Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 28/05/2013, R.D.C.-T.B.H., 2016/1, p. 86-88

Tribunal de commerce de Bruxelles 28 mai 2013

DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN ET INTERNATIONAL
Compétence et exécution - Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 - Règlement CE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 - Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale - Compétence
Lorsque des investisseurs belges subissent des pertes sur un investissement, effectué par le biais d'une entreprise d'investissement belge, dans des actions d'une société d'investissement d'un autre pays membre de l'Union européenne, le Règlement Bruxelles I n'offre pas de moyen de droit afin d'intenter une action contre la société d'investissement. La citation de l'entreprise d'investissement en Belgique ne mène pas à une citation de la société d'investissement étrangère en tant que codéfendeur. La compétence basée sur le forum connexitatis ne peut être invoquée. En effet, le fait que deux actions soient traitées séparément ne produit pas de risque d'obtention de jugements contradictoires dans les situations qui sont identiques en fait et en droit. De plus, les investisseurs ne peuvent faire appel au règlement de compétence du droit en matière de protection des consommateurs: celui qui devient actionnaire ne contracte pas directement avec la société elle-même. Finalement, la justification de la compétence d'un juge belge basée sur le fait que les dommages sont subis en Belgique ne tient pas la route, vu que le Règlement Bruxelles I n'offre pas de for sur le lieu où est subi le dommage par répercussion.
EUROPEES EN INTERNATIONAAL GERECHTELIJK RECHT
Executie en bevoegdheid - Verordening EG nr. 44/2001 van 22 december 2000 - Verordening EG nr. 1215/2012 van 12 december 2012 - Rechterlijke bevoegdheid, erkenning en tenuitvoerlegging van beslissingen in burgerlijke en handelszaken - Bevoegdheid
Wanneer Belgische beleggers via een Belgische beleggingsonderneming in aandelen van een beleggingsvennootschap uit een andere Europese lidstaat beleggen, en vervolgens verlies lijden op hun investering, biedt de Brussel I-Verordening hen geen bevoegdheidsgrond om in België een vordering tegen de beleggingsvennootschap in te stellen. Wanneer de beleggingsonderneming in België wordt gedagvaard, leidt dit er niet toe dat de beleggingsvennootschap als medeverweerder in België kan worden gedaagd. De bevoegdheidsgrond van het forum connexitatis kan namelijk niet worden ingeroepen, want de afzonderlijke behandeling van de twee vorderingen creëert geen risico op tegenstrijdige vonnissen in situaties die feitens en rechtens dezelfde zijn. De beleggers kunnen zich ook niet beroepen op het bijzondere bevoegdheidsregime inzake consumentencontracten, want diegene die aandelen koopt in een vennootschap contracteert op deze manier niet met deze vennootschap zelf. Ze kunnen er zich ook niet op beroepen dat ze in België hun schade geleden hebben, daar de Brussel I-Verordening geen forum biedt op de plaats waar reflectieschade geleden is.

G.J., S.J., H.J. et M.J. / SA Petercam et Petercam Horizon L.

Siég.: P.F. Rizzo (juge), Ph. Marchandise et A. Radelet (juges consulaires)
Pl.: Mes E. Roger France, J.-Fr. Germain et S. Loosveld, G. Loesch
Affaire: A/13/00265

Vu les pièces de la procédure et notamment:

- l'exploit de citation du 21 décembre 2012;

- les conclusions des demandeurs déposées le 7 mars 2013;

- les conclusions de la seconde défenderesse déposées le 18 mars 2013;

- les pièces déposées par les parties,

Entendu les conseils des parties à l'audience publique du 16 avril 2013,

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

1. Le contexte du litige et la demande

Le présent litige a pour origine l'achat par les demandeurs, le 12 décembre 2005, de 382.400 titres d'un compartiment de la société d'investissement à capital variable de droit luxembourgeois Petercam Horizon L. (ci-après « la sicav PHL ») pour un montant total de 39.119.520 EUR.

En achetant ces titres, les demandeurs devenaient actionnaires de la sicav PHL.

Au cours de l'année 2008, la sicav PHL a enregistré une perte importante.

Les demandeurs ont lancé assignation contre la société de bourse Petercam SA et la sicav PHL en vue d'obtenir une indemnisation du préjudice qu'ils ont subi suite à cette perte.

La demande tend à la condamnation solidaire ou, à défaut, in solidum des défenderesses au paiement d'un montant provisoirement estimé à 15.095.784 EUR, au titre de dommages et intérêts, à augmenter des intérêts compensatoires et des intérêts judiciaires.

Les demandeurs estiment que la perte subie sur leur investissement est le résultat d'une gestion gravement défaillante dans le chef des gestionnaires de leurs avoirs financiers.

