Straight to the point
Professeur émérite UCL, avocat au barreau de Bruxelles, président du Centre belge du droit des sociétés
La Chambre de commerce et d'industrie de Bruxelles (Beci) a procédé récemment à une petite enquête sur le thème: « Qu'est-ce que le client attend de son avocat? ». Tous les avocats ont, au-delà de la récurrence de certaines questions et de certaines réponses ainsi que des compliments qui leur sont adressés à certains égards, intérêt à en prendre connaissance et à réfléchir, voire à se conformer, aux conclusions qui en sont tirées pour « réussir la relation avec ses clients » (Olivier Willocx, Administrateur-délégué de Beci, « Qu'est-ce que le client attend de son avocat? »).
Je crois que tous les juristes peuvent être les destinataires de ces conclusions et de ces conseils et qu'ils pourraient s'en inspirer. Je retiens, quant à moi, le souhait de la concision et de la brièveté dans les démarches et les conseils juridiques (straight to the point) et celui de l'invitation à la personne concernée de s'impliquer dans la décision qui doit être prise à la faveur de toutes les options qui devraient lui être présentées à cette fin (la créativité juridique).
1. Straight to the point
Il est à tout le moins interpellant que des personnes et des sociétés, qui connaissent l'importance et le coût du temps qui passe, considèrent que les avocats, à qui elles confient la défense de leurs intérêts, n'y auraient pas suffisamment égard. Leur souhait emporte que les avocats soient plus brefs et plus efficaces.
Quel est le juriste qui peut ne pas reconnaître que, paradoxalement souvent par manque de temps, il n'a pas été trop long dans ses entretiens et dans ses écrits? La tentation paraît bien guetter tous les juristes de vouloir « refaire le monde » et de « donner longuement des leçons » à tous ceux qui les consultent.
Le conseil de la concision et de la brièveté doit être suivi. Straight to the point est une exigence de tous les temps. Elle revêt une importance toute particulière dans les conditions difficiles et coûteuses auxquelles nous sommes actuellement confrontés, sans préjudice de tout le temps nécessaire à l'écoute, attentive et constructive, d'autrui et de celui qu'implique la recherche de solution de problèmes particulièrement complexes et apparemment insolubles.
La conduite des avocats ou de certains d'entre eux est-elle la seule cause des longueurs inutiles et des dérives qu'elles comportent? Une même attitude se retrouve-t-elle aussi au niveau de l'ensemble des juristes? Est-elle due à leur formation et à leur pratique et/ou à l'état du droit lui-même?
Les images caricaturales de l'avocat du passé, sinon de celles de tous les juristes demeurent encore dans les esprits et les traditions du plus grand nombre. Elles ont la vie dure dans les programmes et le style des Facultés de droit mais les choses évoluent. Sans revoir fondamentalement leurs programmes, les Facultés réservent heureusement, à la mesure de leurs moyens limités et en corrélation avec les milieux de la pratique, une attention sans cesse accrue à l'actualité juridique et aux spécialisations qu'elle paraît comporter en écho à l'abondance, à la diversification et à la complexité d'une législation galopante. Les praticiens ont, quant à eux, lentement mais sûrement découvert les nécessités de l'efficience sous l'influence de leurs collègues anglo-saxons ou sous celle des dures lois et conséquences du marché concurrentiel.
Cette évolution est sans doute trop lente. Elle appelle, pour en accélérer le cours, à repenser et à aménager la formation et la pratique des juristes en fonction des besoins et des attentes de notre temps. Elle requiert aussi et surtout que le droit retrouve la simplicité qui doit être la sienne dans le quotidien de nos vies.
L'état actuel de la législation ne répond pas à cette exigence et le législateur est en conséquence le premier destinataire du souhait de « straight to the point ». La communauté juridique doit lui rappeler le besoin d'un cadre légal marqué de clarté et de pertinence en faisant largement confiance à tous les destinataires de la loi. Un tel droit permettra aux avocats de passer moins de temps à tenter d'expliquer à leurs clients une législation qui est malheureusement de moins en moins simple, compréhensible, connue et maîtrisable.
Les réflexions et les mises en oeuvre en ce sens pourraient notamment dans le domaine et les matières auxquelles cette Revue se consacre, porter sur l'intégration du droit civil et du droit commercial et la fin d'une distinction qui a pu être utile en son temps. Le droit des sociétés est un domaine qui appelle une telle évolution eu égard aux principes et aux axes d'entreprise qu'il comporte au-delà de l'objet poursuivi. Un même rapprochement s'impose dans et pour toutes les sociétés et associations qui recherchent leur réussite, que celle-ci soit intéressée ou désintéressée, la différence devant être reportée à la finalité poursuivie, étant le partage des bénéfices d'une part et l'affectation exclusive de ceux-ci aux seuls objets et buts de l'association.
Il faut parachever dans le même esprit la pleine et entière compétence des tribunaux de commerce dans et pour toutes les sociétés depuis leur création et tout au cours de leur fonctionnement jusque et y compris leur liquidation et leur faillite éventuelles.
La procédure devant les tribunaux de commerce est aussi un domaine de prédilection de la simplicité recherchée. Elle est aux mains des plaideurs et des juges qui peuvent y veiller de concert sous l'égide des normes et des souhaits de la loi Pot Pourri I.
