1907bis du Code civil est applicable, cette distinction est inopérante. L'indemnité de remploi, fut-elle qualifiée de funding loss (notamment) au motif que le remboursement anticipé n'est pas autorisé, est limitée à 6 mois d'intérêts.

« La controverse relative aux types de remboursements anticipés visés provient du fait que la limitation de l'indemnité de remploi par l'article 1907bis n'est pas couplée avec un droit légal au remboursement anticipé dans le chef de l'emprunteur. On se demande en conséquence si la limitation de l'indemnité de remploi a également lieu de s'appliquer lorsque l'emprunteur opère un remboursement anticipé alors qu'il ne dispose pas de ce droit. (...) (o.c., n° 73).

Il n'y a pas lieu de distinguer entre les différentes hypothèses de remboursement anticipé.

« Loin d'émettre une telle distinction, le texte de l'article 1907bis précise que 'lors du' remboursement anticipé d'un prêt, il ne peut 'en aucun cas' 'être réclamé' une indemnité de remploi supérieure à 6 mois d'intérêts. Le recours tout à la fois à l'expression 'en aucun cas' et au verbe 'réclamer' comme le fait que la disposition se place au moment du remboursement indiquent que ce n'est pas seulement l'indemnité de remploi fixée conventionnellement dans le contrat de crédit qui est visée, mais de façon générale toute réclamation du prêteur à ce titre au moment du remboursement anticipé. Une telle interprétation est conforme à la ratio legis du texte qui est de lutter contre les indemnités de remploi exorbitantes. Il faut donc (...) décider que l'article 1907bis vise tant le remboursement anticipé opéré en application d'une clause prévoyant cette faculté ex ante dans le contrat de crédit que le remboursement anticipé interdit (dans le contrat ou par le droit commun supplétif), mais autorisé ex post par le prêteur. (...). » (o.c., n° 73).

« 'Lorsque le remboursement anticipé est exclu (...) mais que la banque l'autorise néanmoins, elle ne peut, sans abuser de son droit de refuser ce remboursement anticipé, subordonner celui-ci au paiement d'une indemnité de remploi qui serait supérieure à ce qu'autorise l'article 1907bis du Code civil pour le cas où le remboursement anticipé est autorisé. L'article 1907bis du Code civil limite en effet l'indemnité de remploi, abstraction faite de son mode de fixation'. Citant la doctrine qui plaidait en ce sens, la cour ajoute que 'L'article 1907bis réglemente l'indemnité de remploi qui peut être 'réclamée' à l'emprunteur lors du remboursement anticipé de son prêt; il précise qu''en aucun cas' elle ne peut excéder le maximum qui lui est assigné. Partant, la limite établie par l'article 1907bis concerne (...) non seulement l'indemnité de remploi qui est stipulée de façon forfaitaire et préalable à la convention de prêt mais aussi plus généralement toute indemnité de remploi qui est 'réclamée' à l'emprunteur lors du remboursement anticipé de son prêt. » (Bruxelles, 2 mars 2012, Dr. banc. fin., 2014, p. 47).

Un pourvoi en cassation a été introduit et l'un des moyens présentés à l'encontre de cette décision ne critiquait que la première partie des motifs précités. Par un arrêt du 23 juin 2013, la Cour de cassation a décidé que ce moyen était irrecevable, après avoir considéré que les seconds motifs cités ci-dessus, non critiqués quant à eux, constituaient un fondement distinct et suffisant de la décision que l'article 1907bis du Code civil n'est pas limité aux conventions de prêt qui autoriseraient expressément ou à tout le moins n'interdiraient pas le remboursement anticipé.

Il semble donc que l'article 1907bis du Code civil, lorsqu'il est applicable, ne distingue pas selon que le remboursement anticipé est autorisé ou non, volontaire ou forcé (M.-D. Weinberger, o.c., n° 63).

La Cour de cassation confirme cette analyse dans son arrêt du 24 novembre 2016:

« Aux termes de l'article 1907bis du Code civil, lors du remboursement total ou partiel d'un prêt à intérêt, il ne peut en aucun cas être réclamé au débiteur, indépendamment du capital remboursé et des intérêts échus, une indemnité de remploi d'un montant supérieur à 6 mois d'intérêts calculés sur la somme remboursée au taux fixé par la convention.

Cette limitation s'applique à toute indemnité réclamée par le prêteur en cas de remboursement anticipé total ou partiel d'un prêt à intérêt.

L'arrêt constate que 'l'article 20.5., a) des conditions générales interdisait le remboursement anticipé volontaire du crédit d'investissement' consenti à la demanderesse, que 'le 13 juillet 2010, [celle-ci] [...] a fait part de sa volonté de mettre fin au contrat de crédit' au motif qu'elle 'a perdu confiance en [la défenderesse]' et que celle-ci lui a répondu que, nonobstant l'interdiction prévue, 'elle pourrait accepter le remboursement anticipé moyennant le paiement d'une indemnité de remploi'.

Il considère que la défenderesse, qui aurait pu 'exiger la poursuite des relations contractuelles jusqu'au terme convenu', était en droit de solliciter 'le paiement d'une indemnité de remploi actuarielle', 'd'une part, pour renoncer à exiger la poursuite du contrat, d'autre part, pour l'indemniser de la perte qu'elle estimait subie, outre toutes autres considérations qu'elle estimait utiles pour admettre la renonciation de sa part au terme convenu du contrat', qu''il ne s'agit donc pas, malgré les termes utilisés par les parties, d'une indemnité de remploi sensu stricto qui est celle qui est due dans l'hypothèse où les parties ont convenu d'une possibilité de résiliation par l'emprunteur du contrat souscrit, voire d'une indemnité de funding loss si tant est qu'il faille lui donner un sens différent', et que, 'même si le résultat apparaît être le même (paiement d'une somme), il n'en demeure pas moins que sa cause est différente'.

En décidant que l'indemnité réclamée ne devait pas 'être soumise à la limitation du plafond instauré par l'article 1907bis du Code civil' au motif qu''aucun remboursement total ou partiel n'était autorisé', l'arrêt viole la disposition légale précitée.

