Article

Cour d'appel Bruxelles, 10/11/2016, 2013/MR/2, R.D.C.-T.B.H., 2017/8, p. 865-874

Cour d'appel de Bruxelles 10 novembre 2016

CONCURRENCE
Droit belge de la concurrence - Régulateurs - Non bis in idem - Institut belge des services postaux et des télécommunications - Autorité belge de la concurrence - Poursuites en vertu de la réglementation sectorielle et du droit de la concurrence - Exigence de la conformité de l'intérêt juridique protégé
Le principe non bis in idem est celui selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni une deuxième fois en raison d'une infraction ou de faits pour laquelle ou lesquels il a déjà été soit acquitté, soit condamné, par un jugement définitif. Il est consacré dans des termes quasiment identiques par l'article 4 du septième protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la convention ») et par l'article 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (« la charte »).
Lorsque des doubles poursuites sont menées au sein du même état, l'article 50 de la charte doit être exclusivement interprété de manière conforme à l'article 4 du septième protocole additionnel à la convention tel qu'il l'est lui-même interprété par la Cour européenne des droits de l'homme. Dès lors, il n'y a pas lieu de tenir compte de la jurisprudence déployée par la Cour de justice de l'Union, particulièrement en droit de la concurrence en cas de poursuites nationales et européennes, pour restreindre le jeu du principe « non bis in idem ». En particulier, cela implique que l'application du principe précité ne requiert pas l'unité de l'intérêt juridique protégé.
Eu égard à ces motifs et compte tenu de la décision de la cour d'appel coulée en force de chose jugée qui statue définitivement et au fond sur les poursuites menées par l'Institut belge des services postaux et des télécommunications contre bpost pour des faits très sensiblement les mêmes que ceux visés par les poursuites et la décision du Conseil de la concurrence (notamment le modèle par expéditeur de la tarification conventionnelle de bpost pour l'année 2010), bpost est fondée à invoquer le principe « non bis in idem » devant la cour qui, pour ce motif, annule la décision précitée.

MEDEDINGING
Belgisch mededingingsrecht - Regulatoren - Non bis in idem - Belgisch Instituut voor postdiensten en telecommunicatie - Belgische Mededingingsautoriteit - Vervolgingen op grond van de sectorale regelgeving en het mededingingsrecht - Vereiste inzake de overeenstemming van het beschermde rechtsgoed
Ingevolge het “non bis in idem”-beginsel kan niemand een tweede keer worden vervolgd of gesanctioneerd omwille van een inbreuk of feiten voor dewelke hij reeds is vrijgesproken of veroordeeld door een definitieve beslissing. Dit wordt in bijna identieke bewoordingen voorzien in artikel 4 van het zevende aanvullend protocol bij het verdrag tot bescherming van de rechten van de mens en de fundamentele vrijheden (“EVRM”) en in artikel 50 van het handvest van de grondrechten van de Europese Unie (“handvest”).
Als er in de schoot van eenzelfde staat wordt overgegaan tot een dubbele vervolging dient artikel 50 van het handvest exclusief te worden geïnterpreteerd overeenkomstig artikel 4 van het zevende aanvullend protocol bij het EVRM zoals dat zelf door het Europees Hof voor de Rechten van de Mens wordt geïnterpreteerd. Bijgevolg moet er geen rekening worden gehouden met de rechtspraak van het Hof van Justitie, met name op het vlak van het mededingingsrecht in het geval van nationale en Europese vervolgingen, om de draagwijdte van het “non bis in idem”-beginsel te beperken. Dit impliceert met name dat de toepassing van voormeld beginsel niet vereist dat het beschermde rechtsgoed hetzelfde is.
In het licht van deze motieven en rekening houdende met de in kracht van gewijsde gegane beslissing van het hof van beroep die definitief heeft geoordeeld over de grond van de vervolgingen vanwege het Belgisch Instituut voor postdiensten en telecommunicatie ten aanzien van bpost en die gesteund was op feiten die zeer gelijkaardig waren aan degene die worden geviseerd in de vervolgingen en de beslissing vanwege de Raad voor de Mededinging (met name het “per sender”-model voorzien in de conventionele tarieven voor het jaar 2010), is bpost gerechtigd om het “non bis in idem”-beginsel in te roepen voor het hof dat, om die reden, voormelde beslissing annuleert.

bpost / Spring, Link2Biz en Publimail et l'Autorité belge de la concurrence

Siég.: M. Salmon (conseiller f.f. président), H. Reghif (conseiller) et C. Verbruggen (magistrat délégué)
Pl.: Mes H. Gilliams, J. Bocken et A. Lepièce, M. Canivet, H. Baeyens, Ph. Binnemans, S. Depré, Ph. Vernet, E. de Lophem
Affaire: 2013/MR/2

(…)

I. La décision entreprise et les antécédents de la procédure
I.1. Plaintes et procédure devant le Conseil de la concurrence

1. Le 2 novembre 2005, Publimail, dépose plainte contre bpost (à l'époque dénommée SA. La Poste) auprès du Conseil de la concurrence.

(…)

2. Le 6 octobre 2009, Link2Biz dépose également plainte auprès du Conseil de la concurrence du chef d'abus de position de dominance par bpost.

(…)

3. Le 2 juillet 2010, la SA G3Worldwise Belgium (actuellement, Spring) dépose une plainte similaire.

(…)

6. Le 10 décembre 2012, le Conseil rend la décision n° 2012-P/K-32 (ci-après la « décision ») (décision rendue dans les affaires référencées CONC-P/K-05/0067, CONC-P/K-09/0017 et CONC-P/K-10/0016, Publimail, Link2Biz International et G3 Worldwide Belgium / bpost; la décision a fait l'objet d'une correction pour erreur matérielle du Conseil de la concurrence le 12 février 2013), qui fait l'objet du présent recours devant la cour.

