Article

Cour d'appel Liège, 21/04/2016, 2015/RG/458, R.D.C.-T.B.H., 2017/10, p. 1132-1138

Cour d'appel de Liège 21 avril 2016

INTERMÉDIAIRES (COMMERCE)
Agent commercial - Banque - Indemnité d'éviction - Aménagement contractuel
La clause contractuelle qui aménage les règles pour le calcul de l'indemnité d'éviction n'est pas nulle pour autant qu'elle ne prive pas l'agent de tout ou partie de son droit à l'indemnité lorsqu'elle est due selon l'article 20, alinéa 1er, de la loi du 13 avril 1995 sur le contrat d'agence commerciale.
Les parties peuvent librement convenir d'objectiver les critères pour la fixation de l'indemnité d'éviction, dès lors que la loi est laconique sur ce point.
TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Handelsagentuur - Bank - Uitwinningsvergoeding - Contractuele bepaling
De contractuele bepaling die de regels voor de berekening van de uitwinningsvergoeding vastlegt, is niet nietig voor zover het de agent zijn recht op schadevergoeding niet geheel of gedeeltelijk ontneemt wanneer die verschuldigd is overeenkomstig artikel 20, eerste lid van de wet van 13 april 1995 betreffende de handelsagentuurovereenkomst.
Het staat de partijen vrij de criteria voor het bepalen van de uitwinningsvergoeding contractueel vast te leggen vermits de wet hierover niets bepaalt.

S.P.R.L. Grilax, D.M. et V.A. / S.A. BNP Paribas Fortis

Siég.: A. Jacquemin (président), Th. Lambert et Th. Piraprez (conseillers)
Pl.: Mes P. Ramquet loco P. Demoulin et L. Wysen
Affaire: 2015/RG/458

Vu la requête du 27 mars 2015 par laquelle la S.P.R.L. Grilax, D.M. et V.A. interjettent appel du jugement rendu le 19 janvier 2015 par le tribunal de commerce de Liège, division Liège.

Vu les conclusions et les dossiers des parties.

Antécédents et objet de l'appel

L'objet du litige et les circonstances de la cause ont été correctement relatés par les premiers juges dans leur décision non entreprise du 16 septembre 2013 à l'exposé desquels la cour se réfère.

1. Les parties ont conclu le 22 août 2002 un « contrat d'intermédiaire indépendant » par lequel la S.P.R.L. Grilax s'est vue confier un mandat rémunéré par la S.A. Fortis Banque (devenue S.A. BNP Paribas Fortis, en abrégé ci-après Fortis) pour l'exécution de diverses opérations afin de conserver et d'étendre la clientèle de celle-ci pour les produits bancaires et d'assurances.

Selon l'article 2, « Le secteur d'activité de l'agent (...) s'étend à la commune actuelle de Vivegnis. »

La convention est conclue pour une durée indéterminée et comporte une clause de non-concurrence.

Son article 20 prévoit les modalités de résiliation du contrat.

L'article 27 régit le droit de l'agent à une indemnité d'éviction et est libellé comme suit:

« 27.1. Après la cessation du contrat, l'agent a droit à une indemnité d'éviction pour l'apport de nouveaux clients ou pour le développement des affaires avec la clientèle existante, conformément à l'article 20 de la loi du 13 avril 1995.

27.2. Cette indemnité d'éviction représente la différence positive entre

27.2.1. La valeur de la clientèle existante au moment de la cessation de cette convention calculée comme indiqué au point 27.3. ci-après.

27.2.2. La valeur de la clientèle au moment de l'entrée en vigueur de la présente convention, mentionnée à l'article 34.

27.3. La valeur de la clientèle existante est déterminée comme suit:

27.3.1. Pour les produits assurances: 125% d'une année de commissions à venir calculés sur base des règles en application pour ces produits lors de la cessation d'activité.

27.3.2. Pour les produits bancaires: 75% d'une année de commissions calculés d'après la moyenne des commissions acquises durant les cinq dernières années, ou si la durée du contrat est inférieure à cinq ans, d'après la moyenne des années précédentes.

