BANK EN KREDIETWEZEN
Hypothecair krediet - Kredietovereenkomst - Negatieve interest
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BANQUE ET CRÉDIT
Crédit hypothécaire - Contrat de crédit - Intérêts négatifs
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1.Même s'il ne s'agit que d'un avis, l'intérêt de celui-ci n'aura pas échappé aux praticiens. Il s'agit en effet, à notre connaissance, de la première position adoptée en Belgique par un « organisme » - actif dans le monde bancaire mais indépendant de lui - dans le cadre de la problématique des intérêts négatifs.
Inimaginé pendant longtemps, il se peut qu'en raison de la baisse du taux de référence, l'application « mathématique » de la clause de variabilité de taux inséré dans un crédit conduise à ce que le taux devienne négatif.
Ceci a-t-il pour conséquence que le créditeur doit payer au crédité un intérêt?
2.Les faits. Les faits pertinents sont simples. Le client conclut avec sa banque, le 5 mars 2015 un crédit hypothécaire d'un montant total de 130.000 EUR utilisable en deux tranches de 65.000 EUR. Dans les conditions générales, les parties conviennent que le crédit donnerait lieu au paiement d'un intérêt en faveur de la banque. La première tranche, soumise à un taux fixe, ne pose pas de problème. Tel n'est pas le cas de la deuxième tranche, où le taux est variable annuellement. L'application de la formule conduit en effet un taux d'intérêt de -0,01460%.
La banque estime que les conditions générales s'opposent à ce qu'elles doivent payer un intérêt et indique en conséquence que le nouveau taux d'intérêt est de 0%. Le client ne l'entend pas de cette oreille et saisit en conséquence l'Ombudsfin qui, eu égard au caractère délicat de la question, en refère au Collège des experts.
Le Collège des experts d'Ombudsfin estime, dans son avis du 20 septembre 2016, que par référence aux dispositions de la loi du 4 août 1992 sur le crédit hypothécaire et à celles qui lui ont succédé dans le Code de droit économique, le taux ne peut pas être limité à 0%. Se rangeant à cet avis, l'ombudsman demande en conséquence à la banque d'adapter son taux et d'appliquer le taux de -0,01460%.
3.La situation qui a donné lieu à l'avis n'était pas imaginable - et n'a d'ailleurs pas été envisagé - par le législateur lors de l'adoption de la loi de 1992 ou des dispositions qui lui ont succédé dans le Code de droit économique. Elle ne l'était pas davantage de la part des régulateurs, des autorités de contrôle ou des banques elles-mêmes. Ceci explique que, dans certains contrats de crédit, il n'y a pas de limite de taux à la baisse tant la chose paraissait totalement inconcevable.
La question a également été peu étudiée notamment en doctrine belge [3] et il n'y a, à notre connaissance, en Belgique pas de décision qui se soit prononcée sur la question [4].
4.On sait que pendant longtemps, le prêt à intérêt a été interdit [5]. Cette prohibition, qui existe encore dans ce qu'on appelle la finance islamique [6], n'a plus cours depuis l'adoption du Code civil qui prévoit, en son article 1905, qu'il est permis [7] de stipuler un intérêt.
Bien qu'édictée pour le prêt, il est admis que cette « per-mission » est générale et concerne toute forme de crédit [8].
Le Code ne définit cependant pas ce que sont les intérêts et ne précise pas davantage expressément qui les devrait [9], tant la chose apparaît sans doute évidente aux auteurs du Code civil. Lors des travaux préparatoires, il fut indiqué que l'intérêt est « une indemnité juste des bénéfices que le prêteur aurait pu tirer de son argent s'il s'en était réservé l'usage » [10]. Plus récemment, De Page enseignait que l'intérêt est « la contrepartie de l'usage de la chose » prêtée par l'emprunteur [11].
Ces définitions révèlent que, dans l'enseignement classique et constant depuis le Code civil, l'intérêt est (a) une contrepartie [12], une rémunération de la mise à disposition des fonds [13] (b) due par l'emprunteur au prêteur [14].
Dans cette conception, il n'apparaît pas possible de concevoir que le prêteur puisse être amené à payer un intérêt à l'emprunteur [15].
5.Cette solution nous paraît s'imposer d'autant plus à l'examen de la composition de l'intérêt. Le taux demandé par la banque à son client comprend en réalité plusieurs éléments, à savoir (a) le coût du funding de la banque [16], (b) la quote-part dans les frais généraux en ce compris la couverture de divers risques [17] et (c) la marge proprement dite [18].
De toute évidence, quel que soit l'environnement économique et même en période de taux bas comme nous les connaissons, le prêteur a toujours des frais généraux, des risques à couvrir, une marge à dégager. Certes, les coûts de funding pourraient être moins élevés mais ils demeurent également.
Il ne paraît pas davantage cohérent, au regard de la composition des taux d'intérêt d'admettre que dans un crédit, un intérêt soit négatif et que le prêteur soit amené à payer quelque montant que ce soit à l'emprunteur.
