Article

Cour d'appel Bruxelles, 15/01/2016, R.D.C.-T.B.H., 2017/10, p. 1120-1129

Cour d'appel de Bruxelles 15 janvier 2016

INSTITUTION ET INTERMÉDIAIRES FINANCIERS
Gestion de fortune et conseiller en placements - Swap de taux d'interets (IRS) - MiFID - Conseil en investissement - « Suitability test » - Preuve
Le client qui a pris l'initiative de demander à sa banque un swap d'intérêts (IRS), qui en a décrit par e-mail le fonctionnement et qui en a payé sans réserve la première échéance, ne peut soutenir qu'il a été victime d'une erreur sur la substance, au sens de l'article 1110 du Code civil.
Si la banque fournit un conseil en investissement relativement à un IRS, elle n'est pas tenue de procéder au « suitability test » imposé par l'article 27, § 2, de la loi du 2 août 2002 (transposant la directive MiFID en droit belge) si elle dispose déjà des informations nécessaires pour vérifier le caractère approprié de l'investissement, notamment quant à la connaissance et l'expérience du client.
FINANCIËLE INSTELLINGEN EN TUSSENPERSONEN
Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs - “Intrest rate swaps” (IRS) - MiFID - Beleggingsadvies - “Suitability test” - Bewijs
De klant die het initiatief genomen heeft een intrest rate swapcontract (IRS) aan zijn bank te vragen, die de werking ervan, in een e-mail, beschreven heeft en die bij eerste vervaldag ervan betaalde zonder voorbehoud, kan niet beweren dat hij het slachtoffer was van een substantiële dwaling, in de zin van artikel 1110 van het Burgerlijk Wetboek.
Indien de bank beleggingsadvies verstrekt met betrekking tot een IRS, is zij er niet toe gehouden de “geschiktheidstest” die wordt opgelegd door artikel 27, § 2 van de wet van 2 augustus 2002 (omzetting van MiFID in Belgisch recht), uit te voeren indien zij reeds de nodige informatie heeft om de geschiktheid van de investering te controleren, in het bijzonder wat de kennis en ervaring van de klant betreft.

S.A. CBC Banque / S.A. Maison de repos La Passerinette

Siég.: Y. Demanche (conseiller)
Pl.: Mes P.-A. Foriers et Frankignoul loco L. Orban
Affaire: 2013/AR/296
I. La décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 22 novembre 2012.

Les parties ne produisent pas d'acte de signification de ce jugement.

II. La procédure devant la cour

La S.A. CBC Banque a déposé sa requête d'appel au greffe de la cour, le 13 février 2013.

L'appel, régulier en la forme, et interjeté dans le délai légal, est - partant - recevable.

La procédure est contradictoire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Les faits et antécédents de la cause

N.B.: Quand il sera fait référence aux conclusions et pièces des dossiers des parties, par facilité, il sera mentionné « A » pour la partie appelante et « I » pour la partie intimée.

1. Les faits de la cause ont été adéquatement relatés par le premier juge et la cour se réfère à l'exposé qu'il en a fait, et qu'elle fait sien.

« La S.A. La maison de repos La Passerinette exploite une maison de repos;

En septembre 2007, elle a formé le projet d'acheter un immeuble afin d'agrandir ses installations;

Le 18 mars 2008, elle a conclu avec la CBC Banque, un contrat IRS (Interest Rate Swap), avant de conclure le 31 mars 2008 un contrat de crédit prévoyant d'une part un crédit d'investissement de 300.000 EUR, et d'autre part une ligne de crédit 'roll over' de 2.330.000 EUR;

Le 9 avril 2008, les parties ont signé les conditions générales (convention-cadre ISDA) régissant le contrat IRS;

Il était convenu entre parties que le contrat IRS entrerait en vigueur le 15 mai 2010 pour une durée de 15 ans; La première échéance de remboursement du contrat de crédit 'roll over' était également fixée au 15 mai 2010;

L'opération immobilière projetée par La Passerinette n'a en définitive pas été réalisée; les conditions suspensives affectant la convention de crédit n'ayant pas été satisfaites, la défenderesse a renoncé aux contrats d'investissement et de 'roll over';

Cette renonciation a été confirmée par un courriel de La Passerinette du 19 mars 2010;

Dans ce même courriel, elle a écrit ce qui suit:

'Concernant la couverture propriétaire et que cette couverture de taux pourrait être utilisée pour une autre opération financière, quelle que soit l'institution bancaire?

Si j'ai bien compris le mécanisme de ce produit, la situation serait ainsi:

Tant que nous en sommes propriétaire, nous devons trimestriellement payer une somme correspondant à la différence entre le taux couvert et le taux 'euribor', Merci de me confirmer ces points.

Bien à vous.'

Cette confirmation a été donnée par CBC Banque par lettre du 25 mars 2010 en ces termes:

'(…) Nous comprenons de votre mail que vous désirez maintenir cette opération indépendamment de la suppression du contrat de crédit qu'il devait couvrir. Ce faisant, les termes du contrat d'échange de taux resteront d'application comme vous le synthétisez dans votre mail susmentionné. (…)'

En août 2010, la première échéance trimestrielle du contrat IRS, d'un montant de 22.775,56 EUR, est venue à échéance et a été payée sans discussion par La Passerinette;

Ensuite, par courrier du 17 septembre 2010, le conseil de La Passerinette émettra des réserves quant à ce paiement;

Les parties ont par la suite échangé plusieurs courriers, La Passerinette soutenant qu'elle devrait être déliée sans frais du contrat IRS, tandis que la CBC Banque en a réclamé l'exécution;

Aucune solution amiable ne pouvant être trouvée, la cause a été introduite par procès-verbal de comparution volontaire daté du 9 juin 2011;

Dans l'attente du jugement, La Passerinette a repris ses paiements des échéances trimestrielles, tout en faisant valoir qu'elle effectuait les paiements sans reconnaissance préjudiciable. »

2. Il y a lieu de préciser qu'en 2006, l'intimée avait déjà contacté CBC en vue du même type d'opération (crédit roll over et swap IRS) mais que les contrats avaient été emportés par ING à la suite d'une légère différence de taux en sa faveur sur le swap. C'est ainsi qu'au 3 juin 2013, l'intimée disposait auprès de cette banque de crédits roll over pour 825.000,01 EUR et 720.000 EUR.

