Cour d'appel de Bruxelles 15 janvier 2014
Eurofactor AG / SA ING Belgique
Siég.: H. Mackelbert, C. Heilporn (conseillers) et M. van der Haegen (conseiller suppléant) |
Pl.: Mes Th. Bosly, M. Alhadeff, N. Collin et J. Lievens, D. De Marez |
Affaire: 2009/AR/2448 |
I. | La décision entreprise |
L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 17 juin 2009 par le tribunal de commerce de Bruxelles.
Les parties ne produisent pas d'acte de signification de ce jugement.
II. | La procédure devant la cour |
L'appel est formé par requête déposée par la SA Eurofactor au greffe de la cour le 8 septembre 2009.
La procédure est contradictoire.
Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
III. | Les faits et antécédents de la procédure |
1. La SA Nelca est cliente de la SA ING Belgique (ci-après dénommée ING). Elle est titulaire de comptes à vue gérés par les succursales d'ING de Waregem et de Lille ainsi que d'un compte auprès de la succursale à Londres de la société néerlandaise ING Bank NV. Elle bénéficie d'une ligne de crédit straight loan (soit un crédit sous forme d'avances de courte durée sur compte à vue) pour un montant en principal de 11.250.000 EUR qui lui a été consenti par ING.
La SA Eurofactor a pour activité l'affacturage.
Le 24 août 2006, Eurofactor et Nelca signent un contrat d'affacturage en vertu duquel Nelca « s'engage à céder à Eurofactor, qui accepte, ses créances sur les acheteurs (...). Cette cession se fait par la remise hebdomadaire d'une balance acheteurs, qui mentionne le détail des postes des Créances qui sont ouvertes pour chaque acheteur » (traduction libre de: « verbindt zich ertoe om over te dragen aan Eurofactor, die aanvaardt, zijn vorderingen op de kopers (...). Deze overdracht gebeurt via de wekelijkse overhandiging van een balans kopers, die de detailposten vermeldt van de vorderingen die openstaan op elke koper » - art. 2 - voy. pour la traduction du contrat d'affacturage: pièce 1 du dossier Eurofactor).
L'article 1er définit le terme « créance » (« vordering ») comme « le droit de demander et d'obtenir un paiement » (traduction libre de: « het recht om een betaling te vragen en te verkrijgen »).
L'article 2 énumère une liste de « créances » qui, bien que « mentionnées dans la balance acheteurs », « sont expressément exclues de la présente convention et ne peuvent par conséquent être cédées » (traduction libre de: « (...) worden uitdrukkelijk uitgesloten van onderhavige overeenkomst en kunnen bijgevolg niet worden overgedragen, de vorderingen die zijn opgenomen in de balans kopers: (...) »).
Le contrat prévoit en son article 8.3 que « le cédant priera les acheteurs de payer les Créances exclusivement sur le compte bancaire qui a été ouvert à cet effet au nom d'Eurofactor et dont le numéro sera communiqué par Eurofactor. Le cédant recevra une copie des extraits de ce compte bancaire et se chargera de l'imputation des montants reçus de même que de leur attribution » (traduction libre de: « De overdrager zal de kopers verzoeken om de vorderingen te betalen uitsluitend op de bankrekening die daartoe werd geopend op naam van Eurofactor en waarvan het nummer zal worden meegedeeld door Eurofactor. De overdrager zal een kopie ontvangen van de uittreksels van deze bankrekening en zal zich belasten met de toerekening van de ontvangen betalingen evenals met hun toewijzing ») et, en son article 8.4, que « si malgré la cession un paiement est directement effectué entre les mains du cédant, ce dernier devient dépositaire des fonds, des chèques ou de tout autre papier commercial qui lui sont remis en paiement, et il s'oblige à en informer immédiatement Eurofactor. Sauf approbation contraire par Eurofactor, le cédant s'engage à faire parvenir sans délai ces fonds, chèques et autres papiers commerciaux à Eurofactor » (traduction libre de: « Indien ondanks de overdracht een betaling wordt uitgevoerd rechtstreeks in de handen van de overdrager, wordt deze laatste bewaarder van fondsen, cheques of elke ander handelspapier die hem worden overhandigd ter betaling, en verplicht hij zich ertoe Eurofactor daarvan onmiddellijk op de hoogte te brengen. Behalve andersluidende goedkeuring van Eurofactor, verbindt de overdrager zich ertoe om deze fondsen, cheques en andere handelspapieren onverwijld te laten toekomen aan Eurofactor. »).
