Cour d'appel de Bruxelles 26 février 2015
CONCURRENCE
Droit européen de la concurrence - Position dominante - Abus - Discrimination de prix
Le fait pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, de lier des acheteurs par une obligation ou une promesse de s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 102 TFEU. Il en est de même lorsque ladite entreprise applique un système de rabais de fidélité, c'est-à-dire des remises liées à la condition que le client s'approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante.
Il y a lieu d'examiner si le système de rabais ou de primes en question est globalement à même de rendre plus difficile, voire impossible aux concurrents de l'entreprise en position dominante l'accès au marché et à ses cocontractants le choix entre plusieurs sources d'approvisionnement ou partenaires commerciaux.
La preuve de la possibilité de récupération des pertes subies du fait de l'application par une entreprise en position dominante de prix inférieurs à un certain niveau de coûts ne constitue pas une condition nécessaire afin d'établir le caractère abusif d'une telle politique de prix. Il suffit de démontrer l'existence d'un plan de prédation pendant la durée de l'infraction pour justifier la qualification d'abus de position dominante de la pratique incriminée.
Est susceptible de constituer un abus au sens de l'article 102 TFEU, le fait pour une entreprise verticalement intégrée, détenant une position dominante sur le marché de gros des prestations intermédiaires, d'appliquer une pratique tarifaire telle que l'écart entre les prix pratiqués sur ce marché et ceux appliqués sur le marché de détail aux clients finals n'est pas suffisant pour couvrir les coûts spécifiques que cette même entreprise doit supporter afin d'accéder à ce dernier marché.
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MEDEDINGING
Europees mededingingsrecht - Machtspositie - Misbruiken - Prijsdiscriminatie
Het verbinden van kopers door een onderneming die een machtspositie heeft op een markt door middel van een verplichting of een belofte zich exclusief te bevoorraden voor het geheel of een aanzienlijk deel van hun behoeften bij de vermelde onderneming, maakt een misbruik van machtspositie uit in de zin van artikel 102 VWEU. Hetzelfde geldt wanneer de vermelde onderneming een systeem van getrouwheidskortingen toepast, zijnde kortingen verbonden aan de voorwaarde dat de klant zich exclusief bevoorraadt bij de onderneming met de machtspositie voor het geheel of een belangrijk deel van haar noden.
Men dient te onderzoeken of het korting- of premiesysteem in kwestie in zijn geheel ertoe leidt het moeilijker, dan wel onmogelijk te maken, voor concurrenten van de onderneming met de machtspositie om toegang te krijgen tot de markt en voor de medecontractanten tot de keuze tussen verschillende bevoorradingsbronnen of commerciële partners.
Het bewijs van de mogelijkheid om de geleden verliezen te recupereren welke voortvloeien uit de toepassing door een onderneming met een machtspositie van prijzen onder een bepaald kostenniveau vormt geen noodzakelijke voorwaarde teneinde het misbruikkarakter vast te stellen van een dergelijke prijzenpolitiek. Het volstaat het bestaan aan te tonen van een roofplan gedurende de duurtijd van de inbreuk om de kwalificatie van de aangeklaagde praktijk als misbruik van machtspositie te legitimeren.
Het feit dat een verticaal geïntegreerde onderneming, die een machtspositie heeft op de markt van het merendeel van intermediaire diensten, een tariefpraktijk toepast zodat het verschil tussen de toegepaste prijzen op de markt en deze toegepast op de retailmarkt aan eindklanten niet voldoende is om de specifieke kosten te dekken welke dezelfde onderneming zou moeten dragen teneinde toe te kunnen treden tot deze markt, is vatbaar om een misbruik te vormen in de zin van artikel 102 VWEU.
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Belgacom S.A. / Base Company S.A. et Mobistar S.A.
Siég.: H. Mackelbert, M.-F. Carlier et C. Heilporn (conseillers) |
Pl.: Mes D. Van Liedekerke, R. Alderweireldt, L. Cornelis, Th. Leonard, J. Frodimont, B. De Lange, A. Laes et A. Verheyden, S. Champagne, S. Clerckx, W. Derijcke, L. De Muytter, L. Van Mullem |
Aff.: 2012/AR/1 |
(…)
I. | La décision entreprise |
Les appels sont dirigés contre le jugement prononcé le 29 mai 2007 par le tribunal de commerce de Bruxelles.