(…)

L'auditeur a évalué les faits sous l'angle de la discrimination. Pour le Conseil, il y a certes un traitement différencié entre les clients directs/expéditeurs et les intermédiaires. « Ce traitement soulève des soucis au niveau de la concurrence puisqu'il s'agit de deux catégories de clients de bpost et puisque ce traitement différencié concerne des ristournes de type quantitatif basées sur le volume (...). Le contexte factuel et les rapports des différents acteurs sur le marché concerné rendent effectivement plus difficile et sans doute peu approprié de qualifier ce traitement différencié comme une discrimination stricte dans le sens de la jurisprudence uniquement basée sur l'article 102 sous c) T.F.U.E. »

Ne retenant pas la qualification de la discrimination, le Conseil poursuit l'examen du caractère abusif de la tarification 2010 de bpost sur la base des grands principes de l'article 102 T.F.U.E., sans faire référence aux exemples qui y sont repris.

Le Conseil estime qu'il existe un rapport de concurrence entre les intermédiaires et bpost par rapport aux clients. Bpost a intérêt à garder un lien direct avec les grands clients. La tarification selon le modèle par expéditeur défavorise les intermédiaires par rapport aux clients directs, ceci pour favoriser bpost elle-même et les relations contractuelles qu'elle peut avoir avec les clients directs, ce qui est susceptible d'avoir un effet d'éviction.

(…)

En conclusion, le Conseil juge que: « L'ensemble des aspects restrictifs du modèle expéditeur qui sont décrits ci-dessus constitue un abus de position dominante dans le chef de bpost. Pour le Conseil, il ne convient pas de qualifier cette infraction comme une discrimination dans le sens strict du terme parce que cette qualification ne tient pas suffisamment compte de la complexité juridique et économique des faits et de l'analyse concurrentielle qui est faite dans cette décision. Il s'agit par contre d'un système qui présentait des désavantages importants pour une catégorie de partenaires commerciaux de bpost, c'est-à-dire les intermédiaires/routeurs. (...). » (p. 44, § 253).

La date de référence pour le début de la période infractionnelle est la date d'entrée en vigueur du nouveau système, le 1er janvier 2010.

(…)

En conséquence, le Conseil:

- « constate que la société anonyme de droit public bpost a enfreint l'article 3 de la loi sur la protection de la concurrence économique et l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en adoptant et en mettant en oeuvre un système de tarification, appelé le modèle expéditeur, de janvier 2010 à juillet 2011 », et

- « impose à bpost une amende de 37.399.786 EUR ».

Pour le calcul du montant de l'amende, le Conseil tient compte du montant de l'amende imposée par l'IBPT dans la décision du 20 juillet 2011 (infra, nos 21 et s.), le montant finalement retenu l'étant après soustraction du montant de cette amende IPBT (2.300.000 EUR). Le Conseil justifie cette soustraction par des motifs d'opportunité, alors qu'il considère qu'aucun principe de droit ne lui impose de le faire et qu'il a écarté l'application du principe non bis in idem.

I.2. Procédure devant la cour

(…)

9. Aux termes de leurs dernières conclusions, les demandes sont les suivantes:

Bpost demande à la cour:

- « A titre principal: annuler la décision n° 2012-P/K-32 du Conseil de la concurrence du 10 décembre 2012 et, partant, constater le caractère indu du paiement de l'amende de 37.399.786 EUR opéré par bpost;

(…) »

10. L'ABC demande à la cour de:

- lui donner acte de sa reprise d'instance ou, à tout le moins, recevoir son intervention volontaire;

- recevoir le recours de bpost mais le déclarer non fondé;

- condamner bpost aux dépens.

(…)

11. Link2Biz demande à la cour de:

« - Confirmer la décision du Conseil de la concurrence dont appel;

- De se saisir de l'ensemble du litige et de juger comme suit:

- Concernant le recours introduit par bpost:

° Le déclarer recevable mais non fondé;

° Condamner bpost aux dépens, en ce compris l'indemnité de procédure évaluée à 11.000 EUR. »

12. Publimail demande à la cour de dire la requête de bpost recevable mais non fondée et de la condamner aux dépens, en ce compris l'indemnité de procédure (16.500 EUR) (Publimail n'a pas conclu après l'arrêt interlocutoire, de sorte qu'il est tenu compte de ses dernières conclusions, qui lui sont antérieures, mais uniquement de la partie du dispositif qui demeure pertinente à ce stade, tenant compte de ce sur quoi la cour a déjà statué).

13. Spring n'a pas conclu.

I.3. La tarification litigieuse de bpost

14. La tarification visée par la décision concerne la nouvelle tarification conventionnelle adoptée par bpost à partir de l'année 2010 concernant les « Direct Mail », à savoir le publipostage (publicités adressées aux destinataires) et les « Admin Mail », à savoir les envois administratifs standardisés mais individualisés adressés à des clients (p. ex. envoi d'extraits bancaires, de factures de fournitures d'énergie, télécommunications, etc.).

Cette tarification s'accompagne de ristournes quantitatives qui sont accordées par expéditeur (modèle « par expéditeur »).

Ce nouveau modèle de tarification a été annoncé par bpost à ses clients à partir d'octobre 2009.

15. Pour le Direct Mail et l'Admin Mail, bpost applique traditionnellement trois types de tarifs différents, à savoir le tarif plein, le tarif préférentiel et les tarifs conventionnels qui sont les plus avantageux et réservés aux clients qui ont un certain volume de courrier, et avec lesquels bpost conclut une convention. Seuls les tarifs conventionnels sont en cause ici.

(…)

17. A côté de l'activité postale proprement dite, de distribution des envois, se situent des activités pré-postales, de préparation et de conditionnement et dépôt des envois.

Ces activités pré-postales peuvent être effectuées par les expéditeurs eux-mêmes (les émetteurs des messages de Direct Mall ou Admin Mail) ou par des intermédiaires ou routeurs.

(…)

19. Alors qu'avant l'entrée en vigueur du modèle par expéditeur en 2010, les intermédiaires pouvaient en principe bénéficier des ristournes quantitatives de bpost en se prévalant de l'ensemble du courrier déposé (agrégation de l'ensemble du courrier déposé pour leurs clients), le modèle « par expéditeur » ne leur permet plus de le faire, puisque, précisément, la ristourne est appliquée par expéditeur.

