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La décharge du débiteur après transfert, sous autorité de justice, de la totalité de son entreprise: les conditions et la procédure en questions, R.D.C.-T.B.H., 2016/9, p. 863-870

CONTINUÏTEIT VAN DE ONDERNEMING
Gerechtelijke reorganisatie - Gerechtelijke reorganisatie door overdracht onder gerechtelijke gezag - Gevolgen voor natuurlijke persoon - Overdrager - Ontlasting
De verzoekster wier onderneming in zijn geheel werd overgedragen op grond van artikel 67 WCO, wordt ontlast van haar schulden die bestaan op het ogenblik van het vonnis dat deze overdracht beveelt, met uitzondering van, op haar verzoek, de buitengewone schuldvorderingen in de opschorting gewaarborgd door een hypotheek op de gezinswoning.
Het uitsluiten van de buitengewone schuldvorderingen in de opschorting, op verzoek van de schuldenaar, is niet strijdig met het grondwettelijk gelijkheidsbeginsel, overeenkomstig de artikelen 2 juncto 49 WCO.
De apathische houding van de verzoekster tijdens de procedure bewijst niet haar kwade trouw en belet derhalve niet dat deze partij de toepassing van artikel 70 WCO geniet.
CONTINUITÉ DES ENTREPRISES
Réorganisation judiciaire - Réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice - Conséquences pour personne physique - Cédante et sûreté personnelle à titre gratuit - Décharge
La partie requérante, dont l'entreprise a été transférée dans sa totalité, est, sur pied de l'article 67 LCE, déchargée des dettes existantes au moment du jugement ordonnant le transfert, à l'exception, conformément à sa requête, des dettes sursitaires extraordinaires garanties par une hypothèque sur son logement familial.
Exclure du bénéfice de la décharge les créances sursitaires extraordinaires, conformément à la requête du débiteur, ne contrevient pas, en vertu des articles 2 et 49 LCE, au principe constitutionnel d'égalité.
Le comportement apathique du débiteur lors de la procédure ne démontre pas sa mauvaise foi et ne l'empêche dès lors pas de bénéficier du régime de faveur de l'article 70 LCE.
La décharge du débiteur après transfert, sous autorité de justice, de la totalité de son entreprise: les conditions et la procédure en questions
David Pasteger [1] et Antoine Vandenbulke [2]
I. Les faits et la procédure

1.Par jugement du 5 août 2014, le tribunal de commerce de Gand, division d'Audenarde, octroie à la requérante, personne physique commerçante, le bénéficie d'une procédure de réorganisation judiciaire en vue d'un transfert d'entreprise. Après plusieurs prorogations du sursis, le tribunal autorise, le 29 janvier 2015, la cession de l'intégralité de l'entreprise de la requérante.

Sur pied de l'article 70 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises [3] (ci-après « LCE »), la requérante sollicite, par requête du 27 avril 2015, la décharge des dettes existantes au jour du jugement qui a ordonné le transfert d'entreprise. Elle précise toutefois que sa demande ne concerne pas les deux créances, sursitaires extraordinaires, de Record Bank NV et de l'administration fiscale, garanties par une inscription hypothécaire sur l'immeuble de son domicile. La requérante s'est d'ailleurs engagée à poursuivre le remboursement mensuel du crédit bancaire et à rembourser la dette d'impôt pour décembre 2015.

Tant l'Etat belge, partie intervenante volontaire, que le ministère public et le juge délégué, en leurs avis, s'opposent à la demande de décharge. L'opinion du mandataire de justice va dans le même sens: il déplore le manque de coopération de la requérante pendant la procédure de transfert, soulignant une attitude qu'il qualifie d'« apathique ». L'Etat belge rappelle que la requérante, précédemment gérante d'une société déclarée en faillite, a été personnellement condamnée, sur pied de la responsabilité objective que fait peser sur les gérants l'article 442quater du CIR 1992, à rembourser des dettes de précompte professionnel impayées. Le juge délégué estime que la requérante a failli à son devoir d'information en omettant de mentionner, comme exigé par les articles 73, 3° et 4°, LCE, l'existence d'une dette d'arriérés de loyers. Il affirme également que la décharge prévue par l'article 70 LCE ne trouve à s'appliquer qu'après réalisation intégrale du patrimoine (tant privé que professionnel) du débiteur. Or, en l'espèce, la débitrice dispose de biens saisissables dont, notamment, l'immeuble grevé des hypothèques de Record Bank et de l'administration fiscale. Enfin, le parquet formule un avis négatif à la décharge en arguant du principe d'égalité: à suivre la demande, seules les dettes dues aux créanciers ordinaires seraient placées à l'abri des poursuites par l'effet de la décharge tandis que la débitrice devrait désintéresser les créanciers extraordinaires.

II. Le jugement du tribunal de Gand, division Oudenaarde

2.Le jugement du 1er octobre 2015 examine successivement les différents moyens et griefs soulevés en vue de faire obstacle à la décharge de la requérante.

Après avoir rappelé la ratio legis de la décharge offerte par l'article 70 LCE [4], le tribunal relève que cette disposition n'exige nullement la réalisation préalable et intégrale des actifs du débiteur sursitaire. Il suffit, souligne la juridiction gantoise, que les biens qui composent son entreprise aient été, comme en l'espèce, transférés en intégralité.

3.Sous l'angle de l'intérêt des créanciers à s'opposer à la demande, le tribunal examine ensuite l'impact pour ceux-ci d'une décision qui refuserait la décharge et de la faillite qui s'ensuivrait. Un curateur veillerait alors à réaliser l'intégralité de l'actif de la débitrice afin de désintéresser les créanciers. Or, la requérante, momentanément sans emploi, vit du support financier de son conjoint. Elle ne paraît pas disposer d'avoirs bancaires significatifs. La valeur en vente forcée de ses biens mobiliers s'élève à 12.000 EUR et celle de son immeuble à 250.000 EUR. La banque, créancier hypothécaire, serait donc payée à hauteur du principal (230.000 EUR), mais percevrait également une indemnité de rupture. Le solde permettrait de rembourser la créance hypothécaire du fisc de quelques 20.000 EUR. Dans l'hypothèse d'une faillite, les créanciers sursitaires ordinaires ne bénéficieraient donc, selon toute vraisemblance, d'aucun paiement. En outre, le tribunal souligne que le personnel de l'entreprise a été transféré avec celle-ci, ce qui a permis de limiter les dettes sociales qui auraient, en cas de faillite, plus lourdement grevé le passif.

