Article

Cour de cassation, 12/02/2015, R.D.C.-T.B.H., 2016/3, p. 210-215

Cour de cassation 12 février 2015

CONTINUITÉ DES ENTREPRISES
Procédure - Réorganisation judiciaire par accord collectif - Créancier sursitaire extraordinaire - Etendue
Il ne résulte pas de l'article 2, d) et h), de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises que la créance sursitaire garantie par un privilège spécial ou une hypothèque dont une personne est titulaire n'est extraordinaire que jusqu'à concurrence de la valeur de réalisation de l'assiette du privilège spécial ou de l'hypothèque qui la garantit.
CONTINUÏTEIT VAN DE ONDERNEMING
Procedure - Gerechtelijke reorganisatie door collectief akkoord - Buitengewone schuldeiser in de opschorting - Omvang
Uit artikel 2, d) en h) van de wet van 31 januari 2009 betreffende de continuïteit van de ondernemingen volgt niet dat de schuldvordering in de opschorting waarover iemand beschikt, die gewaarborgd wordt door een bijzonder voorrecht of een hypotheek, slechts een buitengewone schuldvordering is tot beloop van de waarde van de tegeldemaking van de grondslag van het bijzondere voorrecht of van de hypotheek die ze waarborgt.

Jardico SPRL et Bureau d'assurances et de financement SA / CBC Banque SA et BNP Paribas Fortis

Siég.: Ch. Storck (président de section), M. Lemal, D. Batselé, M. Delange et M.-Cl. Ernotte (conseillers)
M.P.: Th. Werquin (advocat général)
Pl.: Mes M. Grégoire et I. Heenen
Affaire: C.14.0331.F
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 8 mai 2014 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le conseiller M. Lemal a fait rapport.

L'avocat général Th. Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

Les demanderesses présentent un moyen libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- articles 2, spécialement d), et 50 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, telle qu'elle était applicable aux faits de l'espèce avant sa modification par la loi du 27 mai 2013 modifiant diverses législations en matière de continuité des entreprises;

- article 149 de la Constitution.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt « joint les appels introduits dans les causes inscrites au rôle général sous les numéros 2013/AR/l683, 3013/AR/l684, 2013/AR/l896 et 2013/AR/l902; reçoit les appels et dit seuls fondés les appels introduits par [les défenderesses]; réforme les jugements entrepris prononcés dans les causes inscrites au rôle général du tribunal de commerce de Bruxelles sous les numéros G/13/03612, G/13/03613 et G/13/03614 et, statuant à nouveau, dit pour droit que la créance de la [seconde défenderesse] doit être qualifiée, dans les deux procédures de réorganisation [des demanderesses], comme une créance sursitaire extraordinaire et ce, pour la totalité du montant de 6.671.580,31 EUR en principal et 775.758,61 EUR en intérêts jusqu'au 29 mai 2013 et que la créance de la [première défenderesse] à l'encontre de la [seconde demanderesse] doit être qualifiée de créance sursitaire extraordinaire à concurrence de 5.395.503,02 EUR au 13 février 2013 et qu'elle sera reprise comme telle dans toutes les opérations de la réorganisation judiciaire et que la créance de la [première défenderesse] à l'encontre de la [première demanderesse] doit être qualifiée de créance sursitaire extraordinaire à concurrence de 5.395.503,02 EUR au 13 février 2013 et qu'elle sera reprise comme telle dans toutes les opérations de la réorganisation judicaire, et met les dépens des deux instances à charge des [demanderesses] et les condamne, in solidum, à payer à la [seconde défenderesse] les sommes de 364,69 EUR, 1.320 EUR, 210 EUR et 1.320 EUR et à la [première défenderesse] les sommes de 326,60 EUR, 326,60 EUR, 1.320 EUR, 210 EUR et 1.320 EUR ».

