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Cour d'appel Bruxelles (18ème ch. F aff. civ.), 30/06/2016, R.D.C.-T.B.H., 2016/8, p. 774-784

Cour d'appel de Bruxelles (18ème ch. F aff. civ.)30 juin 2016

CONCURRENCE
Droit européen de la concurrence - Pratiques concertées - Notion - Lobbying - Echanges d'informations et concertation qui ne concernent pas le comportement des entreprises sur le marché - Activité « hors marché » - Processus de certification et de normalisation conformes aux exigences européennes d'ouverture, d'objectivité, de transparence et de non-discrimination - Pas d'infraction aux règles de concurrence
Le droit de la concurrence n'est pas concerné par des échanges d'information et une concertation qui ne concernent pas le comportement des entreprises sur le marché. En l'occurrence, les activités de lobbying incriminées sont restées liées aux processus de certification et de normalisation conformes aux exigences européennes d'ouverture, d'objectivité, de transparence et de non-discrimination. Il n'y a dès lors pas eu de pratiques restrictives de concurrence.
MEDEDINGING
Europees mededingingsrecht - Afgestemde gedragingen - Begrip - Lobbying - Uitwisseling van informatie en samenspraak die geen ondernemersgedrag op de markt vormen - Activiteiten “buiten de markt” - Procedures van certificatie en normalisatie conform aan Europese eisen van openheid, objectiviteit, transparantie en afwezigheid van discriminatie - Geen inbreuk op mededingingsregels
Het mededingingsrecht speelt niet bij de uitwisseling van gegevens en onderling afgestemde gedragingen die geen gedrag van ondernemingen op de markt vormen. In onderhavig geval waren de als inbreuk beschouwde lobbyingactiviteiten verbonden aan procedures van certificatie en normalisatie en in overeenstemming met de Europese eisen van openheid, objectiviteit, transparantie en afwezigheid van discriminatie. Van mededingingsbeperkende gedragingen is dan ook geen sprake.

Holcim (Belgique) SA / L'Autorité belge de la Concurrence, Cimenteries CBR SA, le Ministre de l'Economie,

Fédération de l'Industrie Cimentière Belge ASBL / L'Autorité belge de la Concurrence, Compagnie des ciments belges SA, Centre National de Recherches scientifiques et techniques pour l'Industrie Cimentière, Orcem SA

Siég.: M. Salmon (conseiller f.f. président), H. Reghif (conseiller) et C. Verbruggen (magistrat suppléant)
Pl.: Mes L. Garzaniti, A. De Brousse, A. Burckett, M. J. Marchandise, Mes A. Vroninks, Ph. Vernet, E. de Schietere de Lophem, F. Louis, B. Van Asbroeck, C. Lazarus, A. Vallery, F. Baetens, A. Delfosse, S. Grando
Affaires: 2013/MR/11, 2013/MR/12, 2013/MR/13, 2013/MR/14, 2013/MR/15

(…)

I. La décision entreprise et les antécédents de procédure

[…]

II. Exposé des faits utiles à la compréhension du litige
II.1. Le ciment - Le LMA - Le béton prêt à l'emploi

13. Les ciments courants, dénommés CEM, sont répertoriés en 5 catégories selon l'addition utilisée et leur teneur en clinker: CEM I, CEM II, CEM III, CEM IV et CEM V.

14. Les ciments peuvent être purs, tel le CEM I, aussi appelé Portland, qui contient 93 à 97% de clinker, ou composés de plusieurs additions minérales dont les principales sont le laitier granulé, les cendres volantes des centrales électriques thermiques et le calcaire.

Le laitier est le résidu du processus de fabrication de la fonte en haut fourneau.

Le CEM III est le ciment qui contient le plus grand pourcentage de laitier granulé, qui vient donc en remplacement partiel du clinker (36 à 95% de laitier granulé et le reste de clinker).

Le mélange qui constitue le CEM III est effectué en cimenterie, au terme d'un processus « qui prend plus de 45 minutes et qui est soumis à des contrôles rigoureux du processus de production » (p. 36, n° 122 des conclusions de FEBELCEM, élément non contesté).

15. Le CEM III intervient dans la fabrication du béton prêt à l'emploi, destiné à être coulé sur chantier après avoir été préparé dans des installations industrielles fixes ou mobiles, appelées centrales à béton.

Le béton prêt à l'emploi est constitué de ciment (15%), de granulats (85%) et d'eau, complété éventuellement d'adjuvants et « d'additions de type Il » (décision, § 33).

16. Le LMA est du laitier granulé préalablement broyé seul.

Le LMA peut intervenir dans la fabrication du béton prêt à l'emploi lorsqu'il est mélangé au CEM I, en remplacement partiel du CEM III.

Le mélange du CEM I avec le LMA est effectué à la bétonnière, avant emploi.

II.2. Les parties en présence

17. ORCEM a été créée le 28 mars 2000. C'est une société de droit hollandais active dans la production de LMA aux Pays-Bas, où son usine est devenue opérationnelle en mai 2002. Elle exporte son produit en Belgique sous le nom « EC02cem ».

18. CCB, CBR et HOLCIM sont des sociétés commerciales belges actives dans la production et la commercialisation de ciment et de granulats. Ce sont les principaux producteurs et vendeurs de ciment gris sur le marché belge. HOLCIM est également active sur le marché européen de la production de ciment gris.

CCB et HOLCIM possèdent également en Belgique des centrales qui préparent du béton prêt à l'emploi pour le marché belge. CBR et HOLCIM étaient, au début de la période examinée, les sociétés mères de la SA Inter-Béton (« Inter-Béton »), leur filiale commune.

Selon l'ABC, CCB, CBR et HOLCIM font partie de groupes de sociétés internationaux de cimentiers qui commercialisent du LMA en dehors de la Belgique (voir à ce propos, le n° 39 de la décision).

19. FEBELCEM est une association sans but lucratif, la « Fédération de l'Industrie Cimentière Belge », qui en tant qu'organisation professionnelle des producteurs de clinker et de ciment gris en Belgique rassemble les 3 cimentiers belges précités.

Elle a pour but de défendre et promouvoir les intérêts communs de leur industrie, en conformité avec les exigences de l'intérêt général, de promouvoir l'utilisation du ciment en Belgique et d'assurer la représentation sectorielle extérieure des membres.