Le moyen, en cette branche, est fondé. »

La limitation de l'indemnité de remploi visée par l'article 1907bis ne peut donc être écartée au motif que le contrat de prêt à intérêt n'autorisait pas le remboursement.

La thèse de B. selon laquelle l'indemnité de funding loss que réclame la banque en contrepartie de la renonciation à son droit de s'opposer au remboursement anticipé n'est pas une indemnité de remploi soumise à l'article 1907bis eu égard à cette spécificité est rejetée.

Aucune distinction ne peut être opérée selon que le remboursement du crédit est ou non autorisé. L'indemnité de remploi réclamée en cas de remboursement anticipé lorsque le contrat ne prévoit pas celui-ci n'échappe pas à la limitation. B. reconnaît elle-même en termes de conclusions que l'arrêt cassé ne qualifiait « l'indemnité réclamée ni d'indemnité de remploi, ni d'indemnité de funding loss, mais par ce qui pourrait être résumé sous le terme 'indemnité de renonciation' (au droit de refuser tout remboursement anticipé) ».

La première branche du troisième moyen vise expressément « La limitation énoncée par l'article 1907bis du Code civil concerne tant l'indemnité qui est stipulée dans le contrat de prêt à l'occasion du remboursement anticipé des fonds prêtés (indemnité prévue ex ante), que celle qui est réclamée ex post, lorsque le contrat ne dit rien à cet égard ou qu'il énonce une interdiction de remboursement anticipé des fonds prêtés. (...) Or, de la seule considération que le remboursement anticipé n'était pas autorisé par le contrat, l'arrêt attaqué ne pouvait déduire que l'article 1907bis du Code civil n'était pas applicable car celui-ci couvre toute hypothèse de remboursement anticipé sans distinguer selon qu'il soit autorisé ou non par la convention. (...) ».

Il ne se justifie pas pour trancher le présent litige de vider la question qui oppose les parties de savoir si la Cour de cassation a (et valablement) décidé que la limitation de l'article 1907bis s'applique à toute indemnité (qu'elle soit qualifiée d'indemnité de remploi, de funding loss ou autrement) réclamée par le prêteur en cas de remboursement anticipé total ou partiel d'un prêt à intérêt.

La cour relève néanmoins qu'en sa première branche, point deux, le moyen ne qualifiait pas autrement l'indemnité (« En l'espèce, par les motifs repris au présent moyen et tenus ici pour intégralement reproduits, l'arrêt attaqué considère que 'C'est aussi vainement que [RC] soutient que l'indemnité sollicitée par CBC devrait être soumise à la limitation ...' (...) »).

B. ne démontre pas que l'indemnité (abstraction faite de la situation de remboursement non autorisé, laquelle ne justifie aucune distinction) qu'elle réclame ne constitue pas une indemnité de remploi (voy. ci-avant). Dès lors, la limitation de l'article 1907bis s'applique.

Il ne peut par contre être déduit de l'arrêt précité que l'article 1907bis autorise les remboursements anticipés de prêts à intérêt. Il ne se justifie pas de poser à la Cour constitutionnelle la question que suggère l'appelante.

Il ne résulte pas des constatations ainsi faites que les remboursements interdits deviendraient de facto autorisés. Sauf abus de droit, la banque demeure libre de refuser un remboursement anticipé non autorisé par le contrat. Il est indifférent dans le cadre de la présente cause que les indemnités de remploi prévues par l'article 1907bis du Code civil et le règlement des crédits de B. en cas de remboursement anticipé forcé suite à la résiliation du contrat sont d'un montant identique.

Il résulte de ces développements que la question de l'application de l'article 1907bis du Code civil au cas d'espèce se pose bien.

2. L'article 1907bis du Code civil énonce: « Lors du remboursement total ou partiel d'un prêt à intérêt, il ne peut en aucun cas être réclamé au débiteur, indépendamment du capital remboursé et des intérêts échus, une indemnité de remploi d'un montant supérieur à six mois d'intérêts calculés sur la somme remboursée au taux fixé par la convention. »

L'article 1907bis ne s'applique pas aux ouvertures de crédit. Cela qui ne fait l'objet d'aucune contestation.

« De manière quasi unanime, la doctrine et la jurisprudence fixent le droit positif en ce sens que l'article 1907bis du Code civil, introduit par une loi du 27 juillet 1934, n'est applicable qu'aux contrats de prêt à intérêt visés par le Chapitre III du Titre X de ce code, c'est-à-dire des contrats réels, qui ne se forment que par la remise de la chose prêtée, et qui revêtent en règle un caractère unilatéral. Par contraste, l'ouverture de crédit est, quant à elle, généralement qualifiée de contrat purement consensuel, synallagmatique, 'sui generis' et présentant un caractère intuitu personae marqué. Ne pouvant dès lors être assimilées au contrat de prêt à intérêt, les ouvertures de crédit ne sont donc pas soumises à l'article 1907bis du Code civil. » (M.-D. Weinberger, o.c., n° 35).

Interprété en ce sens (qu'il n'est pas applicable aux ouvertures de crédit - et en particulier aux ouvertures de crédit non réutilisables), l'article 1907bis du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que les emprunteurs sont traités de manière différente alors qu'ils se trouvent dans une situation identique (C.C., 7 août 2013, n° 119/2013).

3. « Le Code civil définit le contrat de prêt de consommation comme: 'un contrat par lequel l'une des parties livre à l'autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l'usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité' (art. 1892). Bien que cette conception soit aujourd'hui remise en question, le prêt est traditionnellement considéré comme un contrat réel. Un contrat réel est un contrat qui, par dérogation au principe du consensualisme, requiert la remise d'une chose pour sa formation. Il ne se forme pas par la seule réunion des consentements, qui doit perdurer jusqu'à la remise de la chose. » (C. Biquet-Mathieu, o.c., R.D.F.L., n° 6).

