Article

Actualité : Cour de justice de l'Union européenne, 18/10/2016, C-135/15 (République hellénique/Grigorios Nikiforidis), R.D.C.-T.B.H., 2017/1, p. 117-118

Cour de justice de l'Union européenne 18 octobre 2016

République hellénique / Grigorios Nikiforidis

Affaire: C-135/15
DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Réglementation européenne - Obligations contractuelles - Règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 (Rome I)
Droit applicable au contrat de travail - Article 28 - Champ d'application ratione temporis - Article 9 - Notion de « lois de police » - Application de lois de police d'Etats membres autres que l'Etat du for - Législation d'un Etat membre prévoyant une diminution des salaires dans le secteur public en raison d'une crise budgétaire - Devoir de coopération loyale


INTERNATIONAAL PRIVAATRECHT
Europese regelgeving - Contractuele verbintenissen - Verordening (EG) nr. 593/2008 van 17 juni 2008 (Rome I)
Recht dat van toepassing is op de arbeidsovereenkomst - Artikel 28 - Werkingssfeer ratione temporis - Artikel 9 - Begrip “bepalingen van bijzonder dwingend recht” - Toepassing van bepalingen van bijzonder dwingend recht van andere lidstaten dan de forumstaat - Wetgeving van een lidstaat waarin is bepaald dat de salarissen in de publieke sector worden verlaagd vanwege een budgettaire crisis - Verplichting tot loyale samenwerking


Les questions préjudicielles de la Cour fédérale du travail d'Allemagne (Bundesarbeitsgericht), auxquelles la Cour de justice a répondu dans un arrêt du 18 octobre 2016 rendu en grande chambre, ont donné à cette dernière la rare occasion de se prononcer sur la question de l'application, par le juge du for, des lois de police étrangères, tout en précisant le champ d'application temporel du Règlement Rome I.

Les questions préjudicielles déférées à la Cour ont pour toile de fond un contentieux entre la Grèce et son ressortissant, M. Nikiforidis, employé comme professeur à l'école élémentaire grecque de Nuremberg (Allemagne). M. Nikiforidis a contesté devant les juridictions du travail allemandes la réduction de son salaire mise en oeuvre à partir de mois d'octobre 2010, en application de deux lois adoptées par la Grèce dans le contexte de la crise de la dette et visant à limiter ses dépenses publiques. Le litige est remonté jusqu'à la juridiction suprême de travail qui, d'une part, a reconnu sa compétence internationale pour en connaitre, en vertu des articles 18, 1. et 19, 2., sous a), du Règlement Bruxelles I, et, d'autre part, a confirmé la nature privée de la relation de travail litigieuse, ainsi que le fait qu'elle relevait du droit allemand. Etant donné que, selon le droit allemand, la réduction de la rémunération nécessite un avenant au contrat de travail ou un congé-modification, la juridiction de renvoi s'est interrogée sur la question de savoir s'il y avait lieu d'appliquer à la relation de travail en cause les dispositions des lois helléniques ou leur donner effet d'une autre façon. Dans ce contexte, elle a fait appel aux lumières de la Cour de justice sur les deux questions suivantes.

En premier lieu, la juridiction de renvoi cherchait à clarifier la portée de l'article 28 du Règlement Rome I, selon lequel ce règlement s'applique aux contrats conclus à compter du 17 décembre 2009. En effet, dans la mesure où le contrat litigieux, conclu en 1996, a fait l'objet de plusieurs modifications, y compris après le 17 décembre 2009, cette juridiction s'interrogeait sur la question de savoir si ledit contrat relevait, rationae temporis, du Règlement Rome I ou bien des règles nationales de droit international privé, abrogées à compter du 17 décembre 2009, et en particulier de l'article 34 de la loi d'introduction du Code civil (EBGB). Pour une meilleure compréhension de l'enjeu de l'affaire, il est utile de préciser que, tel qu'interprété par la jurisprudence et la doctrine allemandes, l'article 34 d'EBGB n'excluait pas l'application des lois de police d'un autre Etat, ni, à tout le moins, la prise en compte de leurs dispositions à titre de question de fait, lorsque les dispositions du droit applicable à la relation contractuelle étaient imprécises ou devaient être complétées (« ausfüllungsbedürftige Rechtsnormen »).

A cet égard, contrairement à son avocat général, qui préconisait un renvoi au droit national applicable aux questions de la validité et de l'existence du contrat pour interpréter la notion de la « conclusion du contrat », la Cour a préféré de donner de cette notion une interprétation autonome. Elle a considéré que, en principe, un consentement des parties, postérieur au 16 décembre 2009, à poursuivre l'exécution d'un contrat conclu avant cette date ne saurait suffire pour rendre le Règlement Rome I applicable audit contrat. Cependant, la Cour a admis qu'une modification conventionnelle du contrat qui serait d'une ampleur telle qu'elle se traduirait non pas par une simple actualisation ou adaptation dudit contrat, mais par la création d'un nouveau rapport juridique entre les parties, de sorte que le contrat initial devrait être considéré comme ayant été remplacé par un nouveau contrat, doit être considérée comme une « conclusion du contrat » au sens de l'article 28 du Règlement Rome I.

En second lieu, la juridiction de renvoi s'interrogeait sur la possibilité d'appliquer les lois helléniques en cause en tant que des lois de police étrangères. Elle s'est heurtée, à cet égard, à la lettre de l'article 9, 3., du Règlement Rome I qui soumet le recours aux lois de police étrangères à des conditions strictes. Il dispose, en effet, que le juge du for peut donner effet seulement aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées et dans la mesure où lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale. Or, en l'espèce, les obligations découlant du contrat n'étaient pas exécutées en Grèce, ce qui excluait l'application directe des lois helléniques au contrat litigieux. La juridiction de renvoi cherchait néanmoins à savoir si l'article 9, 3., du Règlement Rome I pouvait être interprété de la même manière que l'article 34 d'EBGB, ou bien, au contraire, s'il excluait également que les lois de police autres que celles visées dans cette disposition puissent être prises en compte, directement ou indirectement, par le juge du for en vertu du droit national applicable au contrat. A cet égard, la juridiction de renvoi s'est référée notamment au principe de coopération loyale consacré à l'article 4, 3., TFUE et a demandé à la Cour si ce principe revêtait une signification juridique pour la question de l'applicabilité des lois de police étrangères.

En réponse à ces interrogations, la Cour a décidé que de l'article 9 du Règlement Rome I exclut l'application, en tant que règles juridiques, des lois de police autres que celles de l'Etat du for, visées en son paragraphe 1., et celles de l'Etat de l'exécution des obligations découlant du contrat, visées en son paragraphe 3. Cependant, selon la Cour, cette disposition ne s'oppose pas à ce que des lois de polices autres que celles qu'elle vise soient prises en compte en tant qu'un élément de fait, dans la mesure où une règle matérielle du droit applicable au contrat en vertu du règlement le permet. La nuance apportée par la Cour devient plus claire à la lecture des conclusions de l'avocat général qui a avancé plusieurs arguments contre une interprétation indûment restrictive de l'article 9, 3., du Règlement Rome I. S'agissant, enfin, du principe de coopération loyale, selon la Cour, il n'affecte pas son interprétation de la disposition en cause. En effet, ce principe n'autorise pas un Etat membre à contourner les obligations qui lui sont imposées par le droit de l'Union et n'est dès lors pas de nature à permettre à une juridiction nationale de faire abstraction du caractère exhaustif de l'énumération des lois de police auxquelles il peut être donné effet conformément à l'article 9 du Règlement Rome I.