(…)

I.4. La décision de l'IBPT du 20 juillet 2011 et le sort du recours diligenté par bpost contre celle-ci (procédure RG 2011/AR/2481)

21. Le 20 juillet 2011, l'IBPT prend la décision suivante, concernant la tarification appliquée par bpost pour l'année 2010, pour le Direct Mail et l'Admin Mail. II:

- constate que bpost a commis « une infraction à l'article 144ter, § 1er, 5°, de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques (...), pour non-respect de son obligation de non-discrimination en ce qui concerne les tarifs conventionnels de l'année 2010 »;

- constate que bpost a commis une infraction aux articles 144bis et 144ter, § 1er, 5°, de la même loi « pour non-respect de son obligation de transparence en ce qui concerne les tarifs conventionnels de l'année 2010 »;

- prend acte « des engagements souscrits par bpost, tels que décrits (…) et lui enjoint de s'y conformer en tous points »;

- décide d'imposer, « conformément à l'article 21 de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs des postes et des télécommunications belges, (...), une amende administrative à bpost d'un montant de 2.300.000 (...) EUR, au profit du trésor public ».

22. Saisie d'un recours de bpost contre cette décision de l'IBPT, la cour rend un arrêt interlocutoire du 12 juin 2013 par lequel elle:

- juge qu'en l'espèce, la violation de l'obligation de transparence prévue par l'article 144 de la loi du 21 mars 1991 n'est pas établie et que par conséquent est fondé le moyen d'annulation formé par bpost de ce chef (cf. motifs de l'arrêt, p. 39, n° 91);

- réserve à statuer pour le surplus, notamment sur « l'application du principe de non-discrimination dans la relation entre bpost et les intermédiaires à la lumière de l'article 12, cinquième tiret, de la directive postale et de l'article 144ter, § 1er, 4° (l'arrêt se réfère à l'art. 144ter, § 1er, 4°, de la loi, dès lors que, dans le cadre réglementaire national, il fait état d'une version de la loi (après modification par la loi du 13 décembre 2010, entrée en vigueur le 31 décembre 2010) dans laquelle la règle figurant initialement à l'art. 144ter, § 1er, 3°, de la loi (« les tarifs doivent être transparents et non-discriminatoires ») aurait été basculée vers le 4°; vérification faite par la cour, il s'agit cependant d'une erreur matérielle, la règle générale de non-discrimination étant bien demeurée inscrite à l'article 144ter, § 1er, 3°, de la loi. Cette erreur matérielle est sans incidence: les parties ont conclu sur l'obligation générale de non-discrimination qui est en tout état de cause seule applicable dans le cadre du présent litige comme on le verra dans la suite de l'arrêt) et 5° » de la loi du 21 mars 1991 (cf. titre VI, (2), (c), de l'arrêt).

Sur la question de la discrimination, la cour pose des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la C.J.U.E.), concernant l'interprétation de l'article 12 de la directive n° 1997/67/CE, telle que modifiée par les directives n° 2002/39/CE et n° 2008/06/CE (directive postale).

23. Par l'arrêt du 11 février 2015, C-340/13, la C.J.U.E. dit pour droit que:

« Le principe de non-discrimination des tarifs prévu à l'article 12 de la directive n° 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service, telle que modifiée par la directive n° 2008/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 février 2008, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à un système de rabais quantitatif par expéditeur, tel que celui en cause au principal. » (dispositif de l'arrêt).

(…)

24. Statuant dans cette affaire après les réponses de la C.J.C.E., la cour décide, dans un arrêt du 10 mars 2016, que:

- tenant compte de l'arrêt de la C.J.C.E., le système de rabais quantitatifs par expéditeurs de bpost n'est pas contraire à l'obligation de non-discrimination, dès lors que les expéditeurs et les intermédiaires ne se trouvent pas dans des situations comparables;

- « l'IBPT, qui en supporte la preuve, n'établit pas la réalité des soupçons qu'elle nourrit à l'égard de bpost, selon lesquels celle-ci accorderait à ses clients des ristournes additionnelles, non prévues dans son modèle tarifaire »;

- le système des rabais quantitatifs par expéditeurs étant jugé non-discriminatoire, n'est pas non plus discriminatoire l'obligation pour l'intermédiaire d'identifier ses clients expéditeurs, s'agissant d'un prérequis intrinsèquement lié au système des rabais par expéditeur;

- les griefs de discrimination retenus par l'IBPT concernant d'une part, la remise en fonction du volume du dépôt effectué (« drop size rebate ») et d'autre part, le préfinancement des ristournes dans le chef des intermédiaires ne sont pas non plus établis.

En conséquence, la cour dit le recours de bpost fondé et annule la décision de l'IBPT du 20 juillet 2011.

Cet arrêt n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation et il est définitivement coulé en force de chose jugée (voir pièce du dossier de bpost).

II. Reprise d'instance par l'ABC

(…)

III. Examen du moyen d'annulation déduit de la violation du principe général de droit non bis in idem
III.1. Position de bpost

27. Bpost rappelle que par une décision du 20 juillet 2011, le Conseil de l'IBPT a poursuivi et sanctionné la même politique tarifaire conventionnelle que celle qui fait l'objet du présent litige et imposé une amende de 2.300.000 EUR à bpost pour les mêmes faits et la même période, à partir de janvier 2010 (supra, n° 21). Cette amende a été payée par bpost le 23 septembre 2011.

Cependant, par un arrêt du 10 mars 2016, la présente cour a jugé que le modèle tarifaire par expéditeur litigieux est compatible avec le principe général de non-discrimination et la directive postale. Elle a par conséquent annulé la décision de l'IBPT du 20 juillet 2011 et cette décision a été coulée en force de chose jugée, l'IBPT ayant renoncé à introduire un pourvoi en cassation par un courrier officiel du 29 avril 2016 produit par bpost (supra, n° 24).