Selon Eurofactor, les clients de Nelca reçoivent notification de l'existence de ce contrat et sont invités à payer les créances de Nelca exclusivement sur le compte ouvert au nom d'Eurofactor auprès de la Deutsche Bank (la preuve de ces envois n'est pas produite).
2. Par contrat du 5 octobre 2006, Nelca donne en gage à ING, avec instruction irrévocable de paiement, les créances qu'elle détient ou détiendrait envers Eurofactor en vertu du contrat d'affacturage. Nelca déclare avoir communiqué ce contrat à ING. Le gage garantit le paiement de toutes les sommes, en principal, intérêts, commissions, frais et accessoires dont Nelca, seule ou avec d'autres - solidairement ou non -, serait redevable à ING pour quelle raison que ce soit dans le cadre de ses relations d'affaires avec la banque.
Le 9 octobre 2006, ING notifie à Eurofactor l'existence de ce contrat de gage et lui donne instruction de payer toutes les sommes dues à Nelca en vertu des créances nanties sur un compte interne spécifiquement dédié au contrat d'affacturage.
Le 29 décembre 2006, un premier versement de 3.000.000 EUR est fait par Eurofactor sur le compte susmentionné. Seul un montant de 2.500.000 EUR est rétrocédé par ING à Nelca. Ce premier versement est suivi d'autres en date des 9 janvier 2007 (1.000.000 £), 19 janvier 2007 (350.000 £ et 150.000 EUR), 7 février 2007 (440.000 £ et 420.000 EUR) et 20 février 2007 (350.000 EUR).
3. Le 20 février 2007, Nelca est déclarée en faillite par jugement du tribunal de commerce de Courtrai. Le même jour, le compte courant de Nelca est débité de deux versements, pour un montant total de 68.458,66 EUR, au bénéfice de la SA ING Equipment Lease.
Le 21 février 2007, Eurofactor rappelle à ING qu'en vertu du contrat d'affacturage, elle est seule habilitée à percevoir les créances cédées. Elle l'invite dès lors à lui transférer sans délai toutes sommes qui, par dérogation aux instructions de paiement données aux débiteurs, auraient été versées sur le compte bancaire de Nelca auprès d'ING ou y seraient versées dans l'avenir.
Le 23 février 2007, ING transfère de son compte interne vers le compte à vue de Nelca la dernière avance de 350.000 EUR versée par Eurofactor le 20 février 2007, jour de la faillite de Nelca.
Le 28 février 2007, ING informe Eurofactor qu'elle ne peut réserver de suite à sa demande du 21 février 2007 vu la faillite de Nelca. Elle confirme sa position par un courrier du 21 mars 2007 dans lequel elle précise également que « le fait qu'un contrat de factoring ait été conclu n'implique pas que tous les paiements qui ont éventuellement été crédités au compte de la SA Nelca auprès de la SA ING après la faillite, soient des créances cédées, ni que la SA ING soit tenue de remettre ces montants à la SA Eurofactor » (traduction libre de: « het feit dat er een factoringscontract werd afgesloten wil niet zeggen dat alle betalingen die eventueel bij ING NV op rekening van NV Nelca werden gecrediteerd na faling ook gecedeerde schuldvorderingen zijn, noch dat ING NV verplicht zou zijn deze opnieuw aan NV Eurofactor over te maken » - voy. pour la traduction, conclusions de synthèse ING, p. 6).
