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Actualité : Cour de justice de l'Union européenne, 26/05/2016, R.D.C.-T.B.H., 2016/7, p. 717-718

Cour de justice de l'Union européenne 26 mai 2016

Meroni / Recoletos

Affaire: C-559/14
DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN ET INTERNATIONAL Compétence et exécution - Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale - Règlement n° 1215/2012/UE du 12 décembre 2012 (anc. 44/2001/CE du 22 décembre 2000) - Règlement (CE) n° 44/2001 - Reconnaissance et exécution de mesures provisoires et conservatoires - Notion d'ordre public

EUROPEES EN INTERNATIONAAL GERECHTELIJK RECHT
Bevoegdheid en executie - Rechterlijke bevoegdheid, erkenning en tenuitvoerlegging van beslissingen in burgerlijke en handelszaken - Verordening nr. 1215/2012/EU van 12 december 2012 (vroeger 44/2001/EG van 22 december 2000) - Verordening (EG) nr. 44/2001 - Artikel 5, 3. - Erkenning en tenuitvoerlegging van voorlopige en bewarende maatregelen - Begrip “openbare orde”


Dans un arrêt du 25 mai 2016, interrogée par la Cour suprême de la Lettonie, la Cour de justice a interprété l'article 34, 1., du Règlement Bruxelles I, à la lumière du droit à un recours effectif inscrit à l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. L'article 34, 1., du Règlement Bruxelles I, dispose que la juridiction de l'Etat membre requis refuse la reconnaissance d'une décision judiciaire rendue dans un autre Etat membre, si la reconnaissance de cette décision est manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat membre requis.

A la suite d'une action engagée par la société Recoletos contre 4 ressortissants lettons, la High Court of Justice, Queen's Bench Division a prononcé une ordonnance de mesures provisoires et conservatoires mettant sous séquestre les biens de ces personnes (freezing injuction). En particulier, l'ordonnance interdisait à ces personnes de disposer de leurs actions dans une société AS Ventbunkers, établie en Lettonie. L'ordonnance contenait plusieurs annexes parmi lesquelles figurait un organigramme des sociétés et d'autres entités liées à Ventbunkers. Ces dernières n'étaient pas parties à la procédure devant la juridiction ayant rendu cette ordonnance. La High Court of Justice a désigné la société demanderesse comme responsable de la notification ou signification de son ordonnance.

Recoletos a demandé aux juridictions lettones de déclarer exécutoire l'ordonnance en cause. Celles-ci ont accepté cette demande partiellement et, ce qui importe, ont rejeté les arguments du représentant des défendeurs, M. Meroni, qui soutenait, en substance, que la reconnaissance de l'ordonnance en cause devrait être refusée sur le fondement de la clause d'ordre public, dès lors que cette ordonnance lésait les intérêts des tierces personnes qui n'étaient pas parties à l'action engagée devant la juridiction britannique. Plus précisément, M. Meroni, directeur d'une société actionnaire de Ventbunkers, soutenait que l'ordonnance en cause empêchait cette société d'exercer son droit de vote dans Ventbunkers. Cela portait, selon lui, atteinte au droit fondamental de propriété, d'autant plus que cette société n'était pas entendue dans la procédure au Royaume-Uni.

Le litige a été porté devant la Cour suprême lettone qui a interrogé la Cour de justice sur la question de savoir si l'article 34, 1., du Règlement Bruxelles I, lu à la lumière de l'article 47 de la charte, doit être interprété en ce sens que la reconnaissance et l'exécution d'une ordonnance rendue par une juridiction d'un Etat membre, qui a été prononcée sans qu'un tiers dont les droits sont susceptibles d'être affectés par cette ordonnance ait été entendu, doivent être considérées comme étant manifestement contraires à l'ordre public de l'Etat membre requis et au droit à un procès équitable au sens de ces dispositions.

En répondant à cette question, la Cour a rappelé qu'une juridiction nationale qui met en oeuvre le droit de l'Union en appliquant le Règlement Bruxelles I est tenue de se conformer aux exigences découlant de la charte, en l'occurrence de son article 47. Elle a relevé, ensuite qu'il ressortait de la décision de renvoi que l'ordonnance en cause ne déployait pas d'effets juridiques à l'encontre d'un tiers avant qu'il n'en ait été informé et qu'il incombait à Recoletos qui cherchait à se prévaloir de celle-ci de veiller à ce que cette ordonnance soit dûment notifiée au tiers visé et de prouver que la notification a effectivement eu lieu. La Cour a relevé également que lorsque cette même ordonnance été notifiée à un tiers qui n'était pas partie à la procédure, celui-ci pouvait introduire un recours devant la juridiction du Royaume-Uni contre ladite ordonnance et demander que qu'elle soit modifiée ou annulée. La Cour a, enfin, considéré que l'argumentation avancée par M. Meroni devant les juridictions lettones créait, en réalité, un risque d'amener ces juridictions à se prononcer sur les éventuels droits des tiers et, ainsi, de revoir au fond l'ordonnance en cause. Or, une telle révision au fond est explicitement interdite par les articles 36 et 45, 2., du Règlement Bruxelles I.

Compte tenu de ces considérations, la Cour de juriste a décidé que la reconnaissance et l'exécution d'une ordonnance du type freezing injuction prononcée sans qu'un tiers dont les droits sont susceptibles d'être affectés par cette ordonnance ait été entendu, ne sauraient être considérées comme étant manifestement contraires à l'ordre public de l'Etat membre requis et au droit à un procès équitable au sens de l'article 34, 1., du Règlement Bruxelles I, lu à la lumière de l'article 47 de la charte, dans la mesure où il est possible à ce tiers de faire valoir ses droits devant la juridiction qui a émis l'ordonnance en cause.