Les parties ne produisent pas d'acte de signification de cette décision.
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V. | Discussion |
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C. | Sur les abus de position dominante |
1. Sur la définition du marché pertinent |
41. Le premier juge a considéré que le marché pertinent de détail était le marché des services de détail disponibles à l'époque sur les réseaux 2G et 3G, proposés à la clientèle résidentielle et non résidentielle, sous la forme d'offres post-payées ou prépayées. Sont incluses dans ce seul et même marché, toutes les communications mobiles, quelles que soient la technologie utilisée, les formules tarifaires commercialisées par les opérateurs et les types de clients. Quant au marché de gros, il est identifié, dans le cas d'espèce, comme étant celui de la terminaison des appels sur le réseau de Belgacom, ce qu'aucune partie ne conteste.
(…)
Le marché géographique, soit la Belgique, n'est contesté par personne, tout comme l'application de l'article 102 du TFUE, en ce que les pratiques alléguées sont susceptibles d'affecter le commerce sur une partie substantielle du marché intérieur.
(…)
2. Sur l'existence d'une position dominante |
45. La position dominante est définie en droit communautaire comme une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement des consommateurs (C.J.C.E., 14 février 1978, C-27/76, United Brands, pt. 65).
Il est constant et d'ailleurs non contesté que Belgacom détient une position dominante sur le marché de gros de la terminaison des appels sur son propre réseau.
a. Sur les parts de marché |
46. Les parts de marché sont souvent utilisées comme un indicateur de puissance. Selon la pratique décisionnelle de la Commission, une position dominante individuelle n'est généralement à craindre que pour des entreprises dont la part de marché dépasse 40%. D'après une jurisprudence constante, la présence de parts de marché très élevées - supérieures à 50% - suffit, sauf circonstances exceptionnelles, à établir l'existence d'une position dominante (T.U.E., 7 octobre 1999, T-228/97, Irish Sugar, pt. 70). Une entreprise ayant une part de marché élevée peut être présumée constituer une entreprise puissante, c'est-à-dire bénéficier d'une position dominante, si cette part est restée stable dans le temps. La circonstance qu'une entreprise jouissant d'une position significative sur le marché voit sa part s'éroder progressivement peut indiquer que le marché devient plus concurrentiel, mais n'empêche pas de conclure qu'il s'agit d'une entreprise puissante (lignes directrices de la Commission sur l'analyse du marché et l'évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire communautaire pour les réseaux et les services de communications électroniques (2002/C 165/03) du 11 juillet 2002, nos 75 et 78).
Ces lignes directrices ne font que confirmer la jurisprudence de la C.J.U.E. (arrêt du 13 février 1979, n° 85/76, Hoffmann-La Roche, pt. 41, Rec., p. 461 et du 3 juillet 1991, C-62/86, AKZO, pt. 60).
(…)
b. Sur la pertinence du calcul des parts de marché |
52. Belgacom soutient que le pourcentage élevé de parts de marché ne constitue qu'un indice de dominance et qu'il conviendrait d'analyser de manière approfondie et exhaustive les caractéristiques économiques du marché pertinent.
Contrairement à ce qu'elle soutient, la jurisprudence européenne n'a pas été infléchie en considérant qu'une part de marché de 50% ou plus ne constituait qu'un indice parmi d'autres de dominance. En effet, dans son arrêt du 29 mars 2012 (T-336/07, Telefonica, pt. 149), le T.U.E., a rappelé une nouvelle fois que des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles (c'est la cour qui souligne) la preuve de l'existence d'une position dominante.
La charge de la preuve de l'existence de ces circonstances exceptionnelles renversant la présomption de dominance incombe donc à Belgacom.
(…)
e. Conclusions |
78. Il résulte de tout ce qui précède que Belgacom était bien en position dominante sur le marché global de la télécommunication mobile entre 1999 et 2005.
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3. Sur les différents abus |
79. Base et Mobistar soutiennent que Belgacom aurait abusé de sa position dominante en proposant à sa clientèle, dès que le marché est devenu concurrentiel par l'entrée de nouveaux opérateurs, différents tarifs contenant des différenciations de prix ou d'autres pratiques abusives, susceptibles d'avoir des effets anticoncurrentiels. D'une manière générale, elles lui reprochent d'appliquer des tarifs extrêmement bas, mêmes inférieurs à ses coûts, plus particulièrement en ce qui concerne les tarifs « on-net », ce qui les empêche de la concurrencer efficacement.
