Article

Cour d'appel Liège, 01/06/2016, R.D.C.-T.B.H., 2017/4, p. 433-439

Cour d'appel de Liège 1er juin 2016

PREUVE DES OBLIGATIONS
Charge de la preuve - Attribution du risque de la preuve - Preuve des faits négatifs - Les obligations d'information - Le courtier d'assurance - Sous-assurance - Règle proportionnelle
Le courtier assume, dans l'exercice de sa mission d'information et de conseil, une obligation de moyens. Il appartient dès lors au bénéficiaire du devoir de conseil et d'information de prouver le manquement reproché au courtier. Souvent, le demandeur sera contraint de rapporter la preuve d'un fait négatif (établir que l'information ou le conseil n'a pas été dispensé). Le juge peut toutefois se contenter, dans cette hypothèse, d'une preuve par vraisemblance.
BEWIJS VAN VERBINTENISSEN
Bewijslast - Bewijsrisicoverdeling - Bewijs negatieve feiten - Schending informatieplichten - Verzekeringsmakelaar - Onderverzekering - Evenredigheidsbeginsel
De makelaar is in de uitvoering van zijn opdracht tot informatieverstrekking en adviesverlening gehouden tot een middelenverbintenis. Het komt dus aan de informatiegerechtigde toe om de tekortkoming te bewijzen die hij aan de makelaar verwijt. Aangezien dat dikwijls zal neerkomen op het bewijs van een negatief feit (i.e. aantonen dat de informatie of het advies niet is verschaft), kan de rechter zich tevreden stellen met het bewijs van een waarschijnlijkheid.

L. Stéphane / Immo Ruysen SPRL

Siég.: E. Dehant (conseiller f.f. de président), M. Burton et A. Manka (conseillers)
Pl.: Mes A. Hotelet et S. De Poortere loco P. Muylaert
Affaire: 2013/RG/215

Vu les feuilles d'audiences des 10 février 2016, 16 mars 2016, 17 mars 2016, 14 avril 2016, 21 avril 2016, 28 avril 2016, 11 mai 2016, 18 mai 2016, 26 mai 2016 et de ce jour.

Après en avoir délibéré:

Vu l'arrêt prononcé le 3 décembre 2015 par la cour de céans.

Vu les conclusions après réouverture des débats et les dossiers déposés par les parties.

Antécédents et objet de l'appel

Les faits et l'objet de la demande sont exactement énoncés par les premiers juges à l'exposé desquels la cour se réfère.

Il suffit de rappeler que par citation du 20 août 2010, Stéphane L. postule la condamnation de son courtier d'assurances, la SA Olivier Ruyssen (actuellement SPRL Immo Ruyssen) à lui payer la somme de 198.874,01 EUR, ainsi que deux indemnités d'1 EUR provisionnel, outre les intérêts et dépens, à la suite d'un sinistre survenu le 9 février 2008 où son immeuble sis rue Mimbercée 11 à Yves-Gomezée fut ravagé par un incendie.

Stéphane L. tient son courtier pour responsable de la sous-évaluation de la valeur de l'immeuble.

Le courtier conteste toute responsabilité.

Par jugement prononcé le 12 novembre 2012, le tribunal de commerce de Dinant a reçu la demande et l'a déclarée non fondée, le demandeur étant condamné aux dépens liquidés à 5.500 EUR.

Stéphane L. a interjeté appel de cette décision dont il postule la réformation. En degré d'appel, il postule la condamnation de l'intimée au paiement d'une somme de 87.055,82 EUR, à majorer des intérêts à dater du 9 février 2008, ainsi qu'à deux indemnités d'1 EUR provisionnel, outre les dépens des deux instances.

L'intimée postule la confirmation de la décision déférée, avec gain des dépens d'appel.

L'arrêt prononcé le 3 décembre 2015 ordonne la réouverture des débats pour permettre à Stéphane L. de déposer l'acte authentique du 26 mai 1993 par lequel il a acquis l'immeuble litigieux.

Cette pièce a été déposée à l'audience du 17 mars 2016 (pièce 30 du dossier de procédure d'appel) et les parties ont chacune déposé des conclusions après réouverture des débats.

Discussion
I. Eléments pertinents pour la solution du litige

La chronologie des différents contrats d'assurance souscrits est la suivante.

