Article

Tribunal de commerce Verviers, 04/01/2016, A/14/00849, R.D.C.-T.B.H., 2017/10, p. 1107-1110

Tribunal de commerce de Verviers 4 janvier 2016

BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Généralités - Ouverture de crédit/prêt - Critères distinctifs
Lorsque l'emprunteur ne dispose pas d'une réelle liberté de prélèvement, la convention doit être qualifiée de prêt. Tel est le cas si le prélèvement doit intervenir dans les 9 mois suivant l'ouverture, si une commission de réservation est prévue dès le 1er jour du 3e mois qui suit la date de la signature de la lettre de crédit et si les fonds ne sont mis à disposition qu'à la condition de constituer les garanties convenues.
L'article 1907bis du Code civil s'applique à tout remboursement anticipé même si celui-ci n'était originairement pas autorisé.
BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Algemeen - Kredietopening - Onderscheidende criteria
Wanneer de kredietnemer geen reële vrijheid heeft om krediet op te nemen, moet de overeenkomst als lening worden gekwalificeerd. Dit is het geval wanneer de opneming moet plaatsvinden binnen 9 maanden na de kredietopening, wanneer voorzien is in een boekingsvergoeding vanaf de 1ste dag van de 3de maand na de datum van ondertekening van de kredietbrief en wanneer de fondsen slechts ter beschikking worden gesteld op voorwaarde dat de overeengekomen zekerheden worden gesteld.
Artikel 1907bis van het Burgerlijk Wetboek is van toepassing op eventuele vervroegde terugbetaling, zelfs indien deze oorspronkelijk niet was toegestaan.

S.P.R.L. X. / S.A. Belfius Banque

Siég.: D. Peturkenne (juge présidant le siège), Gh. Ransy et B. Lising (juges consulaires)
Affaire: A/14/00849

Vu le dossier de la procédure et en particulier la citation introductive d'instance du 1er octobre 2014, l'ordonnance de mise en état du 10 novembre 2014, ainsi que l'ordonnance de mise en état modificative du 11 juin 2015;

Vu les conclusions et les pièces déposées;

Vu notre jugement avant dire droit du 5 octobre 2015;

Entendu à l'audience du 30 novembre 2015, les parties en leurs explications, les débats ayant ensuite été déclarés clos.

1. Les faits

Par convention sous seing privé du 12 juillet 2010, la S.A. Belfius Banque, ci-après Belfius, octroie à la S.P.R.L. (…) ci-après (…) une ouverture de crédit dans le cadre de laquelle un montant de 150.000 EUR a été mis à disposition de (…) sous la forme d'un crédit d'investissement n° 071-492959-66 (pièce 1 de Belfius).

Ce crédit doit être remboursé à terme fixe de 10 ans (en 120 tranches fixes mensuelles) et il est non-réutilisable.

Le but du crédit tel que prévu est l'acquisition d'un terrain, immeuble, et/ou construction d'immeuble.

Le taux d'intérêt de 3,60% est non révisable.

Ce crédit est assorti des garanties suivantes: une inscription hypothécaire à concurrence de 50.000 EUR sur l'immeuble à acheter et un mandat hypothécaire de 100.000 EUR sur ce même immeuble.

Un plan de prélèvement est prévu « en plusieurs tranches, dans les 9 mois suivant l'ouverture du présent crédit ».

L'article 34, 1., c), du règlement des crédits 2004 prévoit: « En cas de non-respect du schéma de prélèvement convenu ou de l'expiration de la période indiquée de 9 mois, la banque peut limiter à tout moment le crédit aux montants déjà prélevés. »

L'article 34, 2., du même règlement ajoute: « A partir du premier jour du troisième mois qui suit la date de la signature de la lettre de crédit jusqu'au jour où le crédit est intégralement prélevé, une commission de réservation est calculée au jour le jour sur tous les montants non prélevés et comptabilisée au plus tard à la première échéance en intérêts. Cette commission de réservation sera débitée mensuellement du compte centralisateur. »

Les conditions particulières de la convention prévoient que la commission de réservation est de « 1,80% calculée sur tous les montants non prélevés conformément au règlement de crédit ».

L'article 34, 4., a), du règlement des crédits stipule en outre:

« Pour les montants prélevés sous une forme d'utilisation avec un terme déterminé, le remboursement anticipé total ou partiel n'est possible qu'à la date de révision du taux d'intérêt, comme le stipule la lettre de crédit. En outre, une indemnité de 6 mois d'intérêt sera due, calculée sur le capital qui sera remboursé anticipativement.

Les remboursements anticipés à d'autres dates ne sont possibles que moyennant accord exprès et préalable de la banque et aux conditions qui seront fixées par la banque dans cet accord. »

Le 6 septembre 2010, (…) acquiert par acte authentique, passé par le notaire (...) un immeuble sis à Spa, appartement dénommé (...) au deuxième étage, (...) dans les murs de la Résidence « (...) » pour un prix de 188.716,36 EUR. Le prix est payé au moyen d'un chèque Belfius (pièce complémentaire de (...) déposée le 30 novembre 2015).