Fort de cette comparaison, le tribunal estime que « weegt het geringe belang dat de schuldeisers eventueel hebben bij het uitspreken van het faillissement niet op tegen het veel grotere nadeel dat verzoekende partij oploopt bij gedwongen verkoop van een woning die zij thans nog steeds wil afbetalen ». Même s'il conclut que « de tegenstand tot het toepassen van artikel 70 vertoont dan ook niet het wettelijke vereiste belang », le tribunal ne déclarera pourtant pas l'intervention volontaire de l'Etat belge irrecevable à défaut d'intérêt.

4.Le jugement annoté s'intéresse également à la mise en garde du ministère public relative au respect de l'égalité des créanciers. Il rappelle, s'appuyant sur l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 janvier 2012 [5], que le principe d'égalité n'exclut pas un traitement distinct des créanciers s'il est fondé sur une justification raisonnable et si les moyens employés sont proportionnés aux buts poursuivis. Or, c'est l'article 2 LCE lui-même qui distingue les créances sursitaires extraordinaires des créances sursitaires ordinaires, tandis que l'article 49 LCE autorise, dans le cadre d'un plan de réorganisation, le règlement différencié de certaines catégories de créances.

Selon le tribunal, la demande de la requérante, qui consiste à exclure du bénéfice de la décharge les créanciers sursitaires extraordinaires, ne constitue pas une discrimination mais plutôt, sur pied des articles 2 et 49 LCE, une différenciation justifiée. Le principe d'égalité n'est donc pas violé.

5.Les allégations du juge délégué concernant la dette de loyers impayés, non renseignée par la débitrice sursitaire, retiennent encore l'attention de la juridiction consulaire. Il est exact qu'une condamnation de la débitrice sursitaire à payer la somme de 12.839,23 EUR au bailleur, prononcée en octobre 2014, ne figure pas à la liste des créanciers. La requérante rétorque en soulignant, notamment, que la condamnation est intervenue deux mois après l'ouverture de la procédure de réorganisation. Elle ajoute que, si elle a effectivement omis de mettre à jour la liste des créanciers, c'est de bonne foi, n'ayant aucun intérêt à dissimuler l'un ou l'autre créancier.

Le tribunal estime que la requérante ne peut se voir reprocher d'avoir enfreint les exigences, sanctionnées pénalement, de l'article 72, 3° et 4°, LCE. Le 3° sanctionne l'omission volontaire d'un créancier sur la liste déposée en annexe de la requête introductive de la procédure. Or, le jour où cette requête a été déposée, la condamnation en faveur du bailleur n'existait pas encore. L'article 72, 4°, LCE punit les déclarations inexactes ou incomplètes sur l'état des affaires ou les perspectives de réorganisation du débiteur. Il ne trouve pas plus à s'appliquer en l'espèce. Selon le tribunal, l'omission en question ne concerne pas « l'état des affaires » de la requérante dans la mesure où aucune cession du bail commercial n'a été envisagée dans le cadre de la procédure de transfert d'entreprise.

6.Sur les griefs formulés par le mandataire de justice, la requérante reconnaît volontiers avoir adopté une attitude apathique durant la procédure. Le tribunal s'emploie à vérifier si un tel comportement contrevient à l'exigence de bonne foi exigée par l'article 70 LCE pour l'octroi de la décharge mais n'y lit aucune intention frauduleuse. Il estime qu'une attitude passive ne peut être considérée comme une présomption de mauvaise foi. Au contraire, précise-t-il, le débiteur sursitaire est présumé de bonne foi. Le tribunal souligne enfin que les procédures antérieures de faillite dans lesquelles la requérante aurait été impliquée n'ont pas à entrer en ligne de compte.

Par conséquent, le tribunal déclare la demande de la partie requérante recevable et prononce la décharge des dettes existantes au moment du jugement ordonnant le transfert de la totalité de l'entreprise, à l'exception, conformément à la demande, des dettes dues à Record Bank et à l'Etat belge, « in de mate deze schulden kunnen worden gekwalificeerd als buitengewone schulden in de opschorting ».

III. Retour sur les conditions, la procédure et la portée de la décharge offerte par l'article 70 LCE: une disposition encore méconnue?

7.Depuis l'adoption de la loi du 31 janvier 2009, l'article 70 LCE offre au débiteur, personne physique, dont l'entreprise a été transférée en intégralité, la faculté de solliciter la décharge du solde de ses dettes. Miroir déformant de l'excusabilité du failli, cette procédure de décharge semble encore méconnue des plaideurs. Ainsi, aucune décision faisant application de cette disposition n'avait, à ce jour et à notre connaissance, reçu l'honneur d'une publication. La décision annotée du tribunal de commerce de Gand est donc l'occasion de s'interroger sur les conditions (2) et la portée (3) d'une telle décharge, non sans avoir au préalable rappelé brièvement la ratio legis de ce régime de faveur (1).

1. La ratio legis de la décharge

8.Par l'adoption de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, le législateur poursuivait l'objectif prioritaire d'offrir aux entrepreneurs en difficulté un nouvel outil, enfin attractif et efficace, pour redresser leur entreprise ou, à tout le moins, pour préserver son activité et ses emplois. En comparaison à une procédure de faillite, le transfert d'entreprise sous autorité de justice, grâce à son régime de cession en going concern, doit permettre, selon les travaux parlementaires, de mieux sauvegarder les activités économiques de l'entreprise [6] et ses emplois [7]. Il a également pour avantage de placer les créanciers dans une position plus favorable puisque, comme le rappel le jugement annoté, une entreprise cédée en going concern a, en principe, une plus grande valeur de réalisation qu'une entreprise ayant cessé toute activité.