27.4. L'indemnité d'éviction n'est pas due lorsque la banque met fin au contrat pour manquement grave de l'agent.

27.5. L'indemnité d'éviction sera payée par la banque à l'agent dans un délai de trois mois à dater de la cessation d'activité, pour autant que les contrôles et autres vérifications de clôture n'aient fait apparaître aucune présomption grave d'anomalie qui pourrait laisser supposer un quelconque préjudice pour la banque. »

L'article 34 précise:

« La valeur de la clientèle du point de vente de Vivegnis au moment de l'entrée en vigueur de la présente convention est fixée à 56.466,58 EUR pour les produits bancaires et à 15.707,27 EUR pour les produits d'assurances, soit un montant total de 72.173,85 EUR. »

2. Le 16 février 2004, les parties signent un premier avenant par lequel « A partir du 5 février 2003, la banque confie à l'agent, qui accepte, la gestion de la clientèle de son point de vente (auparavant Générale de Banque) de Herstal-Basse-Campagne. »

Dorénavant, le secteur d'activité de l'agent « s'étend aux quartiers de Vivegnis (...) et de Basse-Campagne » (art. 3 de l'avenant).

Selon l'article 2 de cet avenant:

« L'article 27 du contrat d'intermédiaire indépendant est remplacé par le texte suivant:

'27.1. (idem que l'ancien texte)

27.2. Cette indemnité d'éviction représente la différence positive entre

27.2.1. La valeur de la clientèle existante au moment de la cessation de cette convention calculée comme indiqué au point 27.3. ci-après.

27.2.2. La valeur de la clientèle existante, mentionnée à l'article 34.

27.3. La valeur de la clientèle existante est déterminée comme suit:

27.3.1. Pour les produits assurances: 125% d'une année de commissions à venir calculés sur base des règles en application pour ces produits lors de la cessation d'activité.

27.3.2. Pour les produits bancaires: 75% d'une année de commissions calculés d'après la moyenne des commissions acquises durant les cinq dernières années, prenant cours au plus tôt le 5 février 2003. Si le délai couru depuis cette date est inférieur à 5 ans, le calcul est effectué d'après la moyenne des années précédentes étant entendu que dans ce cas, le montant doit être au moins égal à 75% d'une année de commissions calculés d'après la moyenne des commissions acquises durant les 5 dernières années ou à défaut depuis le début du contrat.

27.4. (idem que l'ancien texte)

27.5. (idem que l'ancien texte)

27.6. (sans intérêt)

27.7. (sans intérêt) » (nous soulignons).

Selon l'article 4 de l'avenant:

« L'article 34 du contrat d'intermédiaire indépendant précité est remplacé par le texte suivant:

La valeur de la clientèle du point de vente de Herstal-Basse-Campagne est fixée à 111.967,36 EUR pour les produits bancaires et à 26.061,61 EUR pour les produits d'assurance, soit un montant total de 138.028,97 EUR(...).

Cette somme représente pour les produits:


- bancaires ex A: 56.466,58 EUR
- assurances ex A: 15.707,27 EUR
- bancaires ex G: 55.500,78 EUR
- assurances ex G: 10.354,34 EUR. » (nous soulignons).

3. Le 7 août 2004, les parties signent un deuxième avenant qui a pour objet de rectifier une erreur qui s'est glissée dans le premier avenant: « la valeur du portefeuille assurances indiquée dans l'avenant précité est incorrecte. »

Par conséquent, « L'article 34 du contrat d'intermédiaire indépendant est remplacé par le texte suivant:

Article 34.

La valeur de la clientèle du point de vente de Herstal-Basse-Campagne au moment de l'entrée en vigueur de la présente convention est fixée à 111.967,36 pour les produits bancaires et à 21.911,03 EUR pour les produits d'assurances soit un montant total de 133.878,39 EUR (...)

La valeur de la clientèle du point de vente précité se décompose comme suit:

- 56.466,58 EUR pour les produits bancaires ex A;

- 15.707,27 EUR pour les produits assurances ex A;

- 55.500,78 EUR pour les produits bancaires ex G;

- 6.203,76 EUR pour les produits assurances ex G. » (nous soulignons).

