Article

Cour de cassation, 15/01/2016, R.D.C.-T.B.H., 2017/1, p. 95-98

Cour de cassation 15 janvier 2016

DROIT JUDICIAIRE EUROPEEN ET INTERNATIONAL
Compétence et exécution - Titre exécutoire européen pour les créances incontestées - Règlement n° 805/2004/CE du 21 avril 2004 - Champ d'application ratione materiae et conditions de la certification - Notion de « créance incontestée » - Jugement par défaut (art. 3, 1., b)) - Interprétation autonome (non) - Renvoi au droit du for - Application évidente du droit belge - Défaut du défendeur valant contestation de sa part
Aux termes de l'article 3, 1., alinéa 2, b) et c), du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, une créance est réputée incontestée si le débiteur ne s'y est jamais opposé, conformément aux règles de procédure de l'Etat membre d'origine, au cours de la procédure judiciaire ou si le débiteur n'a pas comparu ou ne s'est pas fait représenter lors d'une audience relative à cette créance après l'avoir initialement contestée au cours de la procédure judiciaire, pour autant que sa conduite soit assimilable à une reconnaissance tacite de la créance ou des faits invoqués par le créancier en vertu du droit de l'Etat membre d'origine.
Le défaut d'une partie qui n'a jamais comparu ou ne comparaît plus constitue, selon le droit belge applicable au litige, un mode de contestation de la demande.
EUROPEES EN INTERNATIONAAL GERECHTELIJK RECHT
Bevoegdheid en executie - Europese executoriale titel van niet-betwiste schuldvorderingen - Verordening nr. 805/2004/EG van 21 april 2004 - Toepassingsgebied ratione materiae en voorwaarden voor waarmerking - Begrip “niet-betwiste schuldvordering” - Verstekvonnis (art. 3, 1., tweede al., onder b) - Autonome uitlegging (nee) - Verwijzing naar de lex fori - Duidelijke toepassing van het Belgisch recht - Verstek van de verweerder geldt als betwisting
Uit artikel 3, 1., tweede lid, b) en c) van de verordening (EG) nr. 805/2004 van het Europees parlement en van de Raad van 21 april 2004 tot invoering van een Europese executoriale titel voor niet-betwiste schuldvorderingen volgt dat de gemeenschapswetgever het aan het recht van de lidstaat van oorsprong overlaat om te beslissen of de houding van een partij tijdens de gerechtelijke procedure een wijze vormt om zich te verzetten tegen de schuldvordering of om ze te erkennen.
Volgens het Belgisch recht dat van toepassing is op het geschil, is het verstek van een partij die nooit verschenen is of niet meer verschijnt, een wijze van betwisting van de vordering.

M.Y.

Siég.: Ch. Storck (président de section), D. Batselé, M. Regout, M.-C. Ernotte et S. Geubel (conseillers)
M.P.: A. Henkes (premier avocat général).
Pl.: Me S. Nudelholc
Affaire: C.14.0566.F

[...]

II. Le moyen de cassation

Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution;

- article 3, spécialement point 1., du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées;

- articles 630, dernier alinéa, et 802 à 806 du Code judiciaire;

- principe général du droit selon lequel une norme de droit international conventionnel directement applicable doit prévaloir sur le droit interne.

Décisions et motifs critiqués

Par confirmation du jugement entrepris, l'arrêt déclare recevable mais non fondée la demande, introduite sur requête unilatérale, par laquelle le demandeur sollicitait la délivrance d'un titre exécutoire européen sur pied des dispositions du règlement européen n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les condamnations pécuniaires prononcées par une ordonnance du tribunal de première instance de Bruxelles du 30 mars 2012.

L'arrêt se fonde sur les motifs suivants:

« L'existence de la créance pécuniaire résultant de l'inexécution par madame P.S.-Y. de ses obligations à l'égard [du demandeur] est établie;

Cependant, contrairement à ce que soutient ce dernier, cette créance doit être considérée comme contestée en raison du défaut de madame P.S.-Y.;

C'est à bon droit, par conséquent, que le premier juge a considéré qu'il n'y avait pas lieu de certifier, même partiellement, l'ordonnance du 30 [mars] 2012 en tant que titre exécutoire européen. »

Griefs
Première branche

Le règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées s'applique, tant en matière civile que commerciale, aux décisions, transactions judiciaires et actes authentiques portant sur des créances incontestées, dont il vise à assurer l'exécution.

