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[Swap d’intérêts] IRS : quelques balises d'orientation, R.D.C.-T.B.H., 2017/10, p. 1129-1131

INSTITUTION ET INTERMÉDIAIRES FINANCIERS
Gestion de fortune et conseiller en placements - Swap de taux d'interets (IRS) - MiFID - Conseil en investissement - « Suitability test » - Preuve
Le client qui a pris l'initiative de demander à sa banque un swap d'intérêts (IRS), qui en a décrit par e-mail le fonctionnement et qui en a payé sans réserve la première échéance, ne peut soutenir qu'il a été victime d'une erreur sur la substance, au sens de l'article 1110 du Code civil.
Si la banque fournit un conseil en investissement relativement à un IRS, elle n'est pas tenue de procéder au « suitability test » imposé par l'article 27, § 2, de la loi du 2 août 2002 (transposant la directive MiFID en droit belge) si elle dispose déjà des informations nécessaires pour vérifier le caractère approprié de l'investissement, notamment quant à la connaissance et l'expérience du client.
FINANCIËLE INSTELLINGEN EN TUSSENPERSONEN
Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs - “Intrest rate swaps” (IRS) - MiFID - Beleggingsadvies - “Suitability test” - Bewijs
De klant die het initiatief genomen heeft een intrest rate swapcontract (IRS) aan zijn bank te vragen, die de werking ervan, in een e-mail, beschreven heeft en die bij eerste vervaldag ervan betaalde zonder voorbehoud, kan niet beweren dat hij het slachtoffer was van een substantiële dwaling, in de zin van artikel 1110 van het Burgerlijk Wetboek.
Indien de bank beleggingsadvies verstrekt met betrekking tot een IRS, is zij er niet toe gehouden de “geschiktheidstest” die wordt opgelegd door artikel 27, § 2 van de wet van 2 augustus 2002 (omzetting van MiFID in Belgisch recht), uit te voeren indien zij reeds de nodige informatie heeft om de geschiktheid van de investering te controleren, in het bijzonder wat de kennis en ervaring van de klant betreft.
IRS: quelques balises d'orientation

1.La décision dont appel est publiée dans la présente revue [1]. Le résultat est radicalement différent, le jugement du tribunal de commerce étant intégralement mis à néant.

2.Les faits de la cause sont connus: une société exploitant une maison de repos a l'intention d'acquérir un immeuble en vue d'agrandir les lieux de son activité. A cet effet, elle va d'une part souscrire un swap d'intérêts, ci-après un IRS, et d'autre part, quelques jours plus tard, un crédit à taux variable.

Ayant finalement renoncé à son projet immobilier, la société va faire part à la banque de son intention de maintenir l'IRS.

Après avoir payé la première échéance trimestrielle - sur laquelle elle émettra par la suite des réserves - la société cherche à remettre en cause l'IRS devenu défavorable à la suite de la chute des taux d'intérêt à la suite de la crise dite financière de 2008.

La Cour relève deux éléments complémentaires: (a) deux ans avant la conclusion de l'IRS litigieux, la maison de repos avait mis des banques en concurrence pour la souscription d'un IRS et une banque autre que celle concernée par le présent litige avait emporté le contrat et (b) un peu plus d'un an après la conclusion de l'IRS litigieux, la maison de repos avait rempli un test de profil et d'opportunité duquel il résulte qu'elle avait une compréhension des mécanismes des produits liés aux taux d'intérêt d'un « niveau complexité 2 » sur 3.

On sait que le Tribunal de commerce de Bruxelles avait fait droit à la demande de la maison de repos et avait annulé l'IRS au titre de sanction d'un manquement à l'article 27, § 4, de la loi du 2 août 2002 au motif qu'en se prévalant un disclaimer précisant que la banque « vous a informé que l'information que vous avez fournie n'est pas suffisante pour déterminer si cette transaction était appropriée pour vous », la banque avait revendiqué ne pas avoir recueilli l'information, requise par l'alinéa 1er dudit article.

Sur la base d'une appréciation in concreto, la Cour va au contraire décider que toutes les diligences requises par l'article 24, § 4, de la loi du 2 août 2002 avaient été accomplies [2].

3.Tout comme le premier juge, la Cour d'appel a décidé que même si un IRS est souscrit en couverture d'un crédit à taux variable, il s'agit d'un produit distinct qui est soumis à ses règles propres.

En conséquence, il peut y avoir, à cette occasion, un conseil en investissement.

4.Un IRS ou un swap de taux d'intérêt [3], qu'il soit un instrument de couverture ou un instrument spéculatif [4], est un instrument financier au sens de l'article 2, 1°, d) [5], de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers [6].

Le fait qu'il soit contracté à l'occasion d'un contrat de crédit ne change rien quant à sa nature. Partant, sauf législation particulière, les obligations qui pèsent sur l'intermédiaire à l'occasion de la conclusion d'un tel contrat demeurent les mêmes.

On ne saurait cependant déduire du fait que l'IRS soit conclu à l'occasion d'un contrat de crédit le cas échéant avec une PME que nécessairement, la banque a donné un conseil en investissement.