4. Le 28 août 2008, les parties signent un troisième avenant en vertu duquel « A partir du 1er mai 2008, la banque confie à l'agent, qui accepte, la gestion de la clientèle de son point de vente de Herstal-La-Préalle.  »

Selon l'article 3 de cet avenant, « L'article 34 du contrat précité est complété comme suit:

La valeur de la clientèle du point de vente de 'Herstal-La-Préalle' a été établie à la date de sa reprise par l'agent, soit le 1er mai 200. Elle s'élève à 179.758,14 EUR (...) représentant la contrepartie du mandat conféré à l'agent par le contrat précité, dont:

- 130.989,71 EUR pour les produits bancaires;

- 48.859,43 EUR pour les produits d'assurances. » (nous soulignons).

5. Le 23 décembre 2008, les parties signent un quatrième avenant dans lequel il est constaté que « Le 11 juillet 2008, il a été mis fin aux activités d'agent indépendant de l'agent au point de vente de Herstal-Basse-Campagne. (...) A partir du 1er mai 2008, le secteur d'activité de l'agent (…) s'étend à la commune actuelle de Herstal quartier 'La Préalle'. »

Selon l'article 4 de cet avenant « L'article 34 du contrat précité est complété comme suit:

Dans le cadre de la fermeture, le 11 juillet 2008, du point de vente de Herstal-Basse-Campagne, géré par l'agent, les parties conviennent que dans les 6 mois à dater du jour de la fermeture, soit au plus tard le 11 janvier 2009, la valeur de la clientèle du point de vente de Herstal-La-Préalle sera réévaluée afin de déterminer l'importance du transfert de clients de Herstal-Basse-Campagne vers Herstal-La-Préalle.

Dès lors, il conviendra d'ajouter à la valeur de la clientèle du point de vente de Herstal-La-Préalle, telle que stipulée au présent article, la valeur de la clientèle transférée du point de vente de Herstal-Basse-Campagne vers le point de vente de Herstal-La-Préalle. » (nous soulignons).

6. Le 26 février 2009, les parties signent un cinquième avenant par lequel il est précisé que

« 1. Conformément à l'avenant n° 4 au contrat précité, la valeur de la clientèle du point de vente de Herstal-La-Préalle a été réévaluée. Elle s'élève à 303.164,48 EUR (...) représentant la contrepartie du mandat conféré à l'agent par le contrat précité, dont:

- 221.506,42 EUR pour les produits bancaires;

- 81.658,06 EUR pour les produits d'assurances.

2. Cette valeur est celle prise en considération pour la détermination - telle que stipulée à l'article 27 dudit contrat - du montant de l'indemnité d'éviction de Herstal-La-Préalle.(...) »

7. Le 24 juin 2011, les parties signent un document par lequel elles « décident de commun accord de mettre fin au contrat d'intermédiaire indépendant qui les lie et qui a été signé le 22 août 2002. Cette rupture prendra effet à la date du 30 juin 2011. »

8. Le 15 septembre 2011, Fortis notifie à la S.P.R.L. Grilax qu'elle n'a droit à aucune indemnité d'éviction « vu que la différence entre la valeur de la clientèle existante au moment de la cessation du contrat précité et la valeur de la clientèle du point de vente à la date de sa reprise par la S.P.R.L. Grilax est négative. A cet effet, nous vous renvoyons au décompte en annexe. »

9. Le 22 juin 2012, les appelants citent l'intimée devant le tribunal de commerce de Liège. Il est réclamé une indemnité compensatoire de préavis de 187.296,40 EUR, une indemnité d'éviction de 203.763,66 EUR et une indemnité complémentaire provisionnelle de 26.628,32 EUR.

10. Le 17 janvier 2013, D.M. et V.A. déposent chacun à toutes fins une requête en intervention volontaire répondant ainsi au moyen d'irrecevabilité de leur action soulevée par l'intimée.

11. Le 16 septembre 2013, le tribunal de commerce rend un premier jugement par lequel il reçoit les demandes, dit la demande de la S.P.R.L. Grilax en paiement d'une indemnité compensatoire de préavis et la demande de D.M. et V.A. de paiement d'une indemnité complémentaire non fondées; ordonne la réouverture des débats en ce qui concerne les demandes de la S.P.R.L. Grilax sur l'indemnité d'éviction et sur l'indemnité complémentaire; réserve à statuer sur les dépens.

Cette décision n'a pas été frappée d'appel.