Conçu comme une alternative vertueuse à la faillite, le transfert d'entreprise devait donc, pour remporter quelque succès auprès d'un débiteur personne physique aux abois, comporter des avantages équivalents à un aveu de faillite. Forts de ce constat, les travaux préparatoires de la loi de 2009 soulignaient que « le débiteur personne physique qui se trouve confronté à un transfert de son entreprise sous autorité de justice se retrouve dans une [situation] proche de la faillite. [S'il] est malheureux et de bonne foi, il semble équitable de [le] décharger de ses dettes sursitaires. Faute de cette disposition, il y aurait à craindre que le débiteur n'opte pour le régime de la faillite qui [lui] connaît un régime d'excusabilité » [8].

9.Avant la réforme du 27 mai 2013 [9], cette décharge du débiteur n'affectait toutefois pas, contrairement à l'excusabilité du failli, la situation de son conjoint, ex-conjoint ou cohabitant légal. Le législateur a veillé à rapprocher les deux régimes pour, selon ses propres explications, appliquer aux proches du débiteur déchargé, « mutatis mutandis les solutions permettant la décharge des proches du failli » [10].

Si l'objectif du législateur, à travers la loi du 31 janvier 2009 et sa réforme du 27 mai 2013, consistait donc à calquer le mécanisme de décharge du débiteur, après le transfert sous autorité de justice de son entreprise, sur celui de l'excusabilité du failli, force est toutefois de constater que des différences substantielles existent entre les deux régimes. L'examen, à suivre, des conditions de la décharge prévue par l'article 70 LCE permettra de mettre en lumière ces disparités.

2. Les conditions de la décharge

10.Aux termes de l'article 70, alinéa 1er, LCE, « la personne physique dont l'entreprise a été transférée dans sa totalité par application de l'article 67 peut être déchargée par le tribunal des dettes existantes au moment du jugement ordonnant ce transfert, si cette personne est malheureuse et de bonne foi ».

Les deux conditions exigées par cette disposition, à savoir le transfert intégral de l'entreprise du débiteur (a) et sa bonne foi (b), seront examinées dans les lignes qui suivent à la lumière de la décision annotée. On rappellera ensuite les spécificités procédurales (c).

a. Un transfert intégral de l'entreprise du débiteur

11.Comme l'indique l'article 16 LCE, un transfert sous autorité de justice peut concerner « tout ou partie » de l'entreprise du débiteur ou de ses activités. Miroir de l'excusabilité qui intervient après faillite et réalisation intégrale du patrimoine du failli, la décharge du débiteur n'est logiquement envisagée qu'en cas de transfert intégral de son entreprise.

L'article 60 LCE précise que le tribunal qui ordonne un transfert sous autorité de justice en détermine l'objet ou, au contraire, le laisse à l'appréciation du mandataire de justice qui sera chargé d'en assurer la réalisation. L'article 62 indique toutefois qu'il s'agit « des actifs mobiliers ou immobiliers nécessaires ou utiles [11] au maintien de tout ou partie de l'activité économique de l'entreprise ». Ainsi, cette cession d'entreprise ne se conçoit qu'en going concern [12]. Il s'agira de transférer un ensemble complexe de biens et de droits qui comportent tous les éléments utiles à la poursuite des activités: actifs, moyens de production, personnel, contrats, clientèle, etc. - plutôt qu'une entreprise démembrée [13] et revendue en « pièces détachées ».

12.Par conséquent, lu en combinaison avec l'article 60 LCE, l'article 70 LCE exige, pour la décharge du débiteur, que tous les actifs nécessaires ou utiles à son activité économique, mais uniquement ceux-là, aient été cédés. L'ensemble des biens strictement privés du débiteur demeurent étrangers à la procédure de transfert sous autorité de justice. Rien ne semble donc faire obstacle à la décharge d'un débiteur dont tous les actifs utiles à l'entreprise ont été cédés, mais qui conserve des biens privés de valeur, tels que, comme dans le cas tranché par le jugement annoté, un ou plusieurs immeubles d'habitation, voire de rapport.

C'est donc à bon droit que le tribunal de Gand a écarté l'avis défavorable à la décharge émis par le juge délégué au motif que l'article 70 LCE ne trouverait à s'appliquer que si les créanciers « hun rechten hebben uitgeput uit de totale opbrengst van de volledige boedel ». Comme le relève le jugement annoté, « staat nergens in artikel 70 WCO vermeld dat opdat men deze gunstmaatregel kan inroepen 'alle activa' moeten zijn verkocht. Het volstaat hierbij dat de onderneming in haar geheel werd overgedragen, wat in casu het geval is » [14].

Ainsi, en dépit des réticences du juge délégué, la circonstance que le débiteur sursitaire conserve, après le transfert intégral de son entreprise, des biens réalisables, dont un immeuble et des revenus saisissables, ne fait pas per se obstacle à sa décharge. C'est une différence majeure avec le régime de l'excusabilité du failli, laquelle n'intervient qu'après réalisation intégrale de son patrimoine, tant professionnel que privé.

b. La bonne foi du débiteur

13.Dans la mesure où l'article 70 LCE permet de faire table rase des dettes [15] du débiteur alors qu'il conserve intacte une partie de son patrimoine, il est heureux que les conditions d'une telle décharge soient moins libérales qu'en matière d'excusabilité. Deux différences substantielles entre ces régimes de faveur peuvent ainsi être soulignées.

D'une part, l'article 80 de la loi sur les faillites [16] stipule que, « sauf circonstances graves spécialement motivées, le tribunal prononce l'excusabilité du failli malheureux et de bonne foi ». L'excusabilité a donc acquis un caractère quasi automatique. L'octroi de l'excusabilité est la règle et son refus, l'exception [17]: le tribunal ne peut s'en écarter qu'au prix d'une motivation adéquate. La formulation de l'article 70, alinéa 1er, LCE n'a pas retenu une telle automaticité pour ce qui concerne la décharge du débiteur sursitaire, lequel « peut [18] être déchargé (…) [s'il] est malheureux et de bonne foi ». La décharge reste donc soumise à la discrétion du tribunal qui retrouve tout son pouvoir d'appréciation [19].