Tout au plus, le taux pourrait être, par application de la formule, réduit à 0, ce qui est déjà étrange puisque le taux ainsi pratiqué ne permettrait au prêteur ni de couvrir ses frais généraux et ses risques ni de dégager une marge, ce qui est à la fois contraire à l'intention des parties et à la fois essentiel pour la pérennité des activités du prêteur [19].
6.L'impossibilité d'avoir dans un crédit, un taux négatif alors même que l'application de la formule mathématique aboutit à ce résultat, n'est à notre avis pas davantage contraire à l'article 1134 du Code civil.
En effet, au-delà de l'écrit, il faut rechercher quelle est la commune intention des parties au moment de la conclusion du contrat. A cet égard, il n'apparaît pas non plus raisonnable de considérer que les parties auraient eu l'intention que le crédit puisse faire l'objet d'une rémunération non au bénéfice de celui qui met les fonds à disposition mais bien au bénéfice de celui à qui lesdits fonds ont été remis. Au contraire, il est plus vraisemblable de considérer que les parties n'ont pas entendu priver le banquier de sa marge [20].
7.Dans trois décisions récentes, le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a décidé que le contrat de prêt était un contrat à titre onéreux en sorte que le taux ne pouvait jamais être inférieur à 0. En revanche, faute de distinction entre la composante « funding » et la composante marge, le tribunal n'a pas accueilli le moyen de la banque suivant laquelle le taux ne pouvait être inférieur à sa marge [21].
8.Il reste que l'avis des Experts d'Ombudsfin est fondé sur des dispositions législatives spécifiques au crédit hypothécaire. Pour cette simple raison, à considérer qu'il doive être suivi en cette matière, ce qui semble peu compatible avec d'autres obligations légales pesant sur les établissement de crédit, il ne peut avoir valeur de principe.
Avocat, Maître de conférences à l'U.C.L.
[1] | A. Ghozi, « Le contrat de prêt à intérêt négatif: variations » in Mélanges en l'honneur de Jean-Jacques Daigre, Ed. Joly, Paris, 2017, pp. 397-404. Dans un communiqué du 27 juin 2017, l'AMF a évoqué la question des intérêts négatifs à propos des informations à publier dans les prospectus obligatoires. L'AMF semble y admettre la possibilité d'un intérêt négatif. Ce communiqué fait l'objet de critiques (J.-J. Daigre, Editorial, Banque & Droit, n° 175, p. 3). |
[2] | A. Willems, « Les intérêts négatifs ou de l'autre côté du miroir », D.B.F., 2016/V, p. 388-395; M. Kasongo Kashama, « Le comment et le pourquoi d'un taux négatif pour la facilité de dépôt », BNB Revue économique, septembre 2014, pp. 107-116; A. Willems, « Les intérêts négatifs. Etats des lieux », in Liber amicroum Martine Delierneux, Bruxelles, Larcier, 2017, pp. 761-781. |
[3] | En France, il existe quelques décisions commentées en sens divers (voy. not. Colmar, 8 mars 2017, 1 A 16/000307 (décision référé), www.lextenso.fr; Colmar, 8 mars 2017, 1 A 16/000309 (décision référé), www.lextenso.fr; Colmar, 8 mars 2017, 1 A 16/000310, www.lextenso.fr - cette décision rendue en référé confirme l'ordonnance du président du Trib. gr. inst. de Strasbourg du 5 janvier 2016 publiée in L'Essentiel de droit bancaire, 2016, n° 3, p. 6, www.lextenso.fr; Colmar, 8 mars 2017, 1 A 16/000311 (décision référé), www.lextenso.fr; Colmar, 8 mars 2017, 1 A 16/000312 (décision référé), www.lextenso.fr; S. Piédelièvre, « Les conséquences d'un taux d'intérêt négatif », L'Essentiel de droit bancaire, 2016, n° 8, p. 1, www.lextenso.fr; J. Lassere Capdeville, « Nouvelle décision en matière de taux d'intérêt négatifs », L'Essentiel de droit bancaire, 2017, n° 4, p. 1, www.lextenso.fr; J. Lassere Capdeville, « Nouvelle décision des juges du fond en matière de taux d'intérêt négatifs », L'Essentiel de droit bancaire, 2017, n° 1, p. 4, www.lextenso.fr; J. Lassere Capdeville, « Contrat de prêt et taux d'intérêt négatifs: première application sur le fond! », Gaz. Pal., 2016, n° 25, p. 19; M. Roussille, « Condamnation d'une banque à payer une somme à son emprunteur sur la base de taux négatifs: est-ce bien raisonnable? », Gaz. Pal., 2016, n° 33, p. 60; B. Bréhier, « L'application des taux d'intérêts négatifs », Rev. dr. banc. fin., 2017, pp. 106-110; T. Samin, S. Torck, note sous Trib. gr. inst. Thonon-les-Bains, 30 novembre 2016, nos 16/01055, 16/010156 et 16/01057, Rev. dr. banc. fin. , pp. 43-44. |