12. Le 19 janvier 2015, le tribunal de commerce prononce un second jugement par lequel il dit non fondées les demandes de la S.P.R.L. Grilax et condamne celle-ci, ainsi que D.M. et V.A., « solidairement, l'un à défaut de l'autre » (jugement du 19 janvier 2015, p. 6, in fine) à payer à l'intimée l'indemnité de procédure de base de 7.700 EUR.

13. La S.P.R.L. Grilax, D.M. et V.A. sollicitent la réformation de la décision entreprise et la condamnation de la S.A. BNP Paribas Fortis à payer à la S.P.R.L. Grilax la somme provisionnelle de 228.975,29 EUR, à majorer des intérêts judiciaires depuis la citation introductive d'instance, ainsi que les dépens des deux instances liquidés à la somme totale de 15.911,47 EUR, dont deux indemnités de procédure de 7.700 EUR.

Subsidiairement, ils demandent que soit ordonnée une expertise « aux fins de déterminer l'indemnité d'éviction revenant à la S.P.R.L. Grilax, sur base des documents comptables internes de la banque, ventilant:

1. l'évaluation des produits d'assurance et des produits de banque;

2. la valeur réelle des accroissements successifs de la valeur de la clientèle des points de vente ».

L'intimée conclut à la confirmation du jugement dont appel, ajoutant que les demandes de D.M. et V.A. sont irrecevables pour défaut de qualité et d'intérêt en tant qu'elles seraient fondées sur la loi du 13 avril 1995 et celles de la S.P.R.L. Grilax non fondées. Elle postule la condamnation solidaire, in solidum ou l'un à défaut de l'autre des appelants aux dépens liquidés à deux indemnités de procédure de 7.700 EUR chacune. Elle sollicite que « l'arrêt à intervenir (soit) exécutoire par provision, nonobstant tous recours et sans caution et à l'exclusion de toute possibilité de cantonnement ».

Discussion
Recevabilité des demandes de D.M. et de V.A. et de leur appel

Selon la citation introductive d'instance, les demandes des appelants sont uniquement fondées sur la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale et il est uniquement question de sommes qui seraient dues à la S.P.R.L. Grilax.

Par le biais de leurs premières conclusions d'instance - répondant au moyen d'irrecevabilité soulevé à leur égard par l'intimée - D.M. et V.A. ont précisé qu'ils entendaient « revendiquer l'indemnisation d'un préjudice qui leur est personnel. C'est en cette qualité, et non en la qualité d'agent commercial qu'ils n'ont pas, qu'ils sont partie à la présente procédure. A toutes fins utiles (ils) ont également formé à cet effet intervention volontaire, par voie de requête, à la présente procédure » (leurs premières conclusions d'instance, p. 7, par. 6, 7 et 8: pièce 7 du dossier de la procédure).

En termes de requête en intervention volontaire, puis de conclusions subséquentes, ils ont effectivement réclamé la condamnation de l'intimée au paiement des cotisations sociales acquittées pour eux par la S.P.R.L. Grilax.

Par jugement du 16 septembre 2013, le tribunal de commerce autrement composé a dit les demandes recevables, la demande de D.M. et V.A. non fondée et a ordonné la réouverture des débats sur les demandes d'indemnité d'éviction et d'indemnité complémentaire de la S.P.R.L. Grilax.

Par ce jugement non entrepris, le tribunal de commerce a vidé sa saisine en ce qui concerne D.M. et V.A., hormis sur la question des dépens.

Il a été jugé définitivement que D.M. et V.A. avaient qualité et intérêt pour agir en la cause.

Même si les conclusions prises ultérieurement par les appelants mentionnent toujours les précités, la S.P.R.L. Grilax reste seule demanderesse, à l'exception des dépens.

Le jugement a quo a débouté la S.P.R.L. Grilax et l'a condamnée, ainsi que D.M. et V.A., « solidairement, l'un à défaut de l'autre » (jugement du 19 janvier 2015, p. 6, in fine) à payer à l'intimée l'indemnité de procédure de base de 7.700 EUR.

Qui de la recevabilité de leur appel?

Ceux-ci ont succombé dans leur demande vis-à-vis de l'intimée selon le jugement définitif du 16 septembre 2013 et sont donc condamnés aux dépens de l'instance, conformément à l'article 1017, alinéa 1er, du Code judiciaire par le jugement du 27 mars 2015, aux côtés de la S.P.R.L. Grilax.