Compte tenu de ces premières poursuites et de cette première amende, bpost a invoqué le principe non bis in idem devant le Conseil en soutenant que celui-ci s'opposait à ce qu'une amende lui soit imposée. Ce moyen a été rejeté par le Conseil et bpost le réitère devant la cour, arguant à ce stade que le principe non bis in idem s'oppose à ce qu'elle soit condamnée pour des faits identiques à ceux pour lesquels elle a été définitivement acquittée par l'arrêt du 10 mars 2016 de la cour.

28. Selon bpost, il convient de se référer à la jurisprudence de la Cour européenne, qui a jugé le 10 février 2009 dans l'affaire Sergueï Zolotukhine / Russie, qu'une personne qui a été définitivement condamnée ou acquittée ne peut, pour les mêmes faits ou des faits substantiellement les mêmes être poursuivie et/ou sanctionnée pénalement une nouvelle fois.

Bpost soutient que l'application du principe exige uniquement d'examiner (i) si la procédure et la sanction de l'IBPT et celles du Conseil peuvent être qualifiées de pénales au sens de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ci-après la convention européenne, et (ii) si les deux procédures portent sur les mêmes faits ou des faits substantiellement les mêmes. Selon elle, les deux conditions sont réunies.

29. Bpost conteste qu'il faille, en outre, rechercher s'il y a identité de l'intérêt juridique protégé, la Cour européenne ayant renoncé à cette condition par une jurisprudence qui s'impose en droit de l'Union européenne par l'effet de l'article 52, 3., de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ci-après la charte, et en outre, par l'effet de l'article 4 du protocole additionnel n° 7 à la convention européenne entré en vigueur dans le droit belge depuis le 1er juillet 2012, tel qu'il est interprété par la Cour européenne.

(…)

III.2. Position de l'ABC

31. L'ABC conteste l'application du principe en l'espèce pour les motifs suivants.

A titre principal, elle soutient que la sanction infligée par l'IBPT le 20 juillet 2011 ne revêt pas un caractère pénal en ce qu'elle ne remplirait pas les critères dégagés par la Cour européenne pour déterminer l'existence d'une accusation pénale au sens de l'article 6 de la convention européenne. Elle conteste également l'existence d'une double sanction au motif que la sanction infligée par l'IBPT n'existe plus à la suite de l'arrêt d'annulation de la présente cour du 10 mars 2016.

32. A titre subsidiaire, elle invoque la jurisprudence de la Cour de justice selon laquelle, en matière de concurrence, l'application du principe non bis in idem requerrait l'unité de l'intérêt juridique protégé. Elle se réfère à l'arrêt de la Cour de justice rendu le 14 février 2012 (C-17/10) dans l'affaire Toshiba Corporation.

Selon l'ABC, cette jurisprudence doit seule être prise en considération par la cour par l'effet du règlement n° 1/1003 « relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité », directement applicable en droit belge. Elle ajoute que cette jurisprudence n'est pas critiquable car, d'une part, elle est conforme au règlement précité lu avec la Charte, et d'autre part, elle n'entre en conflit ni avec le principe d'homogénéité consacré par l'article 52, 3., de la charte, ni avec la jurisprudence de la Cour européenne relative au principe non bis in idem dès lors qu'aucun arrêt de la Cour européenne n'aurait trait aux conditions d'application du principe non bis idem en droit de la concurrence.

33. Selon l'ABC, il n'y a pas identité des intérêts protégés en l'espèce:

- d'une manière générale, l'intérêt juridique protégé par la réglementation postale et celui protégé par le droit de la concurrence ne sont pas les mêmes. En effet, ainsi que l'a constaté la Commission dans une décision du 22 juin 2011 à propos du régulateur des communications électroniques de Pologne (COMP/39525, § 138), les objectifs poursuivis par un régulateur sectoriel diffèrent de ceux poursuivis par l'Autorité nationale de la concurrence de sorte que les intérêts juridiques protégés diffèrent également (voir égal. T.U.E., 10 avril 2008, T-273, Deutsche Telekom AG, point 113). Même si l'objectif ultime du régulateur sectoriel est le fonctionnement du marché intérieur, son objectif propre est de veiller à ouvrir la concurrence sur un marché par la mise en place d'outils permettant l'entrée sur ce marché de nouveaux acteurs, tandis que l'Autorité de la concurrence veille, dans tous les secteurs économiques, à ce que les entreprises respectent en permanence leurs obligations dans le fonctionnement quotidien des marchés et s'abstiennent de pratiques restrictives sur un marché concurrentiel. Le régulateur se focalise sur la structure du marché et l'Autorité de la concurrence sur le comportement d'une entreprise. A ces fins, ces autorités appliquent des réglementations distinctes;

- en particulier dans la présente espèce, bpost a été sanctionnée (i) par l'IBPT pour la violation de règles sectorielles en matière de transparence et de non-discrimination dans le secteur spécifique de la régulation postale et en vertu d'une législation spécifique à ce secteur et (ii) par le Conseil pour abus de position dominante sous l'angle du droit de la concurrence.

(…)

III.3. Discussion et décision
1° Les dispositions applicables

35. Le principe non bis in idem est celui selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni une deuxième fois en raison d'une infraction ou de faits (voir plus loin) pour laquelle ou lesquels il a déjà été soit acquitté, soit condamné, par un jugement définitif. Il n'est pas contesté que cette protection profite aux personnes morales également.

Le principe est reconnu comme principe général fondamental du droit communautaire au sein de l'Union européenne et comme principe général de droit en droit interne belge.

Il est consacré dans des termes quasiment identiques par l'article 14, 7., du pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'article 4, 1., du protocole additionnel n° 7 de la convention européenne, l'article 50 de la convention européenne d'application de l'accord Schengen et enfin par l'article 50 de la charte, toutes dispositions qui sont d'effet direct en droit belge (le protocole n° 7 est entré en vigueur en Belgique le 1er juillet 2012 de sorte qu'il est applicable au présent litige, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté).