Il y a lieu de préciser aussi que le 2 août 2009, un test de profil et d'opportunité a été rempli par l'intimée qui précise qu'en ce qui concerne les devises et marchés monétaires, sa compréhension des mécanismes des produits liés aux taux d'intérêts est d'un niveau « complexité 2 » sur 3.

3. Devant le premier juge et ainsi que relaté par lui:

« Au terme de ses dernières conclusions, la CBC Banque poursuit la condamnation de La Passerinette à exécuter le contrat IRS conclu entre parties le 18 mars 2008;

Elle demande en outre la condamnation de La Passerinette aux dépens et un jugement exécutoire;

Sur reconvention, La Passerinette demande que l'annulation de la convention IRS du 18 mars 2008 soit prononcée;

Elle postule également la condamnation de la CBC Banque à lui rembourser la somme de 1 EUR provisionnel, à majorer des intérêts;

Elle demande enfin le paiement des dépens et le renvoi de la cause au rôle pour le surplus. »

4. Par le jugement entrepris, le premier juge:

« Reçoit les demandes, dit la demande reconventionnelle seule fondée et en conséquence,

déboute la S.A. CBC Banque de sa demande,

Condamne la S.A. CBC Banque à rembourser à la S.A. Maison de repos La Passerinette la somme de 1 EUR provisionnel, à majorer des intérêts de retard au taux interbancaire EURIBOR 3 mois, majoré de 1%.

Condamne la S.A. CBC Banque aux dépens, liquidés pour la S.A. Maison de repos La Passerinette à la somme de 1.320 EUR;

Renvoie la cause au rôle pour le surplus. »

5. Devant la cour:

- CBC Banque demande de:

« Déclarer l'appel interjeté par la concluante recevable et fondé et, en conséquence,

condamner la partie intimée à exécuter le contrat IRS conclu par les parties le 18 mars 2008;

Condamner la partie intimée aux dépens de l'instance, en ce compris l'indemnité de procédure. »

- La Passerinette demande de:

« Confirmer la décision entreprise;

Renvoyer l'affaire au rôle pour le surplus, notamment quant au montant définitif que CBC doit rembourser à La Passerinette, et quant aux dépens. »

IV. Discussion

6. Les parties invoquent les moyens suivants:

1er moyen: il n'y a pas eu de conseil en investissement dans le chef de la CBC mais seulement des conseils donnés en tant que dispensateur de crédit, de telle sorte que la directive MiFID et corrélativement la loi du 2 août 2002 et l'A.R. du 23 juin 2007 ne sont pas d'application;

2e moyen: CBC n'a pas respecté son devoir d'information;

3e moyen: elle n'a pas réalisé de test d'adéquation de telle sorte que le contrat IRS est nul;

4e moyen: il y a eu vice de consentement de la part de l'intimée;

5e moyen: il y a abus de droit de la part de la CBC.

A. A titre préliminaire
1. Notion de crédit roll over

7. Le crédit « roll over » constitue « une forme de crédit à moyen ou à long terme qui peut être prélevé sous forme d'avances successives à court terme et lors duquel le prêteur s'est déjà engagé contractuellement à octroyer les avances. De cette façon, le crédit est mis à la disposition de l'entreprise sous forme des prêts successifs à court terme (straight loans ou avances) dont les modalités de ces avances futures sont déjà fixées lors de la conclusion du contrat de crédit et ne nécessitent pas des négociations supplémentaires » (Commission des Normes Comptables du 7 novembre 2012 - CNC 2012/16, p. 1, pièce A, doctrine 2.5).

CBC relève que ce type de crédit permet des remboursements anticipés (en principe sans frais) et des reprises d'encours très utiles à un emprunteur qui dispose d'une capacité de remboursement variable. L'emprunteur peut effectuer des prélèvements adaptés à ces besoins de liquidités et les intérêts ne sont comptabilisés que sur les sommes prélevées, seule une commission de réservation étant prélevée sur la partie inutilisée du crédit.

La contrepartie de cette flexibilité d'utilisation et de remboursement est que ce crédit « roll over » est nécessairement soumis à un taux variable qui se détermine lors des prélèvements.

Le taux utilisé en l'espèce est le taux Euribor (« Euro interbank offered rate » soit en français le taux interbancaire offert en euro) comme taux de base et un surplus contractuellement fixé.

2. Notion d'IRS

8. « Un IRS (Interest Rate Swap) ou 'contrat d'échange de taux d'intérêt' est un produit dérivé dans lequel deux contreparties s'engagent mutuellement à se verser des flux financiers calculés sur un montant notionnel, pendant une durée déterminée, suivant une fréquence déterminée et sur la base d'un calcul calendaire.

[Comme en l'espèce], le contrat litigieux offre une couverture des taux d'intérêts à 3 mois, en permettant à un emprunteur à taux variable d'avoir une certaine prévisibilité - et donc une limitation des risques qu'il prend - quant à l'incidence d'une éventuelle future hausse des taux d'intérêts à terme sur les mensualités qu'il pourrait payer à ses créanciers.

Le client peut être un débiteur (contrat de crédit) qui veut se couvrir d'une éventuelle hausse des taux de son crédit en concluant, un contrat de couverture des taux. (...)