L'article 3, 1., du règlement dispose qu'une créance est « réputée incontestée » dans quatre hypothèses:

« a) si le débiteur l'a expressément reconnue en l'acceptant ou en recourant à une transaction qui a été approuvée par une juridiction ou conclue devant une juridiction au cours d'une procédure judiciaire;

b) si le débiteur ne s'y est jamais opposé, conformément aux règles de procédure de l'Etat membre d'origine, au cours de la procédure judiciaire;

c) si le débiteur n'a pas comparu ou ne s'est pas fait représenter lors d'une audience relative à cette créance après l'avoir initialement contestée au cours de la procédure judiciaire, pour autant que sa conduite soit assimilable à une reconnaissance tacite de la créance ou des faits invoqués par le créancier en vertu du droit de l'Etat membre d'origine;

d) si le débiteur l'a expressément reconnue dans un acte authentique. »

Le préambule du règlement précise (considérant 5): « La notion de 'créances incontestées' devrait recouvrir toutes les situations dans lesquelles un créancier, en l'absence établie de toute contestation du débiteur quant à la nature et au montant d'une créance pécuniaire, a obtenu, soit une décision judiciaire contre ce débiteur, soit un acte exécutoire nécessitant une acceptation expresse du débiteur, qu'il s'agisse d'une transaction judiciaire ou d'un acte authentique. »

La deuxième hypothèse visée par l'article 3, 1., est précisée par le considérant 6 du règlement, qui indique que « l'absence d'objection de la part du débiteur telle qu'elle est prévue à l'article 3, 1., b), peut prendre la forme d'un défaut de comparution à une audience ou d'une suite non donnée à l'invitation faite par la juridiction de notifier par écrit l'intention de défendre l'affaire ».

Il résulte de la combinaison des dispositions de l'article 3, 1., b) et c), du règlement avec les articles 630, dernier alinéa, et 802 à 806 du Code judiciaire que, lorsque le débiteur a fait défaut devant le tribunal belge devant lequel il a été régulièrement cité et n'a en conséquence déposé aucune conclusion ni fait valoir aucun moyen de défense orale ou écrite devant ce tribunal, la créance doit être « réputée incontestée » au sens du règlement.

Le motif de l'arrêt selon lequel la créance du demandeur « doit être considérée comme contestée en raison du défaut de madame P.S.-Y. » ne justifie dès lors pas légalement la décision de refus du titre exécutoire européen (violation de toutes les dispositions légales visées en tête du moyen, à l'exception de l'art. 149 de la Constitution).

Deuxième branche

L'expression « le débiteur ne s'y est jamais opposé, conformément aux règles de procédure de l'Etat membre d'origine », contenue à l'article 3, 1., b), du règlement, signifie que, pour qu'une créance soit réputée « contestée » (ou ne soit pas « réputée incontestée »), il faut que le débiteur ait fait valoir ses défenses de manière recevable, conformément aux règles de procédure applicables devant la juridiction d'origine, c'est-à-dire devant la juridiction qui l'a condamné au paiement de la créance.

Cela signifie qu'une créance sera réputée incontestée, en application de l'article 3, 1., b), du règlement, soit si le défendeur n'a jamais comparu devant la juridiction qui l'a condamné au paiement, soit s'il a comparu mais n'a pas valablement fait valoir ses moyens de défense, conformément aux règles de procédure ou de compétence applicables devant la juridiction d'origine (conclusions déposées hors délai, non signées, non valablement communiquées à la partie adverse, déposées au greffe d'une juridiction incompétente, etc.).