Par contre, la Cour européenne précise que le principe n'est pas inclus dans les garanties de l'article 6 de la convention européenne lui-même.

36. L'article 50 de la charte prévoit que: « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi. »

L'article 4 du protocole additionnel n° 7 dispose que: « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat. »

Cette disposition vise les doubles poursuites au sein d'un même Etat partie au protocole, tandis que l'article 50 de la charte a un champ d'application plus large et vise la double incrimination au sein de l'Union.

Une mise en oeuvre du droit de l'Union est toutefois nécessaire à son application. En effet, l'article 51 de la charte prévoit que:

« 1. Les dispositions de la présente charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union telles qu'elles lui sont conférées dans les traités. »

Par son arrêt du 26 février 2013, Aklagaren / Franson, la Grande Chambre de la Cour de justice a dit pour droit que le droit de l'Union est mis en oeuvre par les Etats dès que leur réglementation nationale « entre dans le champ d'application du droit de l'Union » et que « cette définition du champ d'application des droits fondamentaux de l'Union est corroborée par les explications relatives à l'article 51 de la charte, lesquelles, conformément à l'article 6, 1., alinéa 3, T.U.E. et à l'article 52, 7., de la charte, doivent être prises en considération en vue de son interprétation ».

Par contre, lorsqu'une situation juridique ne relève pas du champ d'application du droit de l'Union, les droits fondamentaux garantis par la charte ne doivent pas être respectés et la Cour de justice n'est pas compétente pour en connaître.

Enfin, « lorsqu'une juridiction d'un Etat membre est appelée à contrôler la conformité aux droits fondamentaux d'une disposition ou d'une mesure nationale qui, dans une situation dans laquelle l'action des Etats membres n'est pas entièrement déterminée par le droit de l'Union, met en oeuvre ce droit au sens de l'article 51, 1., de la charte, il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales d'appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la charte, telle qu'interprétée par la cour, ni la primauté, l'unité et l'effectivité du droit de l'Union (voir pour ce dernier aspect, arrêt du 26 février 2013, C-399/11, Meloni, point 60) (C.J.U.E., 23 février 2013, C-617/10, Aklagaren / Franson, points 19 et s.) »

37. En l'espèce, la décision attaquée vise la violation de l'article 102 du traité conformément à l'article 3, 1., du règlement 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 précité selon lequel « lorsque les autorités de concurrence des Etats membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à une pratique abusive interdite par l'article 82 (102) du traité, elles appliquent également l'article 82 (102) du traité ». Elle met donc en oeuvre le droit de l'Union.

2° Interprétation de l'article 50 de la charte conforme à celle de l'article 4 du protocole additionnel n° 7

38. Dans la présente cause, l'article 50 de la charte doit être exclusivement interprété de manière conforme à l'article 4 du protocole additionnel n° 7 tel qu'il l'est lui-même par la Cour européenne.

En effet, lorsque les doubles poursuites sont menées au sein du même Etat, comme en l'espèce, l'article 52, 3., de la charte dispose que « dans la mesure où la présente charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue ».

Cette assimilation ou homogénéité résulte également des explications relatives à la charte, explications que l'article 6, 1., alinéa 2, du traité invite les juridictions des Etats membres à prendre « dûment en considération ».

Selon ces explications:

« La règle 'non bis in idem' s'applique dans le droit de l'Union (voir, parmi une importante jurisprudence, l'arrêt du 5 mai 1966, aff. 18/65 et 35/65, Gutmann / Commission, Rec., 1966, p. 150 et, pour une affaire récente, arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij NV / Commission, aff. jointes T-305/54 et autres, Rec., 1999, p. II-931).

Il est précisé que la règle du non-cumul vise le cumul de deux sanctions de même nature, en l'espèce pénales. Conformément à l'article 50, la règle 'non bis in idem' ne s'applique pas seulement à l'intérieur de la juridiction d'un même Etat, mais aussi entre les juridictions de plusieurs Etats membres. Cela correspond à l'acquis du droit de l'Union; voir les articles 54 à 58 de la convention d'application de l'accord de Schengen et l'arrêt de la Cour de justice du 11 février 2003 dans l'affaire C-187/01 Gözütok (Rec., 2003, p. I-1345), l'article 7 de la convention relative à la protection des intérêts financiers de la Communauté et l'article 10 de la convention relative à la lutte contre la corruption.

Les exceptions très limitées par lesquelles ces conventions permettent aux Etats membres de déroger à la règle 'non bis in idem' sont couvertes par la clause horizontale de l'article 52, 1., sur les limitations.

En ce qui concerne les situations visées par l'article 4 du protocole n° 7, à savoir l'application du principe à l'intérieur d'un même Etat membre, le droit garanti a le même sens et la même portée que le droit correspondant de la C.E.D.H. » et plus loin, « L'article 50 correspond à l'article 4 du protocole n° 7 de la C.E.D.H., mais sa portée est étendue au niveau de l'Union européenne entre les juridictions des Etats membres ».

39. Dès lors, en l'espèce, il n'y a pas lieu de tenir compte de la jurisprudence déployée par la Cour de justice de l'Union, particulièrement en droit de la concurrence en cas de poursuites nationales et européennes, pour restreindre le jeu du principe non bis in idem et en particulier de l'arrêt Toshiba et consorts invoqué par l'ABC. Il faut s'en tenir à l'article 4, 1., du protocole additionnel n° 7 et à la jurisprudence développée à cet égard.

3° Les conditions d'application de l'article 4 du protocole additionnel n° 7

40. Tel qu'il est décliné par la jurisprudence de la Cour européenne acceptée en Belgique tant par la Cour constitutionnelle, que par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, le principe non bis in idem requiert trois conditions d'application.

(i) Nécessité de doubles poursuites à caractère pénal

41. Le principe s'applique en présence de poursuites à caractère pénal s.s. mais également en présence de poursuites administratives à caractère pénal.