D'autre part, en matière d'excusabilité les conditions de malheur et de bonne foi du débiteur étant présumées, il appartient au ministère public, ou à un éventuel créancier sur intervention volontaire, d'en apporter le cas échéant la preuve contraire, à la lumière de l'avis du juge délégué et des remarques du curateur. Au vu de la formulation de l'article 70 LCE, on pourrait penser que cette preuve pèse, dans l'hypothèse de la décharge, sur les épaules du débiteur sursitaire. Le tribunal gantois a toutefois jugé, sans autres précisions, que « het principieel vermoeden van de goede trouw blijft gelden ».

Dans l'espèce soumise à cette juridiction, le mandataire de justice insistait d'ailleurs sur l'apathie de la requérante, soulignant son manque de coopération aussi bien pour la communication des documents sociaux et autres informations utiles, que pour le paiement des redevances et des avances du mandataire de justice ou encore en ce qui concerne l'accompagnement du cessionnaire de l'entreprise. Magnanime, le tribunal a notamment jugé que tel comportement ne suffit pas à traduire une intention frauduleuse dans le chef de la débitrice. Il ajoute, pour répondre aux griefs formulés par l'Etat belge, intervenant volontaire, qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte les circonstances d'une précédente faillite dans laquelle la requérante était impliquée en qualité de dirigeant de société. En d'autres termes, comme en matière d'excusabilité, c'est à la recherche d'une éventuelle faute grave et caractérisée que semble partir le tribunal pour apprécier l'opportunité de décharger le débiteur sursitaire [20].

c. Une procédure sur requête du débiteur

14.Il importe de souligner qu'à l'inverse de l'excusabilité du failli, la décharge du débiteur sursitaire n'est pas examinée d'office par le tribunal au moment de statuer sur la clôture de la procédure. Pour obtenir sa décharge, le débiteur doit déposer une requête contradictoire au tribunal dans un délai de trois mois. S'il s'agit, à n'en pas douter, d'un délai prévu à peine de forclusion, le point de départ de ce délai pose question.

L'article 70 LCE indique, en ses deux premiers alinéas, que « la personne physique dont l'entreprise a été transférée dans sa totalité par application de l'article 67 peut être déchargée par le tribunal des dettes existantes au moment du jugement ordonnant ce transfert, si cette personne est malheureuse et de bonne foi. Elle peut, à cet effet, déposer une requête contradictoire au tribunal, trois mois au plus tard après ce jugement [21] ». Mais de quel jugement s'agit-il?

Dans le cadre d'une procédure de transfert sous autorité de justice, le tribunal de commerce intervient par jugement, en principe, à trois reprises. D'abord, conformément à l'article 60 LCE, pour ordonner le transfert et désigner le mandataire de justice chargé de l'organiser. Il s'agit du jugement qui « ouvre » la procédure de réorganisation par transfert sous autorité de justice. Ensuite, le mandataire de justice désigné recherche et sollicite des offres, sur la base desquelles il élabore un ou plusieurs projets de vente. Ces projets sont alors soumis au tribunal de commerce, sur pied de l'article 62 LCE, en vue de l'autorisation de procéder à l'exécution de la vente. Enfin, lorsque le mandataire de justice estime que toutes les activités ont été transférées, l'article 67 LCE prévoit qu'« il sollicite du tribunal par requête la clôture de la procédure de réorganisation judiciaire, ou, s'il se justifie qu'elle soit poursuivie pour d'autres objectifs, la décharge de sa mission ». Par conséquent le délai de trois mois pour le dépôt de la requête en décharge du débiteur commence-t-il à courir le jour du jugement qui ordonne le transfert (art. 60 LCE), du jugement qui autorise le transfert (art. 62 LCE) ou de celui qui clôture la procédure (art. 67 LCE)?

Le libellé de l'article 70 LCE fait aussi bien référence au jugement qui ordonne le transfert qu'à celui qui clôture la procédure sur pied de l'article 67 LCE. A notre estime c'est ce dernier jugement qui constitue le point de départ du délai de trois mois pour déposer une requête en vue de la décharge du débiteur [22]. En effet, si cette demande devait être formulée dans les trois mois du jugement qui ordonne le transfert (et donc « ouvre » la procédure), le tribunal serait bien souvent - au vu de la durée du sursis et de son éventuel complément offert par l'article 60, alinéa 2, LCE -, invité à examiner une demande alors qu'il ne dispose pas encore des informations indispensables à sa décision: la procédure a-t-elle effectivement abouti à la cession de l'entreprise et s'agissait-il, in concreto, d'un transfert intégral? Sans compter que personne ne sera, à ce stade, en mesure d'apporter au tribunal une série d'informations non moins utiles en vue de statuer sur la décharge du débiteur, telles l'attitude de ce dernier pendant la procédure, la qualité de sa collaboration avec le mandataire de justice, voire le prix de cession de l'entreprise, etc.

C'est d'ailleurs une telle lecture de l'article 70 LCE que semble avoir retenu le tribunal gantois dans l'espèce annotée [23]. En effet, le jugement ordonnant le transfert a été prononcé en date du 5 août 2014, tandis que la requête sollicitant la décharge fut déposée le 27 avril 2015.

15.Relevons encore que les créanciers ne sont nullement invités à comparaître aux débats sur la décharge, ni même informés de la tenue de l'audience. La requête est en effet notifiée par le greffier, suivant l'article 70, alinéa 2, LCE, au seul mandataire de justice. Il reste toutefois loisible aux créanciers, comme l'administration fiscale en l'espèce tranchée par le tribunal gantois, d'intervenir volontairement à la procédure.