5.En l'espèce, la Cour a estimé qu'il y avait un conseil, c'est-à-dire une recommandation personnalisée donnée à un client en ce qui concerne une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers.

La recommandation doit selon la cour, être entendue dans son sens usuel, à savoir celui contenu dans les dictionnaires de langue française.

S'agissant d'un texte d'origine européenne, il convient de lui donner une signification « européenne ». La Cour de justice de l'Union européenne a eu l'occasion de préciser, à propos d'un IRS, que la banque a donné un conseil en investissement du « fait de proposer un contrat d'échange à un client afin de couvrir le risque de variation du taux d'intérêt d'un produit financier que ce client a souscrit » [7], pourvu que cette proposition soit personnalisée [8].

La notion de recommandation ainsi retenue par la Cour de justice est donc large mais suppose une « implication » de la banque. A peine de priver cette notion de tout sens, on ne peut considérer que toute réponse apportée à une demande d'un client est une recommandation [9]. A titre exemplatif, lorsque le client détermine les caractéristiques essentielles de l'IRS qu'il entend acquérir, le fait pour la banque de proposer l'IRS répondant à ces caractéristiques, ne paraît pas pouvoir être qualifié de recommandation.

La Cour de justice invite d'ailleurs à procéder à un examen individuel de chaque situation en soulignant que ce qui est déterminant ce n'est pas le produit financier mais « la manière dont ce dernier est proposé au client ou au client potentiel » [10].

6.Il faut enfin relever que la directive d'exécution n° 2006/73 du 10 août 2006 prévoyait une exception au caractère personnalisé de la recommandation si elle était exclusivement diffusée par des canaux de distribution ou destinée au public.

Cette exception avait été reprise à l'article 46, 10°, de la loi du 6 avril 1995 et est aujourd'hui reprise à l'article 2, 10° de relative à l'accès à l'activité de prestation de services d'investissement et au statut et au contrôle des sociétés de gestion de portefeuille et de conseil en investissement du 25 octobre 2016.

Dans son rapport final du 19 décembre 2014, l'Esma préconisait de supprimer cette exception.

Le 14e considérant du règlement délégué n° 2017/565 [11] confirme cette évolution: « Les conseils en matière d'instruments financiers donnés au grand public ne doivent pas être considérés comme une recommandation personnalisée aux fins de la définition du 'conseil en investissement' figurant dans la directive 2014/65/UE. Eu égard au nombre croissant d'intermédiaires fournissant des recommandations personnalisées par le biais de canaux de distribution, il convient de préciser qu'une recommandation publiée, même de façon exclusive, par le biais de canaux de distribution, tels qu'internet, peut être considérée comme une recommandation personnalisée. Par conséquent, le fait d'utiliser, par exemple, une correspondance par courriel pour fournir des recommandations personnalisées à une personne spécifique, plutôt que pour adresser des informations au public en g­énéral, peut être considéré comme un conseil en investissement. » Autrement dit, le mode de diffusion de la recommandation n'est pas déterminant pour savoir si elle est ou non personnalisée. Il faut mais il suffit que la recommandation soit « présentée comme adaptée à cette personne, ou fondée sur l'examen de la situation propre à cette personne, et recommande une action relevant des catégories » [12] visées dans le règlement délégué. Inversement, si elle est destinée exclusivement au public, la recommandation n'est pas personnalisée.

7.Lorsqu'un conseil en investissement est donné, la banque est tenue d'effectuer le test d'adéquation requis par l'article 27, § 4, de la loi du 2 août 2002. Elle doit donc se procurer « auprès du client ou du client potentiel les informations nécessaires concernant ses connaissances et son expérience en matière d'investissement en rapport avec le type spécifique de produit ou de service, sa situation financière et ses objectifs d'investissement, de manière à pouvoir lui recommander les services d'investissement et les instruments financiers adéquats ou de lui fournir les services de gestion de portefeuille adéquats ».

Le plus simple est bien entendu pour la banque d'établir un profil « formel », de le faire signer par le client, et de l'archiver scrupuleusement.

Il est cependant des cas où, comme en l'espèce, ce profil « formel » n'a pas été dressé ou encore n'a pas été conservé, alors que cependant la banque détenait toutes les informations requises pour effectuer la recommandation adéquate.

Dans de telles situations, la jurisprudence estime qu'il n'y pas nécessairement une faute pour autant bien entendu qu'il soit établi que la banque disposait de toutes les informations requises par la loi lui permettant d'apprécier le caractère adéquat du produit proposé [13].

L'arrêt commenté s'inscrit dans la ligne de cette jurisprudence et doit être approuvé dans son principe. Elle a encore été récemment confirmée dans 2 arrêts récents de la Cour d'appel de Bruxelles [14].

On rappellera enfin que la directive n° 2014/65 MiFID II prévoit que « Lorsqu'elle fournit des conseils en investissement, l'entreprise d'investissement remet au client, avant que la transaction ne soit effectuée, une déclaration d'adéquation sur un support durable précisant les conseils prodigués et de quelle manière ceux-ci répondent aux préférences, aux objectifs et aux autres caractéristiques du client de détail. » Ce document peut néanmoins être remis, à certaines conditions, après l'exécution de la transaction, lorsque l'ordre d'achat ou de vente est donné en utilisant un moyen de communication à distance.