4. Le 9 octobre 2007, Eurofactor fait citer ING devant le tribunal de commerce de Bruxelles. Elle sollicite sa condamnation au paiement, à titre principal, d'une somme de 2.683.487,97 EUR représentant le montant des paiements opérés par les clients de Nelca au crédit des comptes détenus par celle-ci auprès d'ING, de la succursale londonienne et de la SA de droit néerlandais ING Bank et, à titre subsidiaire, d'une somme de 317.728,07 EUR et de la contrevaleur en euros, à la date de la faillite de Nelca, de 10.617,93 £, correspondant aux montants versés par les débiteurs sur les comptes ING à partir du 20 février 2007.
Par le jugement entrepris, le premier juge dit la demande d'Eurofactor recevable mais non fondée et l'en déboute.
5. En appel, Eurofactor demande à la cour de réformer le jugement entrepris et de condamner ING à lui payer la somme de 796.215 EUR, soit « le montant des avances consenties par [Eurofactor] et qui n'a pu être apuré par le recouvrement des créances », à augmenter des intérêts légaux depuis la date du 20 février 2007.
ING demande à la cour de dire l'appel d'Eurofactor irrecevable, à tout le moins non fondé. ING ne développe toutefois aucun moyen à l'appui de l'irrecevabilité de l'appel qu'elle postule dans le dispositif de ses conclusions.
IV. | Discussion |
Eurofactor fonde sa demande sur « la faute extra contractuelle commise par [ING] et qui a consisté (i) en ce qui concerne la période antérieure à la faillite de Nelca, à se porter tiers-complice de la violation par Nelca de son obligation contractuelle de restituer à [Eurofactor] les sommes qui ont été payées par erreur par les débiteurs sur les comptes ING et (ii) en ce qui concerne la période postérieure à la faillite à s'approprier fautivement les sommes versées par les débiteurs ainsi que la dernière avance effectuée par [Eurofactor] le jour de la faillite ».
1. | Sur la tierce complicité d'ING avant la faillite |
6. Un tiers peut engager sa responsabilité extracontractuelle envers une partie à un contrat lorsqu'il participe à la violation par l'autre partie de ses engagements contractuels, bien qu'il soit étranger au contrat.
Les conditions requises pour la mise en oeuvre de cette responsabilité sont les suivantes:
- la violation d'une obligation contractuelle par une partie au contrat;
- l'existence du contrat et de l'obligation en cause doivent être connus du tiers ou à tout le moins le tiers doit avoir eu connaissance de ces éléments ou dû prendre toutes mesures utiles pour s'informer à ce sujet;
- le tiers doit avoir coopéré sciemment et en pleine connaissance de cause à la violation par la partie de son obligation contractuelle;
- cette faute doit avoir causé à l'autre partie au contrat un préjudice en lien causal avec celle-ci (voy. sur ces conditions: P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, Bruylant, 2010, T. I, p. 656, n° 433; Cass., 22 avril 1983, Pas., 1983, I, p. 944; Cass., 28 novembre 2002, R.G. C.01.0532.F).
Eurofactor soutient que Nelca avait, en vertu des articles 8.3 et 8.4 de la convention d'affacturage, une obligation de résultat de lui rétrocéder sans délai toutes les sommes payées par erreur par les débiteurs sur ses comptes ouverts auprès d'ING, indépendamment du fait de savoir si ces paiements concernaient une créance cédée ou pas. Elle affirme qu'ING avait, compte tenu de sa connaissance i) de l'existence du contrat d'affacturage, ii) des principes généraux d'une convention d'affacturage et iii) de la prise en gage des créances résultant du contrat d'affacturage, connaissance de cette obligation contractuelle de restitution dans le chef de Nelca et qu'elle a sciemment coopéré à la violation par Nelca de celle-ci, d'une part, par son inaction caractérisée face aux erreurs de paiement des débiteurs et, d'autre part, en s'appropriant, par le biais de la compensation, les sommes payées indument par les débiteurs cédés sur le compte de Nelca et les avances payées par elle.
7. Il n'est pas contestable que pesait sur Nelca en vertu de l'article 8.4 du contrat d'affacturage une obligation de faire parvenir sans délai à Eurofactor les paiements directement effectués entre ses mains par les débiteurs.