3. La portée de la décharge

16.Puisque la décharge peut, comme on l'a souligné, intervenir alors que le débiteur conserve l'intégralité de son patrimoine non professionnel, l'on pouvait attendre que les effets soient circonscrits aux seules dettes professionnelles ou commerciales de ce dernier. Il n'en est rien. On examinera la portée et les effets de la décharge en ce qui concerne, d'abord, le débiteur (a) et, ensuite, son conjoint, ex-conjoint ou cohabitant légal (b).

a. En ce qui concerne le débiteur

17.Aux termes de l'article 70 LCE, la décharge concerne, sans autres précisions, « les dettes existantes au moment du jugement ordonnant le transfert ». A l'instar de l'article 82, alinéa 1er, de la loi sur les faillites en matière d'excusabilité, la loi du 31 janvier 2009 n'indique pas la nature des dettes affectées par la décharge. A défaut d'une telle précision, la décharge porte donc tant sur les dettes professionnelles ou commerciales du débiteur que sur ses dettes privées ou civiles [24].

L'excusabilité est toutefois sans effet sur les dettes alimentaires du failli et celles qui résultent de l'obligation de réparer le dommage lié au décès ou à l'atteinte à l'intégrité physique d'une personne, en vertu de l'article 82, alinéa 3, de la loi sur les faillites. Curieusement, ces dettes n'ont pas été protégées contre la décharge offerte au débiteur sursitaire, faute d'une disposition légale en ce sens.

En outre, la décharge n'est pas circonscrite aux dettes sursitaires mentionnées dans la requête introductive de la procédure mais vise aussi les dettes intervenues en cours de sursis, jusqu'au jugement qui ordonne, en vertu de l'article 60 LCE, le transfert d'entreprise. Ainsi, dans l'hypothèse où, par exemple, le débiteur sollicite dans un premier temps l'ouverture d'une procédure en vue d'aboutir à un plan collectif pour ensuite obtenir, sur pied de l'article 39 de la loi, la modification de l'objectif de la procédure en faveur d'un transfert d'entreprise, il faut comprendre que le créancier qui aura, pendant le premier temps du sursis, maintenu sa confiance envers le débiteur verra, in fine, sa créance définitivement paralysée par la décharge du débiteur.

L'article 70, alinéa 4, précise quelque peu les conséquences de la décharge: pour les dettes concernées, le débiteur « ne peut plus être poursuivi par ses créanciers ». Il s'agit de l'exacte réplique de l'article 82, alinéa 1er, de la loi sur les faillites qui décrit les effets de l'excusabilité. Par analogie avec la jurisprudence développée en matière de faillites, on peut affirmer que les dettes qui n'auraient pas été intégralement apurées par la distribution du produit de la cession d'entreprise se voient donc, à défaut d'être purement et simplement effacées, placées à l'abri de toutes voies d'exécution mues par les créanciers. Il subsiste dans le chef du débiteur, tout au plus, une obligation naturelle pour le solde de ses dettes. En cas de paiement volontaire du débiteur, ce dernier ne pourrait donc, par la suite, en exiger le remboursement [25]. De même, en indiquant que l'effet de la décharge consiste en une interdiction des poursuites plutôt qu'en l'extinction des dettes concernées, l'article 70 de la loi suggère, comme l'actuelle mouture de l'article 82 de la loi sur les faillites, que les accessoires de la dette (caution personnelle, gage ou hypothèque consentis par un tiers, etc.) ne sont donc pas affectés, à tout le moins de plein droit, par la décharge du débiteur [26].

18.Dans l'hypothèse soumise au tribunal de commerce de Gand, la requérante a sollicité une décharge limitée aux seules créances sursitaires ordinaires. Elle s'est engagée à poursuivre le paiement des deux créances extraordinaires garanties par une hypothèque sur son immeuble privé. Le tribunal a fait droit à cette demande, prononçant une décharge qui concerne « schulden die bestaan op het ogenblik van het vonnis dat de overdracht van de gehele onderneming beveelt, met uitzondering van de schuld ten aanzien van Record Bank NV en de schuld ten aanzien van de Belgische Staat, […] in de mate deze schulden kunnen worden gekwalificeerd als buitengewone schulden in de opschorting ».

La légalité d'une telle décharge partielle pose question. On l'a souligné à suffisance, le législateur a entendu calquer mutatis mutandis le régime de la décharge sur celui de l'excusabilité. Dans la mesure où les articles 70, alinéa 4, LCE et 82, alinéa 1er, de la loi sur les faillites décrivent, dans les mêmes termes, les effets attachés aux deux régimes, les enseignements relatifs à l'excusabilité semblent pouvoir être transposés à la décharge. Or, travaux parlementaires à l'appui [27], I. Verougstraete enseigne que l'excusabilité partielle est exclue: « c'est tout ou rien, ce qui simplifie la question et évite le risque d'une discrimination que pourrait commettre le juge ». Le même auteur ajoute que « c'est regrettable en un certain sens car la mesure ne peut être affinée au profit de certains créanciers pour qui l'excusabilité est choquante » [28]. Si des décisions offrant une excusabilité limitée au failli ont pu être prononcées, elles ont été fermement critiquées en doctrine [29].

On pourrait toutefois rétorquer qu'il existe une différence substantielle par rapport au mécanisme de l'excusabilité qui plaide en faveur d'une décharge partielle du débiteur sursitaire. En effet, suivant l'article 80, alinéa 2, de la loi sur les faillites, le tribunal doit statuer sur l'excusabilité, le cas échéant d'office, au plus tard au moment de clôturer la procédure de faillite, même si le failli ne comparaît pas ou ne sollicite pas son excusabilité. Au contraire, la décharge n'intervient en aucun cas d'office mais uniquement sur requête du débiteur sursitaire. D'ailleurs, le débiteur perd cette opportunité de décharge s'il n'introduit pas la requête dans un délai de trois mois [30]. En d'autres termes, l'excusabilité du failli est une mesure de faveur sur laquelle le tribunal doit statuer, même d'office, et dont il ne peut s'écarter qu'au prix d'une motivation spéciale. A l'inverse, la décharge du débiteur est une prérogative de ce dernier que le tribunal peut lui accorder si la demande est introduite dans les formes et dans le délai légal. Dans l'espèce examinée, la requérante n'avait sollicité qu'une décharge partielle de ses dettes. Par conséquent, le lien de nécessité qui unit, suivant le régime de l'article 70 LCE, la demande du débiteur à la décision de décharge ne faisait-il pas peser, sur le tribunal gantois, la pleine mesure du principe dispositif avec, pour corollaire, l'interdiction de statuer ultra petita?