20. L'UBAtc est un organisme constitué sous la forme d'une ASBL dont les membres sont d'après la décision (§ 76) le SECO (Bureau de contrôle technique pour la construction, organisme d'inspection accrédité), le CSTC (Centre scientifique et technique pour la construction, centre « De Groote »), le ministère des Communications et de l'Infrastructure, Probéton, le MET (Région wallonne), l'Université de Gand, et le CRIC; il est placé sous l'égide du ministre de la Communication et de l'Industrie (MCI) et actuellement du SPF Economie (la nature exacte des liens avec l'autorité publique ne sont pas explicités par les parties; ces liens ne sont cependant pas contestés par l'ABC; la décision en fait état en évoquant « L'UBAtc (...) instituée auprès du SPF Economie (...) » (§ 76)). Il délivre des agréments techniques ou ATG pour des matériaux, produits, systèmes de construction et pour des installateurs, et gère la « marque ATG ».

Il intervient dans la cause pour avoir traité la demande d'agrément technique faite par ORCEM (voir infra), notamment au sein de son bureau exécutif Liants (« BE Liants ») et d'autre part au sein du groupe spécialisé Liant (« GS Liants »).

21. L'IBN ou Institut belge de la normalisation était à l'époque des faits un organisme constitué sous la forme d'une ASBL, sous l'égide du ministère des Affaires économiques, puis du SPF Economie. Il a été créé par un arrêté-loi de 1945 et dissout en 2006 pour être remplacé par le NBN.

Il intervient dans la cause, d'une part, lors de la révision des normes applicables au béton et au ciment (processus de normalisation) et, d'autre part, lorsqu'il sera question d'autoriser ORCEM à se prévaloir de la marque BENOR (processus de certification).

L'IBN intervient dans le processus de normalisation, car il a pour mission de participer aux travaux d'élaboration des normes techniques en Belgique. Il dispose à cet effet en son sein de la Commission de normalisation béton ou Commission béton et de la Commission de normalisation ciment ou Commission ciment.

Au sein de la Commission béton, le groupe de travail NBN EN 206_1 fut chargé des travaux d'intégration dans la norme belge, de la norme béton européenne EN 206-1.

Ensuite, l'IBN est propriétaire de la marque de qualité BENOR. Il dispose de comités de certification BENOR, l'un pour le ciment (CD certification Ciment) et l'autre pour le béton (CD certification Béton) et d'un Comité de la Marque. Le secrétariat des CD certification Béton et Ciment est assuré par le CRIC, qui est également l'organisme de certification désigné par le comité de la marque pour la certification du béton prêt à l'emploi.

22. Le CSTC est le centre scientifique et technique de la construction, chargé de la recherche industrielle collective. Il rassemble les entrepreneurs de la construction.

23. Le CRIC ou Centre national de Recherches scientifiques et techniques pour l'industrie cimentière est un établissement reconnu par application de l'arrêté-loi du 30 janvier 1947 (donc un centre « De Groote »). Il a été créé à l'initiative de l'industrie cimentière mais il a établi un manuel « Qualité Certification » destiné à assurer son indépendance, son impartialité et la confidentialité des informations transmises.

Il mène des activités de recherche et d'essais concernant le ciment et le béton notamment, ainsi que des activités de normalisation et de certification.

II.3. Le cadre normatif et le processus de normalisation

24. Lorsqu'après sa création en mars 2000, ORCEM décide de commercialiser du LMA en Belgique, aucune norme belge ou européenne ne traite de l'utilisation du LMA dans la fabrication du béton. Ce n'est qu'en 2006 qu'une norme européenne est adoptée pour ce matériau.

En 2000, une norme européenne traite du ciment, la norme NBN EN 197-1:100 et comme on l'a vu elle distingue 5 types de ciment. Pour cette norme, le ciment est le seul liant hydraulique prévu pour le béton; le LMA n'intervient pas.

Pour le béton, c'est la norme belge NBN B 15-001:1992 qui est d'application. Elle ne traite pas du LMA et confirme le rôle de liant du ciment.

25. Dès le mois de mai 2000, et donc peu après la création d'ORCEM, une nouvelle norme européenne EN 206-1 est adoptée par le Comité européen de Normalisation pour le béton; l'entrée en vigueur de cette norme est initialement prévue pour juin 2003 mais elle sera reportée à juin 2004.

La nouvelle norme européenne doit apporter des modifications significatives aux pratiques bétonnières, ce qui explique le temps nécessaire à son entrée en vigueur.

Elle n'introduit pas une harmonisation totale et reconnaît au contraire une marge de manoeuvre à chaque Etat membre pour sa transposition.

Deux normes belges interviendront: la norme NBN EN 206-1:2001 qui est publiée en février 2001 et la norme NBN B 15-001:2004.

La première transpose purement et simplement la norme européenne.

La seconde la complète et la commente. Elle est également appelée document d'application nationale ou DAN. Il n'est pas discuté que, sans ce DAN, la norme belge NBN EN 206-1 et la norme européenne ne pouvaient être appliquées en Belgique.

26. La nouvelle norme européenne EN 206-1 ne mentionne pas le LMA comme composant du béton et ne prévoit pas son utilisation comme substitut du ciment. La norme belge NBN EN 206-1:2001 non plus, puisqu'elle est sa simple transposition. Quant à l'ancienne norme NBN 15-001:1992 elle prévoit l'utilisation d'une quantité minimale de ciment dans le béton (Cmin) et semble s'opposer à l'utilisation du LMA comme substitution du ciment (voir les ccl FEBELCEM n° 140).

Il reviendra dès lors au DAN de préciser les conditions d'utilisation du LMA, dans le cadre normatif belge et de la sorte d'en reconnaître l'utilisation. Il faut toutefois souligner que le DAN doit traiter d'autres sujets techniques complexes relatifs au béton; le LMA n'est donc qu'une question technique parmi d'autres à traiter.

27. Selon l'industrie cimentière, le DAN est censé entrer en application en juin 2003 ou au plus tard le 1er juin 2004. Les travaux débutent apparemment fin 2000 ou au début 2001 au sein de l'IBN et sont menés par un groupe de travail désigné par la Commission béton de l'IBN (le « GT NBN EN-206-1 »), auquel participent des représentants de FEBELCEM (comme secrétaire), du CRIC (notamment comme président du groupe de travail), un représentant d'Interbéton (lié, donc à HOLCIM et à CBR, Interbéton étant une filiale commune de HOLCIM et de CBR, comme exposé précédemment), des représentants de pouvoirs publics, des experts et des producteurs. Ils n'aboutiront que fin août 2004 par l'adoption de la norme NBN B 15-001:2004 (le DAN).