A la même date, et devant le même notaire, (...) donne en hypothèque au profit de Belfius qui accepte, par son représentant, l'appartement susvisé à concurrence de 50.000 EUR et elle donne également mandat hypothécaire à Belfius à concurrence d'un montant de 100.000 EUR, montant de capital, sur le même appartement (pièces 3 et 4 de (...)).

(...) manifeste sa volonté de rembourser anticipativement le crédit et sollicite à cette fin, à la mi-juillet 2014, un décompte de remboursement de la banque.

En date du 16 juillet 2014, Belfius adresse un décompte du remboursement anticipé à (...) (pièce 2 de Belfius) duquel il ressort que (...) est redevable envers la banque d'un montant total de 109.896,31 EUR comprenant (pour un remboursement avant le 30 juillet 2014):

- 99.958,71 EUR de solde de capital restant dû;

- 9.637,12 EUR d'indemnité;

- 299,88 EUR d'intérêts courants.

Par courrier du 4 août 2014, (...) conteste l'indemnité de 9.637,72 EUR réclamée par Belfius au titre du remboursement anticipé (pièce 3 de Belfius).

Par courriers des 21 août et 1er septembre 2014, Belfius justifie du bien-fondé de cette indemnité (pièces 4 et 6 de Belfius).

Le 1er octobre 2014, (...) cite Belfius devant le tribunal de céans.

2. Objet des demandes
1. La demande de la S.P.R.L. (...)

(…) demande au tribunal:

Dire l'action recevable et fondée.

Autoriser la concluante à procéder au remboursement anticipé de son contrat de crédit n° 071-0492959-66, et condamner la défenderesse à respecter le prescrit de l'article 1907bis du Code civil, en limitant l'indemnité de remploi à 6 mois d'intérêts maximum.

Condamner la défenderesse à rembourser à la concluante tous les intérêts conventionnels qu'elle a payés à compter de l'expiration du 6e mois suivant la citation introductive d'instance.

Condamner la défenderesse à tous les dépens liquidés comme suit:

- coût de la citation et mise au rôle sous déduction de la TVA: 320,04 EUR - 25,47 EUR = 294,57 EUR;

- indemnité de procédure: 990 EUR.

Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant tout recours et sans caution.

2. La demande de la S.A. Belfius Banque

Belfius demande au tribunal:

Déclarer l'action recevable mais non fondée;

En conséquence, en débouter la S.P.R.L. (...)

Condamner la S.P.R.L. (...) aux entiers dépens de la procédure, liquidés dans le chef de la partie concluante à la somme de 1.210 EUR.

3. Discussion

L'indemnité de 9.637,72 EUR réclamée par Belfius au titre d'indemnité de remboursement s'inscrit dans le cadre de l'article 34, 4., du règlement de crédits de 2004.

(...) conteste ladite indemnité de 9.637,72 EUR au motif que celle-ci serait contraire au prescrit de l'article 1907bis du Code civil, lequel stipule que: « lors du remboursement total ou partiel d'un prêt à intérêts, il ne peut en aucun cas être réclamé au débiteur, indépendamment du capital remboursé et des intérêts échus, une indemnité de remploi d'un montant supérieur à 6 mois d'intérêts calculés sur la somme remboursée au taux fixé par la convention ».

La question qui se pose est donc de déterminer si cette disposition est applicable en l'espèce à la convention des parties.

1. Qualification du contrat des parties

Belfius avance que le contrat litigieux doit être considéré comme un contrat d'ouverture de crédit. (...) soutient qu'il s'agit d'un contrat de prêt.

Ces contrats ont été définis dans le jugement du 5 octobre 2015.

Les termes du contrat litigieux sont constitutifs d'un contrat de prêt dans la mesure où (...) ne dispose pas d'une réelle liberté de prélèvement et ce, sans qu'il soit requis de constater le caractère immédiat de la remise des fonds (M.-D. Weingerger, « Funding loss ... in translation », Forum financier/Dr. banc. fin., 2014/I-II, pp. 22 et s.)

En effet, la seule véritable caractéristique de l'ouverture de crédit tient ainsi à la liberté de prélever ou non le crédit, en tout ou en partie et de choisir le moment du prélèvement tandis que dans le cadre d'un prêt, c'est au prêteur qu'appartient l'initiative.