[4] | L'Eglise prohibait en effet l'usure, c.-à-d. l'octroi d'un intérêt (voy. A.-P. Andre-Dumont et J.-P. Buyle, « Le Code de commerce belge: esquisse historique et solutions contemporaines à la lumière de quelques arrêts choisis de la Cour de cassation belge », in Quel code de commerce pour demain, Paris, Litec, 2007, p. 97, n° 5). Des mécanismes ont cependant été développés dès le Moyen-Age pour contourner cette prohibition. |
[5] | D. Langeais, Opérations de crédit, Paris, LexisNexis, 2015, p. 102, nos 217 et 218. |
[6] | Sur l'usage de ce terme et ses raisons, voy. F. Laurent, Principes de droit civil français, t. XXVI, Bruxelles, Bruylant, 1877, p. 531, n° 513. |
[7] | F. Laurent, Principes de droit civil français, t. XVI, Bruxelles, Bruylant, 1875, p. 374, n° 314; A. Willems, « Les intérêts négatifs ou de l'autre côté du miroir », D.B.F., 2016/V, p. 389. Dans la suite de la présente note d'observation, nous utiliserons les termes prêteur et emprunteur pour couvrir toutes les situations de crédit. |
[8] | On peut toutefois déduire de l'art. 1908 du Code civil que les intérêts sont dus par l'emprunteur. |
[9] | Cité par J.-F. Romain, « Le contrat de prêt civil à intérêt en matière bancaire », in Liber Amicorum A. Bruyneel, Bruylant, 2008, p. 313, n° 3.2. Cette justification est aujourd'hui encore retenue: « l'intérêt compense les bénéfices que le prêteur aurait pu retirer de son argent par un investissement » (L. Barnich, « Les prêts hypothécaires entre particuliers », in Le crédit hypothécaire. Actualités et réponses pour la pratique, Limal, Anthemis, 2015, p. 249). |
[10] | H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. V, Bruxelles, Bruylant, 1975, 1975, p. 151, n° 149. |
[11] | L'intérêt est donc le « loyer de l'argent » (L. Barnich, « Les prêts hypothécaires entre particuliers », in Le crédit hypothécaire. Actualités et réponses pour la pratique, Limal, Anthemis, 2015, p. 249); C. Biquet-Mathieu, Le sort des intérêts dans le droit du crédit. Actualité ou désuétude du Code civil, Liège, Coll. Fac. de droit, 1998, p. 36, n° 13. |
[12] | L. Fredericq, Traité de droit commercial belge, t. IX, Gand, Feycher, 1952, p. 283, n° 173. |
[13] | Voy. not. F. Laurent, Principes de droit civil français, t. XXVI, Bruxelles, Bruylant, 1877, p. 536, n° 516 qui précise que « l'emprunteur s'oblige par la convention de rembourser le capital dans un délai déterminé, et d'en payer l'intérêt jusqu'à cette époque »; D. Langeais, Opérations de crédit, Paris, LexisNexis, 2015, p. 100, n° 211. |
[14] | J.-J. Daigre, Taux d'intérêt négatifs. Douze regards, Institut Messine, 2016, p. 58. |
[15] | Sur le funding d'un crédit, voy. C. Apers, « Funding loss: une approche économique axée sur les principes fondamentaux de l'indemnité de rupture en cas de remboursement anticipé des crédits commerciaux à durée déterminée », in La banque dans la vie de l'entreprise, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 2005, pp. 353-359. |
[16] | Ces risques sont notamment le risque de crédit (défaut de l'emprunteur/crédité, insolvabilité de celui-ci) et celui de liquidité. Voy. Y. Boudghene et E. De Keuleneer, Pratiques et techniques bancaires, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 31, n° 2.1.1.4; L. Barnich, « Les prêts hypothécaires entre particuliers », in Le crédit hypothécaire. Actualités et réponses pour la pratique, Limal, Anthemis, 2015, p. 249. |
[17] | J. Ferronière, Les opérations de banque, Paris, Dalloz, 1958, p. 212, n° 231; Y. Boudghene et E. De Keuleneer, Pratiques et techniques bancaires, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 31, n° 2.1.1.4. |
[18] | Ceci conduit d'ailleurs madame Willems à conclure que le taux ne peut jamais être inférieur à sa marge, celle-ci étant la différence entre le coût du funding et le taux pratiqué à l'égard de l'emprunteur (A. Willems, « Les intérêts négatifs ou de l'autre côté du miroir », D.B.F., 2016/V, p. 395). En ce sens également B. Bréhier, « L'application des taux d'intérêts négatifs », Rev. dr. banc. fin., 2017, p. 108, nos 33 à 38. |
[19] | En ce sens A. Willems, « Les intérêts négatifs ou de l'autre côté du miroir », D.B.F., 2016/V, p. 395. |
[20] | T. Samin et S. Torck, note sous Trib. gr. inst. Thonon-les-Bains, 30 novembre 2016, nos 16/01055, 16/010156 et 16/01057, Rev. dr. banc. fin. , pp. 43-44; J. Lassere Capdeville, « Nouvelle décision des juges du fond en matière de taux d'intérêt négatifs », L'Essentiel de droit bancaire, 2017, n° 1, p. 4, www.lextenso.fr. |