Le risque principal de cet instrument financier de couverture réside dans une forte baisse des taux d'intérêts à court terme, ce qui engendre le paiement de la différence entre le taux d'intérêts du moment convenu [ici, Euribor à 3 mois + 0,60%] et [ici, le taux de 5,15%].

En revanche, la souscription d'un instrument de couverture de taux recèle plusieurs avantages pour toute société empruntant à taux variable.

Ce mécanisme a pour effet de pouvoir budgétiser les échéances à payer dans le cadre des crédits en cours et donc de se prémunir contre une hausse des taux d'intérêts en garantissant un taux d'emprunt maximum convenu par les parties » (Bruxelles (9e B), 12 septembre 2014, 2012/AR/2142, Barth / ING Belgique, inédit).

3. Conséquences

9. Un contrat IRS, associé à un crédit à taux variable de type roll over, permet à l'emprunteur de se couvrir contre une hausse des taux.

En associant un crédit roll over à taux variable à un contrat IRS, l'emprunteur transforme donc l'opération de crédit en une opération à taux fixe tout en conservant la souplesse du crédit « roll over ».

En cas de baisse durable des taux d'intérêt, l'entreprise demeure tenue par son taux fixe et aura éventuellement la possibilité de mettre fin au contrat de swap contre le paiement d'une indemnité et de revenir à une structure d'endettement à taux variable (Commission des Normes Comptables du 5 octobre 2011 - CNC 2012/16, p. 1, pièce A. doctrine 2.4).

10. Il a par ailleurs été acté à l'audience du 11 décembre 2015 que l'intention commune des parties avait été de faire coïncider le taux du crédit roll over et le taux variable du crédit IRS, soit en définitive le taux Euribor + 0,60%.

11. Certes l'intimée conclut amplement sur le fait qu'en réalité le contrat roll over ne spécifie nullement ce taux car le contrat spécifie seulement que le taux variable du crédit sera fixé 2 jours bancaires ouvrables avant le début de chaque période d'utilisation en fonction des conditions du marché en vigueur à ce moment et que c'est par le fait d'une décision unilatérale du comité permanent de CBC du 26 février 2008 qu'il a été fixé à 60pb (60 points de base, soit 0,60%).

Ces considérations sont sans réelle pertinence puisque par l'exécution qui a été donnée au contrat roll over, il est acquis que c'est bien ce taux qui est d'application et qu'en toute hypothèse, même s'il s'avérait différent, il était dans la commune intention des parties de faire coïncider le taux du contrat IRS avec celui du roll over et que l'objet du litige n'est pas cet élément mais les tenants et aboutissants du contrat IRS.

1er moyen: il n'y a pas eu de conseil en investissement dans le chef de la CBC mais seulement des conseils donnés en tant que dispensateur de crédit, de telle sorte que la directive MiFID et corrélativement la loi du 2 août 2002 et l'A.R. du 23 juin 2007 ne sont pas d'application
a. Le cadre législatif

12. Les dispositions légales et réglementaires sont les suivantes:

- L'article 27de la loi du 2 août 2002 (en vigueur à l'époque) dispose que:

(…)

§ 4. Lorsqu'elle fournit du conseil en investissement ou des services de gestion de portefeuille, l'entreprise réglementée se procure auprès du client ou du client potentiel les informations nécessaires concernant ses connaissances et son expérience en matière d'investissement en rapport avec le type spécifique de produit ou de service, sa situation financière et ses objectifs d'investissement, de manière à pouvoir lui recommander les services d'investissement et les instruments financiers adéquats ou de lui fournir les services de gestion de portefeuille adéquats.

Dans les cas où une entreprise réglementée fournissant un service d'investissement relevant du conseil en investissement ou de la gestion de portefeuille n'obtient pas l'information requise en vertu de l'alinéa 1er, elle s'abstient de recommander au client ou client potentiel concerné des services d'investissement ou des instruments financiers et de lui fournir des services de gestion de portefeuille.

(...)

§ 9. Dans les cas où un service d'investissement est proposé dans le cadre d'un produit financier qui est déjà soumis à d'autres dispositions de la législation communautaire ou à des normes communes européennes relatives aux établissements de crédit et aux crédits à la consommation concernant l'évaluation des risques des clients et/ou les exigences en matière d'information, ce service n'est pas en plus soumis aux obligations énoncées dans le présent article.

- L'arrêté royal du 3 juin 2007 dispose que:

Article 8, § 1er. Les entreprises réglementées veillent à ce que toute l'information, y compris publicitaire, qu'elles adressent à des clients de détail existants ou potentiels, ou qu'elles diffusent de telle sorte qu'elle parviendra probablement à de tels destinataires, remplisse les conditions énumérées aux § 2 à 8.

§ 2. L'information visée au § 1er inclut le nom de l'entreprise réglementée. Elle doit être exacte et s'abstenir en particulier de mettre l'accent sur les avantages potentiels d'un service d'investissement ou d'un instrument financier sans indiquer aussi, correctement et de façon bien visible, les risques éventuels correspondants. Elle doit être suffisante et présentée d'une manière qui soit compréhensible par un membre moyen du groupe auquel elle s'adresse ou auquel il est probable qu'elle parvienne.

Elle ne doit ni travestir, ni minimiser, ni occulter certains éléments, déclarations ou avertissements importants.

Article 10, § 1er. Les entreprises réglementées fournissent les informations énumérées ci-après aux clients de détail existants et potentiels en temps voulu, soit avant qu'ils ne soient liés par un contrat de prestation de services d'investissement ou de services auxiliaires, soit avant la prestation de tels services si cette prestation précède la conclusion d'un tel contrat (...)