42. Dans le domaine particulier du droit de la concurrence, la Cour de justice admet que le principe fondamental du droit communautaire consacré « par ailleurs » par l'article 4, 1., du protocole n° 7 à la convention européenne, « interdit, en matière de concurrence, qu'une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d'un comportement anticoncurrentiel du chef duquel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n'est plus susceptible de recours » (C.J.U.E., 15 octobre 2002, C-238/99 P, Limburgse Vinyl Maatschappij, point 59; voir égal. les décisions du T.P.I.C.E. citées en note 252, p. 82 par Th. Bombais, in La protection des droits fondamentaux des entreprises en droit européen répressif de la concurrence, Bruxelles, Larcier, 2012).

43. Selon la Cour européenne et la Cour de justice, c'est à la juridiction nationale qu'il appartient de qualifier la sanction. Ainsi, dans l'affaire Aklagaren déjà citée, relative à l'imposition d'une sanction administrative dans le domaine fiscal, la Cour de justice confirme qu'il appartient à la juridiction nationale de déterminer le caractère pénal d'une sanction administrative prévue par son droit national et qu'aux fins d'apprécier la nature pénale de la sanction administrative en cause, trois critères sont pertinents. Le premier est la qualification juridique de l'infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l'infraction et le troisième la nature ainsi que le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l'intéressé (voir égal. C.J.U.E., 5 juin 2012, C-489/10, question préjudicielle dans l'affaire Bonda, § 37 et s., dans lequel la Cour de justice retient les mêmes critères pour apprécier le caractère pénal des mesures prévues par un règlement communautaire). Cet arrêt se réfère aux critères qui ont été dégagés par la Cour européenne dans l'arrêt Engel / Pays-Bas du 8 juin 1976 (Série A, n° 22) pour déterminer le caractère pénal d'une sanction administrative au regard de l'article 6, 1. (selon lequel « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ») de la convention européenne et, depuis lors, la Cour européenne les applique pour vérifier si des sanctions administratives nationales notamment dans les domaines économique et financier, ont été infligées en violation de l'article 6, 1., de la convention européenne.

44. En 2011, la Cour européenne a rappelé dans l'affaire Menarini Diagnostics / Italie, rendu à propos d'une sanction pécuniaire nationale pour des pratiques anti-concurrentielles, que ces critères sont alternatifs et non cumulatifs: pour que l'article 6, 1., s'applique au titre des mots « accusation en matière pénale », il suffit que l'infraction en cause soit, par nature, « pénale » au regard de la convention européenne, ou ait exposé l'intéressé à une sanction qui, par sa nature et son degré de gravité, ressortit en général à la « matière pénale ». Cela n'empêche pas l'adoption d'une approche cumulative si l'analyse séparée de chaque critère ne permet pas d'aboutir à une conclusion claire quant à l'existence d'une « accusation en matière pénale » (Cour eur. D.H., 27 septembre 2011). En effet, lorsque la sanction revêt un caractère pénal, elle exige que la décision de l'autorité administrative subisse un contrôle par un organe judiciaire de pleine juridiction et offrant toutes les garanties prévues par cette disposition conventionnelle, tout en admettant que ces garanties ne soient pas scrupuleusement respectées par les autorités administratives elles-mêmes.

Ces trois critères sont également retenus par la Cour européenne pour vérifier une violation éventuelle du principe non bis in idem au regard du protocole n° 7.

(ii) Nécessité d'une première décision définitive non susceptible de recours d'acquittement ou de condamnation

45. Dans son arrêt du 4 mars 2014 en cause de Grande Stevens et autres / Italie, la Cour européenne rappelle que « La garantie consacrée à l'article 4 du protocole n° 7 entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées et que la décision antérieure d'acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée. A ce stade, les éléments du dossier comprendront forcément la décision par laquelle la première 'procédure pénale' s'est terminée et la liste des accusations portées contre le requérant dans la nouvelle procédure. Normalement, ces pièces renfermeront un exposé des faits concernant l'infraction pour laquelle le requérant a déjà été jugé et un autre se rapportant à la seconde infraction dont il est accusé. Ces exposés constituent un utile point de départ pour l'examen par la Cour de la question de savoir si les faits des deux procédures sont identiques ou sont en substance les mêmes.

Peu importe quelles parties de ces nouvelles accusations sont finalement retenues ou écartées dans la procédure ultérieure, puisque l'article 4 du protocole n° 7 énonce une garantie contre de nouvelles poursuites ou le risque de nouvelles poursuites, et non l'interdiction d'une seconde condamnation ou d'un second acquittement (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 83 » (Cour eur. D.H., 4 mars 2014, Grande Stevens / Italie, § 220).

46. Cette interprétation est également celle de la Cour constitutionnelle selon un arrêt récent du 3 avril 2014 (C.C., 3 avril 2014, n° 61/2014, rendu sur le recours en annulation des art. 2, 3, 4, 14 et 15 de la loi du 20 septembre 2012 instaurant le principe « una via » dans le cadre de la poursuite des infractions à la législation fiscale et majorant les amendes pénales fiscales et qui annule les art. 3, 4 et 14). Sous le considérant B.15.2., la Cour constitutionnelle énonce: « Comme le relève la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 4 du septième protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme énonce une garantie qui 'entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées et que la décision antérieure d'acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée' (Cour eur. D.H. (gde ch.), 10 février 2009, précité, § 83; 20 novembre 2012, Pacifico / Italie, § 73). ».

47. Il convient donc d'avoir égard, d'une part, à la date à laquelle une décision d'acquittement ou de condamnation est passée en force de chose jugée, et d'autre part, à la date à laquelle de nouvelles poursuites sont engagées ou la nouvelle sanction prononcée. Si la décision passée en force de chose jugée leur est ou lui est antérieure, le principe non bis in idem s'applique et empêche de nouvelles poursuites ou une (nouvelle) condamnation, ou encore la continuation des poursuites antérieures.

(iii) Nécessité de doubles poursuites pour des faits identiques ou en substance les mêmes

48. Depuis 2009, il ressort clairement de la jurisprudence strasbourgeoise que l'article 4 du protocole additionnel n° 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger dans le même Etat une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes.