L'ouverture de crédit est « la convention par laquelle une personne - très généralement un banquier - (le créditeur) s'engage pendant un temps fixé à mettre à la disposition du client (le crédité) des fonds, jusqu'à concurrence de la somme convenue. Tandis que le créditeur est irrévocablement tenu de remplir sa promesse, la réalisation de l'avance selon les modes prévus est subordonnée à la demande de l'emprunteur, qui en fera usage s'il en a besoin » (L. Fredericq, Droit commercial belge, t. IX, 1952, Gand, Fecheyr, p. 271).

« Selon la Cour de cassation: 'Une ouverture de crédit confère au crédité un droit personnel de faire usage, à sa demande, de la ligne de crédit accordée par la convention de crédit.' Et la Cour d'ajouter qu'aussi longtemps que le crédité n'a pas manifesté sa volonté d'user du droit qui lui est conféré, il n'existe dans son chef aucune créance contre la banque susceptible d'être saisie. De cet arrêt, il ressort que le créditeur est définitivement engagé à l'égard du crédité à libérer le crédit si celui-ci décide d'en faire usage. Le crédité en revanche est libre de décider si et quand il fera usage de la ligne de crédit qui lui est consentie. Il n'a aucune obligation de ce faire.

L'exemple topique de l'ouverture de crédit ainsi définie est celle qui se réalise par la voie d'un découvert en compte à vue ou inhérente à l'utilisation d'une carte de crédit. Elle est très souvent revolving en ce sens que si les montants prélevés ont été apurés, ils peuvent être utilisés à nouveau par le crédité sans qu'il soit besoin d'un nouvel accord du créditeur. L'ouverture de crédit qui se réalise par la voie d'un découvert en compte à vue ou inhérente à l'utilisation d'une carte de crédit paraît bien se distinguer du contrat de prêt. Il faut décider que les articles 1907 et suivants ne s'y appliquent pas. » (C. Biquet-Mathieu, o.c., R.D.F.L., n° 6).

« Le prêt est un contrat réel par lequel le prêteur remet une somme d'argent à l'emprunteur, qui s'engage à le rembourser selon les modalités convenues. Cette remise du montant prêté lors de la conclusion du contrat est l'élément caractéristique essentiel du prêt, qui le distingue fondamentalement de l'ouverture de crédit, laquelle est un contrat consensuel, synallagmatique, par lequel le donneur de crédit s'engage à mettre des fonds à disposition du crédité, lequel pourra faire appel à cet engagement si et quand il en a besoin. » (J. Cattaruzza, « L'indemnité de remploi au coeur des débats », J.T., 2013, p. 720).

4. Le critère de l'immédiateté de la mise à disposition des fonds traditionnellement avancé pour distinguer la convention d'ouverture de crédit du prêt ne peut être retenu.

Ce critère repose sur la définition classique du prêt comme étant un contrat réel, par opposition au caractère consensuel de l'ouverture de crédit. Puisque le contrat de prêt n'est valablement formé que par la remise des fonds, une opération de crédit ne prévoyant qu'une mise à disposition ultérieure ne pourrait pas être qualifiée de prêt.

Même envisagé comme un contrat réel, le prêt n'implique nullement « par sa nature » une simultanéité entre l'accord initial et la remise des fonds prêtés. Une telle exigence n'a d'ailleurs jamais été formulée à l'égard du gage ou de la donation, qui ne sont nullement invalidés par une remise retardée de la chose (n'ayant pour effet que de retarder la formation effective du contrat).

« Le caractère réel du contrat de prêt - à le supposer toujours requis aujourd'hui - relève de son régime, à savoir les modalités à respecter pour sa conclusion, et non de sa qualification. A le supposer toujours requis aujourd'hui, le caractère réel du contrat de prêt implique un report du moment de la conclusion du contrat de prêt, qu'il n'appartient pas aux parties d'anticiper. Pour le dire autrement, il n'appartient pas aux parties de transformer un contrat réel (ou solennel) en un contrat consensuel.

Contrairement à ce qu'a pu juger la Cour constitutionnelle (dans son arrêt du 7 août 2013), le caractère réel du contrat de prêt ne requiert pas la simultanéité entre l'accord initial des volontés et la remise de la chose. S'il en était ainsi, le contrat de prêt serait un contrat inusité, puisque le plus souvent, les parties se sont déjà accordées dès avant la remise des fonds au crédité. Il y a nécessairement un laps de temps qui s'écoule entre l'accord initial des parties, d'une part, la formalisation de cet accord, la constitution des garanties éventuelles et la remise des fonds promis, d'autre part. Comme l'écrit J. Cattaruzza: 'Exiger la simultanéité entre la conclusion du contrat de prêt et la remise des fonds à l'emprunteur reviendrait toutefois, en pratique, à éliminer la figure du prêt des relations entre une banque et son client dans la mesure où la remise des fonds sur le compte du client se fait quasiment toujours avec un certain décalage'. » (Biquet-Mathieu, o.c., R.D.F.L., n° 9).

« Il est très largement admis que ce critère [d'immédiateté de remise des fonds] doit s'apprécier avec souplesse, sous peine d'éliminer totalement la figure du prêt dans les relations bancaires, où il existe toujours un certain décalage entre la conclusion du contrat et la remise des fonds. A l'inverse, la concomitance de la remise des fonds n'est pas non plus incompatible avec la qualification de l'opération en une ouverture de crédit. » (C. Alter et L. Van Muylem, « Article 1907bis du Code civil et (re)qualification de l'ouverture de crédit », R.D.C.-T.B.H., 2015, pp. 193-197, n° 6).

5. L'unicité ou la pluralité de la ou des remises de fonds ne constitue pas davantage un critère déterminant. Il est tout à fait concevable que les fonds faisant l'objet d'une ouverture de crédit soient prélevés en une seule fois (C. Alter et L. Van Muylem, o.c., n° 7).