L'arrêt se fonde sur les motifs selon lesquels:

« B. Sur la qualité des créances des banques

[Les demanderesses] soutiennent que:

- un gage général sur créances actuelles et futures ne constitue pas un privilège spécial;

- subsidiairement, un créancier sursitaire n'est extraordinaire que jusqu'à concurrence de ce qui subsiste de l'assiette de son privilège spécial au moment de l'ouverture de la procédure en réorganisation judiciaire; or, à cette date, [les demanderesses] n'étaient pas titulaires de créances sur des clients ou des tiers;

- en tout état de cause, les banques commettent un abus de droit dans la mesure où elles n'ont rien à gagner à provoquer leurs faillites, ce qui serait immanquablement le cas en l'espèce, d'autant qu'elles ont réalisé complètement leurs gages sur titres, qui plus est à un moment inopportun.

a) Sur le gage général sur créances actuelles et futures

13. L'article 12.2 des conditions générales de [la première défenderesse] prévoit:

'Par les présentes, les crédités affectent en gage toutes leurs créances actuelles et futures sur la banque en raison d'avoirs en compte ou d'opérations bancaires et de services bancaires, ainsi que toutes leurs créances actuelles et futures sur des tiers. Sont visées, entre autres, les créances nées de contrats de vente, de location de services, de dépôts et d'assurances, les créances découlant de l'activité professionnelle ou commerciale du crédité, les créances sur établissements financiers en vertu d'avoirs en compte, les créances en responsabilité contractuelle et extracontractuelle, les créances sur l'Etat et autres personnes morales de droit public'.

L'article 8 des conditions générales de [la seconde défenderesse], intitulé 'gage général', prévoit quant à lui:

'Pour sûreté du remboursement de toutes sommes dues, le crédité donne en gage à la banque toutes les créances actuelles et futures sur des tiers, de quel que chef que ce soit, telles que notamment les créances commerciales et autres créances sur clients, les rémunérations pour prestations et services, les créances découlant du produit des biens meubles ou immeubles, les créances sur des institutions de crédit ou autres institutions financières, les créances relatives à des dommages et intérêts, des pensions, des prestations d'assurance, des allocations de sécurité sociale ou des créances sur les pouvoirs publics dans le cadre de la réglementation fiscale'.

C'est sur la base de ces dispositions - dont l'opposabilité n'est pas contestée - que les banques soutiennent que leurs créances doivent être considérées comme des créances sursitaires extraordinaires et que, partant, elles ne peuvent être concernées par les plans de réorganisation, tels qu'ils ont été proposés.

14. L'article 2, d) ancien, de la loi sur la continuité des entreprises dispose qu' 'on entend par [...] 'créances sursitaires extraordinaires' les créances garanties par un privilège spécial ou une hypothèque et les créances des créanciers-propriétaires'.

La loi sur la continuité des entreprises traite plus favorablement les créanciers extraordinaires puisque l'article 50 prévoit que:

'Sans préjudice du paiement des intérêts qui leur sont conventionnellement ou légalement dus sur leurs créances, le plan peut prévoir le sursis de l'exercice des droits existants des créanciers sursitaires extraordinaires pour une durée n'excédant pas vingt-quatre mois à dater du dépôt de la requête.

Dans les mêmes conditions, le plan peut prévoir une prorogation extraordinaire de ce sursis pour une durée ne dépassant pas douze mois. Dans ce cas, le plan prévoit qu'à l'échéance du premier délai de sursis, le débiteur soumettra au tribunal, son créancier entendu, la preuve que la situation financière et les recettes prévisibles de l'entreprise la mettront, selon les prévisions raisonnables, à même, à l'expiration de cette période supplémentaire, de rembourser intégralement les créanciers sursitaires extraordinaires concernés, et qu'à défaut d'apporter cette preuve, le débiteur entendra ordonner la fin de ce sursis.

Sauf leur consentement individuel ou accord amiable conclu conformément à l'article 15 ou 43, dont une copie est jointe au plan lors de son dépôt au greffe, le plan ne peut comporter aucune autre mesure affectant les droits desdits créanciers.'

Les termes 'privilège spécial' dont il est question dans la loi sur la continuité des entreprises doivent s'entendre comme étant une expression synonyme de 'privilèges particuliers' tels qu'ils sont définis aux articles 18 et suivants de la loi hypothécaire.

Sont notamment considérés comme des créanciers sursitaires extraordinaires ceux dont la créance est garantie par un gage et un gage sur fonds de commerce.

Il ne s'agit là que de la stricte application de l'article 20, 3°, de la loi hypothécaire. En effet, une sûreté est générale lorsqu'elle a pour assiette un ensemble de biens. Elle est spéciale lorsqu'elle grève un ou plusieurs biens déterminés, ce qui est le cas du gage, de l'hypothèque, des privilèges spéciaux sur meubles ou sur immeubles et du privilège de l'assureur. Cette distinction ressort de l'article 18 de la loi hypothécaire selon lequel les privilèges sont ou généraux ou particuliers sur certains meubles. L'article 18 de la loi hypothécaire énumère les privilèges généraux sur les meubles et l'article 20 les privilèges sur certains meubles, c'est-à-dire les privilèges spéciaux. L'article 20, 3°, de la loi hypothécaire dispose que les créances privilégiées sur certains meubles sont, notamment, la créance sur le gage dont le créancier est saisi. De plus, les travaux préparatoires de la loi sur la continuité des entreprises précisent clairement que les créances sursitaires extraordinaires sont notamment celles qui sont 'garanties par une sûreté réelle', comme l'est le gage sur créances.