Ils soutiennent que la SA Petercam avait reçu un mandat de gestion sur leurs avoirs et que le placement fait dans la sicav PHL est intervenu dans le cadre de ce mandat de gestion.

Ils considèrent qu'en tant qu'organisme de placement collectif dans lequel les avoirs ont été placés, la sicav PHL engage également sa responsabilité dans la gestion de ces avoirs.

La SA Petercam soutient que la convention conclue avec les demandeurs avait pour seul objet l'ouverture d'un compte-titres sur lequel ils pouvaient déposer les instruments financiers qu'ils achetaient au gré de leurs investissements.

Elle affirme que c'est de leur propre initiative que les demandeurs ont souscrit aux titres de la sicav PHL. Elle a uniquement servi d'intermédiaire pour passer l'ordre de souscription des demandeurs.

Les défenderesses estiment que les reproches formulés concerne la gestion de la sicav PHL (notamment en lien avec les types d'investissement effectués, la répartition des risques, la réorientation des placements et la composition des portefeuilles), la demande dirigée contre la SA Petercam n'ayant pour but que d'attraire la société luxembourgeoise devant un for qui n'est pas le sien.

Dans ses premières conclusions, la sicav PHL a soulevé l'exception d'incompétence internationale du tribunal de céans pour connaître des demandes formées contre elle.

Le tribunal de céans est invité à statuer sur cette seule question de compétence.

2. Discussion

Les demandeurs fondent la compétence internationale du tribunal de céans à l'égard de la sicav PHL sur l'article 6, 1., du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (« le Règlement Bruxelles I »).

Dérogeant à la compétence de principe du domicile du défendeur, énoncée à l'article 2 du Règlement Bruxelles I, l'article 6, 1., prévoit qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, « s'il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ».

Pour les demandeurs, les demandes formulées contre la SA P., d'une part, et contre la sicav PHL, d'autre part, concernent une même gestion. Si des juridictions différentes étaient appelées à se prononcer sur le caractère fautif ou non de cette gestion unique, il se pourrait qu'elles aboutissent à des décisions totalement inconciliables.

Pour les défenderesses, les demandes sont parfaitement distinctes et dissociables. Les juridictions belges et luxembourgeoises compétentes en vertu de la règle de principe désignant le tribunal du domicile du défendeur se prononceraient, en effet, sur des gestions distinctes opérées sur des avoirs distincts pour le compte de personnes distinctes en vertu de règles et droits distincts.

Comme l'indique l'article 6, 1., pour que les demandes puissent être consolidées devant un seul tribunal, il doit exister un lien de connexité entre celles-ci, ce qui suppose un risque de décisions inconciliables si les affaires étaient jugées séparément.

Pour que des décisions soient considérées comme inconciliables, au sens de l'article 6, 1., il ne suffit pas qu'il existe une divergence dans la solution du litige, mais encore faut-il que cette divergence s'inscrive dans le cadre d'une même situation de fait et de droit (C.J.U.E., 13 juillet 2006, C-539/03, Roche Nederland, point 26; C.J.U.E., 1er décembre 2011, C-145/10, Painer, point 79).

La société de bourse Petercam SA et la sicav PHL sont des entités juridiques qui assument des activités et fonctions différentes, en ce compris dans le cadre de leurs relations - individuelles et non superposables - avec les demandeurs.

La sicav PHL n'était pas en charge de la gestion des avoirs des demandeurs. Elle est en charge de la gestion de son propre capital (avec, évidemment, l'objectif de faire bénéficier les actionnaires des résultats de cette gestion).

Elle est régie par la loi luxembourgeoise du 20 décembre 2002 concernant les organismes de placement collectif. Son autorité de supervision est la Commission de Surveillance du Secteur Financier au Luxembourg.

En tant que société de bourse, la SA Petercam est soumise à la loi belge du 6 avril 1995 relative au statut et au contrôle des sociétés d'investissement. Elle a la Banque Nationale de Belgique pour autorité de supervision.

A supposer que la SA Petercam ait disposé d'un mandat de gestion sur les avoirs détenus sur le compte-titres, - le contenu d'une lettre de la SA Petercam du 20 avril 2005 semble l'attester -, cette gestion des avoirs du demandeur est distincte de la gestion par la sicav PHL de ses propres avoirs.

Le mandat de gestion confié à la SA Petercam ne pourrait porter que sur la gestion des avoirs détenus sur le compte-titres des demandeurs, non sur les avoirs de la sicav PHL. Si le mandataire décide d'investir dans des produits financiers - notamment en souscrivant à des parts de société d'investissement à capital variable -, ce sont bien les avoirs du client (le mandant) qui font l'objet de la gestion, non les sous-jacents dans lesquels les avoirs gérés sont placés.