« Peu importe, pour la qualification de prêt, que le capital soit délivré à l'emprunteur en une seule fois ou, au contraire, en plusieurs tranches. Peu importe aussi que la promesse ait été rémunérée ou non. Le prêt, considéré comme un contrat réel, n'est certes conclu que par la remise de la chose mais le fait que la remise ait été précédée d'un avant-contrat ne fait pas obstacle à la qualification de prêt une fois que toutes les sommes ont été prélevées. » (C. Biquet-Mathieu, o.c., R.D.F.L., n° 10).

« En soi, l'immédiateté de la remise des fonds implique seulement que le décaissement est contemporain à la conclusion du contrat, par opposition aux opérations dans lesquelles la mise à disposition des fonds est future. L'absence d'immédiateté de la remise des fonds n'est donc, en ce sens, pas exclusive de la qualification de prêt, mais, inversement, l'immédiateté peut aussi se rencontrer dans une ouverture de crédit et n'est dès lors pas un critère qui se suffit à lui-même. » (M.-D. Weinberger, o.c., n° 48).

Le caractère non réutilisable de l'ouverture de crédit est également un critère indifférent.

« Reconnaissant, ensuite, que le contrat d'ouverture de crédit non réutilisable présente 'd'importantes analogies' avec le contrat de prêt, la Cour constitutionnelle a toutefois considéré qu'il ne 's'y assimile toutefois pas parfaitement', ni d'un point de vue juridique, ni d'un point de vue économique et que les similitudes existant entre ces deux contrats ne sont pas de nature, à elles seules, à imposer au législateur d'étendre la mesure dérogatoire au droit commun des obligations, prévue à l'article 1907bis du Code civil, à tout type de contrat analogue, sans égard pour le contexte économique particulier dans lequel il y fait recours. » (M.-D. Weinberger, o.c., n° 38).

Les modalités de remboursement ne figurent pas davantage parmi les critères distinctifs du prêt et de l'ouverture de crédit.

6. « La seule véritable caractéristique de l'ouverture de crédit tient (...) à la liberté du crédité de prélever ou non le crédit, en tout ou partie, et de choisir le moment du prélèvement, tandis que dans le cadre d'un prêt, c'est au prêteur qu'appartient l'initiative. (...) l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 août 2013 retient également la latitude laissée au crédité comme critère distinctif de l'ouverture de crédit. » (M.-D. Weinberger, o.c., n° 51).

La Cour constitutionnelle précise en effet que dans le cadre de l'ouverture de crédit, les fonds « peuvent être utilisés lorsque et dans la mesure où [le crédité] le jugerait nécessaire » (C.C., 7 août 2013, n° 119/2013, considérant B.4.).

Il semble pouvoir se déduire de l'arrêt rendu le 27 octobre 2011 par la Cour de cassation (C.11.0127.N, Dr. banc. fin., 2014, p. 42) que « la qualification de prêt semble pouvoir être retenue sur la base de la constatation que le crédité ne dispose pas d'une (réelle) liberté de prélèvement et ce, sans qu'il soit requis de constater ni le caractère unique de la remise, ni le caractère immédiat de celle-ci » (M.-D. Weinberger, o.c., n° 55).

« Certaines ouvertures de crédit ne sont pas exclusives de la qualification de prêt. Tel est le cas (...) lorsque le crédité ne dispose pas d'une réelle liberté quant au prélèvement ou à l'utilisation du crédit qui lui est consenti. » (C. Biquet-Mathieu, « Crédit hypothécaire et crédit d'investissement - Indemnités, frais et pénalités », R.F.D.L., 2015, pp. 231-328, n° 5).

« L'ouverture de crédit par découvert en compte doit (...) être distinguée des crédits pour lesquels le crédité ne dispose pas de liberté quant à l'utilisation ou au prélèvement du crédit. Tel est assurément le cas lorsque le créditeur n'accepte de délivrer le montant du crédit que pour financer l'acquisition d'un immeuble donné ou d'un bien d'investissement donné, cela uniquement au jour de l'acquisition ou de la signature des actes. Cette absence de liberté est tout aussi patente lorsque le crédit consenti est destiné à rembourser un précédent crédit et son montant ainsi imputé par la banque. Il convient alors de retenir la qualification de prêt. » (o.c., n° 8).

« Ce qui importe (...) pour la qualification de prêt est l'absence de réelle liberté quant au prélèvement ou à l'utilisation du crédit. » (o.c., p. 278, n° 72).

« Ce qui caractériserait une ouverture de crédit par rapport à un prêt serait que dans la première, le crédité se voit octroyer une mise à disposition de fonds qu'il peut utiliser au moment et dans la mesure où il le juge nécessaire, voire ne pas utiliser du tout, alors que dans le second, le crédité ne dispose d'aucune latitude quant au prélèvement des fonds.

Cette caractéristique relative à la liberté dont dispose le crédité de prélever les fonds à sa guise semble effectivement consacrée par la doctrine comme étant le critère essentiel de la définition de l'ouverture de crédit, voire son seul véritable trait caractéristique par rapport au contrat de prêt.

Là où cette liberté devait être totale pour la doctrine classique, la pratique bancaire a démontré qu'elle pouvait, dans certaines circonstances, être très encadrée, par l'effet de l'inclusion dans le contrat soit d'une période de prélèvement plus ou moins courte, soit d'une indemnité due en cas de non-utilisation de tout ou partie du crédit.

C'est sur cette base que certaines décisions ont pu requalifier une ouverture de crédit en un contrat de prêt, après avoir constaté, in concreto, que la liberté de prélèvement était par trop restreinte, voire inexistante. » (C. Alter et L. Van Muylem, o.c., n° 8).

7. Il s'impose en conséquence à la cour de qualifier le contrat de crédit litigieux en s'appuyant sur ses caractéristiques intrinsèques et sur la volonté réelle des parties, sans qu'elle soit tenue par l'intitulé qu'elles lui ont donné.