15. Par ailleurs, rien n'interdit de constituer un gage sur créances futures.

En effet, on peut constituer une sûreté en garantie de dettes futures ou conditionnelles sous la réserve que ces dettes soient déterminées ou déterminables au moment de la constitution de la sûreté (art. 1130, al. 1er, C. civ.). Les créances futures ont un caractère suffisamment déterminé ou déterminable si la convention instituant la sûreté permet de les définir et s'il résulte des éléments de la cause qu'elles sont effectivement de celles que les parties avaient entendu assortir de la garantie.

Tel est le cas en l'espèce. Les conditions générales des banques décrivent d'une manière très claire et pratiquement exhaustive les créances futures susceptibles d'entrer dans l'assiette du gage, en manière telle qu'elles peuvent être identifiées à l'avenir. Elles répondent dès lors à l'exigence du caractère déterminable.

A titre surabondant, il convient en outre d'observer que le droit futur a prévu que le gage peut avoir pour objet des biens futurs (cf. art. 8 du nouveau Chapitre 1er du Titre XVII du Code civil, inséré par la loi du 11 juillet 2013 qui entrera en vigueur à une date fixée par le Roi et au plus tard le 1er décembre 2014).

16. Il s'ensuit que c'est à tort que [les demanderesses] soutiennent, dans le cadre de leur appel incident, qu'un gage général sur créances actuelles et futures ne constitue pas un privilège spécial.

b) Sur le caractère extraordinaire de la créance jusqu'à concurrence de l'assiette

17. [Les demanderesses], suivies en cela par le premier juge, soutiennent, d'une part, qu'un créancier sursitaire n'est extraordinaire que jusqu'à concurrence de ce qui subsiste de l'assiette de son privilège spécial au moment de l'ouverture de la procédure en réorganisation judiciaire, d'autre part, qu'à cette date, elles n'étaient pas titulaires de créances sur des clients ou des tiers et, partant, que les banques ne devaient pas être traitées comme créancier sursitaire extraordinaire.

18. Il convient tout d'abord d'observer que, contrairement à ce qu'affirment [les demanderesses], l'assiette des gages des banques n'était pas réduite à néant à la date de l'ouverture de la procédure en réorganisation judiciaire. Il résulte en effet des pièces déposées que les créances détenues par [la seconde demanderesse] étaient au 31 décembre 2012 de:

Créance impôt à récupérer: 41.689,96 EUR

Créance taxe sur la valeur ajoutée à récupérer: 42.042,84 EUR

Créance du chef d'un compte courant: 173.853,62 EUR

Valeur CCP: 54,12 EUR

Valeur caisse: 492,81 EUR

Dividendes à recevoir: 2.000 EUR

Immobilisations financières actions et participations: 1.161.783 EUR,

et que celles détenues par [la première demanderesse] étaient, à la même date, de:

Créance impôt à récupérer: 44.027,57 EUR

Créance taxe sur la valeur ajoutée à récupérer: 237,29 EUR

Créance du chef d'un compte courant: 95.485,95 EUR

Créances commerciales sur clients: 4.885,73 EUR

Créance cautions: 8.973,75 EUR

Valeur caisse: 800,43 EUR

Immobilisations financières actions et participations: 1.498.380,67 EUR.

Le dernier bilan publié (arrêté au 30 juin 2012) laisse apparaître pour [la seconde demanderesse] les postes suivants:

Créances commerciales: 170.640 EUR

Autres créances: 83.733 EUR

Valeurs disponibles: 174.401 EUR

et celui pour [la première demanderesse]:

Créances commerciales: 57.663 EUR

Autres créances: 43.835 EUR

Valeurs disponibles 2.218.099 EUR.

Il s'ensuit que la réalisation par les banques des titres mis en gage n'a pas eu pour effet que toutes les créances gagées avaient été payées avant l'ouverture de la procédure de réorganisation.