L'absence d'un tel document ne permet cependant pas de conclure à ce que nécessairement, le test d'adéquation n'a pas été réalisé.

8.Il faut enfin relever que la cour s'appuie sur le caractère autonome du contrat d'IRS pour écarter l'existence d'un abus de droit. Ce caractère implique en effet que l'IRS puisse naître et être exécuté indépendamment de tout autre contrat [15].

Bien entendu, les parties pourraient décider de lier l'IRS à un contrat de crédit déterminé en sorte que la disparition de ce dernier aurait un impact sur le premier.

La Cour a cependant constaté que tel n'était pas le cas en l'espèce.

André-Pierre André-Dumont

Avocat, Maître de conférences à l'U.C.L.

[1] Comm. Bruxelles, 22 novembre 2012, R.D.C., 2016, p. 259, note B. Caulier, « Swap d'intérêt (IRS) et sanction des normes de comportement de MiFID ».
[2] L'arrêt ne fait par ailleurs pas état du disclaimer ayant servi de fondement à la décision du premier juge.
[3] Un swap de taux d'intérêt est « un contrat engageant deux parties, au terme duquel l'une des parties paie un flux financier représentatif d'intérêts à taux fixe et reçoit un flux d'intérêt à taux variable; l'autre partie payant évidemment le flux d'intérêts à taux variable et recevant le flux d'intérêt à taux fixe » (P.-A. Boulat et P.-Y. Chabert, Les swaps. Technique contractuelle et régime juridique, Paris, Masson, 1992, p. 14). Suivant la Cour de justice: « Par ces contrats, les parties s'engagent réciproquement à verser à l'autre partie la différence entre les montants résultant de l'application des taux d'intérêts convenus dans différentes hypothèses. En vertu desdits contrats, si le taux d'intérêt Euribor mensuel est inférieur au taux fixe ainsi convenu, le client doit payer la différence qui en résulte à la banque et si, au contraire, le taux d'intérêt Euribor dépasse le taux fixe convenu, la banque doit payer la différence au client. » (C.J.U.E., 30 mai 2013, C-604/11).
[4] Sur les différents « usages » d'un IRS, voy. J. Sad, « Les swaps de taux d'intérêts: cinq ans de jurisprudence », D.B.F., 2015/6, p. 378, nos 7 et 8.
[5] Cet article prévoit en effet que sont des instruments financiers « les contrats d'option, contrats à terme ferme (futurs), contrats d'échange, accords de taux futurs et tous autres contrats dérivés relatifs à des valeurs mobilières, des monnaies et des taux d'intérêt (…) ».
[6] Voy. J. Sad, « Les swaps de taux d'intérêts: cinq ans de jurisprudence », D.B.F., 2015/6, p. 383, n° 15; C. Alter et L. Van Muylem, « Contrats de couverture et swap de taux d'intérêts (IRS): les vestiges de pratiques bancaires révolues », in Liber amicorum F. Glansdroff et P. Legros, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 58, n° 12.
[7] C.J.U.E., 30 mai 2013, C-604/11, n° 49.
[8] La personnalisation ne semblait pas faire l'objet de débats en l'espèce.
[9] B. Caulier, « Swap d'intérêt (IRS) et sanction des normes de comportement de MiFID » (note sous Comm. Bruxelles, 22 novembre 2012), R.D.C., 2016, p. 264, n° 5.
[10] C.J.U.E., 30 mai 2013, C-604/11; C. Alter et L. Van Muylem, « Contrats de couverture et swap de taux d'intérêts (IRS): les vestiges de pratiques bancaires révolues », in Liber amicorum F. Glansdroff et P. Legros, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 60, n° 15.
[11] Règlement délégué de la Commission du 25 avril 2016 complétant la directive n° 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences organisationnelles et les conditions d'exercice applicables aux entreprises d'investissement et la définition de certains termes aux fins de ladite directive.
[12] Art. 9 du règlement délégué.
[13] J. Sad, « Les swaps de taux d'intérêts. Cinq ans de jurisprudence », D.B.F., 2015/6, p. 388, n° 24; Comm. Bruxelles, 24 avril 2014, A/12/08167, inédit; Bruxelles, 12 septembre 2014, 2012/AR/2142, inédit; Comm. Bruxelles, 13 mai 2013, J.T., 2013, p. 480; Bruxelles, 30 septembre 2013, R.D.C., 2015, p. 213; Comm. Bruxelles, 9 février 2011, J.T., 2011, p. 400.
[14] Bruxelles, 23 mars 2017, 2011/AR/1227, inédit; Bruxelles, 23 mars 2017, 2011/AR/1228, inédit.
[15] O. Stevens, « Interest rate swaps: autonoom en aleatoir » (note sous Comm. Bruxelles, 24 avril 2014), R.D.C., 2016, p. 274, nos 6 et 7; J. Sad, « Les swaps de taux d'intérêts: cinq ans de jurisprudence », D.B.F., 2015/6, p. 386, n° 21.