« Si le juge n'est pas tenu par la qualification donnée par les parties au contrat, celle-ci constitue néanmoins une indication importante sur leur volonté commune. Dès lors, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, 'lorsque les éléments soumis à son appréciation ne permettent pas d'exclure la qualification donnée par les parties à la convention qu'elles ont conclue, le juge ne peut y substituer une qualification différente' (...) le juge ne pourrait écarter la qualification de louage d'ouvrage en se fondant sur des éléments qui ne sont pas incompatibles avec ce contrat, même si ces éléments pourraient par ailleurs conduire à une qualification différente. » (P. Van Ommeslaghe, Les obligations, vol. 1, Introduction - Source des obligations, in De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, Bruylant, 2013, pp. 638 et s., nos 407 et 408).

Il convient d'emblée de relever que le contrat conclu le 26 octobre 2010 par les parties est qualifié, non d'ouverture de crédit ou de prêt, mais de crédit d'investissement.

Il s'agit en conséquence de qualifier le contrat litigieux, dont l'intitulé ne fournit aucune indication utile à la solution du litige.

B. se fonde sur les modalités « de prélèvement: en plusieurs tranches, dans les 9 mois suivant l'ouverture du présent crédit » pour le qualifier d'ouverture de crédit et écarter l'application de l'article 1907bis du Code civil. Elle aurait entendu « mettre une certaine somme à [la] disposition [des intimés] qu'ils pourraient utiliser selon leurs besoins et ce, dans le but de faire une 'acquisition terrain, immeuble et/ou construction immeuble' ».

Pour les intimés, l'intention des parties était de conclure un contrat de prêt portant sur la somme précitée leur permettant d'acquérir l'immeuble.

L'intention de M.C. et de E.C. était d'emprunter l'intégralité du prix d'achat de l'immeuble. Le compromis de vente est conclu sous la « condition suspensive de l'obtention d'un prêt hypothécaire de 170.000 EUR » et ce malgré le paiement d'un acompte de 8.500 EUR. La demande de crédit introduite porte sur ce montant.

Cela résulte de la réponse favorable réservée par D. à cette demande. Le 29 septembre 2010, D. écrit en effet à E.C. avoir « le plaisir de [lui] communiquer [son] accord pour un crédit d'investissement de 170.000 EUR en 15 ans pour l'achat de votre bâtiment à Grivegnée ».

C'est en contradiction avec cet écrit - dont il est indifférent qu'il ait été tracé de manière hâtive comme le prétend B. pour en minimiser la portée - qui répond à la demande formulée que B. prétend n'avoir jamais eu l'intention d'accorder un prêt permettant « aux intimés spécifiquement d'acquitter le prix d'achat de l'immeuble en question, mais bien de mettre une certaine somme à leur disposition qu'ils pourraient utiliser selon leurs besoins ... ».

Cette affirmation se heurte également au contenu du contrat de crédit d'investissement, lequel énonce comme condition d'octroi « la production de l'avant-projet de l'acte d'achat dont il semble qu'il est bien la société E.C. qui est acquéreuse de l'immeuble faisant l'objet du présent crédit » (c'est la cour qui souligne).

Il n'apparaît d'aucun élément du dossier qu'il ait à un quelconque moment été question pour l'appelante de financer par l'octroi de cette somme autre chose que l'achat de l'immeuble, notamment l'acquisition d'un terrain voisin ou la réalisation de travaux.

Le compromis de vente, dont B. reconnaît avoir été mise en possession, contredit que les intimés aient eu l'intention d'affecter la différence entre le montant du crédit (168.300 EUR) et le solde du prix à payer déduction faite de l'acompte (161.500 EUR) à un autre but que le paiement du prix de l'immeuble. Ainsi la différence était-elle sans doute possible destinée au paiement partiel des droits d'enregistrement ou des frais d'actes en quelle que sorte à titre de remploi d'une partie de l'acompte.

Si B. invoque à l'appui de sa position un mail du 29 octobre 2010 par lequel elle informe le notaire S. avoir octroyé une ouverture de crédit aux intimés, force est de constater que son courrier du 2 novembre 2010 au même notaire indique qu'elle a « l'intention (alors que le crédit a été signé le 26 octobre 2010) d'accorder un crédit d'investissement » à E.C. Ce mail, qui n'a pas été adressé aux intimés, et n'est pas même corroboré par l'intitulé du contrat, est insuffisant à prouver le contraire de ses autres écrits et des éléments objectifs du dossier.

Dans son courrier du 3 septembre 2014, c'est une nouvelle fois au crédit d'investissement conclu que B. se réfère lorsqu'est envisagé le remboursement anticipé.

B. fait grief aux intimés de ne pas avoir, dans le respect des obligations de prudence et de diligence qui s'imposaient à eux, veillé à ce que le contrat signé fasse correspondre le montant du crédit avec le prix d'achat de l'immeuble (les parties n'expliquent pas la raison pour laquelle le crédit est de 163.800 EUR et non 170.000 EUR) et exclue tout autre but du crédit que l'achat de celui-ci.

Il convient à cet égard de relever:

- qu'il n'est nullement prétendu et a fortiori établi - que les intimés - au contraire de l'appelante - soient aguerris en matière de crédit;

- que le contrat qui leur a été soumis est un contrat standard dont le but indiqué (« acquisition terrain, immeuble et/ou construction immeuble ») est libellé de manière tout aussi standard et n'est de toute façon pas erroné, mais extensif. Il ne vise pas impérativement l'acquisition d'un terrain ou d'un immeuble ET la réalisation de travaux. Dès lors, aucun rectificatif ne s'imposait;

- que ce contrat doit, le cas échéant, s'interpréter contre celui qui a stipulé, en l'espèce B.;

- que le prix d'achat de l'immeuble est supérieur au montant du crédit de sorte que l'adéquation de ces montants ne se justifiait;

- qu'en tout état de cause le contrat n'est pas inconciliable avec la volonté des parties telle qu'elle résulte des éléments du dossier de sorte que la violation de la foi due aux actes ne peut être invoquée.

Constater aux termes de la recherche de l'intention réelle des parties que l'acquisition de l'immeuble constitue l'unique objet du crédit ne viole pas la foi due aux actes dès lors que les termes du contrat d'investissement ne sont pas inconciliables avec celle-ci. Il sera par ailleurs relevé ci-après que l'appelante elle-même reconnaît que les fonds ont été effectivement affectés au but du crédit.