28. Les principales étapes de l'élaboration du DAN en rapport avec l'utilisation du LMA - sont les suivantes:

- en août 2002, le groupe de travail aborde la thématique du LMA et envisage de permettre son usage avec du ciment CEM I; dans un article 5.2.5.2.4 du projet, il est prévu que « La quantité maximale de LMA de haut-fourneau à prendre en compte pour le coefficient K doit respecter l'exigence: laitier de haut-fourneau moulu / ciment inf ou = 0.30; lorsque le béton est exposé à une clausse d'exposition XF, l'exigence devient laitier de haut-fourneau moulu/ciment inf ou = 0,15 (....) k = 0,9 » (procès-verbal de la réunion de la 16e réunion du groupe de travail NBN-EN 206 du 8 août 2002, document soumis par FEBELCEM, référencé à la p. 4 de l'annexe F à ses conclusions);

- selon FEBELCEM, ce projet de DAN n'est pas approuvé par la Commission béton, pour des raisons étrangères à son article 5.2.5.4; c'est ainsi que les discussions reprennent au sein du groupe de travail sur l'ensemble du projet et sur le LMA;

- une enquête publique est lancée le 24 octobre 2003 sur le projet DAN dans son ensemble et clôturée le 30 novembre 2003;

- lors de la réunion du 12 janvier 2004 de la Commission béton de l'IBN, il est demandé au groupe de travail de se réunir pour prendre en compte les résultats de l'enquête et notamment les remarques relatives au LMA;

- lors de sa réunion du 5 février 2004, le groupe de travail estime qu'il convient de se référer à la norme française pour l'utilisation du LMA, soit une proportion maximale de 30% de LMA et même 15% en milieu dit agressif et un coefficient de remplacement k limité à 0,9;

- le 5 avril 2004, il confirme cette position;

- le DAN est approuvé par la Commission béton de l'IBN le 31 août 2004.

29. La décision ne critique pas les proportions imposées pour l'usage du LMA. On lit sous le point 244, que: « Sur la base des faits analysés et de ces considérations, le Conseil décide qu'il ne peut pas conclure avec suffisamment de certitude à l'existence d'une concertation entre les parties incriminées ayant pour objectif l'adoption de la norme française dans le but de rendre non compétitif le mélange CEM I - LMA et d'exclure ainsi le LMA du marché. »

Par contre, sous le point 231: « Le Conseil décide que des contacts entre parties incriminées, dès la fin 2002, ayant pour objet le retardement du DAN et de la révision de la norme NBN B 15-001, sont établis par certains extraits du dossier d'instruction cités par l'auditeur (...). »

II.4. Les démarches d'ORCEM pour obtenir un ATG certifié

30. Compte tenu du cadre normatif existant en 2000 (voir supra) et afin de favoriser l'utilisation du LMA dans la fabrication du béton dans l'espoir et dans l'attente d'une normalisation qui lui accordera une reconnaissance tout en fixant des conditions d'utilisation, ORCEM doit susciter la confiance dans son produit.

31. Elle forme à cet effet une demande d'agrément technique volontaire avec certification, dit aussi ATG, auprès de l'UBAtc.

Ainsi que l'indique la décision, l'ATG est « un référent normatif de conformité à des spécifications techniques qui concernent la définition du produit, son contrôle et éventuellement ses règles d'application » (§ 74). Il émet donc une appréciation favorable de l'aptitude à l'emploi de produits qui sont nouveaux ou non traditionnels et pour lesquels il n'existe pas de norme NBN, ou de marque BENOR (voir infra), ou encore de PTV (voir infra également).

32. La délivrance d'un ATG certifié pour le LMA requiert:

- une demande introduite avec un dossier technique auprès du secrétariat de l'UBAtc;

- l'élaboration d'un Guide (Guide AT) dont le projet est examiné et approuvé par le bureau exécutif Liants (BE Liants), après avis favorable du groupe spécialisé Liants (GS Liants);

- un processus de certification destiné à vérifier que le produit est conforme au Guide AT;

- en cas de conformité la délivrance d'un agrément certifié, qui est rendu public avec le Guide AT.

33. Un ATG certifié est en principe valable 3 ans; il peut être prolongé ou renouvelé.

34. En l'espèce, la date à laquelle ORCEM introduit sa demande d'ATG certifié est discutée.

Selon l'Auditeur, elle se situe au début 2000 et selon la décision, en mai 2000, ce qui est contesté par les requérantes. La demande n'est en effet pas produite.

En revanche, il appert que ce n'est que le 6 septembre 2004 qu'ORCEM obtient un ATG certifié valable pour 3 ans, après avoir toutefois obtenu, à partir de mai 2002, des ATG « provisoires » valables pour quelques mois.

35. Les principales étapes chronologiques du traitement de sa demande furent les suivantes:

- à une date inconnue, mais qui précède en tout cas le mois de mai 2001, ORCEM forme une demande d'ATG;

- un projet de Guide AT est élaboré par ORCEM et un membre du CSTC;

- de la mi-mai 2001 à fin septembre 2001, ce projet est examiné par le BE Liants qui le remanie. On notera que les cimentiers et FEBELCEM n'en font pas partie. Le CRIC y est représenté, à côté d'autres experts et de représentants des pouvoirs publics;

- à partir du 11 octobre 2001, le GS Liants examine le projet de Guide. Ce groupe a été créé spécialement pour l'examen du Guide AT et il est composé des membres du BE Liants, dont notamment un représentant du CRIC (voir supra) mais également (i) des membres du CD Ciment, parmi lesquels on trouve des cadres de CBR, HOLCIM et CCB, (ii) des représentants d'organismes publics, (iii) des représentants d'utilisateurs et d'organismes de recherche, inspection, normalisation et réglementation (la composition du groupe a été contestée par ORCEM à cause de conflits d'intérêt dans le chef des cimentiers. Ce courrier du 29 novembre 2001 est demeuré sans suite). Lors de cette réunion des objections sont émises par de nombreux membres;

- le 12 novembre 2001, FEBELCEM émet des objections écrites sur le projet. SECO le fera également;

- le 20 novembre 2001, le GS Liants rejette le projet tout en suggérant des adaptations;

- en février 2002, le projet remanié est soumis à l'avis du BE Liants qui émet un avis favorable;

- le 13 mai 2002, il reçoit également l'approbation du GS Liants, en dépit d'objections de FEBELCEM notamment.