Vainement toutefois, Eurofactor considère que cette obligation visait « tous » les paiements faits et pas seulement ceux faits par erreur par les seuls débiteurs des créances cédées. En effet, il ne peut être déduit de l'article 8.3 du contrat d'affacturage que l'ensemble des créances, en ce compris celles qui n'avaient pas été cédées à Eurofactor, devaient être payées sur le compte de cette dernière. Une telle interprétation n'est en effet pas conciliable avec l'article 2 dudit contrat qui prévoyait que la cession des créances se faisait par la remise hebdomadaire d'une balance acheteurs et qui excluait du champ d'application de la convention certaines créances qui, bien que mentionnées dans la balance acheteurs, ne pouvaient être cédées. Comme le soutient ING, la convention d'affacturage était une convention-cadre et les cessions ne se réalisaient effectivement qu'au moment de la remise des balances acheteurs. Certaines créances reprises sur celles-ci n'étant pas cédées en vertu de l'article 2 du contrat d'affacturage, Eurofactor ne disposait d'aucun droit pour en réclamer le paiement sur son compte. L'article 8.4 débute d'ailleurs par les termes « si malgré la cession » (traduction libre de: « Indien ondanks de overdracht »), ce qui confirme que seuls les paiements des créances cédées faits directement entre les mains de Nelca devaient être rétrocédés à Eurofactor. L'article 8.5, relatif aux sanctions éventuelles en cas de paiements répétés par les acheteurs sur le compte de Nelca vise au demeurant explicitement les seules « créances cédées » (traduction libre de: « de overgedragen vorderin-gen »).
Il s'en déduit que seuls les paiements des créances cédées faits directement sur les comptes ING de Nelca devaient être retransférés par cette dernière à Eurofactor. Cette obligation n'était toutefois pas absolue puisque l'article 8.4 prévoyait également le droit pour Eurofactor d'une « approbation contraire » et donc la possibilité que certains montants, bien que cédés, soient, avec l'accord d'Eurofactor, laissés en dépôt sur le compte de Nelca auprès d'ING.
Contrairement à ce que soutient Eurofactor, il n'est pas démontré que « l'ensemble des paiements directs effectués sur les comptes ING au cours de la période litigieuse concernent des créances qui [lui] avaient été cédées en exécution du contrat d'affacturage ».
La pièce 16 de son dossier à laquelle elle se réfère (« Tableau de réconciliation ING-Eurofactor ») établit en effet que de nombreux paiements ont été faits entre le 1er janvier 2007 et le 19 février 2007 sur les comptes ING et ING Bank de Nelca (Waregem, Lille et Londres) pour des créances qui n'avaient pas été cédées à Eurofactor (ces paiements sont coloriés en rouge dans le tableau déposé et ne reprennent aucune référence de cessions dans la colonne ad hoc). Ce n'est donc pas parce que le montant total des paiements reçus sur les comptes ING et ING Bank (2.683.487 EUR, montant initialement réclamé par Eurofactor) repris sur le tableau est inférieur au montant total des créances cédées mentionné sur le même tableau (2.856.340,48 EUR) que tous les paiements faits durant ladite période concernaient des créances qui avaient été cédées. Il peut uniquement se déduire de ces chiffres que toutes les créances cédées n'avaient pas été payées par les débiteurs mais non que tous les paiements directs effectués sur les comptes ING et ING Bank concernaient des créances cédées qui auraient dû être rétrocédées par Nelca.
8. ING ne conteste pas avoir eu connaissance de l'existence du contrat d'affacturage. En revanche, elle soutient qu'elle n'avait pas, ne pouvait pas et ne devait pas avoir connaissance de l'entrée en vigueur du contrat ni des obligations concrètes qui pesaient sur Nelca en vertu de celui-ci.
Il est exact que quelques mois se sont écoulés entre la signature du contrat d'affacturage et le versement en date du 29 décembre 2006 par Eurofactor de la première avance de 3.000.000 EUR et qu'ING n'a pas été officiellement informée, par une notification, de l'entrée en vigueur du contrat d'affacturage. ING a toutefois reçu communication par Nelca du contrat d'affacturage (cf. le contrat de gage du 5 octobre 2006), lequel prévoyait en son article 6 que l'octroi des avances se faisait « après chaque cession de créances »). Par ailleurs, l'avance de 3.000.000 EUR a été versée sur le compte interne d'ING et ce, conformément aux instructions données par elle dans son courrier du 9 octobre 2006. Ce versement émanant d'Eurofactor ne pouvait dès lors pas être interprété autrement que comme signifiant l'entrée en vigueur du contrat d'affacturage, que ne pouvait, dans ces conditions, ignorer ING.