Dans le cas d'espèce, (...) ne jouit pas d'une réelle liberté de prélèvement pour les raisons suivantes:

1. les conditions du contrat prévoient que le prélèvement doit intervenir au plus tard dans les 9 mois suivant l'ouverture et une commission de réservation est prévue dès le 1er jour du 3e mois qui suit la date de la signature de lettre de crédit. Cette clause limite en soi la liberté de prélèvement de (...);

2. dès la signature de la convention des parties du 12 juillet 2010, Belfius savait pertinemment bien en accordant le crédit d'investissement sous les conditions de garanties prérappelées qu'elle ne mettrait à disposition les fonds prévus au contrat de crédit qu'au moment de la passation des actes authentiques et de la possibilité de constitution desdites garanties, soit le 6 septembre 2010, et ce, en présence d'un représentant de la banque.

De plus, ce prêt est non-réutilisable, ce qui confirme également cette qualification.

2. Application de l'article 1907bis du Code civil au contrat litigieux

Pour rappel, l'article 1907bis du Code civil prévoit:

« Lors du remboursement total ou partiel d'un prêt à intérêt, il ne peut en aucun cas être réclamé au débiteur, indépendamment du capital remboursé et des intérêts échus, une indemnité de remploi d'un montant supérieur à six mois d'intérêts calculés sur la somme remboursée au taux fixé par la convention. »

Cette disposition est considérée de manière unanime comme étant une disposition impérative. Le bénéficiaire de la protection peut donc valablement y renoncer dès lors que celle-ci a sorti ses effets.

Tel n'est pas le cas en l'espèce. (...) n'a en rien renoncé à cette disposition.

Cette disposition n'opère pas de distinction suivant la qualité des parties contractantes. Elle a vocation à régir tous les types de prêt, en ce compris les prêts consentis aux entreprises par les banques comme en l'espèce.

L'indemnité réclamée par Belfius doit être qualifiée de « funding loss » (et non d'indemnité de remploi conventionnelle). Il s'agit, en effet, de l'indemnité applicable dans l'hypothèse où le remboursement anticipé est conventionnellement exclu.

Elle traduit l'idée qu'en cas de remboursement anticipé, l'établissement de crédit peut être contraint de replacer les fonds prêtés à un taux inférieur à celui que prévoyait le contrat, alors qu'il doit continuer à payer le prix du « funding » au taux convenu avec ses contreparties privées ou professionnelles.

Elle est fixée par Belfius à la somme de 9.637,72 EUR.

Cette indemnité doit-elle pour autant être exclue du champ d'application de l'article 1907bis du Code civil?

De lege lata, l'article 1907bis du Code civil ne prévoit aucune distinction quant à son application que celui-ci régisse l'indemnité de remploi lorsqu'elle assortit l'exercice d'une faculté de remboursement anticipé prévue ex ante dans le contrat de prêt ou non.

Cet article précise au contraire que lors du remboursement anticipé d'un prêt, il ne peut « en aucun cas » être réclamé une indemnité de remploi supérieure à 6 mois d'intérêts.

L'article 1907bis réglemente l'indemnité de remploi qui peut être réclamée à l'emprunteur lors du remboursement anticipé de son prêt; il précise qu'en aucun cas, elle ne peut excéder le maximum qui lui est assigné; partant, la limite établie par l'article 1907bis concerne non seulement l'indemnité de remploi qui est stipulée de façon forfaitaire et préalable à la convention de prêt mais aussi plus généralement toute indemnité de remploi qui est réclamée à l'emprunteur lors du remboursement anticipé de son prêt (Cass., 24 juin 2013, n° 2014/05, Financieel Forum/Bank Fin.R., 2014/I-II).

Cette interprétation de l'article 1907bis du Code civil est conforme à l'esprit de la loi du 21 décembre 2013 relative à diverses dispositions concernant le financement des petites et moyennes entreprises.

Par conséquent, il convient de faire droit à la demande de (...).

3. Quant aux intérêts conventionnels perçus

Le refus de Belfius de faire application de l'article 1907bis du Code civil a causé un dommage complémentaire à (...) qui s'est vu contraint de faire face au paiement des intérêts conventionnels jusqu'à ce jour.

Ce dommage est incontestable et incontesté.

Il sera donc fait droit à la demande de remboursement de (...) quant à ce.

Par ces motifs,

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judicaire,

Statuant contradictoirement,

Dire l'action recevable et fondée.

Autorise la S.P.R.L. (...) à procéder au remboursement anticipé de son contrat de crédit n° 071-0492959-66, et condamne la S.A. Belfius Banque à respecter le prescrit de l'article 1907bis du Code civil, en limitant l'indemnité de remploi à 6 mois d'intérêts maximum.

Condamne la S.A. Belfius Banque à rembourser à la S.P.R.L. (...) tous les intérêts conventionnels qu'elle a payés à compter de l'expiration du 6e mois suivant la citation introductive d'instance du 1er octobre 2014.

Condamner la S.A. Belfius Banque à tous les dépens liquidés comme suit:

- coût de la citation et mise au rôle sous déduction de la TVA: 320,04 EUR - 25,47 EUR = 294,57 EUR ;

- indemnité de procédure: 990 EUR.

Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant tout recours et sans caution.

(…)