Elle ne peut dès lors prétendre que l'indication du but de celui-ci (« acquisition terrain, immeuble et/ou construction immeuble ») n'est pas compatible avec ce constat.

La position de B. selon laquelle les intimés avaient toute latitude de ne pas prélever ou de ne prélever qu'une partie du crédit en décidant d'employer des fonds propres pour payer tout ou partie du prix de l'immeuble est théorique - il ne résulte d'aucune pièce produite aux débats que les intimés disposaient des liquidités nécessaires et la vente ayant été conclue, le prix devait être payé le 18 décembre 2010 au plus tard - et contraire aux intentions exprimées par les parties, desquelles il résulte que les intimés avaient un besoin immédiat des fonds, que ce soit M.C. dans le compromis de vente ou les parties lors de leurs échanges précontractuels. Ainsi B. elle-même écrivait le 29 septembre 2010 leur accorder un crédit d'investissement de 170.000 en 15 ans « pour l'achat de votre bâtiment à Grivegnée ».

Il ne résulte d'aucun élément produit aux débats que les fonds devaient partiellement être affectés à la réalisation de travaux.

En tout état de cause, à défaut de précisions, l'affectation des fonds pouvait, pour répondre à la destination convenue, ne porter que sur l'acquisition de l'immeuble.

Il résulte de ces développements que la volonté des parties était de conclure un contrat permettant la mise à disposition des intimés des fonds nécessaires à payer le prix d'acquisition de l'immeuble.

L'examen in concreto, au regard de cette volonté, du contrat litigieux révèle que les intimés ne disposaient en réalité pas de la liberté de prélèvement qui caractérise l'ouverture de crédit.

La stipulation d'une période de prélèvement ne fait pas en tant que telle la preuve d'une liberté de prélèvement. Encore faut-il que celle-ci soit réelle et effective.

Les conditions générales du crédit prévoient que la banque « se réserve le droit de considérer le présent contrat comme nul et non avenu si (...) la (les) garantie(s) demandée(s) n'a (n'ont) pas été valablement constituée(s) dans les 3 mois à dater du présent contrat ».

L'article 2, 1., du règlement des crédits énonce par ailleurs que « Le crédit ou l'ouverture de crédit ne sera mis effectivement à la disposition des crédités qu'à partir du moment où (...) les sûretés stipulées seront valablement constituées au rang exigé et rendues opposables aux tiers ».

L'article 2, 2., dudit règlement prévoit que « La confirmation écrite par la banque du crédit ou de l'ouverture de crédit n'est valable qu'en tant qu'offre. Cette offre échoit automatiquement, sauf dérogation accordée par la banque, si l'accord en bonne et due forme des crédités n'est pas en la possession de la banque au plus tard un mois après la date mentionnée sur la lettre de crédit ou si la (les) sûretés demandée(s) n'a (n'ont) pas été constituée(s) valablement dans les 3 mois suivant cette date ».

La signature du contrat que le règlement des crédits qualifie d'offre (B. indique toutefois que le crédit a bien été octroyé en octobre 2010 - ses conclusions, p. 42, point 9, 3e paragraphe - après avoir néanmoins précisé que la constitution des sûretés était une condition à la conclusion de la convention de crédit - idem, point 8, dernier paragraphe) ne confère pas aux intimés le droit de faire usage du crédit.

La faculté de constituer les garanties convenues, et en conséquence de recourir au crédit via la mise à disposition des fonds, est affectée par l'indemnité que peut réclamer l'appelante, de sorte qu'à ce stade déjà, la liberté (de manière générale) des intimés est toute relative: « Si les sûretés demandées ne peuvent être constituées valablement ou ne l'ont pas été (...) », la banque a la faculté de suspendre ou de mettre fin au crédit immédiatement et sans préavis (art. 14, 1., k), du règlement général des crédits). Dans cette hypothèse, l'appelante peut réclamer une indemnité de remploi de 6 mois d'intérêts. L'article 34, 4., b), du règlement précité prévoit en effet qu' « En cas de remboursement anticipé forcé à la suite de la résiliation de la convention en vertu de l'article 14 du règlement, une indemnité de remploi de 6 mois d'intérêts sera également due. (...) ».

Certes, l'appelante indique ne formuler qu'une offre, mais à défaut de constituer les garanties requises - nécessairement avant la mise à disposition du crédit, et donc tout prélèvement - les intimés sont redevables d'une indemnité de remploi de 6 mois d'intérêts.

Dans l'hypothèse du recours au crédit, in concreto, les intimés ne disposent pas de la liberté requise pour que le contrat puisse être qualifié d'ouverture de crédit.

Ils n'ont en effet d'autre choix que de prélever immédiatement et en une fois l'intégralité des fonds et ne peuvent affecter ceux-ci qu'à l'acquisition de l'immeuble. Non seulement, parce que tel est l'objet du crédit, mais parce que s'ils souhaitent prélever les fonds, ils n'ont d'autre possibilité que d'acheter immédiatement l'immeuble au moyen de ceux-ci pour pouvoir constituer les garanties auxquelles B. subordonne leur mise à disposition. Il convient de rappeler à cet égard que M.C. a pris la précaution de conclure la vente sous la condition suspensive de l'octroi d'un crédit égal au prix d'achat de l'immeuble, ce qui démontre que le montant de l'acompte a été versé au moyen du disponible sur lequel pouvaient compter les intimés pour faire face aux frais accessoires au prix d'achat de l'immeuble que sont les droits d'enregistrement, frais d'actes et d'inscription hypothécaire notamment.

Il résulte des éléments de fait de la cause que les intimés avaient un besoin immédiat de l'entièreté du crédit pour honorer les engagements qui résultent du compromis de vente signé le 18 août 2010.