Cette dernière décision leur cause grief et est donc susceptible d'appel.

L'appel de la S.P.R.L. Grilax

L'appel de la S.P.R.L. Grilax porte sur l'indemnité d'éviction et l'indemnité complémentaire que les premiers juges ne lui ont pas accordées.

1. L'indemnité d'éviction

L'article 27 du contrat d'intermédiaire indépendant, signé par les parties le 22 août 2002 dispose que:

« 27.1. Après la cessation du contrat, l'agent a droit à une indemnité d'éviction pour l'apport de nouveaux clients ou pour le développement des affaires avec la clientèle existante, conformément à l'article 20 de la loi du 13 avril 1995.

27.2. Cette indemnité d'éviction représente la différence positive entre

27.2.1. La valeur de la clientèle existante au moment de la cessation de cette convention calculée comme indiqué au point 27.3. ci-après.

27.2.2. La valeur de la clientèle au moment de l'entrée en vigueur de la présente convention, mentionnée à l'article 34.

27.3. La valeur de la clientèle existante est déterminée comme suit:

2.7.3.1. Pour les produits assurances: 125% d'une année de commissions à venir calculés sur base des règles en application pour ces produits lors de la cessation d'activité.

27.3.2. Pour les produits bancaires: 75% d'une année de commissions calculés d'après la moyenne des commissions acquises durant les cinq dernières années, ou si la durée du contrat est inférieure à cinq ans, d'après la moyenne des années précédentes.

27.4. L'indemnité d'éviction n'est pas due lorsque la banque met fin au contrat pour manquement grave de l'agent.

27.5. L'indemnité d'éviction sera payée par la banque à l'agent dans un délai de trois mois à dater de la cessation d'activité, pour autant que les contrôles et autres vérifications de clôture n'aient fait apparaître aucune présomption grave d'anomalie qui pourrait laisser supposer un quelconque préjudice pour la banque. »

Cette disposition n'est pas nulle pour contrariété aux dispositions impératives de la loi du 13 avril 1995 (d'application au présent litige nonobstant son abrogation par la loi du 2 avril 2014 qui a intégré ses dispositions dans le Livre X du Code de droit économique) pour autant que les règles qu'elle propose pour le calcul de l'indemnité d'éviction ne prive pas l'agent de tout ou partie de son droit à cette indemnité, laquelle est due selon l'article 20, alinéa 1er, de ladite loi, « lorsqu'il a apporté de nouveaux clients au commettant ou a développé sensiblement les affaires avec la clientèle existante, pour autant que cette activité doive encore procurer des avantages substantiels au commettant ».

Nous verrons qu'il n'en est rien.

Les parties ont pu librement convenir d'objectiver les critères pour la fixation de l'indemnité d'éviction, dès lors que la loi précitée est particulièrement laconique à cet égard puisqu'elle prévoit uniquement en son article 20, alinéa 3, que « Le montant de l'indemnité d'éviction est fixé en tenant compte tant de l'importance du développement des affaires que de l'apport de clientèle. »

Outre la convention du 22 août 2002, les parties ont signé pas moins de quatre avenants destinés à tenir compte des modifications du secteur d'activité concédé par Fortis à la S.P.R.L. Grilax (l'avenant n° 2 rectifiait de commun accord une erreur matérielle sur la valeur du portefeuille d'assurances).

Le jugement du 16 septembre 2013 a ordonné la réouverture des débats notamment « afin de:

- permettre à Fortis de justifier la manière dont la valeur de la clientèle a été calculée à chaque avenant en précisant la part de clientèle 'Fortis' et la part éventuelle de la clientèle revenant à Grilax;

- et, sur base des valeurs obtenues, de permettre aux parties de s'expliquer sur la validité des articles 27.2 et 27.3 de la convention d'intermédiaire indépendant au regard de l'article 20 de la loi sur le contrat d'agence » (jugement du 16 septembre 2013, p. II, par. 4).

dès lors que les premiers juges avaient considéré que « lors de l'ouverture de l'agence de Vivegnis et de son extension à Herstal-Basse-Campagne et de la fermeture de l'agence Herstal-Basse-Campagne et du transfert vers La-Préalle, il n'est pas exclu d'envisager que la S.P.R.L. Grilax a développé une clientèle qui l'a suivie lors de la fermeture du point de vente de Herstal-Basse Campagne. » (idem, p. 10, avant-dernier paragraphe).