1. Contrat d'assurance incendie couvrant l'immeuble

1.1. Le 13 juin 1984, André L., père de Stéphane L., souscrit par l'intermédiaire du courtier Claude Osselet un contrat d'assurance n° 2.291.598 auprès de la compagnie EAGLE STAR - CB 1821 couvrant un bâtiment à usage de boulangerie-pâtisserie sis à Yves-Gomzée, rue Mimbercée 11, le montant assuré pour le bâtiment s'élevant à 4.700.000 FB indexés (pièce 1 dossier de l'intimée).

1.2. L'intimée produit en pièce 5 de son dossier un document daté du 7 mai 1993 aux termes duquel le contrat précité est remplacé par un contrat d'assurance incendie CB 1821 n° 02.494.086 au nom de la SPRL L. et Fils, la valeur assurée pour le bâtiment étant de 9.150.000 FB indexés. Le producteur est la SA Ruyssen-Bouvy et Fils (qui a repris le portefeuille d'assurances du courtier Osselet).

L'intimée soutient que la proposition d'assurance du 7 mai 1993 a été refusée par Stéphane L. qui voulait le transfert du contrat à son nom personnel mais refusait la majoration des capitaux assurés, ce que conteste l'appelant.

1.3. Le 3 juin 1993, un avenant n° 1 est établi au nom de Stéphane L., le montant assuré pour le bâtiment s'élevant à 5.992.000 FB indexés (pièce 6 dossier de l'intimée). Le courtier est la SA Ruyssen-Bouvy et Fils.

1.4. Le 20 juin 2006, Stéphane L. souscrit, toujours par l'intermédiaire du courtier SA Ruyssen-Bouvy et Fils, auprès de la compagnie Fortis AG, un avenant au contrat d'assurance incendie n° 44/2.494.086/00 pour un bien à usage de boulangerie-pâtisserie, les conditions particulières mentionnant: « Bâtiment - Propriétaire exploitant habitant ». Le montant assuré s'élève à 202.011,41 EUR (8.149.120 FB) indexés (pièce 2 dossier de l'appelant).

2. Contrat d'incendie couvrant le contenu

2.1. Le 13 juin 1984, André L. souscrit auprès de la compagnie EAGLE STAR - CB 1821, par l'intermédiaire du courtier Claude Osselet, un contrat d'assurance incendie couvrant le contenu de l'immeuble litigieux (mobilier, matériel et marchandises) - pièce 2 dossier de l'intimée.

2.2. Le 31 octobre 1991, ce contrat fait l'objet d'un avenant n° 1 (les montants assurés sont augmentés), puis d'un avenant n° 2 le 4 janvier 1992 mentionnant en qualité de preneur la SPRL L. et Fils et que « le mobilier assuré par le présent contrat appartient à M. et Mme André L. » (pièces 3-4 dossier de l'intimée).

2.3. Ce contrat est remplacé le 26 novembre 1993 par un nouveau contrat n° 02291599 souscrit auprès de CB 1821 par l'intermédiaire de la SA Ruyssen-Bouvy et Fils. Les capitaux assurés sont augmentés et le contrat mentionne que le mobilier appartient à M. et Mme André L. (pièce 7 dossier de l'intimée).

3. Un incendie survient dans l'immeuble le 9 février 2008.

Le 5 mars 2008, une estimation amiable d'indemnité est fixée pour le bâtiment à la somme de 218.181,81 EUR (pièce 9 dossier de l'intimée). Il résulte de ce document que l'immeuble était assuré pour 219.505,86 EUR alors que sa valeur avant sinistre s'élève à 330.000 EUR. Compte tenu de cette sous-assurance et par application de la règle proportionnelle, l'indemnité pour le bâtiment est réduite à 218.181,81 EUR HTVA selon décompte figurant en annexe à la lettre de Fortis AG du 20 juin 2008 adressée à Stéphane L. (pièce 3 de son dossier).

Le 5 mars 2008 intervient également une estimation amiable d'indemnité pour le contenu (pièce 8 dossier de l'intimée).

II. Quant au fondement de l'action

Stéphane L. met en cause la responsabilité contractuelle du courtier pour n'avoir pas respecté son obligation d'information et de conseil, tant pour ce qui concerne le contrat d'assurance lui-même (la sous-assurance du bâtiment et ses conséquences) que pour ce qui concerne le règlement du sinistre (l'application de la règle proportionnelle).

1. Principes

L'activité du courtier, intermédiaire d'assurances, s'inscrit dans le cadre d'un contrat d'entreprise. Il se charge de trouver la couverture d'assurance qui convient le mieux au risque que son client souhaite faire couvrir. A côté des informations et des conseils qu'ils dispensent, les intermédiaires d'assurances peuvent être sollicités pour poser certains actes juridiques au nom et pour le compte de leurs clients dans le cadre d'un contrat de mandat (N. Schmitz, « Le droit de la responsabilité: le domaine des assurances », in Droit de la responsabilité. Domaines choisis, CUP, vol. 119, p. 302).