Elles considèrent que ces pratiques tarifaires constituent des rabais de fidélité et des prix prédateurs outre qu'elles entraînent des effets de ciseau et de réseau.
Les différents tarifs en cause sont détaillés aux points 131 à 173 des conclusions de Mobistar et aux pièces IV.17 et VI.18 du dossier de Base, peu importe qu'ils n'aient pas été mentionnés expressément dans l'acte introductif d'instance ou la requête en intervention, comme il a été dit au point 29 du présent arrêt.
(…)
3. Sur les données confidentielles |
93. Belgacom invoque à tort que les données permettant de calculer ses coûts de départ d'appel sont confidentielles et constituent des secrets d'affaires qu'il conviendrait de protéger.
Les données relatives aux différents coûts de départ d'appel qui peuvent être extraites de la comptabilité de Belgacom sont des données historiques. Elles remontent, pour les plus anciennes à 1999 (soit il y a près de 16 ans) et, pour les plus récentes, à 2005 (soit il y a près de 10 ans).
Au point 712 de ses conclusions, Base rappelle à bon droit que, dans sa communication relative aux règles d'accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles 81 et 82 du traité CE (J.O.C.E., 22 décembre 2005, C 325, p. 7, § 23), celle-ci a considéré que les informations qui ont perdu leur importance commerciale, par exemple en raison du temps qui a passé, ne peuvent plus être considérées comme confidentielles. En règle générale, la Commission suppose que les informations relatives au chiffre d'affaires, aux ventes, aux parts de marché des parties et autres données similaires datant de plus de 5 ans ne sont plus confidentielles.
La cour considère qu'il en va de même pour les coûts. En effet, dès lors que toute différenciation tarifaire « on-net, off-net » a disparu depuis de très nombreuses années, la connaissance par Base et Mobistar des coûts techniques de Belgacom d'un départ d'appel et des coûts communs liés à cette activité au cours de la période litigieuse ne peuvent plus leur conférer, à ce jour, un quelconque avantage concurrentiel. Au demeurant, Belgacom ne démontre pas que la connaissance de ces coûts pourrait léser gravement ses intérêts 15 ans plus tard.
(…)
b. Sur les rabais de fidélité |
(i) Principes applicables |
96. La notion d'exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence. Il s'ensuit que l'article [102 TFUE] interdit à une entreprise dominante d'éliminer un concurrent et de renforcer ainsi sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites. L'interdiction édictée à cette disposition se justifie également par le souci de ne pas causer de préjudice aux consommateurs. Par conséquent, si la constatation de l'existence d'une position dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise concernée, il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d'une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun. De même, si l'existence d'une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et si cette entreprise a la faculté, dans une mesure raisonnable, d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts, on ne peut, cependant, admettre de tels comportements lorsqu'ils ont pour objet de renforcer cette position dominante et d'en abuser.
Il convient de rappeler, en outre, que, selon la jurisprudence, le fait pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, de lier - fût-ce à leur demande - des acheteurs par une obligation ou promesse de s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article [102 TFUE], soit que l'obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu'elle trouve sa contrepartie dans l'octroi de rabais. Il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d'accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un système de rabais de fidélité, c'est-à-dire de remises liées à la condition que le client s'approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante (T.U.E., 9 septembre 2010, T-155/06, Tomra Systems, pts. 206 à 208, qui cite l'arrêt Hoffmann-La Roche / Commission, 13 février 1979, C-85/76, pt. 89).
L'existence d'une éventuelle intention anticoncurrentielle ne constitue qu'une des nombreuses circonstances factuelles susceptibles d'être prises en compte aux fins de la détermination d'un abus de position dominante. Dans la perspective de prouver un abus de position dominante au sens de l'article 102 TFUE, il suffit de démontrer que le comportement abusif de l'entreprise en position dominante tend à restreindre la concurrence ou que le comportement est de nature ou susceptible d'avoir un tel effet. S'agissant de rabais octroyés par une entreprise en position dominante à ses clients, la cour a souligné que ceux-ci peuvent être contraires à l'article 102 TFUE, même s'ils ne correspondent à aucun des exemples énoncés à son point 2. (voir, en ce sens, C.J.U.E., 15 mars 2007, C-95/04, British Airways / Commission, pt. 58). A cet égard, il convient d'apprécier l'ensemble des circonstances, notamment les critères et les modalités de l'octroi des rabais, et d'examiner si ces rabais tendent, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l'acheteur, ou restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement, à barrer l'accès du marché aux concurrents ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée (C.J.U.E., 19 avril 2012, C-549/10, Tomra, pts. 20, 68 à 71).