Ce Guide AT accepte le LMA comme une addition de type 11, avec une valeur de remplacement k de 1 (1 kilo de ciment par 1 kilo de LMA) et une proportion maximale de 70% pour 30% de CEM I;

- la procédure de certification commence alors; le BE Liants se réunit plusieurs fois à partir de juin 2002 pour analyser les résultats des tests contrôlés par le CRIC. Toutefois, le produit d'ORCEM ne semble pas répondre aux exigences du Guide AT ce qui empêche sa certification;

- à partir de septembre 2002, le BE Liants délivre néanmoins à ORCEM et renouvelle des ATG provisoires, qui permettent au LMA d'intervenir comme une addition de type II, dans les proportions précitées et avec la valeur de remplacement précitée; ORCEM commence la commercialisation du LMA;

- en mars 2003, le BE Liants décide la révision du Guide AT approuvé en mai 2002, pour tenir compte de l'expérience acquise au cours de la période d'application du premier Guide AT;

- de son côté, en avril ORCEM propose un nouveau projet de Guide qui maintient la valeur et les proportions susvisées mais qui supprime une limite supérieure de résistance de 28 jours prévue dans le Guide de mai 2002;

- un GS Liants n° 2 est mis sur pied, pour examiner une nouvelle version du Guide AT; FEBELCEM y participe;

- au cours de l'été 2003, ce projet est examiné par le GS Liants n° 2 et y fait l'objet de critiques de FEBELCEM mais aussi de SECO;

- le 4 septembre 2003, le GS Liants n° 2 recommande son approbation « moyennant les quelques observations » (Doc. 100 (dossier de procédure du Conseil de la concurrence), cote 2576);

- il continue à susciter des oppositions de sorte que cette nouvelle version est suspendue en octobre 2003;

- le 19 février 2004, le GS Liants n° 2 approuve une nouvelle version du Guide AT;

- le même jour un projet d'ATG définitif est approuvé pour 13 mélanges de LMA avec du ciment (au lieu des 42 combinaisons prévues par les ATG provisoires);

- ORCEM refuse cette proposition qui obtient encore un renouvellement de son ATG provisoire;

- le 9 juillet 2004, une nouvelle version du Guide AT est adoptée par le GS Liants et mise en conformité avec les nouvelles normes béton qui ont entre-temps été adoptées (cf. supra). Il diffère sensiblement de la première version du Guide AT puisque les proportions sont à présent de 70% ciment / 30% LMA et le coefficient de rendement est un kilo de ciment pour 1,1 kilo de LMA;

- le 6 septembre 2004, un ATG certifié de 3 ans est délivré à ORCEM sur ces bases. Il est valable pour 45 mélanges de ciment mais seuls ceux qui répondent à la norme belge version 2004 peuvent être certifiés.

36. Sous le point 178 de la décision, le Conseil « constate des preuves de l'objectif des parties incriminées (toutes les parties requérantes) de retarder l'entrée du LMA au niveau de l'adoption du Guide AT qui conditionne l'octroi de l'ATG ».

II.5. La bénorisation du LMA par son utilisation dans le béton BENOR - Adoption d'une circulaire

37. La marque BENOR est une marque de conformité collective qui indique qu'un produit est conforme aux exigences techniques d'une ou plusieurs normes belges ou à des spécifications techniques, appelées PTV (Prescriptions techniques - Technische voorschriften) (voir n° 70 de la décision).

Au moment des faits litigieux, cette marque est la propriété de l'organisme d'intérêt public IBN dont la gestion est assurée par le comité de la marque de conformité BENOR. Ce comité a mandaté le CRIC pour certifier la conformité du béton prêt à l'emploi et de ses constituants aux exigences applicables; PROBETON remplit ce rôle pour les produits préfabriqués.

38. L'ATG provisoire délivré le 4 octobre 2002 à ORCEM et ses renouvellements n'autorisent pas l'utilisation de la marque BENOR par les bétons utilisant son LMA. Un ATG définitif est également insuffisant. En effet, le béton avec LMA doit être conforme aux normes en vigueur pour bénéficier de la marque BENOR et l'on a vu que celles-ci n'autorisent pas l'utilisation du LMA dans le béton jusque fin 2004 (voir supra).

Néanmoins, selon FEBELCEM, ORCEM aurait convaincu des bétonniers du fait qu'ils pouvaient utiliser du LMA dans du béton BENOR, en substitution du ciment jusqu'à concurrence de 70%.

39. En septembre-octobre 2002, le CRIC refuse la certification BENOR à des bétonniers qui utilisaient le LMA dans leur béton (puisqu'aucune norme ne consacre cette utilisation). ORCEM s'en plaint auprès de BELCERT qui a accordé son agréation au CRIC en tant qu'organisme de certification de la marque BENOR.

40. Le 2 décembre 2002, à la demande du comité de la marque, le directeur du CRIC soumet au CD certification du béton, le CDCB, un projet de circulaire destiné à réviser les règles de certification pour le béton consignées dans un document intitulé « TRA 550 » (le TRA a été adopté par le CDCB et validé par le comité de la marque et la Commission béton de l'IBN), pour permettre au CRIC d'accorder l'usage de la marque BENOR à du béton composé de LMA, dans le respect des ATG provisoires (et donc des proportions qu'elles visent); toutefois, il n'est pas question de reconnaître la conformité de ce produit avec la norme béton NBN B 15-001:2001.

La circulaire est immédiatement adoptée par le CDCB et publiée à l'initiative du directeur du CRIC (conclusions de FEBELCEM, n° 225).

41. FEBELCEM - qui n'est pas membre du CDCB - s'insurge contre la circulaire et demande à être entendue.

SECO, qui est membre du CDCB, en demande la suspension lors d'une réunion du 10 février 2003.

Par contre, le CRIC persiste à soutenir la circulaire et assiste aux réunions du CD certification béton sans voix délibérative (ccl FEBELCEM, n° 219).

42. Après avoir entendu FEBELCEM le 13 février et ORCEM le 11 mars 2003, le CDCB suspend la circulaire et mandate un groupe de travail pour rédiger une autre version.

Le 20 février 2003, l'amendement est publié sous la forme d'une nouvelle circulaire qui annule la précédente et n'autorise plus l'utilisation du LMA comme addition de type II.

43. ORCEM forme des recours et en mars 2003, le CDCB et l'IBN décident de recourir à une PTV (voir infra).

Par ailleurs, le 28 mars 2003, le CRIC établit une nouvelle circulaire qui amende le TRA 550 et autorise de manière limitée le LMA dans le béton BENOR mais il ne la publie pas, dans l'attente de la validation de l'IBN (décision, § 133).

44. Sous les points 196 et s. de la décision, le Conseil décide que certains documents « sont de nature à étayer le grief de retardement de l'ensemble de la procédure de normalisation et la stratégie globale de protectionnisme en faveur du ciment gris ».

II.6. L'adoption d'une PTV autorisant la certification du béton

45. La PTV, dont le projet est confié au CRIC par le comité de la marque de l'IBN, doit permettre d'utiliser la marque BENOR pour du béton fabriqué avec du LMA (on a vu ci-dessus que la norme béton de 1992 ne le prévoit pas et que la nouvelle norme est en cours d'élaboration).