19.On comprend d'autant plus facilement la position adoptée par le jugement gantois qu'en l'espèce, si une décharge totale avait été prononcée, il semble acquis que la créance bancaire et la créance fiscale, quoique garanties par une hypothèque, auraient suivi le sort de toutes les autres créances antérieures au jugement ordonnant le transfert. Ces créances échappant désormais à toutes poursuites, on voit mal comment les immeubles, bien qu'ils constituent l'assiette de leur garantie, auraient pu faire l'objet d'une quelconque mesure d'exécution forcée [31]. Par conséquent, la débitrice ne se serait-elle pas retrouvée dans la situation suivante: déchargée de toutes ses dettes, tant privées que professionnelles, en ce compris celles garanties par une hypothèque sur son immeuble, alors que seul son patrimoine professionnel (son entreprise) aurait été réalisé en vue de désintéresser les créanciers - l'immeuble hypothéqué, désormais quitte et libre de toute charge, demeurant ainsi dans le patrimoine de la débitrice déchargée?

Confrontée à une situation du même ordre, la cour d'appel de Liège, par un arrêt du 12 avril 2016 [32], avait anticipé cette difficulté. En l'espèce, le mandataire de justice chargé du transfert d'entreprise s'était vu soumettre une seule offre, émanant d'un voisin du débiteur sursitaire. Ce dernier proposait d'acquérir l'intégralité de l'entreprise à l'exception de l'immeuble du débiteur, qui était pourtant affecté, du moins en partie, à l'exercice de l'entreprise. L'acquéreur offrait également d'engager le débiteur sursitaire afin qu'il poursuive les contrats intuitu personae de l'entreprise. Dans ses rapports, le juge délégué ne cachait pas son sentiment que « la procédure de transfert est utilisée à d'autres fins que celles prévues par la loi ». La cour d'appel, dans la foulée du tribunal de commerce, n'a pas hésité à interpréter la réserve formulée par le juge délégué en ces termes: le débiteur « cherche à éviter la faillite et à bénéficier de la décharge prévue par l'article 70 LCE, tout en mettant à l'abri son immeuble dont il est clair qu'il comprend une partie professionnelle ». Estimant, en substance, que le débiteur privilégiait ainsi son patrimoine personnel au détriment des intérêts de ses créanciers, la cour d'appel a jugé la demande d'autorisation du transfert constitutive d'abus de droit. Elle a également estimé que, faute d'acquérir le local professionnel du débiteur, l'offre du cessionnaire ne pourrait être considérée, ainsi que l'exige l'article 62, alinéa 3, LCE, comme aussi intéressante pour les créanciers que la valeur de réalisation forcée présumée en cas de faillite ou liquidation. La cour d'appel a ainsi confirmé le jugement qui refusait la demande d'autorisation de transfert.

b. En ce qui concerne son conjoint, ex-conjoint ou cohabitant légal

20.Si la décision examinée ne concernait pas le conjoint ou les proches du débiteur sursitaire, il nous paraît utile de rappeler brièvement le sort réservé à ces derniers par la réforme du 27 mai 2013. Les conjoints du débiteur sursitaire avaient, on l'a déjà rappelé, été quelque peu oubliés par la loi de 2009. Le législateur de 2013 a veillé, selon ses propres explications, à combler cette lacune en appliquant notamment aux proches du débiteur sursitaire « mutatis mutandis les solutions permettant la décharge des proches du failli » [33]. Ainsi, l'article 70, alinéa 4, LCE prévoit désormais que la décharge prononcée par le tribunal libère le conjoint, l'ex-conjoint ou le cohabitant légal du débiteur, coobligé à la dette de ce dernier.

Le libellé de cette disposition, par comparaison au texte de l'article 82, alinéa 2, de la loi sur les faillites, ne manque pas d'interpeller.

21.Primo, les personnes visées par l'article 70 LCE sont les coobligés à la dette du débiteur. Si le législateur a simplement voulu aligner, comme il l'affirme, le régime de la décharge sur celui de l'excusabilité, sans doute aurait-il été préférable qu'il reproduise à l'identique les termes de l'article 82 - dont on sait que l'interprétation de pratiquement chacun des mots a pu, à un moment ou un autre, prêter à controverse [34] -, à savoir évoquer le proche du débiteur qui « est personnellement obligé à la dette de son époux ». Ou bien le législateur a-t-il plutôt entendu, par l'emploi du terme coobligé, exclure du bénéfice de la décharge les obligations qui ont été souscrites par le conjoint en qualité de sûreté personnelle [35] du débiteur? En effet, si le conjoint est, comme caution du débiteur, personnellement obligé à la dette de son époux, on peut douter qu'il devienne, par ce même cautionnement, coobligé à la dette principale. C'est d'ailleurs ce que semblent indiquer les travaux préparatoires lorsqu'ils précisent que la protection de l'article 70 LCE « ne profite pas aux conjoints, ex-conjoints et cohabitants légaux qui se sont portés cautions pour les dettes du débiteur puisque ce sont les dispositions du Code civil et de la loi sur le cautionnement à titre gratuit qui s'appliqueront » [36]. En effet, conformément à l'article 70 in fine LCE, la décharge du débiteur ne bénéficie en aucun cas à ses codébiteurs (hors conjoint) et ses sûretés personnelles.

Secundo, la décharge organisée par l'article 70, alinéa 4, LCE concerne, sans autre forme de précision, « l'ex-conjoint du débiteur » tandis que l'article 82, alinéa 2, de la loi sur les faillites indique que seul l'ex-conjoint qui est personnellement obligé à la dette de son époux contractée du temps du mariage est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité. On ne peut, à cet égard, qu'opiner en faveur d'un oubli du législateur au moment de rédiger l'article 70, alinéa 4, LCE tant il paraît improbable que ce dernier ait entendu étendre, de plein droit, les effets de la décharge à l'ex-conjoint qui, des années après le divorce, aurait par exemple, motivé à l'instar d'une caution gratuite par son amitié envers le débiteur, accepté de se porter codébiteur solidaire d'un prêt consenti à son ex-époux. Par contre, l'article 70, alinéa 5, LCE précise que la décharge ne peut profiter au cohabitant dont la déclaration de cohabitation légale a été faite dans les six mois précédant le dépôt de la requête en réorganisation judiciaire.