ING ne pouvait pas davantage ignorer que pesait sur Nelca une obligation contractuelle de retransférer les paiements directs faits entre ses mains, en dépit de la cession, puisque, comme indiqué ci-dessus, elle avait reçu communication du contrat d'affacturage.
Toutefois, il ressort des considérations qui précèdent (point 7) que cette obligation contractuelle de Nelca ne portait que sur les paiements faits par erreur par les débiteurs des créances cédées sur le compte de Nelca et ce, pour autant encore qu'Eurofactor n'ait pas autorisé Nelca à rester dépositaire des fonds ainsi versés, comme le prévoyait l'article 8.4 du contrat d'affacturage.
9. « Après l'ouverture du compte, la mission du banquier consiste exclusivement à vérifier la régularité du fonctionnement du compte ouvert dans ses livres (art. 4, § 2 et 8 de la loi du 11 janvier 1993), sans qu'il soit autorisé à s'immiscer dans les opérations traitées » (J.-P. Buyle et D. Goffin, « Les devoirs du banquier à l'égard de l'entreprise », in La Banque dans la vie de l'entreprise, Ed. du Jeune Barreau de Bruxelles, 2005, p. 35). Certes, le banquier a un devoir de vigilance lequel implique, pour une certaine doctrine, une obligation de « découvrir, parmi les opérations qu'on lui demande de traiter, celles qui présentent une anomalie apparente et, en présence d'une telle anomalie, de tout mettre en oeuvre pour éviter le préjudice qui résulterait pour le client ou pour un tiers de la réalisation de cette opération » (J.-P. Buyle et D. Goffaux, o.c., 28-29; C. Alter, Rép. not., T. IX, Livre 11/1, 2010, Droit bancaire général, n° 148). Encore faut-il, pour que ce devoir soit conciliable avec le principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client, qu'il s'agisse d'une « opération présentant une anomalie matérielle apparente en fonction des règles ou pratiques propres à l'opération en question » ou d'une anomalie évidente qui « crève les yeux » se traduisant dans les comptes et qui serait l'indice d'opérations frauduleuses ou irrégulières (J. Linsmeau, « Les responsabilités du banquier », Traité pratique de droit commercial, n° 590). Il est en effet matériellement impossible pour le banquier d'examiner chaque opération en compte de chaque client pour déterminer si cette opération présente ou non une anomalie (J. Linsmeau, o.c., n° 588).
Il n'est pas établi en l'espèce qu'ING aurait pu déceler l'existence d'une anomalie apparente sur le compte de Nelca qui aurait dû justifier des investigations supplémentaires de sa part. En effet, d'une part, les paiements faits sur les comptes de Nelca étaient répartis entre plusieurs succursales d'ING (Waregem et Lille) ainsi qu'auprès de la succursale d'ING Bank à Londres (sur le compte de laquelle un montant substantiel de 1.462.854,41 £ a été versé durant la période litigieuse). Or, ING Bank est une société de droit néerlandais distincte d'ING Belgique sur les comptes de laquelle cette dernière n'avait aucune possibilité de contrôle. D'autre part, et à supposer qu'ING aurait été en mesure, dans le bref délai écoulé, de contrôler l'ensemble des mouvements sur les comptes de Nelca (lesquels mouvements représentent pour la période litigieuse, soit du 29 décembre 2006 au 20 février 2007, pas moins de 6 classeurs - cf. pièce 18 du dossier Eurofactor), il ne lui était en tout cas pas possible de distinguer parmi la multitude des paiements effectués ceux qui correspondaient à des créances cédées qui auraient dû contractuellement être retransférées à Eurofactor et ceux qui concernaient des créances exclues par l'article 2 du contrat d'affacturage ou des montants dont Nelca aurait été autorisée par Eurofactor à être le dépositaire (sans qu'il soit besoin à cet égard de savoir si une telle approbation avait ou non été donnée puisqu'ING n'avait connaissance que du contrat qui prévoyait cette possibilité). ING pouvait également raisonnablement penser que le compte de Nelca était toujours et également alimenté par les paiements faits par des débiteurs pour des factures échues antérieures à la cession des créances résultant du contrat d'affacturage. La seule ampleur des paiements faits sur le compte de Nelca ne suffit donc pas à établir l'existence d'une anomalie apparente. Eurofactor reconnaît d'ailleurs en ses conclusions que sur la totalité des avances consenties, seul un montant de 796.215 EUR (seul montant qu'elle réclame encore à ce jour) n'a pu être apuré par le recouvrement des créances cédées. Ce montant est largement inférieur à la somme des paiements faits sur le compte de Nelca durant la période litigieuse.