Le courtier d'assurance est tenu d'une obligation d'information et de conseil. L'information et le conseil procèdent de l'essence même de la profession d'intermédiaire d'assurances, dont le preneur d'assurance est le bénéficiaire.

Le devoir d'information se limite à la transmission objective de données administratives concernant le courtier et le contrat. Il porte sur la communication de données ou de faits et concerne les aspects techniques d'un service permettant au client d'en comprendre le mécanisme et la portée pour, sur cette base, orienter et déterminer son choix. Le devoir de conseil implique une appréciation subjective sur l'opportunité d'une opération. Il consiste en un avis pour orienter une action, voire un dirigisme dans ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire. Conseiller suppose l'incitation à agir dans un sens déterminé (J.-P. Buyle, « Les obligations d'information, de renseignement, de mise en garde et de conseil des professionnels de la finance », in Les obligations d'information, de renseignement, de mise en garde et de conseil, CUP, 2006, pp. 167-168; Th. L. Eeman, J.-P. Follet, A. Randao Alface, « La responsabilité des courtiers d'assurances et l'assurance de cette responsabilité », Bull. ass., 2012, p. 67).

L'article 12bis de la loi du 22 mars 1995, telle que modifiée par la loi du 22 février 2006, impose à l'intermédiaire d'assurances de fournir un certain nombre d'informations à son client, tant avant la conclusion du contrat qu'à l'occasion de sa modification ou de son renouvellement.

Le courtier assume, dans l'exercice de sa mission d'information et de conseil, une obligation de moyens (l'intermédiaire en assurances peut toutefois être tenu d'une obligation de résultat lors de l'accomplissement d'actes purement matériels). Il appartient dès lors au bénéficiaire du devoir de conseil et d'information de prouver le manquement reproché au courtier. Souvent, le demandeur sera contraint de rapporter la preuve d'un fait négatif (établir que l'information ou le conseil n'a pas été dispensé). Le juge peut toutefois se contenter, dans cette hypothèse, d'une preuve par vraisemblance (Cass., 16 décembre 2004, J.L.M.B., 2006, p. 1168, note H. Nys; N. Schmitz, o.c., p. 322).

2. La sous-assurance du bâtiment

2.1. L'appelant affirme qu'il n'a jamais été informé de ce que son bâtiment était sous-assuré.

L'intimée se réfère aux contrats et avenants précédemment conclus et soutient que Stéphane L. a refusé la majoration des capitaux proposée le 7 mai 1993. L'appelant le conteste et rétorque qu'il n'a pas été partie aux contrats et avenants souscrits par son père et à l'initiative d'un autre courtier.

A cet égard, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que si les premiers contrats ont été souscrits par l'auteur de Stéphane L. et par l'intermédiaire du courtier Osselet, ces conventions ont ensuite fait l'objet d'avenants, puis ont été remplacées par d'autres contrats couvrant le bâtiment et son contenu, à l'intervention de la SA Ruyssen, et engageant Stéphane L., de sorte que les clauses invoquées trouvent leur origine dans les premiers contrats et que ce dernier ne peut dès lors soutenir qu'ils sont étrangers au litige.

C'est toutefois avec pertinence que l'appelant énonce que les mentions manuscrites figurant sur les différents contrats produits par l'intimée ne lui sont pas opposables dès lors qu'elles ne sont pas contresignées par les parties. Il s'agit en effet de notes prises ultérieurement par le courtier (voir pièces 1, 4, 5, 6, 7 de son dossier). Ainsi, la note « majoration des capitaux refusé par le client » mentionnée sur la proposition du 7 mai 1993 n'est pas contradictoire et ne lie pas l'appelant. Elle est insuffisante à démontrer que Stéphane L. a refusé d'augmenter le montant assuré pour son bâtiment, dont il n'a du reste fait l'acquisition que postérieurement, l'acte authentique datant du 26 mai 1993 (pièce déposée à l'audience du 17 mars 2016).

2.2. L'article 54 de la loi du 25 juin 1992 sur les assurances terrestres (actuellement art. 108 loi du 4 avril 2014 relative aux assurances) dispose que le montant à assurer est fixé par le preneur d'assurance.