§ 2. Les entreprises réglementées fournissent aux clients de détail existants et potentiels, en temps voulu avant la prestation des services d'investissement ou auxiliaires, les informations à communiquer (...)

§ 4. L'information visée aux § 1er à 3 est fournie sur un support durable ou par le truchement d'un site web (dans les cas où il ne s'agit pas d'un support durable), pour autant que les conditions énoncées à l'article 5, § 3, soient remplies.

Article 12, § 1er. Les entreprises réglementées fournissent aux clients ou aux clients potentiels une description générale de la nature et des risques des instruments financiers en tenant notamment compte de leur catégorisation en tant que client de détail ou client professionnel. Cette description doit exposer les caractéristiques propres au type particulier d'instrument financier, ainsi que les risques qui lui sont propres de manière suffisamment détaillée pour que le client puisse prendre des décisions d'investissement en connaissance de cause.

§ 2. La description des risques doit comporter, s'il y a lieu eu égard au type particulier d'instrument concerné et au statut et au niveau de connaissances du client, les éléments suivants:

a) les risques associés aux instruments financiers de ce type, notamment une explication concernant l'effet de levier et son incidence ainsi que le risque de perte totale de l'investissement;

b) la volatilité du prix de ces instruments et le caractère éventuellement limité du marché où ils peuvent être négociés;

c) le fait qu'en raison de transactions sur ces instruments, un investisseur puisse devoir assumer, en plus du coût d'acquisition des instruments, des engagements financiers et d'autres obligations, y compris des dettes éventuelles;

d) toute exigence de marge ou obligation similaire applicable au type d'instruments en question (...).

b. En l'espèce
1. Soutènement

13. Pour la CBC, elle a agi dans le cadre de son activité de dispensateur de crédit car selon sa thèse, c'est dans le cadre de la mise en place du crédit roll over qu'elle a effectué, à la demande de l'intimée, celle du contrat IRS et elle a en définitive proposé un produit financier composé d'un contrat de crédit roll over couplé à un contrat IRS de telle sorte que seule l'obligation d'information générale du banquier dispensateur de crédit s'imposait à elle.

Son rôle consistait donc, à ses yeux, d'une part, à informer l'intimée sur l'ensemble des aspects techniques de l'opération de financement envisagée afin de s'assurer qu'elle saisisse bien la portée, le fonctionnement et les risques encourus en raison de l'opération souhaitée, et d'autre part, à s'assurer que la formule de financement était adaptée au projet de l'intimée au niveau de son montant, de sa nature, de sa durée et des conditions auxquelles il était subordonné puisqu'en sa qualité de banquier, CBC ne pouvait lui offrir que des formules de crédit correspondant le mieux à ses besoins et à sa capacité.

Elle précise, avec raison, que cette obligation d'adéquation de la formule de financement doit être évaluée compte tenu des circonstances économiques et financières de l'époque de la souscription.

Elle invoque le fait que des discussions soient intervenues, voire des négociations, n'impliquent pas pour autant qu'elle ait donné une recommandation, ni a fortiori une recommandation personnalisée.

14. Pour l'intimée, tout au contraire, le fait pour CBC de lui avoir proposé le contrat IRS afin de couvrir le risque de variation du taux d'intérêt du crédit roll over constitue un service de conseil en investissement.

2. Conseil en investissement?
a. Les principes

15. La question en litige à cette occasion consiste à déterminer si dans le cas d'espèce, la CBC a - ou non - donné un conseil en investissement dans le cadre d'un produit financier comme tel.

16. Le produit financier est défini par l'article 2, 39°, de la loi du 2 août 2002, c'est-à-dire un produit d'épargne, d'investissement ou d'assurance.

17. Certes, CBC fait observer que cette définition a été insérée par la loi du 30 juillet 2013 et ne serait donc pas d'application au cas d'espèce, antérieur.

Cependant, contrairement à ce que prétend ainsi CBC, il ne s'agit pas d'une nouvelle définition mais tout au contraire du rétablissement d'une disposition abrogée malencontreusement en 2011 et qui existait donc auparavant.

En effet, la loi du 30 juillet 2013 visant à renforcer la protection des utilisateurs de produits et services financiers ainsi que les compétences de l'Autorité des services et marchés financiers, et portant des dispositions diverses, précise que:

« Article 12, 3°: le 39°, abrogé par l'arrêté royal du 31 mars 2011, est rétabli dans la rédaction suivante: '39° produits financiers'; les produits d'épargne, d'investissement ou d'assurance; » (souligné par la cour).

18. Il est généralement considéré que les produits financiers sont des produits adossés aux performances des différents marchés de capitaux et regroupent notamment les différents placements effectués par des investisseurs.

19. En l'espèce, en recourant aux taux Euribor comme mesure étalon du taux applicable, les parties se plaçaient sur le marché financier.

Pour rappel, l'Euribor est l'abréviation de Euro Interbank Offered Rate et est en effet « le taux d'intérêt moyen auquel 25 des 40 banques européennes de premier plan (le panel de banques) se consentent des prêts en euros. (...) La valeur des taux d'intérêt Euribor est tout d'abord déterminée par l'offre et la demande. Il s'agit en fait d'un taux d'intérêt du marché financier qui est établi entre de nombreuses banques différentes » (Error Hyperlink reference not valid (souligné par la cour).

20. Il en découle que tant le contrat roll over que le contrat IRS, constituaient des contrats portant sur des produits financiers.

21. Ceci étant, il n'y a au sens de la directive européenne n° 2004/39/CE du 21 avril 2004, repris par l'article 46, 9°, de la loi du 6 avril 1995 relative au statut et au contrôle des entreprises d'investissement (intitulé remplacé par A.R. 2007-04-27/85, art. 32, 030; en vigueur 1er novembre 2007), conseil en investissement que lorsqu'il y a fourniture de recommandations personnalisées à un client en ce qui concerne une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers, comme en l'espèce.