Telle est la portée de l'arrêt de principe Zolotoukhine / Russie car, selon la Cour européenne, la convention européenne doit être interprétée et appliquée d'une manière « qui en rende les garanties concrètes et effectives, et non pas théoriques et illusoires » de sorte que « l'emploi du terme 'infraction' ne saurait justifier l'adhésion à une approche plus restrictive ». Il faut donc, mais il suffit, que les nouvelles poursuites ou sanctions pénales en cause « se fondent sur le même comportement » que celui précédemment sanctionné, même si elles se distinguent sur le plan de l'appellation des infractions et sur celui, « plus fondamental, de leur nature et de leur but » (Cour eur. D.H., 10 février 2009).

La Cour européenne a précisé dans l'affaire Grande Stevens déjà citée que l'examen doit porter sur les faits décrits dans les poursuites, qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l'espace, l'existence de ces circonstances devant être démontrée pour qu'une condamnation puisse être prononcée ou que des poursuites pénales puissent être engagées (§ 221 de l'arrêt).

49. Telles sont les seules conditions qui se dégagent actuellement de la jurisprudence de la Cour européenne à propos de l'article 4 du protocole n° 7.

50. On peut certes observer que, dans l'affaire Jussila / Finlande du 23 novembre 2006, la Cour européenne identifie sous le n° 43 un « noyau dur » du droit pénal: « S'il est vrai que les affaires mentionnées ci-dessus, pour lesquelles la tenue d'une audience n'a pas été jugée nécessaire, se rapportaient à des procédures relevant du volet civil de l'article 6, 1. et que les exigences du procès équitable sont plus rigoureuses en matière pénale, la Cour n'exclut pas que, dans le cadre de certaines procédures pénales, les tribunaux saisis puissent, en raison de la nature des questions qui se posent, se dispenser de tenir une audience. S'il faut garder à l'esprit que les procédures pénales, qui ont pour objet la détermination de la responsabilité pénale et l'imposition de mesures à caractère répressif et dissuasif, revêtent une certaine gravité, il va de soi que certaines d'entre elles ne comportent aucun caractère infamant pour ceux qu'elles visent et que les 'accusations en matière pénale' n'ont pas toutes le même poids. De surcroît, en adoptant une interprétation autonome de la notion d''accusation en matière pénale' par application des critères Engel, les organes de la convention européenne ont jeté les bases d'une extension progressive de l'application du volet pénal de l'article 6 à des domaines qui ne relèvent pas formellement des catégories traditionnelles du droit pénal, telles que (...) les sanctions pécuniaires infligées pour violation du droit de la concurrence (Société Stenuit / France, 27 février 1992, Série A, n° 232-A) ... Les majorations d'impôt ne faisant pas partie du noyau dur du droit pénal, les garanties offertes par le volet pénal de l'article 6 ne doivent pas nécessairement s'appliquer dans toute leur rigueur (arrêts Bendenoun et Janosevic, précités, § 46 et 81 respectivement, dans lesquels la Cour a jugé que des autorités administratives ou des organes non judiciaires statuant en premier ressort pouvaient infliger des sanctions pénales sans enfreindre l'article 6, 1., et, a contrario, l'arrêt Findlay, précité). »

La Cour européenne distingue donc dans cet arrêt « un noyau dur » dans le droit pénal, auquel les sanctions en droit de la concurrence n'appartiennent pas et pour lesquelles les garanties offertes par le volet pénal de l'article 6 de la convention européenne ne doivent « pas nécessairement s'appliquer dans toute leur rigueur ». La majorité n'a donc pas suivi l'opinion dissidente de trois juges selon laquelle « les garanties du procès équitable consacrées par l'article 6 de la convention européenne valent pour toutes les infractions pénales. L'application de ces garanties ne dépend donc pas et ne peut dépendre de la réponse à la question de savoir si telle ou telle infraction ressortit au 'noyau dur du droit pénal' ou revêt 'un caractère infamant' » (pour ce motif, elle jugera pour la première fois que la tenue d'une audience n'est pas indispensable pour statuer sur une sanction fiscale dont elle admet pourtant le caractère pénal, alors qu'auparavant elle ne l'avait admis que pour les procédures civiles).

51. Cependant, dans l'arrêt prononcé postérieurement, dans l'affaire Menarini Diagnostics déjà citée, la Cour européenne n'évoque plus le noyau dur du droit pénal, même si elle répète « la nature d'une procédure administrative peut différer, sous plusieurs aspects, de la nature d'une procédure pénale au sens strict du terme ». Elle précise que « si ces différences ne sauraient exonérer les Etats cocontractants de leur obligation de respecter toutes les garanties offertes par le volet pénal de l'article 6, elles peuvent néanmoins influencer les modalités de leur application » (n° 62 de l'arrêt).

On sait que, pour ce motif, la Cour européenne exige l'existence d'un recours de pleine juridiction devant une autorité totalement indépendante et impartiale, pour connaître des décisions rendues par les autorités administratives qui prononcent des sanctions à caractère pénal.

52. En l'état actuel de sa jurisprudence, la Cour européenne n'émet pas de réserve ou de restriction à une application pleine et entière de l'article 4 du protocole additionnel n° 7 aux entreprises dans l'exercice de leurs activités lorsqu'elles sont poursuivies pour infractions au droit économique. La cour se réfère à nouveau à l'arrêt rendu dans l'affaire Grande Stevens déjà citée.