L'article 54, alinéa 1er, deuxième phrase, énonçant que si le montant assuré est fixé en accord avec le mandataire de l'assureur, le montant assuré est censé être égal à la valeur de l'intérêt assurable, n'est pas applicable en l'espèce. Il n'est en effet pas démontré que l'intimée est intervenue en qualité de mandataire de l'assureur pour fixer la valeur assurée.

L'appelant fait grief à son courtier de ne pas l'avoir aidé à évaluer correctement le montant à assurer pour son bâtiment, de ne s'être jamais rendu sur place pour se rendre compte de la situation particulière des lieux (boulangerie et habitation privée) et de ne l'avoir jamais informé des conséquences d'une sous-assurance du bâtiment. Ce n'est que par lettre du 1er août 2012 que son courtier lui a écrit: « Afin de revoir l'ensemble de vos contrats, nous vous proposons (...) de passer chez vous le vendredi 10 août 2012 vers 10h30” (pièce 6 dossier de l'appelant).

Stéphane L. est un commerçant exerçant la profession d'artisan boulanger-pâtissier, il a certes reçu une formation en gestion mais cela n'en fait pas pour autant un spécialiste en assurances, domaine dans lequel il est profane. Cela ne le dispense toutefois pas de veiller à la gestion de ses biens en bon père de famille, comme le ferait toute personne normalement prudente et avisée placée dans une situation semblable.

Lors de la souscription du contrat en 1984, l'immeuble a été assuré pour 4.700.000 FB (en assurance incendie, la valeur assurée est indexée sur base de l'indice ABEX). André L. a vendu l'immeuble à son fils Stéphane L. pour la somme de 2.000.000 FB le 26 mai 1993. Le 3 juin 1993 un avenant au contrat est établi car c'est Stéphane L., désormais propriétaire du bien, qui devient le preneur d'assurance incendie. Le bâtiment est assuré pour 5.992.000 FB, indexés. Cette valeur assurée pouvait, à tout le moins prima face, paraître suffisante à Stéphane L. compte tenu du prix d'acquisition du bien.

L'intimée soutient que le client a refusé à cette époque la majoration des capitaux assurés pour l'immeuble (la proposition du 7 mai 1993 mentionne un montant assuré de 9.150.000 FB). Ce refus n'est pas démontré à suffisance de droit, la mention manuscrite figurant sur la proposition étant unilatérale et non contresignée par les parties.

Le courtier n'est certes pas tenu, lors de la conclusion du contrat, de vérifier la valeur assurée demandée par le client. Mais dès l'instant où le courtier affirme qu'une majoration du montant assuré pour l'immeuble a été proposée au client à l'occasion d'une modification du contrat, c'est qu'il avait connaissance, d'une manière ou d'une autre, d'un problème concernant une éventuelle sous-assurance.

En sa qualité de professionnel de l'assurance, tenu de veiller au travers d'une information appropriée à l'établissement d'un contrat d'assurance efficace qui répond au mieux aux intérêts du client, il est incompréhensible que dans une telle situation, l'intimée n'ait pas pris la précaution de donner des informations par écrit (l'art. 12quater de la loi du 27 mars 1995 impose à l'intermédiaire d'assurance de transmettre les informations requises par écrit, quel que soit le support choisi, avec clarté et exactitude et d'une manière compréhensible pour le client) à l'appelant quant à la valeur, le cas échéant, insuffisante des capitaux assurés. Aucune lettre, courriel ou autre support écrit n'est produit en ce sens. Il ne résulte d'aucune pièce produite aux débats que cette proposition d'assurance a été envoyée à l'appelant.

Le courtier devait également attirer l'attention du preneur sur les conséquences de l'application de la règle proportionnelle alors qu'il constate une valeur potentiellement insuffisante des capitaux assurés dont il propose la majoration.

Eu égard à l'ensemble des éléments qui précèdent, c'est de manière vraisemblable que l'appelant démontre que son courtier ne l'a pas correctement informé et conseillé quant à l'insuffisance de la valeur assurée de l'immeuble et quant aux conséquences pouvant en résulter, soit l'application de la règle proportionnelle et la réduction de l'indemnité d'assurance en cas de sinistre (art. 44, § 1er, de la loi du 25 juin 1992, actuellement art. 98 de la loi du 4 avril 2014).

2.3. L'appelant reproche également à l'intimée de ne pas lui avoir proposé un système d'évaluation de l'immeuble par grille d'évaluation.