22. Au sens de cette loi précitée, une recommandation personnalisée est une recommandation qui est présentée comme adaptée à cette personne ou est fondée sur l'examen de la situation propre à cette personne et qui recommande la réalisation d'une opération relevant de l'achat ou de la vente d'un instrument financier particulier; étant au demeurant admis que la recommandation n'est pas personnalisée si elle est exclusivement diffusée par des canaux de distribution.

23. Avec justesse, CBC invoque que tout conseil en matière de placement ne constitue pas ipso facto une recommandation, et encore moins personnalisée.

24. Au sens de la directive MiFID, il convient d'entendre le terme « recommandation » dans son sens ordinaire (M.-D. Weinberger, MiFID questions spéciales, Larcier, 2010, n° 19, p. 234).

25. Une recommandation consiste en l'action de recommander c'est-à-dire donner des conseils pressants, injonctions (dictionnaire Littré), d'exhorter quelqu'un à faire quelque chose, à adopter une certaine conduite (dictionnaire Larousse).

26. Appliquée à la matière financière, il s'agit d'une opinion sur les mérites ou la valeur d'une ou plusieurs transactions sur instruments financiers ou toute autre indication que de telles transactions sont souhaitables ou avantageuses pour le client potentiel. Autrement dit, un conseil en investissement est une préconisation portant sur la réalisation d'une transaction sur instruments financiers ou impliquant une recommandation quant à une ligne de conduite pouvant être présentée comme étant dans l'intérêt d'un investisseur (Weinberger, o.c., n° 20).

27. Pour répondre à l'objection de la CBC selon laquelle, la démarche relative à la volonté de souscrire un contrat IRS a émané de l'intimée, il est indifférent que la demande émane ou non de l'investisseur puisque l'article 46, 9°, de la loi du 6 avril 1995 précise qu'un conseil en investissement peut intervenir même s'il se produit soit à la demande de l'investisseur, soit à l'initiative de l'entreprise d'investissement.

b. En l'espèce

28. Il résulte des éléments du dossier que l'agence bancaire habituelle de l'intimée s'est révélée incapable de traiter la question et que c'est le spécialiste de la CBC de son siège central à Bruxelles qui a été dépêché pour discuter avec elle de l'investissement envisagé.

Même si l'intimée disposait de connaissances en la matière et était à l'initiative du choix du produit, il est évident que les modalités pratiques de celui-ci ont dû inévitablement faire l'objet de discussions au cours desquelles, même au cours d'un échange de vues, les mérites et les valeurs de ce type de contrat ont été abordés.

L'on ne comprendrait pas sinon pourquoi la CBC a estimé devoir dépêcher, pour être son interlocuteur, son spécialiste de son siège central.

Il lui suffisait - sinon - de transmettre via son agence locale les conditions d'accès à ces instruments comme c'est le cas par exemple en matière de souscription d'emprunts hypothécaires qui sont aussi soumis à une décision d'un comité d'octroi de crédit et à une négociation éventuellement subséquente du taux conventionnel (dans l'éventuelle marge de manoeuvre octroyée au gérant de l'agence).

29. De plus, CBC admet d'ailleurs que ce spécialiste, M. Veys, ne s'est pas contenté de faire part du taux possible pour l'opération mais au contraire:

- D'une part, qu'il avait déjà eu des contacts avec l'intimée en 2006.

Il n'est guère concevable de penser qu'à l'époque M. Veys n'aurait fourni aucun renseignement quant à l'utilité et l'adéquation d'une stratégie d'investissement de cette nature. La cour ne peut en effet que relever que CBC ne prétend nullement qu'en 2006 l'intimée aurait agi comme en 2008 en se présentant avec une exigence ferme de conclure des contrats roll over + swap.

Il n'est guère envisageable de considérer que M. Veys se soit contenté, à cette époque, d'une attitude passive qui aurait consisté à ne rien expliquer, ne rien suggérer et aurait ainsi fait totale abstraction de ses compétences si spécifiques en la matière.

Tel est si bien le cas que si CBC n'a pas obtenu le contrat en 2006, selon ce qu'elle admet, c'est uniquement par suite d'un taux non concurrentiel par rapport à ING.

Tel est si bien le cas également que CBC admet aussi avoir transmis les éléments ad hoc dès lors qu'elle insiste d'ailleurs sur le fait que l'intimée « était correctement informée depuis 2006 au moins du mécanisme du swap mis en place par les entretiens qu'elle avait eus avec M. Veys » (pt. 44 conclusions A).

- D'autre part, qu'il a eu l'occasion en 2008 de « rappeler » (sic) les modalités générales des contrats et notamment les conditions générales, modalités de sortie, caractère indépendant du contrat swap par rapport au contrat roll over (pt. 9 conclusions A), indépendamment simplement des taux.

30. Ainsi donc, il résulte de ses démarches en 2006 et de son attitude en 2008 que CBC a prodigué non seulement une recommandation mais en outre une recommandation personnalisée à l'intimée.

31. Le fait que la séquence dans le temps de cette recommandation se soit effectuée en deux temps (2006 + 2008) est irrelevante puisque CBC admet qu'en 2008 elle a procédé, à l'intervention de son spécialiste, à un rappel des notions relatives aux tenants et aboutissants du mécanisme litigieux de 2006.

32. Il doit donc être tenu pour acquis que la CBC a prodigué en l'espèce un conseil en investissement.

33. C'est vainement que la CBC invoque qu'elle n'a fait que se référer, en matière de swap, à la convention ISDA Form qu'elle présente comme une convention-cadre, pour tenter de soutenir qu'elle ne s'est en fait référé qu'à un document standardisé qui aurait été en fait diffusé par des canaux de distribution.