Dans le cadre de la réouverture des débats, Fortis a produit un tableau reprenant l'évolution de la valorisation du portefeuille de la S.P.R.L. Grilax entre août 2006 et juin 2011 établi sur la base des bordereaux de commissions mensuels afférents à cette période et sur lequel nous reviendrons.

Dans la décision attaquée, après avoir rappelé les principes en matière d'indemnité d'éviction selon l'article 20 de la loi du 13 avril 1995 - principes qui ne sont pas discutés en l'espèce - les premiers juges ont estimé que la S.P.R.L. Grilax ne pouvait prétendre à une indemnité d'éviction dès lors qu'elle n'avait « pas augmenté sensiblement la valeur de la clientèle apportée par Fortis (ni) apporté de nouveaux clients » (jugement du 19 janvier 2015, p. 5, avant-dernier paragraphe). Et, « concernant la nullité des avenants au contrat d'intermédiaire indépendant (invoquée par la S.P.R.L. Grilax), il ressort clairement de l'évolution du chiffre d'affaires de la S.P.R.L. Grilax que l'adaptation de la valorisation de la clientèle dans les avenants successifs à la convention du 22 août 2002 résulte uniquement de la modification du territoire contractuel opérée par Fortis. L'adaptation opérée par Fortis correspond donc à la réalité et n'implique pas renonciation par la S.P.R.L. Grilax à une partie de l'indemnité d'éviction dont elle a droit » (idem, p. 6, par. 3 et 4).

Les premiers juges ont donc considéré que les explications et pièces complémentaires fournies par Fortis étaient suffisantes pour trancher le litige, nonobstant les termes du jugement ordonnant la réouverture des débats. Il n'y a pas de ce fait contradiction entre les deux décisions d'instance.

La S.P.R.L. Grilax reproche à Fortis d'avoir, dans son envoi du 15 septembre 2011, « (pris) erronément en considération, pour le calcul de l'indemnité d'éviction, la valeur du portefeuille au 1er mai 2008, en lieu et place de la valeur du portefeuille au 22 août 2002 (et) qu'une lecture littérale de la convention d'agence en ses diverses évolutions, ainsi que l'opère la partie adverse, revient de facto à supprimer le droit à l'indemnité d'éviction au cours des évolutions successives de la convention » (ses conclusions d'appel, p. 13, par. 3 et dernier).

La convention du 22 août 2002 et ses avenants sont clairs. Pour chaque nouveau secteur d'activité confié à l'agent, Fortis a indiqué quelle était la valeur de la clientèle apportée afférente à ce nouveau secteur:

- le 22 août 2002, à l'entrée en vigueur de la convention, la valeur de la clientèle du point de vente de Vivegnis est fixée à la somme de 72.173,85 EUR;

- le 16 février 2004, le premier avenant fixe la valeur de la clientèle du nouveau point de vente de Herstal-Basse-Campagne à 65.855,12 EUR, soit une valeur totale de la clientèle concédée à la S.P.R.L. Grilax de 138.028,97 EUR;

- le 7 août 2004, l'avenant n° 2 rectifie ce montant de commun accord à 133.878,39 EUR (soit à l'avantage de l'agent);

- le 28 août 2008, l'avenant n° 3 complète l'article 34 en indiquant que la valeur de la clientèle pour Herstal-La-Préalle est de 179.758,14 EUR, soit une valeur totale pour la clientèle confiée à l'agent de 313.636,53 EUR;

- le 23 décembre 2008, l'avenant n° 4 complète l'article 34, suite à la fermeture le 11 juillet 2008 du point de vente de Herstal-Basse-Campagne, en indiquant que dans les 6 mois, la valeur du point de vente de Herstal-La-Préalle sera réévaluée afin de déterminer l'importance du transfert de clients de Herstal-Basse-Campagne vers Herstal-La Préalle;

- le 26 février 2009, l'avenant n° 5 fixe la valeur de la clientèle du point de vente de Herstal-La-Préalle à 303.164,48 EUR (soit à l'avantage de l'agent).