IV. Conclusions

22.En promulguant, par la loi du 31 janvier 2009, un mécanisme de décharge en faveur du débiteur qui a transféré, sous autorité de justice, la totalité de son entreprise en personne physique, le législateur a entendu mettre en place un régime de faveur analogue à l'excusabilité du failli. Dans l'état actuel des textes, et désormais de la jurisprudence, des disparités substantielles entre les deux régimes subsistent toutefois. Le tribunal de commerce conserve notamment un pouvoir d'appréciation nettement plus large lorsqu'il statue sur une demande de décharge.

C'est compréhensible. En effet, l'excusabilité du failli et la décharge du débiteur sursitaire interviennent dans un contexte qui recèle une différence fondamentale. Ainsi, l'excusabilité ne se conçoit qu'après réalisation intégrale du patrimoine du failli, tant privé que professionnel. A l'inverse, le prérequis à la décharge du solde des dettes du débiteur sursitaire est limité au transfert, en totalité, de son entreprise. Il n'est pas ici question de liquider le patrimoine privé du débiteur, lequel pourrait parfaitement conserver immeubles privés, salaires saisissables et autres biens susceptibles de réalisation à l'abri des poursuites.

23.Depuis l'adoption de la loi sur les faillites du 8 août 1997, l'excusabilité du failli, comme le soulignait déjà B. Inghels en 2007 [37], est « sans doute une des matières qui a fait couler le plus d'encre ». Ni la Cour constitutionnelle, qui s'est penchée sur la question à près de cinquante reprises, ni le législateur, qui a remis par quatre fois l'ouvrage sur son métier, ne sont toutefois parvenus à éliminer, loin s'en faut, toutes les aspérités qui parsèment ce régime de faveur. Introduite par la loi du 31 janvier 2009, la décharge du débiteur sursitaire semble prendre un chemin identique.

On peut dès lors légitimement s'interroger sur l'efficacité économique de ces mesures de fresh start qui suscitent tant de controverses juridiques. La doctrine économique s'est penchée sur la question à différentes reprises. Une étude de 2011 souligne le caractère à double tranchant de la faveur ainsi accordée au failli: d'un côté, elle rassure les potentiels entrepreneurs et les incite donc à lancer leur activité, de l'autre, elle transfère le risque aux créanciers qui augmentent les taux d'intérêts en conséquence - ce qui constitue un obstacle au lancement d'une activité. L'étude conclut toutefois à un effet globalement positif sur le développement de l'entreprenariat [38]. D'autres recherches [39] confirment les vertus du fresh start; les anciens faillis, enrichis de leurs expériences passées, ont tendance à développer plus rapidement leur nouvelle activité et rencontrent un taux d'échec plus faible [40]. On pourrait extrapoler le raisonnement au mécanisme de la décharge du débiteur dans le cadre de la LCE.

Si ce constat plaide évidemment pour le maintien de ces mécanismes de faveur, on ne peut qu'espérer, comme la doctrine le réclame depuis de nombreuses années [41], que le législateur prenne le temps de repenser globalement la question, pour offrir un régime, enfin libéré de ses actuelles vicissitudes [42], pleinement cohérent et efficace. Gageons qu'il s'acquittera de cet épineux devoir à l'occasion de l'insertion envisagée des lois en matière de faillites et de continuité des entreprises au sein du Code de droit économique.