2. La créativité juridique
Une autre conclusion de l'enquête susdite comporte le souhait de voir les avocats offrir à leurs clients une pluralité d'options dans leur recherche d'encadrement, de sécurité et de règlement juridiques.
Ce souhait de pouvoir choisir est accompagné, au moins implicitement, de celui de créer. Cette liberté de choisir et celle de créer participent de la dignité des femmes et des hommes et de leur épanouissement. Elles sont ou devraient être au coeur de l'esprit et de la démarche démocratiques comme elles le sont, à un niveau technique, dans l'économie de marché.
Il appartient à tout législateur de privilégier ces souhaits et ces libertés sous l'égide, bien entendu, des obligations, des interdictions et des sanctions que les intérêts supérieurs de la collectivité et de chaque individu exigent aux fins de favoriser, autant que faire se peut, l'expression des libertés et l'accomplissement des légitimes attentes collectives et individuelles.
Le législateur et les autorités publiques doivent promouvoir cette créativité en leur sein et au profit de tous les membres de la collectivité au service desquels ils accomplissent leurs missions. Cette promotion implique une vision de service et d'efficacité et s'exprime par des idées, des conseils, des lois supplétives et une régulation et un contrôle de participation constructive.
Le droit judiciaire nous en offre un bel exemple. Les litigants peuvent actuellement, dans le meilleur esprit de sympathie et d'encouragement tant de la part de l'autorité législative que des autorités judiciaires, choisir, comme ils l'entendent, la voie qui leur paraît la meilleure pour le règlement de leurs problèmes: justice publique ou justice privée selon tous les modes et toutes les formes alternatives (ADR ou MARC).
Les justices publiques peuvent aussi arrêter, avec les plaideurs et notamment dans le cadre des débats interactifs, les conditions et les formes des procédures qui s'introduisent et se poursuivent sous leur égide. Les tribunaux de commerce nous paraissent, par leur composition et eu égard aux connaissances et à l'expérience juridique et factuelle de ceux qui y siègent, un excellent laboratoire de ces nouvelles formes de dialogue que certains tribunaux de commerce pratiquent déjà avec bonheur dans un dialogue, « straigth to the point », avec les parties et leurs conseils.
Quant à la substance des normes juridiques, il s'impose, dans cette politique créative d'options diverses, d'inciter le législateur à y être plus attentif et à l'aider dans l'élaboration de conseils, d'avis et de suggestions qu'il devrait formuler davantage à l'adresse des parties intéressées dans ses exposés de motifs, dans ses communications générales et dans ses lois supplétives.
Le monde juridique devrait faire de même en réservant autant, sinon davantage, d'attention à toutes les initiatives créatives qu'il peut librement créer qu'au seul exposé compréhensif et explicatif des normes légales. La large diffusion de ces possibilités et de ces réalisations s'impose pour accentuer, autant que faire se peut, la plus-value que le droit apporte et peut apporter à notre vie en commun et à toutes les structures et activités qu'elle comporte.
3. Le droit et la justice au service de toute la collectivité et de chacun de ses membres
La valeur et la qualité d'une profession en général et de la profession judiciaire en particulier s'apprécient à l'aune de multiples facteurs. La confiance publique qui lui est témoignée en est sans doute un des meilleurs. La satisfaction, sinon le bonheur de ceux qui l'accomplissent en est aussi un signe révélateur.
Ces deux mesures ne révèlent malheureusement pas, au terme d'enquêtes diverses ou d'impressions plus ou moins concordantes, les résultats positifs que l'on souhaiterait.
Peut-on rêver, pour y remédier et donner pleine satisfaction aux uns et pleine confiance aux autres, qu'au-delà de l'attention permanente que requiert le financement, juste et adéquat, de l'oeuvre de justice, les mondes judiciaire et juridique arrêtent, de concert avec toute la communauté concernée, un plan quinquennal de simplicité et de créativité de leur action et de leurs services?
Une telle politique devrait notamment dépasser le seul critère de l'évaluation monétaire du litige pour s'attacher à sa nature et à sa banalité répétitive et adapter en conséquence la liturgie judiciaire dans un style de concision et de brièveté qui en augmenterait l'efficience. L'injonction de payer s'inscrit dans cette perspective au-delà des aménagements dont la pratique révèlera peut-être la nécessité par rapport aux modifications normatives qui viennent d'y être apportées.
Notre souhait porte aussi, très concrètement, sur la large information à laquelle toutes les juridictions devraient procéder annuellement non seulement sur le nombre d'actions introduites et de jugements rendus mais aussi et surtout sur les conditions et les modalités procédurales susceptibles de simplifier et d'accélérer le cours de la justice et sur les leçons qui pourraient résulter des décisions rendues.
Cette meilleure connaissance de l'action des « fantassins de la première ligne » pourrait être reprise et amplifiée dans une rencontre, par exemple tous les deux ans, de représentants de tous les milieux concernés et de délégués qualifiés des mondes juridique et judiciaire aux fins de mieux faire connaître et de mieux évaluer la valeur et l'efficience du droit belge et de la justice publique dans le contexte européen.
Les chemins sont multiples pour rendre à la communauté toute entière les services qu'elle attend de la part de ses juristes et, en augmentant l'enthousiasme et l'efficience de ces derniers, pour valoriser au mieux la confiance de tous dans l'oeuvre de justice et dans la plus-value démocratique de son accomplissement.