10. Eurofactor reste dès lors en défaut d'établir qu'ING aurait sciemment et en pleine connaissance de cause coopéré à la violation par Nelca de son obligation contractuelle.
Vainement, Eurofactor soutient-elle qu'ING ne s'est appropriée la totalité des avances octroyées à Nelca en exécution du contrat d'affacturage - lesquelles avances constituaient, selon elle, l'unique source de financement des besoins en fonds de roulement de Nelca -, que parce qu'elle avait connaissance de l'existence des paiements significatifs faits par erreur par les débiteurs sur les comptes de Nelca, rendant ainsi impossible le respect par cette dernière de ses obligations de rétrocession à son profit. L'acte de nantissement du 5 octobre 2006 prévoyait explicitement qu'Eurofactor devait verser les avances directement à ING et que: « elle pourra librement imputer ces montants sur toutes les obligations exigibles garanties et à défaut d'obligations exigibles les conserver pour, au fur et à mesure de l'exigibilité des obligations garanties par le présent acte, utiliser les montants qui seront nécessaires pour leur paiement » (traduction libre de: « Zij zal deze bedragen naar goeddunken kunnen aanrekenen op alle gewaarborgde opeisbare verbintenissen en bij gebrek aan opeisbare verbintenissen zal zij deze bewaren om, al naar gelang de opeisbaarheid van de krachtens deze akte gewaarborgde verbintenissen, de bedragen aan te wenden die nodig zijn voor de betaling ervan » - voy. pour la traduction, conclusions de synthèse ING, p. 32). C'est donc en exécution du gage qu'ING a perçu la totalité des avances versées par Eurofactor et les a utilisées pour réduire son encours et ce, quels que soient les montants inscrits sur les comptes de Nelca auprès d'ING. L'appropriation des avances par ING et la réduction corrélative des encours trouvent donc uniquement leur cause dans le contrat de gage, sans qu'il faille y déceler dans le chef de la banque la moindre volonté de participer à la prétendue violation par Nelca de son obligation contractuelle de rétrocession des paiements faits par erreur par les débiteurs des créances cédées sur ses comptes. Il y a lieu en outre de relever que, contrairement à ce que soutient Eurofactor, Nelca n'était pas privée de fonds de roulement puisque tout en imputant les avances reçues d'Eurofactor sur les crédits accordés, ING lui accordait des prolongations sur certaines autres avances (cf. pièces 20, 21 et 22 d'Eurofactor).