C'est en contradiction avec ces éléments que l'appelante soutient que les intimés étaient « libres de prélever les fonds si et quand bon leur semblait ». Certes, le contrat ne subordonne pas le prélèvement à la constitution des garanties, mais la mise à disposition des fonds, et ne stipule pas l'immédiateté de celle-ci, ni leur remise en une seule fois. Il n'en reste pas moins qu'en l'espèce, et l'appelante en était parfaitement informée (voy. ci-avant), les intimés n'avaient d'autre choix que de prélever l'intégralité des fonds dès leur mise à disposition pour permettre la constitution des garanties de sorte qu'ils n'avaient aucun choix du moment du prélèvement et de l'utilisation du crédit.

Dans les faits, eu égard aux circonstances de la cause, ce mécanisme apparente l'opération à un prêt à intérêt dont l'accord de principe est conclu le 26 octobre 2010 et la remise des fonds réalisée le 2 décembre 2010 après que la banque ait vérifié que les conditions sont réunies, pour que le contrat soit formé, certes, mais de facto pour libérer les fonds dont le prélèvement intégral est nécessaire à l'accomplissement des conditions requises.

« L'ouverture de crédit par découvert en compte doit encore être distinguée des crédits pour lesquels le crédité ne dispose pas de liberté quant à l'utilisation ou au prélèvement du crédit. Tel est assurément le cas lorsque le créditeur n'accepte de délivrer le montant du crédit que pour financer l'acquisition d'un immeuble donné ou d'un bien d'investissement donné, cela uniquement au jour de l'acquisition ou de la signature des actes. » (C. Biquet-Mathieu, o.c., R.F.D.L., n° 8).

Tel est le cas en l'espèce puisque les sûretés ne pouvaient être constituées qu'à ce moment et que pour ce faire les fonds devaient être prélevés.

En accordant le crédit d'investissement aux intimés, l'appelante savait pertinemment qu'elle mettrait les fonds à leur disposition au moment de la passation des actes authentiques d'acquisition et de constitution des garanties en présence de l'un de ses représentants, lequel devait marquer son accord sur la constitution d'hypothèque.

En tout état de cause, il convient de constater que l'appelante a libéré l'entièreté du crédit lors de la passation de l'acte authentique du 2 décembre 2010, confirmant de la sorte que le but de celui-ci était l'acquisition de l'immeuble.

B. reconnaît en termes de conclusions que « les fonds ont été effectivement affectés au but du crédit (les crédités semblent en effet reprocher à la concluante d'avoir été contraints d'affecter les fonds au but pour lequel ils avaient sollicité le crédit ...) » et s'interroge en conséquence sur la pertinence de l'argument. Il se justifie néanmoins d'examiner les obligations que contient la convention pour en apprécier la qualification.

« Lorsque, comme il en va dans un crédit à la construction, la fin normale du crédit consenti est la remise de tout le capital du crédit et que sa libération se fait par tranches pour permettre, du moins tel est son souci majeur, au banquier de s'assurer de la destination des fonds et de la consistance de ses garanties, le crédité ne dispose pas d'une réelle liberté. Bien que baptisée elle aussi 'ouverture de crédit', l'opération est fondamentalement distincte de l'ouverture de crédit qui se réalise par découvert en compte ou qui découle de l'octroi d'une carte de crédit. Dans le cadre d'une ouverture de crédit à la construction, le crédité n'est libre de choisir ni le moment, ni l'affectation des prélèvements.

On est alors bien loin du droit personnel et discrétionnaire du crédité de faire usage, à sa demande, de la ligne de crédit accordée. Selon D. Blommaert et J. Vannerom, l'ouverture de crédit à la construction doit être (re)qualifiée de prêt chaque fois que la liberté du crédité d'user du crédit est exclue, notamment par l'obligation qui lui est faite de présenter des pièces justificatives pour obtenir la délivrance du crédit. » (C. Biquet-Mathieu, o.c., R.F.D.L., n° 10).

Le manque de liberté ainsi constaté n'est pas compatible avec l'ouverture de crédit dont, pour rappel, la liberté du crédité de prélever les fonds à sa guise - à savoir de prélever ou non le crédit, en tout ou partie, de choisir le moment du prélèvement et la destination des fonds - est la seule véritable caractéristique.

Ce moyen de procéder est par contre parfaitement compatible avec le contrat de prêt à intérêt. Les fonds sont remis à l'emprunteur conformément à l'accord initial (ou l'offre) après que la banque ait vérifié que les conditions sont réunies.

Pour le surplus, c'est à juste titre que les intimés relèvent encore que les emprunteurs ne bénéficient d'aucune liberté de prélever les fonds dès lors qu'il résulte du contrat litigieux et du règlement des crédits qu'à défaut de prélèvement de l'intégralité du crédit, la banque peut mettre fin au contrat et réclamer une indemnité.

Le contrat prévoit le prélèvement en plusieurs tranches dans les 9 mois de l'ouverture du crédit.

Si l'article 13, 6., des dispositions générales du règlement des crédits précise que « Si un schéma de prélèvement convenu n'est pas respecté, chaque partie peut toujours, sans condition et sans préavis, mettre fin à la tranche inutilisée du crédit », aux termes de l'article 34, 1., c), applicable aux crédits d'investissements, « Le cas échéant, le crédit doit être prélevé suivant le schéma convenu. (...) ».

L'article 14.1.o. dudit règlement prévoit que la banque a la faculté de suspendre ou de mettre fin au crédit immédiatement et sans préavis « si le schéma de prélèvement n'est pas respecté ». Dans cette hypothèse, selon l'article 34, 4., b), une indemnité de remploi de 6 mois d'intérêts sera également due. La majoration du taux des intérêts et leurs modalités de calcul exposés aux deuxième et troisième alinéas de cet article visent les intérêts dus sur le montant prélevé suite à la résiliation, non l'indemnité de remploi. L'indemnité n'est dès lors pas égale à zéro en cas de défaut de prélèvement.

Pour le surplus, cette indemnité est susceptible d'être due en plus de la commission de réservation de 1,80% due « à partir du premier jour du troisième mois qui suit la date de la signature de la lettre de crédit jusqu'au jour où le crédit est intégralement prélevé » (art. 34, 2., du règlement des crédits) sur les montants non prélevés.