C'est sur la base de ce dernier montant que Fortis considérera que la S.P.R.L. Grilax n'avait pas droit à une indemnité d'éviction puisqu'au 30 juin 2011, la valeur de la clientèle était de 268.520,27 EUR.

Il n'est indiqué nulle part dans chaque nouvel avenant que les parties procèdent à une quelconque adaptation de la valeur de la clientèle dont la S.P.R.L. Grilax disposait déjà au jour de l'entrée en vigueur de celui-ci.

La S.P.R.L. Grilax a signé les avenants sans réserve alors qu'elle ne pouvait ignorer qu'elle avait par ailleurs droit à une indemnité d'éviction conformément à l'article 20 de la loi du 13 avril 1995, puisque l'article 27.1. du contrat du 22 août 2002 y fait expressément référence.

La méthode de calcul de l'indemnité d'éviction figurant à l'article 27 de la convention et renvoyant à l'article 34 de celle-ci ne souffre d'aucune interprétation. La S.P.R.L. Grilax n'a pas pu se méprendre sur la portée de ses droits lorsqu'elle a conclu initialement avec Fortis puis lors de chaque modification du contrat.

Soutenir qu'il y aurait eu adaptation de la valeur de la clientèle ancienne à l'occasion de l'apport d'une nouvelle clientèle par Fortis afférente à un nouveau secteur d'activité concédé par cette dernière à son agent revient à prétendre que Fortis aurait sciemment gonflé artificiellement la valeur de la nouvelle clientèle apportée pour contourner les dispositions impératives de la loi du 13 avril 1995.

Cette allégation n'est nullement étayée.

A aucun moment, au cours des presque 10 années durant lesquelles les parties ont été liées contractuellement, la S.P.R.L. Grilax ne s'est plainte auprès de Fortis de la valorisation des clientèles successivement apportées par cette dernière au gré des modifications du secteur d'activité lui concédé, alors que Fortis a par contre exprimé son mécontentement à l'égard des performances de son agent, notamment par courrier du 25 février 2011 auquel, apparemment, la S.P.R.L. Grilax n'a pas réagi.

La S.P.R.L. Grilax est donc particulièrement mal fondée à mettre en doute aujourd'hui lesdites valorisations.

La S.P.R.L. Grilax disposait grâce à ses propres documents comptables, à ses listings clients et aux bordereaux de commissions établis par Fortis, des moyens nécessaires au contrôle de ses droits. Elle pouvait également, si nécessaire, s'informer auprès de Fortis. Force est de constater qu'elle n'a rien fait et est à présent bien en peine de contrecarrer les chiffres avancés par cette dernière.

Comme précisé ci-avant, Fortis a produit devant les premiers juges un tableau reprenant l'évolution de la valorisation du portefeuille de la S.P.R.L. Grilax entre août 2006 et juin 2011 établi sur la base des bordereaux de commissions mensuels afférents à cette période.

Ce tableau démontre:

- une très faible augmentation des chiffres de la S.P.R.L. Grilax d'août 2006 à avril 2008;

- le doublement de ces chiffres en juillet 2008 provenant non pas des efforts accrus de l'agent, mais de la concession du secteur d'activité de Herstal-La-Préalle et de la fermeture du point de vente de Herstal-Basse-Campagne;

- à partir de juillet 2008 jusqu'en juin 2011, une baisse constante des chiffres de la S.P.R.L. Grilax.

La S.P.R.L. Grilax critique les bordereaux dans la mesure où aucun détail de la valorisation n'est produit. La cour ne peut que renvoyer la S.P.R.L. Grilax à ce qu'elle a déjà précisé ci-dessus. Ces données lui ont été communiquées à tout le moins depuis 2005, sans la moindre réaction de sa part. Elle est donc malvenue de les critiquer à présent sans apporter le moindre commencement de preuve que celles-ci seraient erronées.

Quant à un éventuel aveu de Fortis concernant l'impossibilité de ventiler entre la part de la clientèle qui aurait été apportée par l'agent et la part de la clientèle qui aurait été apportée par la banque, la S.P.R.L. Grilax se méprend manifestement sur les propos tenus par l'intimée dans ses conclusions d'instance (conclusions de Fortis du 28 septembre 2015, p. 21) et sur leur portée.