46. Cependant, le 4 avril 2003, le comité de la marque de l'IBN n'autorise le CRIC à certifier du béton sous la marque BENOR que s'il est conforme à la norme NBN B 15_001, ce qui exclut le LMA.

En revanche, il reconnaît la possibilité d'adopter des spécifications techniques qui permettraient l'utilisation de la marque BENOR. FEBELCEM lui demandera de préciser si ces spécifications techniques peuvent déroger à la norme mais elle n'obtiendra pas de réponse.

47. Ensuite:

- le projet de PTV est communiqué fin avril 2003 au président du CDCB;

- le 11 août 2003, le CDCB adopte le projet de PTV 561, après un report de cette décision lors d'une réunion du 17 juin précédent, à la demande des producteurs de béton;

- cette PTV est soumise à consultation en août 2003; des observations et objections sont émises, notamment par FEBELCEM qui souligne la violation de la norme béton existante et l'absence de compétence dans le chef du CDCB ou du CRIC pour y déroger;

- le 4 septembre 2003, le bureau du comité de la marque valide et enregistre la PTV après l'avoir modifiée et émis des réserves. La PTV est favorable au LMA en tant qu'addition de type II tel que prévu par l'ATG provisoire;

- les parties ne s'accordent pas sur l'existence d'une ratification par le comité de la marque lui-même. En tout état de cause, le CRIC ne diffuse pas la PTV car il attend une validation de la Commission béton de l'IBN;

- ORCEM conteste les réserves émises dans la PTV et le refus de la diffuser; elle se plaint du CRIC auprès de l'IBN;

- le 16 décembre 2003, le président de la CDCB donne un avis favorable à la publication de la PTV dans sa version d'octobre mais, le 5 janvier 2004, le CRIC décide de postposer cette publication;

- le 12 janvier 2004, selon un procès-verbal du 4 mai 2004, la Commission béton de l'IBN estime que la PTV doit être adaptée au DAN;

- le 13 mai 2004, le CRIC diffuse une nouvelle version de la PTV mais, le 17 mai 2004, le comité de la marque décide d'attendre la finalisation du DAN;

- le 22 septembre 2004, après l'approbation du DAN le 31 août 2004, une seconde édition de la PTV 561, rédigée en fonction du DAN, est validée par le comité de la marque et publiée;

- fin 2004, la PTV devient caduque par la publication de la nouvelle norme NBN B 15_001:2004 qui fixe les normes d'utilisation du LMA.

48. Le Conseil considère qu'une utilisation provisoire de la première mouture de la PTV aurait pu être autorisée alors même qu'elle n'était pas conforme au DAN en préparation ni aux normes existantes ou qu'à tout le moins, une PTV anticipant sur le DAN en préparation aurait pu être adoptée et publiée avant le 31 août 2004.

Il décide encore que les arguments des requérantes sur le plan de la compétence du CDCB et du CRIC pour l'adoption de la PTV, « aussi étayés et minutieusement rapportés soient-ils, sont intimement liés à l'objectif de retardement et même de blocage de cette PTV jusqu'à la publication de la nouvelle norme béton et s'intègrent dans leur stratégie de retardement de ladite nouvelle norme béton » (212) et que « l'objectif des cimentiers de retarder ou de bloquer la PTV n'est pas motivé uniquement par le respect de la norme NBN B 15-001 dans le cadre de bénorisation du béton (214) et il rejette le moyen selon lequel le calendrier et le contenu de la PTV étaient assujettis aux décisions concernant le DAN » (215).

III. Demandes formées devant la cour

[…]

IV. Recevabilité de la demande subsidiaire de l'ABC

[…]

V. Examen des moyens de procédure d'annulation
V.1. Sur le pouvoir de pleine juridiction de la cour

58. En vertu de l'article IV.79, § 2, CDE:

« La cour d'appel de Bruxelles statue, selon la procédure comme en référé, en droit et en fait sur l'affaire soumise par les parties.

La cour statue, sauf dans les cas visés au troisième alinéa, avec pleine juridiction en ce compris la compétence de substituer à la décision attaquée sa propre décision.

Dans les affaires qui portent sur l'admissibilité des concentrations ou des conditions ou charges imposées par le Collège de la concurrence ainsi que les affaires dans lesquelles la cour constate, contrairement à la décision attaquée, une infraction aux articles 101 ou 102 TFUE, la cour statue uniquement sur la décision attaquée avec une compétence d'annulation. (...) ».

Ainsi, la cour dispose d'un pouvoir de pleine juridiction qui lui permet, non seulement de confirmer ou d'annuler la décision mais également d'y substituer ses propres motifs ou encore la réformer.

La cour peut examiner tous les éléments versés aux débats, donner aux écrits produits de part et d'autre sa propre interprétation, laquelle peut être différente de celles de l'auditeur et du Conseil, analyser le contexte factuel de la cause, répondre aux moyens des parties autrement que le Conseil en substituant ses propres motifs à ceux du Conseil, annuler la décision et y substituer la sienne et encore apprécier les sanctions au regard du principe de proportionnalité. Elle pourrait également ordonner la production de pièces ou l'audition de témoins.

V.2. Violation du droit à un procès équitable

[…]

V.2.1. Délai raisonnable

[…]

V.2.2. Publicité de la décision

[…]

V.2.3. Impartialité du Conseil de la concurrence

[…]

V.2.4. Violation des droits de la défense - Grief nouveau

[…]

V.3. Motivation de la décision

[…]

VI. Examen au fond: quant à l'existence d'une infraction à l'article 101, 1., TFUE et à l'article 2 LPCE

79. Les requérantes reprochent au Conseil d'avoir retenu dans leur chef l'existence d'une infraction à l'article 101, 1., TFUE et à l'article 2 LPCE, et en particulier d'avoir décidé qu'il s'agissait d'une infraction par objet au sens de l'article 101, 1., TFUE, sans tenir compte, selon elles, du contexte de lobbying entourant les échanges entre les requérantes.

CCB et le CRIC font, en outre, valoir que les éléments de la décision sont insuffisants pour établir l'infraction dans leur propre chef (défaut de motivation et d'individualisation de la décision).

VI.1. Les principes
Dispositions légales applicables

80. L'article 101, 1., TFUE (ex art. 81TCE) dispose que:

« 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur (...) ». L'article 101, 1., requiert en outre qu'ils soient susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres.