Elle admet le fait que des discussions sont intervenues.

Une telle convention - si tant est qu'on puisse la considérer comme cadre, ce que l'intimée conteste en précisant que l'ISDA n'est qu'une possibilité parmi d'autres existantes - sert uniquement de support à la discussion et à la finalisation du conseil en investissement.

Elle n'est pas d'un document qui peut être assimilé à un document transmis par un canal de distribution puisque selon l'article 2, 26°, de la loi du 2 août 2002, le canal de distribution est un canal par lequel l'information est rendue publique ou est susceptible de l'être, et l'information susceptible d'être rendue publique consiste en toute information à laquelle ont accès un grand nombre de personnes.

34. En outre, CBC n'établit pas que son conseil en investissement sur les crédits roll over et les swaps était déjà soumis à d'autres dispositions de la législation communautaire ou à des normes communes européennes relatives aux établissements de crédit et aux crédits à la consommation concernant l'évaluation des risques des clients et/ou les exigences en matière d'information en manière telle que celui-ci ne serait plus soumis aux obligations de la directive MiFID et de sa transposition en droit belge (art. 27, § 9, loi du 2 août 2002).

35. Il résulte de ce qui précède que le produit litigieux qui est un produit financier d'investissement a fait l'objet d'un conseil en investissement par le biais de recommandations personnalisées de telle sorte que lui est applicable rationae materiae la réglementation MiFID et sa transposition en droit belge.

36. Les directives MiFID ont été transposées en droit belge par les arrêtés royaux des 27 avril 2007, 3 juin 2007 et 19 juin 2007.

Ces textes sont entrés en vigueur le 1er novembre 2007.

Le contrat litigieux ayant été conclu en mars 2008, cette réglementation est également applicable rationae temporis;

2e moyen: non-respect de son devoir d'information par la CBC

37. Eu égard à son rôle de conseiller en investissement soumis à la réglementation du 2 août 2002, CBC devait remplir les obligations imposées par loi du 2 août 2002 et l'A.R. du 3 juin 2007 (art. 10, § 4 et 12 de l'A.R. du 3 juin 2007).

Cependant, c'est vainement que l'intimée y voit un manquement dans le chef de la CBC.

38. En effet, l'intimée perd de vue qu'elle utilisait déjà ce mécanisme IRS-roll over.

Il est dès lors évident qu'elle en connaissait les tenants et aboutissants.

39. Certes, l'intimée invoque que CBC présume qu'elle avait reçu de la part d'ING les informations prévues par l'article 27, § 2 et § 3, de la loi du 2 août 2002 et que les contrats étaient identiques, sous-entendant par cela qu'éventuellement tel ne serait pas le cas.

40. Cette prétention actuelle aboutirait de sa part à soutenir qu'elle aurait en fait utilisé des investissements de cette nature à hauteur de pas moins de 1.545.000,12 EUR (crédits ING 03112612-78 et 278592-08 - proposition de scission partielle du 3 juin 2013 - pièce C.1 dossier A) depuis plus de 2 ans (2006 à 2008) sans savoir ce qu'il en était et en quoi ils consistaient, ce qui est évidemment irréaliste.

41. De plus, il est acquis qu'elle a eu des entrevues avec M. Veys de la CBC, à l'époque et a reçu des recommandations personnalisées.

42. Elle ne peut dès lors être suivie lorsqu'elle soutient que les informations de la CBC étaient trop générales et qu'elle n'a pas reçu les éclaircissements nécessaires sur les contrats quant à leur durée, leur caractère indépendant l'un de l'autre ainsi que l'étendue de leurs risques respectif, etc.

Il n'est en effet pas crédible comme dit ci-dessus de considérer qu'ayant eu des informations de la CBC, à deux reprises par son spécialiste en 2006 et 2008 et des informations d'ING avec laquelle elle a en plus conclu un contrat de même nature que celui litigieux (IRS) et qu'elle honore depuis 2 ans, dans le cadre du même schéma d'investissement (crédit roll over) identique, elle ne connaîtrait toujours pas en quoi consiste un contrat IRS et ses spécificités.

43. La cour ne veut d'ailleurs pour preuve de sa connaissance pointue du mécanisme qu'elle a eu bien soin d'insister sur le fait qu'elle pouvait conserver l'acquis de son contrat swap même lorsqu'elle a renoncé à son investissement immobilier pour lequel le crédit roll over avait été envisagé: (« cette couverture de taux pourrait être utilisée pour une autre opération financière quelle que soit l'institution bancaire » son e-mail du 19 mars 2010 à CBC).

44. C'est vainement au surplus que l'intimée soutient que quand bien même elle serait un interlocuteur averti, il n'en demeurerait pas moins obligatoire pour CBC de lui donner ainsi pour une X.e fois les informations connues.

En effet, il est établi qu'elle agissait en parfaite connaissance de cause en manière telle qu'une nouvelle communication des informations déjà connues devenait superfétatoire.

Exiger à nouveau pareille communication ne correspond pas au but voulu par le législateur tant européen que national qui est clairement de vouloir que le futur investisseur soit éclairé quant à la nature de son investissement et sa portée.

Une nouvelle communication des renseignements déjà connus aurait donc eu un caractère redondant et vouloir actuellement y voir une cause de nullité manque à la bonne foi d'autant plus que c'est l'intimée qui a insisté sur la nécessaire rapidité de l'opération à mener - clairement - à l'effet de bloquer au plus vite le taux convenu et qu'à l'époque on considérait comme en hausse constante et inexorable.

45. C'est enfin vainement également que l'intimée reproche de n'avoir pris connaissance des conditions ISDA du contrat que postérieurement à sa signature et notamment du fait qu'en cas de rupture une importante indemnité serait due.