L'article 3, 1., du règlement, et en particulier son point b), doivent se comprendre dans le sens que le défaut d'un débiteur qui n'a pas présenté un moyen de défense ou de contradiction à la créance selon les formes imposées par les règles de procédure applicables devant la juridiction d'origine en ce qui concerne l'admissibilité des défenses orales ou écrites suffit pour que la créance soit « réputée incontestée », au sens autonome du règlement, nonobstant le fait qu'en vertu du droit interne de la juridiction d'origine, le défaut du défendeur est interprété comme une contestation de la demande.

Le motif de l'arrêt selon lequel la créance du demandeur « doit être considérée comme contestée en raison du défaut de madame P.S.-Y. » ne justifie dès lors pas légalement la décision de refus du titre exécutoire européen.

En fondant sa décision sur ce motif, l'arrêt fait illégalement prévaloir les règles de droit interne relatives au défaut du défendeur, telles qu'elles se déduisent des articles 630, dernier alinéa, et 802 à 806 du Code judiciaire, sur les dispositions du règlement, en violation du principe général du droit selon lequel une norme de droit international conventionnel directement applicable doit prévaloir sur le droit interne (violation des dispositions du règlement et du principe général du droit visés en tête du moyen).

Troisième branche

En ce qui concerne le caractère « incontesté » de la créance, l'article 3, 1., du règlement fait une distinction nette entre les hypothèses visées respectivement par les litteras b) et c).

Le point b) vise l'hypothèse où « le débiteur ne [s'est] jamais opposé [à la créance], conformément aux règles de procédure de l'Etat membre d'origine, au cours de la procédure judiciaire ».

Le point c) vise le cas où, après avoir initialement contesté la créance au cours de la procédure judiciaire, le débiteur n'a pas comparu ou ne s'est pas fait représenter lors d'une audience ultérieure, « pour autant que sa conduite soit assimilable à une reconnaissance tacite de la créance ou des faits invoqués par le créancier en vertu du droit de l'Etat membre d'origine ».

Le rapprochement de ces deux dispositions établit que l'expression « conformément aux règles de procédure de l'Etat membre d'origine, au cours de la procédure judiciaire », figurant au point b), vise les règles de procédure qui permettent de considérer comme recevables et acquis aux débats les conclusions ou mémoires déposés par le débiteur ou de considérer comme valable sa défense orale.

En revanche, dans l'hypothèse où le débiteur a « initialement contesté [la créance] au cours de la procédure judiciaire », l'article 3, 1., c), renvoie aux règles du droit interne de l'Etat membre d'origine pour déterminer si et à quelle condition l'absence de comparution ou de représentation du débiteur au cours d'une audience ultérieure est « assimilable à une reconnaissance tacite de la créance ou des faits invoqués par le créancier ».

Lorsque le débiteur a fait défaut dès l'introduction de la demande et n'a en conséquence jamais fait valoir la moindre défense orale ou écrite, il faut appliquer l'article 3, 1., b), du règlement et considérer que l'on se trouve dans l'hypothèse où « le débiteur ne [s'est] jamais opposé [à la créance] ». Dans ce cas, le règlement ne permet pas l'application de règles de droit interne qui assimilent, le cas échéant, le défaut du débiteur « à une reconnaissance tacite de la créance ou des faits invoqués par le créancier ». Le renvoi à de telles règles de droit interne n'est possible que dans l'hypothèse visée par le point c), c'est-à-dire dans l'hypothèse où le débiteur a « initialement contesté la créance au cours de la procédure judiciaire » mais s'est ensuite abstenu de comparaître ou de se faire représenter à une audience ultérieure.

En résumé, le défaut initial du défendeur - qui n'a par hypothèse présenté aucune défense orale ou écrite - a toujours comme conséquence que la créance est « réputée incontestée », au sens autonome du règlement, en vertu de l'article 3, 1., b), indépendamment de l'existence de règles de droit interne qui assimileraient le défaut à une contestation de la demande.

Les motifs de l'arrêt ne permettent pas de déterminer si, en l'espèce, l'on se trouvait dans l'hypothèse visée par le point b) ou par le point c) de l'article 3, 1., du règlement. Or, la décision entreprise serait légalement justifiée dans l'hypothèse où, après avoir initialement contesté la créance, au cours de la procédure judiciaire, la débitrice n'aurait pas comparu ou ne se serait pas fait représenter à une audience ultérieure (art. 3, 1., c), du règlement) et ne serait pas légalement justifiée dans l'hypothèse où la débitrice aurait fait défaut dès l'introduction de la demande, sans jamais faire valoir aucune défense orale ou écrite (art. 3, 1., b), du règlement).