Par ailleurs, dès lors que le gage sur créances futures est admis, il convient également d'observer que la poursuite des activités [des demanderesses] était et est toujours de nature à générer de nouvelles créances puisque les estimations des comptes de résultat pour l'année 2014 font apparaître pour [la première demanderesse] un chiffre d'affaires prévisionnel de 80.000 EUR et pour [la seconde demanderesse] de 241.500 EUR, ainsi que des approvisionnements de marchandises et de biens et services divers, susceptibles de générer une créance contre la taxe sur la valeur ajoutée. Tout comme pour le gage sur le fonds de commerce, l'assiette du gage en cause, dès lors qu'il comporte également des créances, est susceptible de varier dans le temps. Il ne peut donc être affirmé que les privilèges spéciaux dont les banques peuvent se prévaloir étaient dépourvus d'assiette.

19. Il ne résulte d'aucune disposition contenue dans la loi sur la continuité des entreprises que le législateur a entendu limiter les droits des créanciers sursitaires extraordinaires, tels qu'ils découlent notamment de l'article 50, ni que la loi doit être interprétée en ce sens que le caractère extraordinaire d'une créance devrait être limité à la valeur de réalisation de l'assiette du gage au moment de l'ouverture de la procédure en réorganisation.

Cette théorie, outre qu'elle ne repose sur aucun fondement légal, n'est qu'une construction d'une certaine doctrine qui ne fait pas l'unanimité. Elle est en effet critiquée par C.A. Leunen et M. Lamberty (cf. « Un autre regard sur le sort des intérêts et la qualité de créance sursitaire extraordinaire », in Actualité de la continuité, continuité de l'actualité, Larcier, 2012, pp. 402 et s., qui citent, en note infrapaginale n° 16, S. Brijs et S. Jacmain, De reorganisatie van een onderneming in het kader van een collectieve akkoord, Intersentia, 2010, p. 93, et en note 20, M. Forges et P.F. Van Den Driesche, « Le gage sur fonds de commerce et les entreprises en difficulté », in Le fonds de commerce, Anthémis, 2012, p. 81), auteurs qui estiment que la valeur de réalisation estimée des biens constituant l'assiette de la sûreté ou du privilège spécial n'a guère d'impact sur la qualité de la créance qu'ils garantissent.

Il ne convient en effet pas de confondre la nature de la créance et son assiette. Le caractère d'une créance ou, autrement dit, la question si une créance est privilégiée ou non est une question différente de celle de savoir pour quel montant elle est privilégiée (P. François, « De wet betreffende de continuïteit van de ondernemingen. Over euforie en relativisme. De ervaringen van de bank als schuldeiser », in BFR, Larcier, 2011/111, p. 185). C'est l'intégralité du montant de la créance garantie par le privilège qui doit être qualifiée comme étant extraordinaire, peu importe dans quelle mesure le créancier sera en fin de compte remboursé, la finalité de la loi sur la continuité des entreprises étant la continuité de l'entreprise et l'exécution du plan dans le futur, qui doit permettre le remboursement de la créance.

Suivre la thèse [des demanderesses] reviendrait à exclure les créances futures de l'assiette du gage, ce qui ne peut être admis pour les motifs développés au point 14 [ci-dessus].

Vainement [les demanderesses] soutiennent-elles que les banques entendraient modifier en cours de sursis la qualité de la créance. Les banques détiennent des créances sursitaires extraordinaires depuis le jour de l'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire et ce, en vertu d'un gage sur créances constitué des années avant. La sûreté n'a pas été prise en cours de sursis. Soutenir qu'une créance serait à la fois extraordinaire jusqu'à concurrence de la valeur de réalisation de la sûreté et ordinaire (pour le reste) reviendrait à créer une nouvelle catégorie de créanciers non prévus par la loi sur la continuité des entreprises.

Enfin, c'est tout aussi vainement que [les demanderesses] reprochent que le gage n'a pas fait l'objet d'un enregistrement. C'est en effet perdre de vue qu'en l'espèce le gage est commercial. »

L'arrêt en déduit que « les appels des banques sur ce point sont fondés ».

Griefs

1. En vertu de l'article 2, d), de la loi sur la continuité des entreprises, les créances sursitaires extraordinaires sont « les créances sursitaires garanties par un privilège spécial ou une hypothèque et les créances des créanciers-propriétaires ».