Les relations juridiques qui ont existé entre les demandeurs et chacune des défenderesses sont bien distinctes. La thèse des demandeurs selon laquelle la sicav PHL se serait substituée à la SA Petercam pour la gestion des « avoirs litigieux » n'est étayée par aucun des éléments soumis.

Il convient donc de considérer qu'on n'est pas en présence d'une même situation de fait et de droit, de sorte qu'il n'existe, en l'espèce, ni risque de décisions inconciliables, ni même simplement contradictoires.

La compétence internationale du tribunal de céans à l'égard de la sicav PHL ne peut, dès lors, pas être fondée sur l'article 6, 1., du Règlement Bruxelles I.

Indépendamment de l'argument de connexité, les demandeurs soutiennent que la sicav PHL peut être attraite devant le tribunal de céans, soit sur la base de l'article 16, 1., du Règlement Bruxelles I, si le fondement est de nature contractuelle, soit sur la base de l'article 5, 3., du même règlement, si le fondement est de nature extracontractuelle.

Les articles 15 et 16 du Règlement Bruxelles I posent des règles de compétence spécifiques en matière de contrat de consommation. Le consommateur qui est demandeur à la cause dispose de la possibilité de porter son action devant les tribunaux du lieu de son domicile lorsque « le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l'État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs Etats, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités » (art. 15, 1., c)).

Comme le font valoir les défenderesses, la souscription des actions relève de l'organisation patrimoniale de la société, non de son activité commerciale (laquelle consiste dans le placement des fonds dont elle dispose).

Eu égard à cet état de fait, la condition posée par l'article 15, 1., c), ne saurait être considérée comme remplie et l'article 16, 1., n'est donc pas applicable.

L'article 5, 3., du Règlement Bruxelles I dispose qu'en matière délictuelle ou quasi délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite « devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ».

Selon une jurisprudence constante, l'expression « lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire » vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou de l'autre de ces deux lieux (arrêt du 19 avril 2012, C-523/10, Wintersteiger, point 19).

La notion de « lieu où le fait dommageable s'est produit », doit être interprétée en ce sens qu'elle ne vise pas le lieu où la victime prétend avoir subi un préjudice patrimonial consécutif à un dommage initial survenu et subi par elle dans un autre État membre. Cette notion ne saurait, en effet, être interprétée de façon extensive au point d'englober tout lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d'un fait ayant déjà causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu (arrêt du 19 septembre 1995, C-364/93, Marinari, points 14 et 21).

Les demandeurs estiment que la perte a été subie sur leur compte-titres à Bruxelles, entre les mains de la SA Petercam. Ils sont d'avis que le fait générateur du dommage est également situé à Bruxelles, les équipes de gestion des avoirs des demandeurs étant localisées physiquement à Bruxelles et toutes les communications, présentations et rapports ayant été faits à partir du siège social de la SA Petercam à Bruxelles.

Les griefs formulés à l'encontre de la sicav PHL ont trait à la gestion des avoirs de la sicav dont les demandeurs étaient actionnaires, non des avoirs des demandeurs qui auraient été confiés en gestion à la SA Petercam.

Comme le font observer les défenderesses, si les avoirs d'une sicav souffrent d'une perte, celle-ci se cristallise dans le chef de la société elle-même, non dans celui de ses actionnaires pris individuellement.

Le fait que, par répercussion, les actionnaires de la sicav domiciliés en dehors du Luxembourg subissent un éventuel préjudice n'entraîne aucune compétence au titre de l'article 5, 3., du Règlement Bruxelles I.

La sicav PHL a son siège à Luxembourg. D'après le prospectus, la gestion de ses avoirs était déléguée à la société luxembourgeoise Petercam (Luxembourg) SA. Les avoirs sous gestion étaient déposés à la banque luxembourgeoise Banque de Luxembourg SA.

Dans l'hypothèse d'une relation de nature extracontractuelle entre la sicav PHL et les demandeurs, le lieu où le fait dommageable s'est produit ne peut, dès lors, être situé qu'au Luxembourg.

Il en résulte qu'aucune dérogation à la compétence de principe des tribunaux du domicile du défendeur ne saurait exister en l'espèce.

Seules les juridictions luxembourgeoises sont donc compétentes pour statuer sur la demande introduite par les demandeurs à l'encontre de la sicav PHL.

Par ces motifs,

Le tribunal,

Statuant contradictoirement,

Se déclare incompétent pour connaître des demandes des demandeurs en ce qu'elles sont dirigées contre la sicav Petercam Horizon L.

Renvoie au rôle pour le surplus.

Condamne les demandeurs à payer les dépens de la sicav Petercam Horizon L., non liquidés.

(…)