Le système IRS et ses modalités lui étaient connues par les contrats conclus avec ING.

La cour peut en déduire qu'elles étaient identiques ou à tout le moins similaires puisque sinon l'intimée n'eut pas manqué de faire état d'une différence notable entre les deux.

De plus, lors de la réception des conditions-types, elle n'a émis aucune observation.

Elle alléguerait à cet égard en vain du fait que celles-ci ne lui sont donc pas opposables.

Si elles avaient posé problème à l'époque, l'intimée n'eut pas manqué non plus de réagir en signalant notamment cette problématique du montant de l'indemnité de rupture, qu'elle découvre soi-disant actuellement.

46. Le grief n'est donc pas établi.

3e moyen: quant au test d'adéquation

47. En vertu de l'article 27, § 4, de la loi du 2 août 2002, lorsqu'elle fournit du conseil en investissement, l'entreprise réglementée se procure auprès du client les informations nécessaires concernant ses connaissances et son expérience en matière d'investissement en rapport avec le type spécifique de produit ou de service, sa situation financière et ses objectifs d'investissement, de manière à pouvoir lui recommander les services d'investissement et les instruments financiers adéquats ou de lui fournir les services de gestion de portefeuille adéquats.

48. Ceci étant, comme le précise CBC, la réalisation d'un test d'adéquation a pour objectif de garantir au client des investissements adaptés à son cas et à sa situation.

Il est admis que n'est pas fautif pour une banque le fait de ne pas avoir réalisé ce test destiné à établir son profil d'investisseur afin de vérifier le caractère approprié (suitability) de l'instrument financier proposé et qu'elle ne commet pas de manquement à la réglementation MiFID, si elle ne l'a pas fait passer au client parce qu'elle dispose des informations nécessaires pour vérifier ce caractère approprié de l'investissement, notamment quant à la connaissance et l'expérience du client (Comm. Bruxelles, 9 février 2011, J.T., 2011, liv. 6438, 400).

49. Ce test est destiné à rencontrer trois réoccupations à l'effet de s'assurer de la bonne adéquation de la solution (proposée ou demandée) par rapport à l'objectif poursuivi et à la situation concrète du potentiel cocontractant.

Il est requis pour CBC de disposer des informations concernant les éléments suivants:

- les connaissances du client en matière d'investissement;

- son expérience en la matière;

- sa situation financière;

- les objectifs d'investissement.

50. En l'espèce, CBC avait la connaissance appropriée et approfondie de son client quant à son appréhension en matière d'investissement puisqu'elle lui avait déjà fourni les renseignements ainsi qu'ING en 2006.

51. CBC avait aussi - et pour cause puisque le contrat lui avait échappé à l'époque - connaissance de l'expérience de l'intimée en matière d'investissement et mieux encore de « cet » investissement spécifique que constitue l'IRS.

Il ne faut, non plus, pas perdre de vue que l'intimée - certes ultérieurement au contrat litigieux - a de fait confirmé l'existence de cette connaissance des marchés financiers des intérêts et en avoir une connaissance de complexité de niveau 2, admettant ainsi cette réalité.

52. De plus, au moment des pourparlers relatifs à l'opération litigieuse, CBC avait une excellente vue quant à la situation de l'entreprise (ses rapports internes relatifs à la décision d'octroi des contrats le démontrent à suffisance).

53. Enfin, en ce qui concerne les objectifs d'investissement, il doit être relevé que de plus CBC, malgré les contrats conclus avec ING, demeurait le banquier habituel de l'intimée (pièces A 5 et 6 dossier A) et était dès lors parfaitement informée de ses desiderata d'expansion de ses activités.

54. Il doit donc être considéré que, de facto, CBC rencontrait les exigences mises par l'article 27, § 4, de la loi du 2 août 2002.

55. C'est en réalité en conséquence de manière infondée que l'intimée fait grief à CBC de ne pas avoir procédé à ce test alors qu'elle avait déjà utilisé des instruments de ce genre, ce que CBC savait par ailleurs.

En définitive, tout ce que la réalisation de pareil test aurait pu révéler est le fait que l'intimée connaissait de quoi elle parlait, ce que le fait d'avoir déjà recouru à un tel mécanisme prouvait à l'évidence.

56. Le grief tiré de ce moyen est donc inefficient.

4e moyen: vice de consentement

57. Pour l'intimée, il y a eu un défaut avéré d'information et une information fautivement erronée dans le chef de CBC.

Elle insiste sur le caractère complexe du contrat et elle soutient qu'elle pensait que le contrat IRS lui permettait de bénéficier d'un taux fixe de 5,15% pour son crédit.

Selon elle, il y a donc eu erreur sur la substance car elle pensait conclure un contrat de couverture de taux et non un contrat spéculatif, estimant que l'erreur a consisté dans la représentation inexacte du résultat que la convention devait normalement fournir.

58. Pour CBC, qui s'en réfère aux considérations du premier juge, l'intimée n'a été victime d'aucun vice de consentement.

59. Pour rappel, l'article 1110 du Code civil prévoit que l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.

60. Comme le relève le premier juge, l'intimée soutient qu'elle n'aurait pas été informée des « éléments déterminants » de la convention, mais elle ne détaille ni établit cette affirmation.

61. De plus, il résulte du mail de la CBC du 3 mars 2008, établi in tempore non suspecto, que l'intimée insistait auprès d'elle pour une conclusion rapide du contrat litigieux car elle « souhait[ait] en effet que l'on puisse bloquer les taux dès maintenant ».

Il était donc clair dans l'esprit de l'intimée qu'il fallait, vu la hausse constante des taux à l'époque, agir au plus vite pour profiter de la fixité d'un taux, ce qui est le principe et le but d'un contrat IRS.