L'article 44, § 2, de la loi du 25 juin 1992 autorise le Roi, pour certains risques, à limiter ou interdire la sous-assurance et l'application de la règle proportionnelle. L'A.R. du 24 décembre 1992, portant exécution de la loi du 25 juin 1992, dispose en son article 3, § 2, que pour l'assurance d'une habitation par le propriétaire ou le locataire, l'assureur est tenu de présenter au preneur d'assurance un système qui, s'il est correctement appliqué et si les montants assurés sont indexés, entraîne la suppression de la règle de proportionnalité de montants pour le bâtiment désigné.

L'intimée objecte qu'elle n'avait pas à proposer à l'appelant un tel système d'évaluation de l'immeuble dès lors que ce système ne concerne que l'habitation du preneur d'assurance, et non une maison de commerce comme c'est le cas en l'espèce, le risque assuré étant exclusivement « à usage de boulangerie-pâtisserie » (p. 10 de ses conclusions).

L'acte authentique de vente du 26 mai 1993 mentionne qu'il s'agit d'une maison d'habitation et de commerce avec dépendances et jardin.

L'intimée n'est pas partie à ce contrat de vente mais l'avenant au contrat d'assurance incendie du 20 juin 2006 souscrit par Stéphane L. par l'intermédiaire de la SA Ruyssen mentionne néanmoins bien:

« Situation du risque: R. Mimbercée, 11 5650 Yves-Gomezée

Usage/Activité: Boulangerie-pâtisserie

Bâtiment - Propriétaire exploitant habitant » (pièce 2 dossier de l'appelant).

Le courtier et l'assureur savaient dès lors que Stéphane L., exploitant une boulangerie-pâtisserie dans le bien assuré, habitait également l'immeuble assuré ainsi que cela résulte des mentions figurant aux conditions particulières du contrat souscrit par l'appelant.

En outre, le contrat d'assurance incendie couvrant le contenu souscrit par la SPRL L. par l'intermédiaire de la SA Ruyssen garantit également sur le mobilier privé des exploitants.

Il n'est pas démontré avec certitude que l'application de la règle proportionnelle aurait pu être évitée par le mécanisme instauré par l'article 3, § 2, de l'A.R. du 24 décembre 1992 eu égard au caractère mixte du bien, le preneur d'assurance exploitant dans le bien assuré un commerce de boulangerie-pâtisserie mais l'habitant également en qualité de propriétaire exploitant.

Les conditions générales de la police, auxquelles les conditions particulières de l'avenant souscrit par Stéphane L. le 20 juin 2006 se réfèrent (pièce 2 du dossier de l'appelant), prévoient à la « Section I. Protection des biens - 1. L'étendue de l'assurance - Article 4. Evaluation des biens assurés », que les montants assurés sont fixés par le preneur d'assurance. « Néanmoins, si les conditions sont remplies, vous pouvez utiliser le système que nous proposons pour assurer correctement le bâtiment. Dans ce cas, il en est fait mention aux conditions particulières.” En l'espèce, les conditions particulières ne contiennent aucune mention à cet égard.

En vertu de son devoir d'information, le courtier aurait dû informer son client quant à ces aspects techniques du contrat d'assurance, afin de lui permettre d'en comprendre les mécanismes et la portée. Il ne résulte d'aucune pièce à laquelle la cour puisse avoir égard que des informations ont été données par le courtier Ruyssen à Stéphane L. quant au système proposé par Fortis AG pour assurer correctement le bâtiment, système qui n'est pas explicité dans les conditions générales. En vertu de son devoir de conseil, le courtier aurait dû conseiller son client à cet égard, en tenant compte des caractéristiques spécifiques du bien à assurer.

En l'espèce, il résulte des dires mêmes de l'intimée qu'elle n'a pas abordé ces questions avec l'appelant dans le cadre du dialogue qui doit s'établir entre le courtier et le preneur d'assurance. L'intimée affirme en effet qu'elle n'avait pas à le faire parce que le bâtiment sinistré n'était pas utilisé à titre privé (p. 10 de ses conclusions), ce que contredisent pourtant les mentions figurant sur l'avenant du 20 juin 2006 souscrit par son intermédiaire.

2.4. Il importe peu que les montants assurés apparaissent clairement sur les différents contrats et avenants dès lors que le courtier n'a pas informé et conseillé le preneur d'assurance comme l'aurait fait un professionnel normalement prudent et avisé qui estime qu'une majoration des capitaux assurés pour le bâtiment peut s'avérer nécessaire, et qui ne prend pas les dispositions utiles pour informer et conseiller son client par écrit à ce sujet.