(…)

54. Enfin, lorsque les conditions d'application du principe non bis in idem sont réunies, la jurisprudence de la Cour européenne est actuellement fixée en ce sens qu'il n'est pas suffisant d'imputer la première sanction sur la seconde pour atténuer l'effet de la double peine. Les deuxièmes poursuites doivent prendre fin. La Cour européenne décide ainsi: « Dans ces conditions, eu égard aux circonstances particulières de l'affaire et au besoin urgent de mettre fin à la violation de l'article 4 du protocole n° 7 (paragraphe 228 ci-dessus), la Cour estime qu'il incombe à l'Etat défendeur de veiller à ce que les nouvelles poursuites pénales ouvertes contre les requérants en violation de cette disposition et encore pendantes, à la date des dernières informations reçues, à l'égard de MM. Gabetti et Grande Stevens, soient clôturées dans les plus brefs délais et sans conséquences préjudiciables pour les requérants. » (point 237 de l'arrêt Cour eur. D.H., Grande Stevens déjà cité. Ceci alors que l'Etat italien invoquait la circonstance qu'afin d'assurer la proportionnalité de la peine aux faits reprochés, le juge pénal pouvait en l'espèce tenir compte de l'infliction préalable d'une sanction administrative, et décider de réduire la sanction pénale. Cette circonstance n'a pas convaincu la Cour de l'absence de violation du principe non bis in idem. La jurisprudence ancienne de la Cour européenne qui acceptait que l'imputation de la première peine puisse écarter l'application du principe (cf. arrêt Nikitine / Russie du 20 juillet 2004, § 35, se référant à un arrêt Oliveira du 30 juillet 1998, § 25) n'a dès lors plus cours).

4° En l'espèce
(i) Deux accusations en matière pénale

55. La cour a dit pour droit dans son arrêt interlocutoire du 12 juin 2013 (dans la cause R.G. 2011/AR/2481) que la sanction infligée par l'IBPT revêt un caractère pénal. La cour est arrivée à cette conclusion « eu égard à la nature de l'infraction réprimée ainsi qu'à la nature et à la gravité de la sanction » (p. 25 de l'arrêt). Rien ne permet de remettre en cause ce constat et cette analyse qui sont pertinents et que la cour fait sienne.

Par ailleurs, le caractère pénal de la sanction infligée par le Conseil n'est pas douteux, compte tenu de la nature de l'infraction (violation du droit de la concurrence) et du degré de sévérité de la sanction, deux critères qui impliquent que la sanction infligée par le Conseil revêt bien un caractère pénal au sens autonome qu'il convient de donner à cette notion dans le contexte de l'application des garanties du procès équitable, en l'espèce du principe non bis in idem.

L'ABC a reconnu ce caractère dans ses conclusions devant la cour du 1er juillet 2013 (point 50) et du 30 octobre 2013 (point 403), En effet, et bien que l'article 23, 5., du règlement n° 1/2003 dispose que les décisions prises par la Commission en vertu des points 1. et 2. de cet article n'ont pas un caractère pénal, le juge communautaire accepte de reconnaitre le caractère pénal, au sens autonome de la convention européenne, des amendes prononcées en droit répressif de la concurrence par la Commission, ce qui vaut nécessairement pour celles prononcées en droit répressif de la concurrence par les autorités nationales.

(ii) Des poursuites pour les mêmes faits

56. Le Conseil reconnaît explicitement au point 278 de la décision « qu'il semblerait effectivement que la décision de l'IBPT du 20 juillet 2011 concerne en grande partie le même système de tarification. Même si les deux autorités se sont prononcées sur base d'un autre dossier et que l'on ne peut donc pas exclure que certains faits soient différents, il pourrait être justifié de considérer qu'il y a identité des faits, en tout cas dans une certaine mesure ».

Bpost peut également invoquer les conclusions prises pour le Conseil devant la cour le 1er juillet 2013 sous les points 48 et 69.

Enfin, comme elle l'indique, (i) le contrevenant est le même, (ii) il lui est dans les deux cas reproché une infraction relative à la conception, l'adoption et la mise en oeuvre de ses tarifs conventionnels concernant le Direct Mail et l'Admin Mail à partir du 1er janvier 2010, (iii) il y a identité des entreprises concernées et (iv) identité des marchés concernés.

(iii) Décision coulée en force de chose jugée sur les poursuites menées par l'IBPT

57. L'ABC ne peut être suivie lorsqu'elle invoque l'annulation par la cour de la sanction infligée par l'IBPT et l'effet rétroactif de cette annulation pour prétendre que plus aucune sanction ne précèderait celle qu'elle a infligée à bpost.

En effet, cette annulation fait suite au constat par la cour que les griefs retenus par l'IBPT pour infliger ladite sanction n'étaient pas fondés de sorte que l'annulation - qui seule pouvait être ordonnée par la cour - équivalait à une décision d'acquittement ou d'irrecevabilité des poursuites. Par ailleurs, cette annulation ne fait pas disparaître les poursuites antérieures.

58. Compte tenu de la décision de la cour du 10 mars 2016 coulée en force de chose jugée qui statue définitivement et au fond sur les poursuites menées par l'IBPT contre bpost pour des faits très sensiblement les mêmes que ceux visés par les poursuites et la décision du Conseil (le modèle par expéditeur de la tarification conventionnelle de bpost pour l'année 2010), bpost est fondée à invoquer le principe non bis in idem devant la cour qui, pour ce motif, annule la décision entreprise, les poursuites étant devenues irrecevables.

Le recours de bpost est dès lors fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner ses autres moyens.

III. Les dépens

(…)

Par ces motifs,

La cour,

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Statuant contradictoirement,

Donne acte à l'Autorité belge de la concurrence de sa reprise d'instance, succédant au Conseil de la concurrence,

Annule la décision n° 2012-P/K-32 du Conseil de la concurrence du 10 décembre 2012 dans les affaires référencées CONC-P/K-05/0067, CONC-P/K-09/0017 et CONC-P/K-10/0016 Publimail, Link2Biz International et G3 Worldwide Belgium / bpost, décision ayant fait l'objet d'une correction pour erreur matérielle du Conseil de la concurrence le 12 février 2013,

Dit pour droit que la Caisse des Dépôts et Consignations sera tenue, sur présentation d'un exploit de signification du présent arrêt, de libérer, en faveur de bpost, le montant de l'amende payée,

Condamne l'Autorité belge de la concurrence aux dépens de bpost, liquidés à 11.000 EUR (indemnité de procédure) + 210 EUR (droits de mise au rôle),

Délaisse à Spring, Publimail et Link2Biz International leurs propres dépens.

(…)