De la même manière, l'article 2 LPCE, tel qu'en vigueur à l'époque des faits, prévoyait en son § 1er que:

« Sont interdits, sans qu'une décision préalable soit nécessaire à cet effet, tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser de manière sensible la concurrence sur le marché belge concerné ou dans une partie substantielle de celui-ci (...). »

Charge de la preuve

81. Le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102] du traité [TFUE] règle la charge de la preuve de la manière suivante:

« Dans toutes les procédures nationales et communautaires d'application des articles 81 [101] et 82 [102] du traité, la charge de la preuve d'une violation de l'article 81 [101], 1., ou de l'article 82 (102] du traité incombe à la partie ou à l'autorité qui l'allègue. En revanche, il incombe à l'entreprise ou à l'association d'entreprises qui invoque le bénéfice des dispositions de l'article 81 [101], 3., du traité d'apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies. » (art. 2 - soulignement ajouté).

Il faut également citer la dernière phrase du considérant 5 du règlement n° 1/2003, en vertu de laquelle: « Le présent règlement ne porte atteinte ni aux règles nationales sur le niveau de preuve requis ni à l'obligation qu'ont les autorités de concurrence et les juridictions des Etats membres d'établir les faits pertinents d'une affaire, pour autant que ces règles et obligations soient compatibles avec les principes généraux du droit communautaire » (principe d'effectivité, reconnu par la jurisprudence constante).

Par ailleurs, la Cour de justice reconnaît l'importance de la présomption d'innocence, qui constitue « un principe général de droit de l'Union, énoncé désormais à l'article 48, 1., de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (...) et que les Etats membres sont tenus de respecter lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de la concurrence de l'Union » (arrêt de la Cour du 21 janvier 2016 dans l'affaire C-74/14, Eturas UAB, § 38 et les références à la jurisprudence antérieure de la Cour).

82. En application de ces principes et tenant compte du droit belge de la preuve qui est dans le même sens, le Conseil - désormais à 1'ABC - doit établir l'infraction à l'article 101 TFUE dans le chef de chaque requérante, et supporter le risque de preuve, à savoir qu'à défaut de celle-ci, l'infraction n'est pas établie.

Cette preuve peut être rapportée par toutes voies de droit, en ce compris par présomptions. Ainsi, notamment, des pratiques concertées peuvent être prouvées par un faisceau d'indices objectifs et concordants.

Accord entre entreprises et pratiques concertées

83. Le Conseil décide qu'il existe entre les requérantes des « accords et/ou des pratiques concertées » ayant pour objet de retarder la normalisation et la certification du LMA et par là d'empêcher, voire de retarder l'entrée sur le marché du LMA d'ORCEM en remplacement partiel du ciment gris CEM III pour la fabrication de béton prêt à l'emploi à la bétonnière, d'une part, et de limiter les quantités de LMA pouvant être utilisées en remplacement partiel du ciment gris CEM III dans ce béton, d'autre part.

Le Conseil ne constate cependant pas et ne prouve pas l'existence d'un accord entre les requérantes. Il ne pourrait donc s'agir que de pratiques concertées.

84. Selon la jurisprudence européenne et notamment l'arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008 (affaire T. 2008/415; dans le même sens, les arrêts de la Cour du 21 janvier 2016, dans l'affaire C-74/14, Euras UAB, du 8 juillet 1999 dans l'affaire C-74/92, Anic Participazioni SpA, du 4 juin 2009 dans l'affaire C-8/08, TMobile Netherlands BV):

« 116. (...) la notion de 'pratique concertée' consiste en une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (arrêt ICI / Commission, point 55 supra, point 64). Les critères de coordination et de coopération en cause, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable 'plan', doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun. S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a. / Commission, nos 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec., p. 1663, points 173 et 174; arrêt PVC II, point 56 supra, point 720).

(...).

118. Dans l'arrêt du 8 juillet 1999, Commission / Anic Partecipazioni (C-49/92 P, Rec., p. I-4125), la Cour a précisé que, comme cela résulte des termes mêmes de l'article 81, 1., CE, la notion de pratique concertée implique, outre la concertation entre les entreprises, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments (point 118). Elle a également jugé qu'il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu'il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché (arrêt Commission / Anic Partecipazioni, précité, point 121). »

85. Ainsi, au vu de la jurisprudence du Tribunal et de la Cour de justice, des pratiques concertées exigent que soient constatés:

- une concertation entre entreprises;

- un comportement de ces entreprises sur le marché;

- un lien causal entre la concertation et le comportement adopté par les entreprises sur le marché.

La Cour de justice reconnaît l'existence d'une présomption de causalité entre la concertation des entreprises et leur comportement sur le marché, présomption étant cependant susceptible d'être renversée par la preuve contraire apportée par les entreprises concernées. Cette présomption de causalité « découle de l'article [101], 1. (...) tel qu'interprété par la Cour et (...) par conséquent, fait partie intégrante du droit communautaire » (arrêt du 4 juin 2009 dans l'affaire C-8/08, T Mobile Netherlands BV, § 5).

Restriction par objet

86. L'article 101 distingue les infractions qui ont pour objet de restreindre la concurrence, de celle qui ont cet effet.

Comme l'indiquent les lignes directrices de la Commission sur les accords horizontaux (2011/C 11/01):

« Les restrictions de la concurrence par objet sont celles qui, par nature, sont susceptibles de restreindre le jeu de la concurrence au sens de l'article 101, 1. Il n'est pas nécessaire d'examiner les effets réels ou potentiels d'un accord sur le marché dès lors que son objet anticoncurrentiel a été établi.

Selon la jurisprudence de la Cour de justice (...), pour déterminer si un accord a un objet anticoncurrentiel, il convient de s'attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel il s'insère. En outre, bien que l'intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer si un accord a un objet anticoncurrentiel, rien n'interdit à la Commission d'en tenir compte dans son analyse. » (§ 24 et 25 des lignes directrices précitées).

Ainsi, en cas d'infraction par objet, l'autorité ne doit pas examiner en outre si l'accord ou les pratiques concertées ont en pratique des effets restrictifs sensibles sur la concurrence, l'objet anticoncurrentiel suffit à établir l'infraction. Ces effets ne doivent être examinés que pour le second type d'infractions.

87. Les arrêts de la Cour de justice rendus les 11 septembre 2014 et 26 novembre 2015 et les conclusions de l'avocat général Nils Wahl précédant l'arrêt du 11septembre 2014 apportent un éclairage récent sur la notion d'infraction par objet (arrêt du 11 septembre 2014, dans l'affaire C-67/13 P, affaire des cartes bancaires et arrêt du 26 novembre 2015, dans l'affaire C-345/14, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 267 TFUE, introduite par l'Augstâkâ tiesa (Cour suprême, Lettonie dans l'affaire SIA « Maxima Latvija »)): « Sous peine de dispenser le Collège de l'obligation de prouver les effets concrets sur le marché d'accords dont il n'est en rien établi qu'ils sont par leur nature même nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, la notion de restriction de concurrence par objet ne peut être appliquée qu'à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen des effets n'est pas nécessaire. » (soulignement ajouté) (arrêt du 11 septembre 2014, nos 53, 54 et 70).