Le fait qu'une clause d'un contrat d'assurance soit claire quant au montant assuré ne relève pas le courtier de son devoir d'information et de conseil.

3. L'application de la règle proportionnelle

L'appelant reproche en outre à l'intimée d'avoir manqué à son devoir d'information et de conseil au moment du règlement du sinistre, au motif qu'elle n'aurait pas attiré son attention sur le fait qu'en l'espèce la règle proportionnelle ne devait pas s'appliquer.

L'appelant ne peut être suivi sur ce point.

3.1. Il n'est pas démontré avec certitude que l'application de la règle proportionnelle aurait pu être évitée par le mécanisme instauré par l'article 3, § 2, de l'A.R. du 24 décembre 1992 eu égard au caractère mixte du bien, le preneur d'assurance exploitant dans le bien assuré un commerce de boulangerie-pâtisserie mais l'habitant également en qualité de propriétaire exploitant (voir point 2.3. ci-dessus).

3.2. Il n'est pas démontré qu'il y a eu une inspection du risque par l'assureur avant la survenance du sinistre, et ce d'autant plus que Stéphane L. fait précisément grief à son courtier de ne s'être jamais déplacé sur les lieux avant l'incendie du 9 février 2008 et que c'est pour la première fois, par lettre du 1er août 2012, qu'il s'est proposé de le faire (pp. 6 et 9 de ses dernières conclusions).

3.3. Le point 5, § 4, de la section I « Protection des biens » (p. 22 des conditions générales) décrit les conditions d'application de la règle proportionnelle. Il est précisé que la règle proportionnelle ne sera toutefois pas appliquée:

- lorsque le montant des dommages ne dépasse pas 2.500 EUR. Si les dommages sont plus élevés, la règle proportionnelle n'est applicable qu'à ce qui dépasse 2.500 EUR;

- (...)

- pour les dommages au bâtiment:

a) (...)

b) s'il s'agit d'un risque commercial, si le bâtiment est assuré pour un montant au moins égal à 208.769,46 EUR;

c) (...)

d) si vous êtes locataire ou occupant d'une partie du bâtiment et s'il apparaît au moment du sinistre que le montant assuré correspond à 20 fois le loyer ou la valeur locative annuelle augmentés des charges locatives.

Selon l'appelant, la règle proportionnelle n'avait pas à s'appliquer selon ces dispositions et l'intimée serait fautive pour ne pas l'en avoir informé lors du règlement du sinistre.

L'intimée objecte que Stéphane L. a accepté l'indemnisation proposée par l'assureur sur base de la règle proportionnelle, qu'il a signé le procès-verbal d'estimation amiable relatif au bâtiment et qu'il ne peut ensuite contester l'application de la règle proportionnelle.

Il sera relevé que lors de l'estimation amiable qui a eu lieu le 5 mars 2008, Stéphane L. était assisté d'un expert (Bureau d'expert BEL) et de son courtier Monsieur Ruyssen (pièce 9 dossier de l'intimée). Le dommage pour le bâtiment est fixé à 218.181,81 EUR HTVA.

L'indemnité perçue par Stéphane L. est nettement inférieure en raison de l'application de la règle proportionnelle. Le décompte d'indemnité annexé à la pièce 3 de son dossier révèle les éléments suivants:

- il a été tenu compte d'un montant non soumis à l'application de la règle proportionnelle de 2.789,43 EUR. Il s'agit manifestement d'un montant évolutif ou indexé dès lors que les conditions générales produites, qui datent du 24 octobre 2005, prévoient que la règle proportionnelle ne s'applique pas si le dommage ne dépasse pas 2.500 EUR;

- le montant soumis à la règle proportionnelle est de 215.392,38 EUR HTVA (218.181,81 - 2.789,43 EUR) et le calcul est suivant:

215.392,38 EUR x 219.505,86 EUR (capital assuré) = 143.272, 39 EUR

330.000 EUR (capital à assurer)

- total de l'indemnité bâtiment: 2.789,43 EUR + 143.272,39 EUR = 146.061,82 EUR HTVA.

Lors de la souscription de l'avenant au contrat du 20 juin 2006, le bâtiment était assuré pour 202.011,41 EUR. Par le jeu de l'indexation, le capital assuré était de 219.505,86 EUR lors du sinistre survenu le 9 février 2008. L'appelant ne démontre nullement, alors que la charge de la preuve lui incombe, qu'à la date du sinistre le plafond prévu pour la non-application de la règle proportionnelle en cas de risque commercial était au moins égal à 219.505,86 EUR. En effet, le montant mentionné dans les conditions générales de 2005 (208.769,46 EUR) a dû évoluer, tout comme a évolué le montant minimal des dommages fixé à 2.500 EUR dans les conditions générales de 2005 et qui s'élevait à 2.789,43 EUR au jour du sinistre.

