Article

Cour de cassation, 18/10/2013, R.D.C.-T.B.H., 2015/9, p. 921-923

Cour de cassation 18 octobre 2013

CONCURRENCE
Droit européen de la concurrence - Accords verticaux - Licence exclusive de brevet - Preuve de l'exploitation du brevet déduite du comportement des parties - Redevances pour l'exploitation d'une amélioration brevetée indissociable du brevet initial - Accord restrictif de concurrence (non)
Pour décider si un paiement était indu ou effectué en exécution d'une convention liant les parties, le juge peut interpréter la convention en tenant compte de la manière dont les parties l'ont exécutée avant que surgisse la contestation.
Le droit de la concurrence n'interdit pas un accord entre un donneur de licence exclusive de brevet et un preneur de licence, qui contient, d'une part, l'obligation pour le preneur de céder au donneur de licence une partie des droits existant sur une amélioration de brevet initial indissociable de celui-ci, et, d'autre part, l'obligation pour le preneur de payer des redevances pour l'exploitation de l'amélioration brevetée au nom des deux.
MEDEDINGING
Europees mededingingsrecht - Vertikale overeenkomsten - Exclusieve octrooilicentie - Bewijs van de exploitatie van het octrooi afgeleid uit het gedrag van de partijen - Vergoeding voor de exploitatie van een geoctrooieerde verbetering die onlosmakelijk met het oorspronkelijke octrooi verbonden is - Mededingings­beperkende overeenkomst (neen)
Om te beslissen of een betaling onverschuldigd was of verricht werd ter uitvoering van een tussen de partijen bestaande overeenkomst, mag de rechter de overeenkomst uitleggen met inachtneming van hoe de overeenkomst door de partijen werd uitgevoerd voordat de betwisting rees.
Het mededingingsrecht verbiedt niet dat tussen degene die een exclusieve octrooilicentie verleent, en een licentienemer een overeenkomst bestaat, die, enerzijds, de verplichting inhoudt voor de licentienemer om een gedeelte van de bestaande rechten op een verbetering van het oorspronkelijke octrooi, die onlosmakelijk met dat octrooi verbonden is, aan de licentiegever over te dragen, en, anderzijds, de verplichting inhoudt voor de licentienemer om een vergoeding te betalen voor de exploitatie van de op beider naam geoctrooieerde verbetering.

Meura SA et Boccard / Berewtec et Anheuser Busch Inbev SA

Siég.: Ch. Storck (président), A. Fettweis (président de section), D. Batselé, M. Regout et M.-Cl. Ernotte (conseillers)
M.P.: Th. Werquin (avocat général)
Pl.: Mes P.A. Foriers et J. Verbist
Aff.: C.11.0719.F

(…)

III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen

(…)

Quant à la quatrième branche

1. L'arrêt constate que la convention du 5 juin 1986 « prévoit une première phase, de communication par P. et SBF d'informations et de construction par [la première demanderesse] et d'expérimentation d'un premier filtre industriel, phase au terme de laquelle [cette dernière] disposait d'une faculté de se désister, et une seconde phase, de fabrication et d'exploitation dudit filtre » et que, « dans le cadre de cette seconde phase, l'article 6 de la convention prévoit, sous le titre 'licence de brevet', que [la première demanderesse] reçoit de P. une 'licence exclusive de fabrication et d'exploitation pour toutes les applications possibles des brevets [luxembourgeois] (et de leurs éventuels brevets complémentaires) en matière de boissons fermentées ou autres matières à filtrer, que la licence s'étend à toutes les applications de l'invention décrites dans les brevets qui font l'objet de la présente convention et à celles qui s'y rattachent implicitement' ».

Il constate par ailleurs qu'aux termes de l'article 6 de la convention, la première demanderesse paiera à P., pour cette licence de brevet, une redevance exprimée en pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par la vente des filtres fabriqués sous licence ou des éléments de ceux-ci.

L'arrêt ne constate pas que les redevances payées par la première demanderesse aux défenderesses rémunéraient autre chose que la licence des brevets 555 et 929. Il n'était dès lors pas tenu de vérifier si d'autres applications de l'invention avaient été exploitées par les demanderesses. La question de savoir ce que les redevances litigieuses rémunéraient effectivement est une question de fait qui échappe au contrôle de la Cour.

2. La répétition de l'indu ne requiert que deux conditions, d'une part, un paiement, d'autre part, le caractère indu de celui-ci, c'est-à-dire l'absence de cause.

Lorsqu'une partie soutient que le paiement a été effectué en exécution d'une convention liant valablement les parties, il appartient au juge de vérifier l'existence et la portée de la convention pour déterminer si le paiement a été effectué indûment.

Dans l'interprétation de la convention, le juge peut tenir compte de la manière dont les parties l'ont exécutée avant que surgisse la contestation.

L'arrêt considère, sans être critiqué, qu' « à tout le moins depuis l'année 1993, [la première demanderesse] avait une parfaite connaissance de la teneur du brevet 555 ».