En effet, lors de chaque avenant, la clientèle apportée par Fortis fait naturellement l'objet d'une évaluation qui lui est propre et qui figure dans celui-ci. Ensuite, cette nouvelle clientèle ne forme plus qu'un tout avec celle dont disposait déjà l'agent, qu'il s'agisse de la clientèle concédée précédemment par Fortis ou de celle développée par la S.P.R.L. Grilax. Ce n'est qu'à partir de ce stade que Fortis n'est plus en mesure d'opérer une ventilation.

Il n'est donc nullement question comme le soutient la S.P.R.L. Grilax d'un aveu de Fortis de ce « que les valorisations de clientèle reprise dans les avenants comportent une part attribuable à la S.P.R.L. Grilax » (ses conclusions d'appel, p. 23, par. 5).

La S.P.R.L. Grilax reproche également à Fortis de ne pas avoir déposé les chiffres antérieurs à 2005. Fortis précise que l'indication de la valeur de la clientèle n'apparaissait pas sur les bordereaux antérieurs. En toute hypothèse, ces chiffres sont inutiles au vu des considérations qui précèdent. Les avenants sont clairs et précisent avant 2005 la valeur de la clientèle afférente au nouveau secteur d'activité apporté par Fortis à son agent.

En outre, ainsi que l'ont rappelé les premiers juges, « l'activité de l'agent doit avoir procuré des avantages substantiels au commettant auquel la clientèle demeure fidèle. Cette deuxième condition implique une certaine constance de l'apport ou du développement des affaires et son respect doit être apprécié au moment où le contrat prend fin (Cass., 15 octobre 2008, C.07.0302.N, publié sur www.juridiat.be) (...) ce qui manifestement ne pourrait être le cas ici et ce, même si l'agent avait réalisé de bons chiffres entre 2002 et 2005 » (jugement a quo, pp. 3, avant-dernier paragraphe et 5, dernier paragraphe).

Au vu des éléments précités et des chiffres produits par Fortis, il y a lieu de considérer que celle-ci renverse valablement la présomption d'apport de clientèle prévue par l'article 20, alinéa 2, de la loi du 13 avril 1995 en raison de la clause de non-concurrence insérée dans la convention du 22 août 2002.

Par conséquent, c'est par de justes motifs que la cour fait siens et que n'énervent en rien les moyens développés en appel par la S.P.R.L. Grilax que les premiers juges ont dit sa demande d'indemnité d'éviction non fondée.

L'expertise sollicitée à titre subsidiaire par la S.P.R.L. Grilax est inutile puisqu'il ressort des constatations de la cour que les premiers juges ont fait une application exacte des documents contractuels et ont apprécié correctement les chiffres produits par Fortis.

2. L'indemnité complémentaire

Selon l'article 21 de la loi du 13 avril 1995, l'agent ne peut obtenir une indemnité complémentaire que pour autant qu'il « ait droit à l'indemnité d'éviction visée à l'article 20 ».

Dès lors qu'il a été jugé que la S.P.R.L. Grilax ne pouvait prétendre à l'indemnité d'éviction, sa demande d'indemnité complémentaire est non fondée.

Dépens

Fortis réclame la condamnation des appelants, solidairement, in solidum ou l'un à défaut de l'autre aux dépens d'appel liquidés à l'indemnité de procédure d'appel de 7.700 EUR.

D.M. et V.A. n'ont formulé à titre personnel aucune demande envers Fortis.

Il est uniquement précisé en termes de conclusions que « M. M. et Mme A., en leur qualité d'actionnaires de la S.P.R.L. Grilax soutiennent la demande de condamnation de la banque au profit de la société » (leurs conclusions d'appel, p. 35, par. 4).

Par conséquent, dès lors qu'ils ne succombent pas à l'égard de Fortis, ils ne peuvent être condamnés aux dépens envers celle-ci (Bruxelles, 3 mars 2010, J.L.M.B., p. 1564).

Exécution provisoire

Les arrêts sont de droit exécutoires en application de l'article 1118 du Code judiciaire, sauf dans les cas exceptionnels prévus par la loi qui ne se rencontrent pas ici.

(...)