Si tel était le cas, il n'est pas crédible que ni le bureau d'expertise BEL, ni le courtier qui assistaient Stéphane L. n'aient relevé cet élément fondamental, alors que le décompte de l'indemnité a été établi conformément aux conditions contractuelles (le montant non soumis à la règle proportionnelle a bien été comptabilisé séparément et une indemnité de 80% a bien été payée à Stéphane L., le solde de 20% étant payable sur présentation des factures - voir pièce 3 de son dossier).

Par ailleurs, l'appelant est propriétaire du bien et non locataire, de sorte que la clause d) du § 4 précité n'est pas applicable au cas d'espèce.

Il suit de ces considérations qu'un manquement du courtier à son devoir d'information et de conseil lors du règlement du sinistre n'est pas démontré.

4. L'attitude du preneur d'assurance

A l'instar de tout homme normalement prudent et diligent, Stéphane L. devait veiller à la gestion de ses biens en bon père de famille.

Après avoir fait l'acquisition de l'immeuble litigieux qui lui servait à des fins commerciales et privées, il devait également s'enquérir auprès de son courtier d'assurances quant à l'adéquation des montants assurés par rapport à la valeur du bien. Même si la valeur assurée pouvait, prima facie, lui paraître suffisante compte tenu du prix d'acquisition du bien, il ne pouvait ignorer qu'il s'agissait d'une vente dans un cadre familial et qu'il était prudent de se renseigner, le cas échéant auprès de son notaire ou d'un expert immobilier, afin de vérifier qu'il était assuré pour une valeur suffisante.

L'appelant pouvait à cet égard poser toutes questions utiles à son courtier. Il n'apporte ni n'offre de rapporter la preuve qu'il l'a fait.

L'appelant a donc également commis une négligence fautive à l'origine du dommage dont il se plaint car il devait veiller un minimum à la préservation et à la valorisation de ses intérêts, comme le ferait un commerçant avisé et, de manière générale, tout bon père de famille.

Les fautes commises par l'intimée, qui a manqué à son devoir d'information et de conseil quant à la sous-assurance du bâtiment assuré et aux conséquences de l'application de la règle proportionnelle en cas de sinistre, et par l'appelant qui a négligé de prendre les mesures utiles pour vérifier que l'immeuble était correctement assuré et poser toutes questions adéquates dans ce domaine, ont contribué dans la même proportion à la survenance du dommage, à savoir la réduction de l'indemnité d'assurance par application de la règle proportionnelle, le montant assuré pour le bâtiment étant inférieur à la valeur du bien lorsque l'incendie s'est produit.

Sans les fautes concurrentes commises par l'appelant et l'intimée, le dommage ne se serait pas produit tel qu'il s'est réalisé in concreto.

Un partage de responsabilités par moitié s'impose donc à cet égard.

5. Le dommage
5.1. Le dommage relatif au bâtiment

L'appelant réclame une somme de 87.055,82 EUR eu égard au préjudice subi du chef de la sous-assurance du bien et de l'application de la règle proportionnelle. Il ne détaille pas ce montant (p. 11 de ses conclusions).

Le dommage au bâtiment a été estimé amiablement à la somme de 218.181,81 EUR HTVA. En raison de l'application de la règle proportionnelle, l'appelant a perçu une indemnité pour le dommage à son bâtiment s'élevant à la somme de 146.061,82 EUR (voir le décompte d'indemnité joint à la pièce 3 de son dossier).

Son préjudice s'élève donc à la somme de 72.119,99 EUR arrondie à 72.120 EUR, à majorer de la TVA.

Compte tenu du partage de responsabilités intervenu, l'intimée sera condamnée à payer à l'appelant la somme de 36.060 EUR, à majorer de la TVA, ainsi que des intérêts au taux légal depuis le 5 mars 2008, date du procès-verbal d'estimation amiable des dommages.

5.2. Le dommage relatif au contenu

L'appelant énonce qu'au moment du sinistre, il s'est aperçu que le contenu privé (son mobilier) était assuré dans le cadre d'une police souscrite par la SPRL L. et Fils.