[1] Collaborateur scientifique à l'ULg, substitut du procureur du Roi de Liège.
[2] Assistant à l'ULg.
[3] M.B., 9 février 2009.
[4] Sur ce point, voy. infra, nos 8 et s.
[5] C.C., 18 janvier 2012, n° 8/2012, C.C.-A., 2012, p. 121; D.A.O.R., 2012, p. 352, note J. Brondel; J.T., 2012, p. 125, note M. Rigaux; N.J.W., 2012, p. 379, note P. Hannes; R.D.C., 2012, p. 435, note I. Verougstraete et A. Van Hoe.
[6] Doc. parl., Chambre, 2007-2008, n° 160/001, p. 33; A. Zenner, La nouvelle loi sur la continuité des entreprises, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009, p. 136. Cette analyse est toutefois critiquée par J. Windey, « La loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises », J.T., 2009, p. 247, n° 46.
[7] Doc. parl., Chambre, 2007-2008, n° 160/001, p. 7.
[8] Doc. parl., Chambre, 2007-2008, n° 160/002, p. 78. Voy. aussi 160/003, p. 32.
[9] Loi modifiant diverses législations en matière de continuité des entreprises (M.B., 27 juillet 2013).
[10] Doc. parl., Chambre, 2012-2013, n° 2692/001, p. 31.
[11] C'est nous qui soulignons.
[12] Voy. art. 59, § 1er, LCE; Doc. parl., Chambre, 2007, n° 0160/002, p. 54; cette exigence légale a conduit une jurisprudence largement majoritaire à refuser le transfert sous autorité de justice lorsque, les activités dont la cession est proposée ayant cessé, un transfert en going concern apparaît impossible: Comm. Bruges, 22 mars 2010, R.W., 2010-2011, p. 680, confirmé par Gand, 25 octobre 2010, R.W., 2010-2011, p. 1478; voy. aussi Gand, 6 juin 2011, R.D.C., 2012, p. 465; Bruxelles, 3 mai 2013, J.L.M.B., 2013, p. 1527; Comm. Bruges, 30 mars 2011, R.W., 2011-2012, p. 666; Comm. Anvers, 30 décembre 2011, R.D.C., 2012, p. 514; Comm. Bruxelles, 19 septembre 2012, J.L.M.B., 2013, p. 317; Comm. Courtrai, 11 octobre 2013, R.W., 2014-2015, p. 234.
[13] I. Verougstraete, Manuel de la continuité des entreprises et de la faillite, o.c., p. 233.
[14] En ce sens voy. aussi Liège, 12 avril 2016, 2016/RG/392, inédit, infra, n° 19.
[15] Aussi bien professionnelles que privées, voy. infra, n° 17.
[16] Loi sur les faillites du 8 août 1997 (M.B., 28 octobre 1997).
[17] Voy. not. Mons, 30 janvier 2006,        J.L.M.B., 2006, p. 1373; J.T., 2006, p. 197; voy. égal. Liège, 28 septembre 2006,        J.L.M.B., 2008, p. 15; Liège, 16 mars 2006,        J.L.M.B., 2006, p. 1376; Liège, 10 février 2005,        J.L.M.B., 2006, p. 1352.
[18] Soulignement ajouté.
[19] En ce sens, voy. W. David, J.-P. Renard et V. Renard, La loi relative à la continuité des entreprises: mode d'emploi, Waterloo, Kluwer, 2010, p. 232. Comp., I. Verougstraete, Manuel de la continuité des entreprises et de la faillite, o.c., p. 243, qui, à propos du caractère (non) automatique de la décharge, estime qu'« il est impératif que les cours et tribunaux calquent leur jurisprudence sur celle développée en matière d'excusabilité si l'on veut s'assurer d'un minimum de cohérence entre les deux régimes. L'objectif du législateur est d'ailleurs très clair. Techniquement, l'excusabilité n'entraîne pas une décharge, mais le résultat est pratiquement pareil ».
[20] Comme suggéré par I. Verougstraete, Manuel de la continuité des entreprises et de la faillite, o.c., pp. 243 et 762. En ce sens, voy. égal. Comm. Liège (Marche-en-Famenne), 2015/1186, inédit.
[21] C'est nous qui soulignons.
[22] Contra, voy. I. Verougstraete, Manuel de la continuité des entreprises et de la faillite, o.c., p. 243: « ce délai commence à courir à partir de la décision ordonnant le transfert, qui ne coïncide pas nécessairement avec la décision clôturant la procédure de réorganisation judiciaire ».
[23] Dans ce sens égal. voy. Comm. Liège (division de Marche-en-Famenne), 2015/1186, inédit.
[24] En matière de faillite, voy. C.C., 17 janvier 2008, n° 9/2008, C.C.-A, 2008, p. 79.
[25] En ce sens, en matière d'excusabilité, voy. Gand, 9 janvier 2012, T.G.R.-T.W.R., 2012, p. 116; Civ. Mons, 19 mai 2011, R.G.C.F., 2012, p. 100.
[26] En ce sens, voy. S. Jacmain, note sous J.P. Bruges, 16 octobre 2003, R.D.C., 2004, p. 626; G.-A. Dal, « L'excusabilité de la loi du 4 septembre 2002, réparation ou bricolage? », J.T., 2003, p. 637; F. T'Kint et W. Derijcke, « Une caution n'est pas l'autre: sévérité jurisprudentielle passée dans l'attente d'une bienveillance législative à venir (?) », R.D.C., 2002, p. 419; A. Cuypers, « L'excusabilité du failli et la position de l'épouse et des cautions dans la loi de réparation sur les faillites », R.D.C., 2003, pp. 267 et s., n° 36.
[27] Le projet de loi ayant abouti à la réforme du 4 septembre 2002 (M.B., 21 septembre 2002), prévoyait la possibilité d'une excusabilité partielle (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, n° 1132/001, pp. 14-17 et 29) qui n'a pas résisté aux débats parlementaires.
[28] I. Verougstraete, Manuel de la continuité des entreprises et de la faillite, o.c., p. 759. En ce sens, voy. Mons, 10 mars 2014, D.A.O.R., 2014, p. 123.
[29] Comm. Verviers, 21 décembre 2006,        J.L.M.B., 2007, p. 981, note critique de P. Cavenaile.
[30] Voy. supra, n° 14.
[31] En matière d'excusabilité, comp. C.C., 13 juin 2013, n° 86/2013, C.C.-A, 2013; Cass., 18 octobre 2013, R.G. C.11.0080.F, J.L.M.B., 2014, p. 27.
[32] Liège, 12 avril 2016, 2016/RG/392, inédit.
[33] Doc. parl., Chambre, 2012-2013, n° 2692/001, p. 31.
[34] D. Pasteger, « Le point sur la libération des proches du débiteur failli ou sursitaire: en attendant Godot », R.D.C., 2014, pp. 647-674.
[35] En matière d'excusabilité, voy. Cass., 8 mai 2015, R.G. C.13.0301.N, R.W., 2015-2016, p. 620.
[36] Doc. parl., Chambre, 2012-2013, n° 2692/001, p. 31.
[37] B. Inghels, « Petite histoire d'une grande idée: l'excusabilité [en matière de faillite] », R.D.C., 2007, p. 307.
[38] F.M. Frossen, « Personal Bankruptcy Law, Wealth and Entrepreneurship: Theory and Evidence from the Introduction of a 'Fresh Start' », IZA Discussion, Paper No. 5459, January 2011.
[39] M.J. White, « Personal Bankruptcy: Insurance, Work Effort, Opportunism and the Efficiency of the 'Fresh Start' », Preliminary draft presented at the Am. Law & Economics Assn. Conference, New York, May 2005; J. Ampour et D. Cumming, « Bankruptcy law and entrepreneurship », American Law and Economics Review, 10(2), 2008, pp. 303-350.
[40] E. Stam, D.B. Audretsch et J. Meijaard, « Renascent Entrepreneurship », ERIM, 2006.
[41] Voy. not. B. Inghels, o.c., p. 331; E. Van Den Haute, « Les époux face à l'insolvabilité: quelle (in)sécurité juridique? », Rev. dr. U.L.B., 2008, pp. 63 et s.; A. Aydogan, « De partnerbescherming na de verschoonbaarverklaring van de gefailleerde handelaar: verleden, heden en toekomst », T. Not., 2013, p. 502.
[42] I. Verougstraete, « Des vicissitudes de l'excusabilité », Rev.prat.soc., 2010, p. 114.