11. Relativement à la dernière avance de 350.000 EUR réceptionnée sur le compte interne d'ING le 20 février 2007, il ne peut davantage être soutenu qu'ING aurait sciemment commis une faute en compensant ce montant avec le solde débiteur du compte de Nelca sans en avoir reçu instruction du curateur ou d'Eurofactor. Le créancier est en effet mis en possession de la créance engagée par la conclusion de la convention de gage (art. 2075 C. civ.) et exerce sur celle-ci les prérogatives que lui confère l'article 3, alinéa 1er, du Livre Ier, Titre VI, du Code de commerce. Si sa créance n'est pas encore exigible, il conserve la somme jusqu'à son exigibilité et l'imputera sur celle-ci lorsqu'elle sera devenue exigible (M. Grégoire, Publicité foncière, sûretés réelles et privilèges, Bruylant, 2006, p. 473, n° 1139; E. Dirix, « Le nantissement de créances », in Privilèges et hypothèques, p. 64, n° 21). C'est à cet effet que les avances étaient versées par Eurofactor sur le compte interne d'ING. Il ne ressort en revanche d'aucune pièce qu'ING n'aurait rendu le crédit n° 221769-27 exigible pour un montant de 1.250.000 EUR que le lendemain de la faillite, comme le soutient Eurofactor en ses conclusions additionnelles et de synthèse (p. 26). Il résulte au contraire de la pièce 23 de son dossier qu'une prolongation d'une avance de 1.250.000 EUR a été consentie à Nelca par ING le 9 février 2007, avec échéance au 16 février 2007 (or aucun versement n'a été effectué par Eurofactor entre le 9 février 2007 et le 20 février 2007). C'est également en vain qu'Eurofactor soutient que sa dernière avance de 350.000 EUR aurait dû lui être rétrocédée en vertu du contrat d'affacturage. La faillite du cédant n'entraînait l'exigibilité immédiate et de plein droit de toutes les avances qui avaient été octroyées par Eurofactor que si le contrat était au préalable résilié par celle-ci par lettre recommandée (art. 18.2 et 18.3 du contrat d'affacturage), ce qu'elle ne démontre pas avoir fait.
12. Aucun acte de coopération ne peut davantage être reproché à ING dans une prétendue « appropriation des paiements effectués par les débiteurs » sur les comptes de Nelca. Outre les considérations qui précèdent quant à l'impossibilité pour ING de déceler la moindre anomalie apparente sur le compte de Nelca, ING explique également que les deux paiements faits le jour de la faillite de Nelca en faveur d'ING Equipment Lease ont été exécutés par son système informatique dans le cadre de débitions automatiques. La curatelle n'a au demeurant jamais émis de contestation quant à cette opération. Il ne peut dès lors être question d'une participation active et consciente de la part d'ING à la violation prétendue par Nelca de son obligation contractuelle de retransférer les paiements faits par erreur par les débiteurs des créances cédées. Par ailleurs, l'article 49 du règlement général des opérations d'ING (pièce 12 du dossier Eurofactor) prévoit qu'elle « est autorisée à compenser - à tout moment et même après faillite du client - toutes créances, exigibles ou non, en quelles que monnaies ou unité de compte que ce soit, qu'elle possède à charge du client avec toutes créances exigibles ou non, en quelles que monnaies ou unité de compte que ce soit, du client à son égard pour la protection des intérêts légitimes d'ING et pour autant que cette compensation ne soit pas interdite par des dispositions légales impératives ». C'est en exécution de cette clause de compensation qu'ING a également perçu les sommes se trouvant au crédit du compte de Nelca sans que l'on puisse à nouveau y déceler une quelconque participation en pleine connaissance de cause à la violation par Nelca de son obligation contractuelle de retransférer à Eurofactor les paiements faits par erreur par les débiteurs des créances cédées. Certes, l'article 1298 du Code civil dispose en général que la compensation n'a pas lieu au préjudice des droits acquis à un tiers, ce qui exclut en principe la compensation après faillite. La reconnaissance de la compensation dans les cas où il existe une étroite connexité entre les créances n'entache toutefois pas la règle de l'égalité entre les créanciers en cas de faillite. Dans ces circonstances, la compensation est possible même si les conditions de la compensation ne sont réunies qu'après la faillite (Cass., 24 juin 2010, C.09.0365.N; Cass., 4 février 2011, C.10.0443.N). Ce qui est déterminant, c'est que les obligations réciproques s'intègrent dans un ensemble cohérent, qu'elles poursuivent une finalité commune et qu'elles concourent à l'économie d'une relation globale. La compensation est un véritable mécanisme préférentiel dans des cas où il existe un rapport économique d'ensemble. Le caractère de connexité étroite résulte de ce que les dettes réciproques reposent sur une même cause, même résultant de contrats distincts, se situant cependant dans un rapport de dépendance réciproque (I. Verougstraete, Manuel de la continuité des entreprises et de la faillite, Kluwer, 2011, p. 653, n° 3.7.6.4). Un tel rapport de dépendance existe en l'espèce, et Eurofactor ne prétend d'ailleurs pas le contraire, entre la créance d'ING née de la ligne de crédit consentie antérieurement à la faillite et la créance de Nelca résultant du solde créditeur de son compte à vue sur lequel étaient précisément versées les avances octroyées dans le cadre du crédit straight loan.