Il indique que l'indemnité de 46.555,25 EUR qui a été versée à la SPRL L. à la suite de l'incendie (voir décompte annexé à la pièce 4 de son dossier) est taxée via l'impôt des sociétés au taux moyen payé par la SPRL, alors que cela n'aurait pas dû être le cas compte tenu de la destination privée des biens.

L'appelant postule l'allocation d'une somme d'1 EUR provisionnel « dans l'attente des documents comptables et fiscaux attestant de la perte réelle suite à l'imposition ISOC de l'indemnité reçue » (pp. 10-11 de ses dernières conclusions).

Cette réclamation n'est pas fondée.

Il résulte clairement du contrat couvrant le contenu, souscrit le 26 novembre 1993 alors que Stéphane L. avait déjà fait l'acquisition de l'immeuble litigieux, que c'est la SPRL L. et Fils qui est le preneur d'assurance, et que les montants assurés portent tant sur le mobilier privé que sur le matériel et les marchandises.

Ces clauses sont parfaitement claires et compréhensibles, même pour une personne profane dans le domaine des assurances. Si l'appelant s'était donné la peine de lire correctement son contrat d'assurance, il ne pouvait ignorer que son mobilier privé était couvert dans le cadre de la police « incendie contenu » souscrite par la SPRL L.

Par ailleurs, 8 ans se sont écoulés depuis la survenance du sinistre et le versement des indemnités « contenu » intervenu en mai 2008. La SPRL L. a été taxée à l'impôt des sociétés pour l'année 2008 depuis bien longtemps et s'il devait en résulter un préjudice pour Stéphane L., il devrait être en mesure de l'établir avec précision, ce qu'il reste en défaut de faire.

Ce chef de réclamation sera dès lors rejeté.

5.3. Le dommage consécutif à la relocation d'une résidence

L'appelant expose que son habitation privée était adjacente à la boulangerie, qu'il a perdu son logement et son commerce suite à l'incendie survenu le 9 février 2008 et que compte tenu des indemnités réduites qui lui ont été versées en raison de la sous-assurance du bâtiment, il a été contraint de faire reconstruire d'abord la partie professionnelle pour pouvoir recommencer à travailler. Selon l'appelant, il n'a pu faire reconstruire son habitation privée et il a dû prendre une résidence en location.

Il estime que ce dommage est imputable à la faute de l'intimée et réclame 1 EUR provisionnel de ce chef.

L'appelant produit une convention de location avenue entre Stéphane L. et Gladdys Copin, d'une part, et la commune de Walcourt d'autre part, concernant la location par la seconde aux premiers d'une partie d'un bien communal à Yves-Gomezée pour le prix de 250 EUR par mois à partir du 1er juin 2008 pour une durée de 6 mois (pièce 5 dossier de l'appelant).

La police d'assurance incendie couvre le chômage immobilier pendant la période normale de reconstruction, que celle-ci ait lieu ou non. La privation de jouissance du bâtiment assuré que le preneur occupe en qualité de propriétaire est estimée à la valeur locative des locaux dont il est privé (art. 26 de la section I. Protection des biens, 3. Les garanties complémentaires, p. 18 des conditions générales de la police).

Il sera relevé que l'appelant a perçu une somme forfaitaire de 12.000 EUR à titre de chômage immobilier suite au sinistre (voir le décompte d'indemnité joint à la pièce 3 de son dossier), montant très largement supérieur au coût des loyers.

En outre, l'appelant ne donne aucune autre indication (la partie privative du bien a-t-elle été reconstruite et si oui à quelle date?).

Il suit de ces éléments que l'appelant ne démontre pas la réalité du préjudice vanté, ce qu'il devrait être en mesure de faire 8 ans après la survenance du sinistre, de sorte que sa réclamation ne peut être accueillie.

Par ces motifs,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues,

La cour, statuant contradictoirement et vidant sa saisine,

Reçoit l'appel et le dit partiellement fondé,

Réformant le jugement entrepris, hormis en ce qu'il reçoit la demande.

Condamne la SPRL Immo Ruyssen (anciennement SA Olivier Ruyssen) à payer à Stéphane L. la somme de 36.060 EUR, à majorer de la TVA, ainsi que des intérêts moratoires au taux légal depuis le 5 mars 2008 jusqu'à complet paiement,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Eu égard au partage de responsabilités intervenu et chaque partie succombant sur quelque chef, compense les dépens des deux instances.

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent arrêt, le pourvoi en cassation et le délai pour se pourvoir n'étant pas suspensifs (art. 1118 C. jud.).

(…)