Dans sa requête d'appel, le demandeur invoquait expressément l'application de « l'article 3, 1., b), du règlement 805/2004 ». En se fondant sur le seul motif déjà cité que la « créance doit être considérée comme contestée en raison du défaut de madame P.S.-Y. », sans préciser s'il s'agissait d'un cas d'application du point b) ou du point c) de l'article 3, 1., du règlement, alors que sa décision serait illégale en cas d'application du point b) et légale en cas d'application du point c), l'arrêt ne permet pas à la Cour de contrôler la légalité de sa décision et n'est dès lors pas régulièrement motivé (violation de l'art. 149 Const.).

En outre, l'arrêt laisse sans réponse la requête d'appel du demandeur qui invoquait expressément l'application de l'article 3, 1., b), du règlement (violation de l'art. 149 Const.).

III. La décision de la Cour
Quant à la première branche

Aux termes de l'article 3, 1., alinéa 2, b) et c), du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, une créance est réputée incontestée si le débiteur ne s'y est jamais opposé, conformément aux règles de procédure de l'Etat membre d'origine, au cours de la procédure judiciaire ou si le débiteur n'a pas comparu ou ne s'est pas fait représenter lors d'une audience relative à cette créance après l'avoir initialement contestée au cours de la procédure judiciaire, pour autant que sa conduite soit assimilable à une reconnaissance tacite de la créance ou des faits invoqués par le créancier en vertu du droit de l'Etat membre d'origine.

Il suit de ces dispositions que le législateur communautaire a laissé au droit de l'Etat membre d'origine de décider si le comportement d'une partie au cours de la procédure judiciaire constitue une manière de s'opposer à la créance ou de la reconnaître.

Le défaut d'une partie qui n'a jamais comparu ou ne comparaît plus constitue, selon le droit belge applicable au litige, un mode de contestation de la demande.

En constatant le défaut de madame S.-Y. devant le juge qui a rendu l'ordonnance du 30 mars 2012, l'arrêt justifie légalement sa décision que la créance sur laquelle statue cette ordonnance « doit être considérée comme contestée ».

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la deuxième branche

Il suit de la réponse à la première branche du moyen qu'en disposant qu'une créance est réputée incontestée si le débiteur ne s'y est jamais opposé, conformément aux règles de procédure de l'Etat membre d'origine, au cours de la procédure judiciaire, l'article 3, 1., alinéa 2, b), du règlement (CE) n° 805/2004 du 21 avril 2004 renvoie au droit national pour les conséquences qui doivent être déduites, quant au caractère incontesté de la créance, du défaut de la partie qui n'a jamais comparu au cours de la procédure judiciaire.

Dès lors que l'interprétation correcte de cette disposition communautaire s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable, la question préjudicielle proposée par le demandeur ne doit pas être posée à la Cour de justice de l'Union européenne.

Le moyen, qui, en cette branche, repose sur une autre interprétation de ladite disposition, manque en droit.

Quant à la troisième branche

Dès lors que l'article 3, § 1er, alinéa 2, b) et c), du règlement (CE) n° 805/2004 laisse dans les deux hypothèses qu'il vise au droit national de déterminer les conséquences du défaut d'une partie sur le caractère incontesté de la créance, l'arrêt, qui n'était tenu de préciser laquelle de ces hypothèses se rencontre en l'espèce ni pour répondre aux conclusions du demandeur ni pour permettre à la Cour d'exercer son contrôle, n'est pas affecté de l'ambiguïté dénoncée par le moyen, en cette branche.

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour,

Rejette le pourvoi.


Note / Noot

Voir note Jean-François Van Drooghenbroeck et Stan Brijs sous l'arrêt de la Cour de justice du 16 juin 2016, dans ce numéro, p. 87 et s.