Ainsi que le constate l'arrêt précité de 2015: « Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêt CB / Collège, C-67/13 P, EU:C:2014:2204, point 50 et jurisprudence citée). Il est acquis, à cet égard, que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels, peuvent être considérés comme étant par nature susceptibles d'avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services, de sorte qu'il peut être considéré inutile, aux fins de l'application de l'article 101, 1., TFUE, de démontrer qu'ils ont des effets concrets sur le marché (voir en ce sens, notamment, arrêt Clair, n° 123/83, EU:C:1985:33, point 22). En effet, l'expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (arrêt CB / Collège, C-67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51). » (arrêt du 26 novembre 2015, n° 18; voir également, dans le même sens, l'arrêt de la présente cour en la cause FEI / ABC, 28 avril 2016, en cours de publication au Moniteur belge).

VI.2. Application de ces principes
Position des parties

88. Les requérantes reprochent au Conseil de n'avoir pas tenu compte du contexte dans lequel les comportements litigieux ont eu lieu, en ce sens que les parties avaient des contacts entre elles en vue de défendre les intérêts des cimentiers belges mais ce, dans le cadre du processus de normalisation et de certification des produits concernés (béton prêt à l'emploi et LMA), certains de leurs représentants étant appelés à siéger dans certains organes qui intervinrent dans les processus de normalisation et de certification.

Elles soutiennent être demeurées dans les limites d'une activité de lobbying, licite et légitime, participant de leur liberté d'expression.

De surcroît, HOLCIM fait valoir que s'il y a eu une certaine concertation et des démarches communes, celles-ci se situaient « hors marché » et non pas « sur le marché » (ses conclusions, § 179).

89. L'ABC considère que les comportements des requérantes ont été « au-delà des actions de sensibilisation et/ou d'actions admissibles dans le cadre d'activités de lobbying », qu'il y a eu pratiques concertées des requérantes « pour retarder la normalisation et la certification du LMA d'ORCEM et par là d'empêcher, voire retarder l'entrée sur le marché du LMA en remplacement partiel du ciment gris CEM III pour la fabrication du béton prêt à l'emploi à la bétonnière, d'une part, et de limiter les quantités de LMA pouvant être utilisées en remplacement partie du ciment gris CEM III dans ce béton, d'autre part » (§ 126).

Elle fait aussi valoir que les pratiques concernées « sont à rapprocher des accords de normalisation visés par les lignes directrices de la Commission européenne » et que celles-ci précisent que « les accords qui ont recours à une norme dans le cadre d'un accord restrictif plus large visant à évincer des concurrents existants ou potentiels restreignent la concurrence par objet ».

Elle ne répond pas à l'argument relatif au caractère « hors marché » des comportements reprochés.

Appréciation par la cour

90. Il découle de la notion de pratiques concertées qu'elles supposent, outre une concertation entre des entreprises (ou des associations d'entreprises), un comportement de celles-ci sur le marché. Cette condition est énoncée dans tous les arrêts précités de la Cour de justice et s'applique également en droit belge de la concurrence.

En effet, si le droit de la concurrence prohibe la concertation et donc l'échange d'informations entre entreprises concurrentes, c'est en vertu de l'idée centrale que l'autonomie des opérateurs économiques est une condition de base d'une concurrence effective, et du postulat que « tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché » (cf. notamment les conclusions de l'avocat général Mme Kokott avant l'arrêt T Mobile, précité, § 52, soulignement ajouté).

A l'inverse, le droit de la concurrence n'est pas concerné par des échanges d'informations et une concertation qui ne concernent pas le comportement des entreprises sur le marché.

91. Le lobbying, défini dans le Livre vert de la Commission en matière de transparence (COM (2006) 194 final) comme « toutes les activités qui visent à influer sur l'élaboration des politiques et les processus décisionnels », constitue a priori une activité « hors marché » (cf. O. Fréget et F. Herrenschmidt, « Réflexions sur les pratiques d'influence et le droit de la concurrence: lobbying, 'négociations réglementaires' et/ou 'captures réglementaires' », Revue des droits de la concurrence, 2006, pp. 40-49).

En effet, lorsqu'elles se concertent pour défendre une position commune vis-à-vis d'un organe public de décision, les entreprises n'agissent pas sur le marché - qui est leur terrain naturel, et où elles sont capables de décider de leurs comportements - mais sur le terrain politique ou normatif, pour influer sur un processus de décision qui ne leur appartient pas.

En l'espèce, la décision considère que les requérantes auraient dépassé le cadre admissible d'une activité de lobbying.

Cette thèse ne résulte cependant pas des éléments du dossier et tous les éléments retenus par la décision à charge des requérantes ont trait à des comportements, isolés ou concertés, lors des processus de normalisation et de certification du béton et du LMA, organisés au sein et sous l'égide d'organismes publics ou quasi publics.

Ainsi les parties requérantes ont été expressément invitées, aux côtés d'autres intervenants, à exprimer leurs avis, en leur qualité précisément d'entreprises du secteur, sous l'égide et au sein de l'IBN et l'UBAtc -, tous deux sous la tutelle du SPF Economie. Elles ne contrôlaient pas ces organismes et n'y jouissaient pas, ensemble ou séparément, du pouvoir de décision.

Ces faits sont étrangers à des accords de normalisation conclus entre des entreprises économiques ou des pratiques visées dans les lignes directrices de la Commission.

Au demeurant, les lignes directrices admettent que ne restreignent en principe pas la concurrence les processus de normalisation ouverts, objectifs et non discriminatoires: « (...) les règles de l'organisme de normalisation devront garantir que tous les concurrents présents sur le ou les marchés concerné(s) par la norme peuvent participer au processus aboutissant à la sélection de la norme. Les organismes de normalisation devraient également disposer de procédures objectives et non discriminatoires aux fins de l'attribution des droits de vote, ainsi que, le cas échéant, de critères objectifs pour la sélection de la ou des technologies incluse(s) dans la norme. (...) Pour ce qui est de la transparence, l'organisme de normalisation concerné devrait disposer de procédures qui permettent aux parties prenantes de prendre effectivement connaissance, en temps voulu et à chaque étape de l'élaboration de la norme, des travaux de normalisation à venir, en cours et terminés.(...) En outre, les règles de l'organisme de normalisation devraient garantir un accès effectif à la norme à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires » (§ 281 à 283 des lignes directrices).