Les travaux préparatoires précisent que les créances sursitaires extraordinaires sont celles « qui bénéficient d'un traitement particulier », à savoir « les créances garanties par une sûreté réelle, c'est-à-dire un gage ou une hypothèque, ou qui bénéficient d'une garantie donnée par la rétention du droit de propriété ou par le biais d'un privilège spécial » (Doc. parl., Chambre, 2007-2008, n° 52-160/2, p. 45).

Cependant, la question de savoir jusqu'à concurrence de quel montant un créancier sursitaire peut se prévaloir de la qualité de créancier extraordinaire fait l'objet de débats en doctrine et en jurisprudence. Plusieurs thèses coexistent, qui n'ont jusqu'ores pas été soumises à l'examen de la Cour.

Selon une première thèse, la créance n'est extraordinaire que jusqu'à concurrence de la valeur de réalisation estimée de ce qui subsiste de l'assiette de la sûreté au moment de l'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire. Aussi, le créancier ne pourrait-il se prévaloir du statut de créancier sursitaire extraordinaire sur la base d'un gage dont l'assiette aurait été réduite à néant, ce qui serait le cas si les créances gagées avaient été payées avant l'ouverture de la procédure de réorganisation.

Ce point de vue est fondé notamment sur le fait que le privilège (y compris celui qui est prévu à l'article 20, 3°, de la loi hypothécaire en faveur du créancier gagiste) n'est rien d'autre qu'un droit accordé à son titulaire d'être payé de manière préférentielle sur le produit de réalisation des biens sur lesquels il porte.

Certes, la réorganisation par accord collectif ne suppose pas la réalisation des biens de l'entreprise, fussent-ils grevés de privilèges ou de sûretés réelles, de sorte qu'en tant que telle, l'exécution du plan n'est pas destinée à engendrer l'expression du privilège dans sa finalité ultime: le paiement par priorité du créancier qui en bénéficie.

Cependant, la loi sur la continuité des entreprises accorde, à plusieurs catégories de créanciers, une faveur d'une autre nature, dépendant de l'existence ou non d'un privilège ou d'une sûreté réelle.

La question posée consiste à déterminer dans quelle mesure un privilège ou une sûreté réelle peuvent servir d'étalons en dehors d'une procédure de concours, et non dans quelle mesure ils influencent l'ordre des répartitions du produit de réalisation des actifs grevés.

Répondre à cette question n'est assurément pas aisé, car il est admis à bon droit qu'en dehors d'une procédure de concours, rien ne distingue, en règle, une créance chirographaire d'une créance privilégiée. De manière similaire, en dehors d'une procédure de concours, une sûreté réelle ne produit que des effets conservatoires, caractéristiques de la période de latence séparant la naissance de la garantie de son exécution éventuelle, et non un paiement préférentiel.

Néanmoins, l'application de la loi sur la continuité des entreprises, en tant qu'elle gouverne l'accord collectif, invite à estimer la proportion dans laquelle les créanciers sursitaires extraordinaires peuvent avoir accès à la catégorie spéciale qui leur est réservée par les articles 2, d), et 50, avec les exigences renforcées à charge de l'entreprise que cette appartenance implique.

A cet égard, selon une deuxième thèse, il convient de tenir compte de la valeur nominale de l'assiette de la sûreté, révélée par le montant de l'inscription pour un gage ou une hypothèque. Les auteurs favorables à cette position en reconnaissent le caractère imparfait, laquelle aurait néanmoins le mérite d'une plus grande sécurité juridique.

Enfin, une troisième et dernière thèse défend l'idée que l'existence d'une sûreté entraînerait la qualité de créancier sursitaire extraordinaire pour l'intégralité de la créance, quelle que soit la valeur réelle économique de l'assiette. C'est cette position qu'adopte l'arrêt.

La loi du 27 mai 2013 modifiant diverses législations en matière de continuité des entreprises a inséré un article 2/1 dans la loi sur la continuité des entreprises selon lequel, « sans préjudice de la nature des créances résultant de contrats à prestations successives et de l'effet sur la créance d'un paiement intervenu après l'ouverture de la procédure, la nature de la créance est déterminée au moment de l'ouverture de la procédure ».

A cet égard, les travaux préparatoires précisent que « les sûretés qui confèrent au créancier le droit d'être payé sur les biens qui en font l'objet par préférence aux autres créanciers ne donnent lieu à la qualité de créancier sursitaire extraordinaire pour les biens qui en font l'objet que pour le montant qui était dû au moment de l'ouverture de la procédure ». Les travaux préparatoires renvoient en outre expressément à la première thèse développée ci-avant (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, n° 53-2692/1, p. 9).