13. Il suit dès lors de l'ensemble de ces considérations que la responsabilité d'ING pour tierce complicité n'est pas établie.
2. | Sur l'appropriation fautive après la faillite de Nelca |
14. Vainement Eurofactor invoque-t-elle que le mandat d'encaissement consenti par Nelca à ING a pris fin de plein droit de par l'effet de la faillite.
La règle de l'article 16 de la loi sur les faillites n'exerce en effet aucune influence sur la position du créancier gagiste étant donné qu'il fait partie des créanciers privilégiés et que la créance gagée ne fait pas partie de la masse de la faillite (E. Dirix, « Le nantissement de créances », in Privilèges et hypothèques, p. 66, n° 25).
ING pouvait donc en sa qualité de créancier gagiste encaisser l'avance versée par Eurofactor et réceptionnée le 20 février 2007 et l'imputer sur sa créance qui était exigible ainsi qu'exposé ci-dessus (point 12) et ce, même après la faillite de Nelca.
Par ailleurs, c'est également en vertu de son règlement général des opérations et du lien étroit de connexité existant entre les créances et les dettes (cf. point 12) qu'ING a procédé, après faillite, à la compensation du solde créditeur du compte à vue de Nelca avec la dette de cette dernière à son égard résultant du crédit straight loan. C'est sans pertinence à cet égard qu'Eurofactor soutient que « les paiements effectués après faillite créent une dette postérieure à la faillite ne pouvant, en soi, subir aucune compensation, mais créent en outre une dette d'[ING] envers le tiers débiteur ou la curatelle mais certainement pas envers Nelca » puisqu'elle admet dans le même temps que le jour de la faillite, le compte à vue de Nelca était créditeur d'un montant de 150.784,34 EUR (voy. ses conclusions additionnelles et de synthèse, p. 26), permettant la compensation avec les dettes de Nelca à l'égard d'ING.
Certes, ING n'était sans doute pas autorisée à procéder après la faillite de Nelca aux deux versements pour un montant total de 68.458,66 EUR au bénéfice de la SA ING Equipment Lease. Mais, d'une part, à supposer que ces versements n'aient pas été faits, les montants auraient été absorbés par le mécanisme de la compensation de l'article 49 du règlement général des opérations d'ING puisqu'il est acquis que la dette de Nelca résultant du crédit straight loan au jour de la faillite était largement supérieure au solde créditeur de son compte à vue. D'autre part, et en toute hypothèse, Eurofactor ne démontre pas à quel titre elle aurait pu revendiquer ces montants qui revenaient à la seule masse des créanciers. Or, il est constant que le curateur n'a pas contesté les versements effectués en faveur d'ING Lease.
Aucune faute ne peut dès lors être reprochée à ING après la faillite de Nelca.
15. L'appel n'est en conséquence pas fondé.
3. | Sur les dépens |
16. ING sollicite une indemnité de procédure de 15.000 EUR tout en admettant qu'il n'y a aucune raison de lui accorder le montant maximum et sans s'expliquer sur les raisons pour lesquelles elle s'écarte de l'indemnité de base.
L'enjeu du litige s'inscrivant dans la tranche entre 500.000 EUR et 1.000.000 EUR, il y a lieu de lui allouer le montant de base de 11.000 EUR.
V. | Dispositif |
Pour ces motifs, la cour,
1. Reçoit l'appel mais le dit non fondé;
2. Condamne la SA Eurofactor à payer à la SA ING Belgique l'indemnité de procédure d'appel de 11.000 EUR;
(…)