La présence d'acteurs du marché au sein des organes de certification et de normalisation est souhaitée parce qu'ils disposent des compétences techniques nécessaires et utiles au processus, même s'il n'échappe à personne que leur participation à ces organismes peut s'avérer délicate puisqu'ils participent à une processus de normalisation ou de certification qui concerne leurs activités et leurs intérêts propres sur le marché (cf. le document rédigé par l'Autorité de la concurrence (France), Les activités de normalisation et de certification, pro ou anticoncurrentielles?: « L'intervention du secteur privé dans une activité normative est souvent justifiée par l'expertise technique dont disposent les entreprises, mais elle pose nécessairement des questions proches de celles que l'on rencontre en matière d'entente, notamment en ce qui concerne le progrès économique obtenu et l'intérêt des consommateurs, sans oublier les risques de capture de la fonction de régulation au profit des entreprises régulées. »). C'est pourquoi, les pouvoirs publics sont invités à mettre en place des systèmes qui permettent de bénéficier des connaissances techniques des acteurs du marché, mais sans leur laisser le pouvoir de décision.

93. Cet équilibre, par essence délicat, existait en l'espèce au sein des organes qui sont intervenus:

- pour le processus de certification du LMA (Guide AT et ATG) au sein de l'UBAtc:

° la rédaction du premier projet de Guide AT a été confiée au CSTC et à ORCEM elle-même;

° organe de décision: le BE Liant, où interviennent des experts et le CRIC, mais pas de représentants des cimentiers;

° organes consultés: GS Liant, constitué du BE Liant et du CD ciment, composé à la fois de représentants d'organismes publics, des utilisateurs, des cimentiers et d'organismes de recherche, d'inspection, normalisation et réglementation et/ou experts; GS Liant n° 2, composé de représentants des pouvoirs publics, des producteurs (à la fois les cimentiers et Orcem), des utilisateurs et d'experts (outre un représentant du CRIC, un représentant de la CSTC, de SECO, de l'Université de Gand et de Probéton);

- pour le processus de normalisation béton:

° Commission béton composée de représentants des pouvoirs publics, d'experts (parmi lesquels le CRIC), de représentants des producteurs (parmi lesquels des représentants de FEBELCEM et des cimentiers, ainsi qu'un représentant d'ORCEM invité à partir de 2003, présence au moins ponctuelle);

° groupe de travail NBN EN 206-1: représentants des pouvoirs publics, experts (dont CRIC, M. Bleiman assurant la présidence du groupe de travail) et représentants des producteurs, parmi lesquels un représentant de FEBELCEM (M. Apers, en assurant le secrétariat) et un représentant de Interbéton et de la FSBP, lié à HOLCIM et à CBR (il s'agissait de M. Fafchamps; dès lors qu'Interbéton était une filiale commune d'HOLCIM et de CBR, M. Fafchamps a été en contacts réguliers avec ces deux requérantes, quant à l'activité de ce groupe de travail);

- pour le processus de certification BENOR:

° comité de la marque: composé de représentants des pouvoirs publics, des producteurs, parmi lesquels un représentant de FEBELCEM, de représentants des utilisateurs, d'experts (parmi lesquels, invités à partir de 2003, M. Lebon (cadre HOLCIM) et M. Gheyssens (cadre CBR), et d'organismes de certification (parmi lesquels le CRIC);

° CRIC délégué pour la certification;

° CD béton: composé de représentants des organismes publics, d'organismes de recherche, d'inspection, de normalisation et de réglementation (parmi lesquels, le CRIC), de producteurs, parmi lesquels deux cadres CCB, le représentant d'Interbéton lié à HOLCIM et à CBR, parmi un plus grand nombre de représentants de bétonniers, et des représentants des utilisateurs de béton (parmi lesquels des représentants de SECO, certificateur).

La cour constate ainsi que si HOLCIM, CCB, CBR et FEBELCEM étaient représentés dans certains des organes précités (mais pas dans tous), ils n'y ont jamais eu - même ensemble - un pouvoir de décision et n'ont jamais été majoritaires, fût-ce dans un cadre consultatif, leur présence étant contrebalancée par des représentants d'autres intérêts.

Quant au CRIC, il a joué dans ces organes son rôle institutionnellement prévu et sans en avoir le contrôle.

La décision ne peut donc être approuvée lorsqu'elle énonce que les actes et comportements reprochés aux requérantes se distingueraient du lobbying dans la mesure où « il est déterminant que les entreprises cimentières et leurs associations ont participé elles-mêmes à la fixation des référents normatifs, en participant aux différents organes consultatifs et décisionnels (...). Leur rôle ne se limitait dès lors pas à influencer ces organes » (§ 274).

Au contraire, le fait que les requérantes ou certains de leurs représentants ont participé aux organes consultatifs, voire même décisionnels, sur l'invitation des organismes publics et dans le cadre tracé par ceux-ci, a pour conséquence que les pratiques de lobbying - tentatives d'influencer les règles - se sont déroulées dans un cadre ouvert, objectif, transparent et non discriminatoire, ce qui n'est en rien contraire à la pratique du lobbying, qui ne doit pas nécessairement être occulte.

Dans une affaire similaire, le Tribunal de l'Union a décidé (affaire T-432/05, EMC Development AB, arrêt du 12 mai 2010) que la participation du Cembureau (équivalent de FEBELCEM au niveau européen) aux travaux d'élaboration de la norme n'était pas illicite, le Cembureau ayant cherché à défendre les intérêts de ses membres (les cimentiers) mais « sans qu'il soit établi qu'il avait influé sur la procédure au point de la contrôler et de la vicier » (§ 82 de l'arrêt).

Il en va de même en l'espèce. Les parties requérantes ont participé aux travaux de certification et de normalisation en cherchant à défendre les intérêts des cimentiers et en se concertant pour ce faire - à tout le moins certaines d'entre elles à certains moments - mais sans qu'il soit établi qu'elles auraient pris le contrôle de la procédure ou l'auraient viciée.

94. Il suit de ce qui précède que les comportements incriminés ne se sont pas déroulés sur le marché et qu'ils sont restés intrinsèquement liés aux processus de certification et de normalisation conformes aux exigences européennes d'ouverture, d'objectivité, de transparence et de non-discrimination, avec pour conséquence qu'il n'y a pas eu de pratiques restrictives de concurrence.

Par conséquent, la décision doit être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs élevés par les requérantes contre la décision.

[…]