« Il arrive aussi que soit stipulée une indemnité de non-prélèvement pour le cas où le crédit ne serait finalement pas prélevé ou pas totalement prélevé. Une telle indemnité vise à indemniser le prêteur pour la perte des revenus qu'il encourt du fait que le crédit ne se réalisera pas ou ne se réalisera que partiellement. Elle vise à indemniser le même type de dommage que l'indemnité de remploi en cas de remboursement anticipé.

M.-D. Weinberger souligne toutefois que si l'ouverture de crédit laisse à son bénéficiaire une véritable faculté de prélèvement, le bénéfice escompté par l'établissement de crédit n'est qu'éventuel et, selon lui, non indemnisable comme tel. Dans le cas contraire, la qualification de prêt s'imposerait, celui-ci n'étant formé, dans l'opinion classique qui lui imprime un caractère réel, que par la remise du capital prêté. » (C. Biquet-Mathieu, o.c., R.F.D.L., n° 45).

Cette absence de liberté des intimés de prélever ou non le crédit, en tout ou partie, et de choisir le moment du prélèvement et l'affectation du crédit exclut la qualification d'ouverture de crédit, laquelle doit être écartée au profit du contrat de prêt dont les caractéristiques sont compatibles avec l'opération convenue.

A titre superfétatoire, il convient de constater que la réponse à la question soumise à la cour par les parties n'est peut-être pas déterminante de la solution du présent litige dès lors qu'à le supposer applicable en l'espèce, l'arrêté royal n° 225 du 7 janvier 1936 réglementant les prêts hypothécaires et organisant le contrôle des entreprises de prêts hypothécaires dont le champ d'application vise à la fois le prêt à intérêt et l'ouverture de crédit prévoit cette même limite de 6 mois d'intérêts pour tous les crédits hypothécaires de capitalisation. Cette solution étant identique à celle à laquelle aboutit la cour, par pragmatisme, elle se borne à le relever dès lors que les parties ne font pas état de cet arrêté royal.

Le deuxième moyen, invoqué par l'appelante à titre subsidiaire, n'est pas fondé.

8. Plus subsidiairement, à titre de troisième moyen, B. postule l'annulation de la convention ayant pour objet le remboursement anticipé du crédit pour absence ou vice de consentement.

Il n'est pas contesté que le contrat d'investissement litigieux n'autorise le remboursement anticipé que moyennant accord de la banque. L'article 34, 4., a), du règlement des crédits énonce en effet que: « Pour les montants prélevés sous une forme d'utilisation avec un terme déterminé, le remboursement anticipé total ou partiel n'est possible qu'à une date de révision du taux d'intérêt, comme le stipule la lettre de crédit. En outre, une indemnité de 6 mois d'intérêts sera due, calculée sur le capital qui sera remboursé anticipativement.

Les remboursements anticipés à d'autres dates ne sont possibles que moyennant l'accord exprès et préalable de la banque et aux conditions qui seront fixées par la banque dans cet accord. »

Si l'appelante a informé les intimés de son acceptation du remboursement anticipé moyennant le paiement d'une indemnité de 33.312,47 EUR, les intimés ont d'emblée marqué leur désaccord sur ce montant et précisé ne le payer que pour obtenir la mainlevée de l'inscription hypothécaire et la radiation du mandat, mais qu' « En aucun cas, il ne pourra être vu dans ce paiement une quelconque renonciation (...) à la protection impérative de l'article 1907bis du Code civil. » L'échange de courriers qui a suivi n'a pas permis aux parties de dégager un accord, ce qui a amené les intimés à lancer citation pour obtenir le remboursement de l'indemnité ainsi versée sous toutes réserves.

B. a néanmoins accepté non seulement les fonds qui lui ont été versés, mais également, et surtout, la mainlevée de l'inscription hypothécaire et la suppression du mandat hypothécaire.

Si le principe du remboursement anticipé a fait l'objet d'un accord que B. a exécuté, elle ne peut prétendre que les parties se sont accordées - ou qu'elle a cru ou pu croire que tel était le cas - sur le montant de l'indemnité de remploi et que son consentement a reposé sur l'élément essentiel qu'est le versement d'un montant de 33.312,47 EUR.

C'est en connaissance de cause qu'elle a accepté le remboursement anticipé du crédit et la suppression des garanties constituées à son profit.

Elle ne peut dès lors invoquer une erreur, qu'il s'agisse de « l'erreur-obstacle (...) qui est tellement importante que (...) le contrat ne peut se former valablement car les consentements des parties ne se sont pas rencontrés sur les éléments essentiels du contrat » ou l'erreur substantielle visée par l'article 1110 du Code civil qui est « celle 'qui tombe sur la substance même de la chose qui est l'objet de la convention' et 'la substance de la chose est tout élément qui a déterminé principalement la partie à contracter de telle sorte que, sans cet élément, le contrat n'aurait pas été conclu' » (P. Van Ommeslaghe, in De Page, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, Bruylant, 2013, vol. 1, nos 137 et 139).

9. L'appel n'est pas fondé. B. est condamnée aux dépens en application de l'article 1017 du Code judiciaire.

Les intimés postulent la majoration de l'indemnité de procédure à « 5.000 EUR HTVA au vu du caractère manifestement déraisonnable de la situation (art. 1022, al. 2, 4°, C. jud.) qu'entraîne la mauvaise foi révélée de [la] position [de B.] ».

L'interprétation et l'appréciation que l'appelante fait des pièces du dossier n'établissent pas ipso facto sa mauvaise foi (elle a notamment explicité et affiné sa position dans ses dernières conclusions) et le caractère manifestement déraisonnable auquel concluent les intimés. Il ne se justifie pas de s'écarter du montant de base de l'indemnité de procédure.

Par ces motifs,

La cour,

Statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Reçoit l'appel.

Confirme le jugement entrepris.

Condamne la SA B.B. aux dépens d'appel liquidés à 2.400 EUR pour M.C. et la SPRL E.C.

(…)


Note / Noot

Voir note de Marc-David Weinberger sous Cass., 24 novembre 2016, p. 887.