Il énonce que « l'argumentation de [la première demanderesse] pour soutenir qu'elle n'a pas exploité le brevet 555 se fonde sur le fait que l'utilisation d'un media filtrant en polypropylène ne correspond pas aux revendications dudit brevet », que la première demanderesse « était [... ] au courant des revendications du brevet et partant de [la] définition du media filtrant », qu' « étant spécialiste en la matière, elle n'a jamais - du moins avant 2006 - soutenu que l'utilisation du polypropylène n'était pas conforme à ces revendications du brevet; [qu'] elle a payé, en connaissance de cause, les redevances contractuelles; [que] l'avenant du 30 septembre 1998, qu'elle a signé, confirme que l'exploitation de ce brevet entre dans l'objet du contrat;

[qu'] elle a donc admis que tel qu'il a été fabriqué, le filtre 2001 l'a été conformément aux revendications du brevet 555 ».

L'arrêt a pu déduire de ces considérations, qui se fondent sur le comportement adopté par la première demanderesse et sur l'exécution qu'elle a donnée à ce contrat, que le paiement des redevances litigieuses avait une cause et que le brevet 555 avait bien été exploité.

3. Par ailleurs, l'arrêt constate que le brevet 929 a été déposé au nom des demanderesses et de la seconde défenderesse et considère que ce brevet « revendique [...] une entrée dans un plan faisant un angle a de 30° maximum avec le plan de la membrane au repos, ce qui est clairement une amélioration de la revendication n° 10 du brevet initial ».

Contrairement à ce que soutient le moyen, en cette branche, l'arrêt procède ainsi à une analyse objective du brevet 929 pour décider qu'il constitue une amélioration du brevet 555.

4. Par ces énonciations, qui permettent à la Cour d'exercer son contrôle, l'arrêt justifie légalement sa décision que les redevances contractuelles étaient bien dues par la première demanderesse.

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

(…)

Sur le second moyen

(…)

Quant à la cinquième branche

Il ressort des motifs reproduits en réponse aux troisième et septième branches du moyen que l'arrêt considère que la technologie faisant l'objet du contrat n'était pas libre d'utilisation pour quiconque.

Dans la mesure où il repose sur le soutènement contraire, le moyen, en cette branche, manque en fait.

Pour le surplus, en considérant « qu'il ne suffit pas [...] d'invoquer de manière purement théorique que l'obligation de payer une redevance affecte la capacité concurrentielle du licencié pour conclure à une entrave de la concurrence; [qu']encore faut-il démontrer in concreto en quoi le paiement de [la] redevance affecte, fût-ce potentiellement, la capacité concurrentielle [des demanderesses], ce qui pourrait résulter d'une comparaison, non réalisée en l'espèce, entre les prix pratiqués, sur un même marché, par les fournisseurs d'un produit identique ou comparable; [qu']en outre, l'attractivité d'un produit n'est pas simplement fonction de son prix; [que] d'autres paramètres peuvent entrer en considération et influer sur le choix de l'acheteur; [que], dès lors, le seul fait que, par l'obligation de payer une redevance, [la première demanderesse] doive majorer le prix de vente du filtre 2001 n'implique pas ipso facto une diminution de sa capacité concurrentielle », l'arrêt n'exige pas la preuve d'effets restrictifs de concurrence autres que potentiels.

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

(…)

Quant à la sixième branche

1. L'arrêt ne considère pas que le brevet européen 555 a poursuivi ses effets après son expiration mais que la durée du contrat initial se prolonge jusqu'à l'expiration du plus récent brevet encore en vigueur au moment du contrat, soit le brevet 929.

Dans la mesure où il soutient le contraire, le moyen, en cette branche, manque en fait.

2. L'arrêt constate que le brevet 929 constitue une amélioration du brevet 555 qui n'est pas dissociable de la technologie concédée par ce dernier, de sorte que cette amélioration ne peut être exploitée sans l'accord du titulaire du brevet 555, donneur de licence.

Il justifie ainsi légalement sa décision que l'obligation de payer des redevances sur ces améliorations, pendant la durée de validité du brevet 929, est justifiée et qu'elle ne peut dès lors porter atteinte à la concurrence.

3. En vertu de l'article 101, 1., du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à:

- fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction ;

- limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements ;

- répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ;

- appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ;

- subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.

L'article 2, § 1er, de la loi coordonnée du 15 septembre 2006 sur la protection de la concurrence économique prévoit une règle identique limitée au marché belge.

L'accord entre le donneur de licence exclusive de brevet et le preneur de licence, qui contient, d'une part, l'obligation pour le preneur de céder au donneur de licence une partie des droits existant sur une amélioration du brevet initial indissociable de celui-ci, que le preneur aura apportée, et, d'autre part, l'obligation pour le preneur de payer des redevances pour l'exploitation de l'amélioration brevetée au nom des deux, ne constitue manifestement pas un accord qui a pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur ou le marché belge, au sens des dispositions précitées.

Dans la mesure où il soutient le contraire, le moyen, en cette branche, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi;

Condamne les demanderesses aux dépens.

(…)