Elle ne peut donc valablement soutenir qu'il y a eu erreur dans son chef quant à la nature du contrat qu'elle souhaitait conclure.

62. De plus, par son mail du 19 mars 2010, elle précise également « (...) nous devons trimestriellement payer une somme correspondant à la différence entre le taux couvert et le taux 'euribor' (...) », ce qui correspond à ce qui fut conclu.

Il n'y a donc pas, peu ou prou, erreur de vice de consentement.

63. Le moyen est non fondé.

64. C'est vainement par ailleurs que l'intimée invoque que les contrats roll over et IRS n'ont pas été signés en même temps.

Avec justesse, CBC fait observer que l'examen de ses pièces fait ressortir que son comité permanent a validé l'octroi du crédit roll over dès le 26 février 2008 alors que le contrat IRS a fait l'objet d'une autorisation le 10 mars 2008 et que le contrat IRS a simplement été formalisé légèrement plus rapidement que le contrat de crédit roll over (i.e.impression le 18 mars 2008 pour le contrat IRS et le 20 mars 2008 pour le crédit roll over) à la demande de l'intimée de telle sorte qu'en pratique, les deux opérations ont été concomitantes.

65. Surabondamment, l'intimée invoque, sans en tirer cependant de réel grief, le fait que les contrats ont été rédigés en anglais.

Au cours des plaidoiries, il a été précisé que M. Lenelle, qui est la cheville ouvrière de l'intimée et le signataire des contrats, avait résidé en Nouvelle-Zélande et maîtrisait donc parfaitement cette langue.

5e moyen: abus de droit

66. L'intimée soutient que la CBC a commis un abus de droit en continuant d'exécuter un contrat qui avait perdu sa raison d'être du fait que le contrat « roll over » n'était pas intervenu.

C'est l'intimée qui est en charge de la preuve.

Or, nulle part dans ses conclusions elle n'étaye sa demande.

Elle doit donc en être déboutée.

67. Surabondamment, elle reste en défaut de prouver que les deux contrats (crédit roll over et IRS) étaient liés juridiquement de telle sorte que le défaut d'existence de l'un entraînait la caducité ou la disparition faute d'objet de l'autre, ou à tout le moins n'aurait plus dû être exécuté et qu'il y aurait dès lors abus de droit à en poursuivre l'exécution.

68. Que l'intimée ait envisagé économiquement dans la gestion de son patrimoine de lier le contrat roll over au contrat IRS recouvre manifestement la réalité.

Il n'en demeure pas moins que les contrats envisagés et conclus sont juridiquement pourvus de causes indépendantes l'une de l'autre et faute pour l'intimée de les avoir liés par une clause spécifique, la non-survenance du crédit roll over n'entraîne pas la disparition de la cause de l'autre.

Même à supposer que tel soit le cas et qu'il n'y ait pas eu, in fine, d'investissement immobilier et qu'au début, l'intimée ait eu l'intention d'adosser son contrat de couverture de taux à celui de son contrat de crédit pour couvrir l'emprunt envisagé, elle a été clairement informée du caractère indépendant d'un contrat par rapport à l'autre.

69. Elle-même d'ailleurs en revendiquait même le mécanisme puisque par son mail du 19 mars 2010, elle écrivait:

« Concernant la couverture de taux [lire: le contrat IRS], voudriez-vous bien me confirmer qu'il s'agit bien d'un produit dont la société est propriétaire et que cette couverture de taux pourrait être utilisée pour une autre opération financière quelle que soit l'institution bancaire? »

Elle était donc bien consciente de l'indépendance des deux contrats et voulait au contraire en profiter et pouvoir s'assurer du maintien du contrat IRS à son taux convenu de 5,15% pour toute opération bancaire auprès de tout quiconque.

70. Soutenir comme elle le fait actuellement qu'elle pensait détenir un produit financier qui lui aurait uniquement permis de bénéficier d'un taux fixe de 5,15% dans le cadre de contrats liés juridiquement est donc contraire aux pièces de son dossier.

Dès lors aussi, plaider que l'exécution du contrat par CBC est constitutive d'abus de droit est donc contraire à sa propre attitude à l'époque.

Cet argumentaire est avancé pour les besoins actuels de la cause, rendant le moyen y relatif non pertinent.

Conséquences

71. Il résulte de ce qui précède que CBC n'a nullement manqué à ses obligations légales lors de la conclusion du contrat litigieux.

Elle en demande, comme elle le peut dès lors, l'exécution par l'intimée.

Il convient cependant de préciser que le contrat reste intact en toutes ses clauses et que cette obligation d'exécution ne prive pas l'intimée d'une possibilité - si elle existe - de résiliation anticipée aux termes et conditions prévus.

Dépens et indemnités de procédure

72. La demande de CBC est donc fondée et de même son appel.

L'intimée étant la partie succombante, elle doit supporter l'intégralité des dépens en ce compris les indemnités de procédure pour chaque instance.

La demande étant relative à la poursuite d'un contrat, il s'agit d'une demande non évaluable en argent de telle sorte, qu'à son montant de base, l'indemnité est de 1.320 EUR.

Pour ces motifs, la cour,

Dit l'appel recevable et fondé.

En conséquence,

Met à néant la décision entreprise,

Statuant à nouveau,

Dit la demande originaire recevable et fondée. Condamne la S.A. Maison de repos La Passerinette à exécuter le contrat IRS qu'elle a conclu avec la S.A. CBC Banque le 18 mars 2008, en tous les droits dont elle dispose et en toutes les obligations qui lui sont imposées, en vertu de celui-ci.

Condamne la S.A. Maison de repos La Passerinette aux dépens, soit 82 EUR de frais de mise au rôle en première instance, 210 EUR de frais de requête d'appel et 1.320 EUR par instance à titre d'indemnité de procédure.

(...)