Or, l'on sait que la loi précitée poursuit un objectif de clarification des textes, dans la ligne de la volonté du législateur lors de la promulgation de la loi sur la continuité des entreprises, plus que d'adaptation. C'est donc dans le sens exprimé par le nouveau libellé qu'il convient d'interpréter l'article 2, d), de cette loi applicable à la présente espèce.

Il se déduit de ce qui précède que l'existence d'une clause de mise en gage de créances actuelles et futures au sein des conditions générales d'une banque est, bien entendu, propre à fonder la validité et l'opposabilité d'un gage mais demeure insuffisante pour conférer pour le tout la qualité de sursitaire extraordinaire au créancier qui en bénéficie, à défaut d'évaluation de l'assiette au moment de l'ouverture de la procédure en réorganisation judiciaire.

2. En l'espèce, par les motifs repris au moyen et tenus ici pour intégralement reproduits, l'arrêt commence à bon droit par constater l'existence et l'opposabilité d'un gage sur créances actuelles et futures au sein des conditions générales [des défenderesses].

Mais l'arrêt poursuit à tort en considérant en substance qu'« il ne résulte d'aucune disposition contenue dans la loi sur la continuité des entreprises que le législateur a entendu limiter les droits des créanciers sursitaires extraordinaires, tels qu'ils découlent notamment de l'article 50, ni que la loi doit être interprétée en ce sens que le caractère extraordinaire d'une créance devrait être limité à la valeur de réalisation de l'assiette du gage au moment de l'ouverture de la procédure en réorganisation (...). C'est l'intégralité du montant de la créance garantie par le privilège qui doit être qualifiée comme étant extraordinaire ».

L'arrêt constate ensuite que « la réalisation par les banques des titres mis en gage n'a pas eu pour effet que toutes les créances gagées avaient été payées avant l'ouverture de la procédure de réorganisation » et souligne que, « dès lors que le gage sur créances futures est admis, il convient également d'observer que la poursuite des activités [des demanderesses] était - et est toujours - de nature à générer de nouvelles créances puisque les estimations des comptes de résultat pour l'année 2014 font apparaître pour [la première demanderesse] un chiffre d'affaires prévisionnel de 80.000 EUR et pour [la seconde demanderesse] de 241.500 EUR, ainsi que des approvisionnements de marchandises et des biens et services divers, susceptibles de générer une créance contre la taxe sur la valeur ajoutée. Tout comme pour le gage sur le fonds de commerce, l'assiette du gage en cause, dès lors qu'il comporte également des créances, est susceptible de varier dans le temps. Il ne peut donc être affirmé que les privilèges spéciaux dont les banques peuvent se prévaloir étaient dépourvus d'assiette ».

Ayant ainsi constaté l'existence de privilèges spéciaux au profit des banques, l'arrêt néglige toutefois d'en déterminer la portée et d'en limiter la mesure, alors que, sur la base de ses constatations de fait, il devait prendre en considération une telle limitation pour l'application des articles 2, d), et 50 de la loi sur la continuité des entreprises.

3. En conséquence, l'arrêt, qui, sur la base des considérations qui précèdent, décide que c'est l'intégralité du montant des créances litigieuses, garanties par un gage sur créances actuelles et futures, qui doit être qualifiée de créance sursitaire extraordinaire, sans limiter cette qualification à la valeur de l'assiette de la sûreté au moment de l'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire, méconnaît la portée de la notion légale de créance sursitaire extraordinaire (violation des art. 2, d), et 50 de la loi sur la continuité des entreprises); à tout le moins, à défaut de procéder à une estimation de la valeur de l'assiette de la sûreté au moment de l'ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire pour faire application des articles 2, d), et 50 de cette loi, l'arrêt ne permet pas à la Cour d'exercer le contrôle de légalité qui lui est attribué (violation de l'art. 149 de la Constitution).

III. La décision de la Cour

En vertu de l'article 2, d) et h), de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, la personne qui est titulaire d'une créance sursitaire garantie par un privilège spécial ou une hypothèque est un créancier sursitaire extraordinaire.

Il ne résulte pas de cette disposition légale que la créance dont cette personne est titulaire n'est extraordinaire que jusqu'à concurrence de la valeur de réalisation de l'assiette du privilège spécial ou de l'hypothèque qui la garantit.

Le moyen, qui repose tout entier sur le soutènement contraire, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi;

Condamne les demanderesses aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de 674,15 EUR envers les parties demanderesses.

(…)