A la différence des rabais de quantité, liés exclusivement au volume des achats effectués auprès du producteur intéressé, la remise de fidélité tend à empêcher, par la voie de l'octroi d'un avantage financier, l'approvisionnement des clients auprès des producteurs concurrents (C.J.U.E., 13 février 1979, C-85/76, Hoffman Laroche, pt. 90).
Il n'est pas nécessaire, pour que des ristournes de fidélité tombent sous le coup de l'article [102], qu'il y ait une obligation légale ou une clause expresse prévoyant que le client doit s'approvisionner exclusivement auprès de l'entreprise dominante. Ce qui importe, c'est que les conditions de vente du fournisseur dominant fassent qu'il soit financièrement intéressant pour les clients de s'approvisionner exclusivement ou principalement chez lui. Les moyens exacts par lesquels ce but est atteint importent peu (décision de la Commission, 13 décembre 2000, Solvay, COMP/.33.133, pt. 153).
Le caractère faussé de la concurrence résulte du fait que l'avantage financier octroyé par l'entreprise en position dominante ne repose pas sur une contrepartie économique justifiée, mais tend à empêcher l'approvisionnement des clients de cette entreprise dominante auprès de concurrents. Une des circonstances peut aussi consister en ce que la pratique en cause prend place dans le cadre d'un plan de l'entreprise dominante ayant pour but d'éliminer un concurrent (T.U.E., 7 octobre 1999, T-228/97, Irish Sugar, pt. 114).
Le point de départ du contrôle est constitué par les critères et modalités d'octroi d'un rabais ou d'une prime. Il y a lieu en outre d'examiner si le système de rabais ou de primes en question est globalement à même de rendre plus difficiles, voire impossibles aux concurrents de l'entreprise en position dominante l'accès au marché et à ses cocontractants le choix entre plusieurs sources d'approvisionnement ou partenaires commerciaux (concl. Av. gén. Kokott, C-95/04, British Airways, pt. 46).
Un effet de fidélisation peut être établi sur la base d'une analyse de l'offre elle-même et de ses effets potentiels sur le comportement de l'utilisateur final qui doit pouvoir librement choisir entre les entreprises qui lui offrent des services identiques ou similaires. Une telle analyse porte sur les avantages de l'offre en comparaison avec les offres précédentes de l'entreprise en position dominante. Il faut établir si l'offre prive les utilisateurs finals de tout intérêt à souscrire à des offres concurrentes tout aussi attrayantes ou plus attrayantes. La question est de savoir si l'effet de fidélisation qui résulte de l'offre concernée repose sur une contrepartie économiquement justifiée (Bruxelles, 18 décembre 2007, R.G. 2006/MR/3, Happytime).
(ii) Griefs et moyens en défense de Belgacom |
97. Mobistar et Base formulent les griefs suivants:
- l'écart de prix entre les prix « on-net » et « off-net » n'est pas économiquement justifié;
- les réductions « Proxivolume » accordées à des clients qui réalisent un certain volume d'appel par an sont sans lien avec la réalité objective ou sans justification économique liée au gain réalisé; il en est de même de l'offre « Volume Based Pricing » puisque ce rabais s'ajoute au tarif préférentiel « VPN », sans que le volume de trafic n'augmente;
- des rabais individualisés sont accordés à certains clients sans aucune justification économique, comme des abonnements gratuits, des rabais sur l'entièreté du chiffre d'affaires, des rabais sur certains types d'appel ou sur certaines options, des rabais simples ou l'octroi de SMS gratuits.
98. Belgacom soulève les moyens en défense suivants:
- elle ne pratique pas de rabais; le tarif « on-net » ne constitue qu'un tarif parmi d'autres qui n'a pas d'effet de fidélisation, chaque type d'appel ayant son propre tarif, comme ceux liés à un certain volume d'appel;
- en vertu de la théorie de l'unité économique, il ne convient pas d'isoler le tarif « on-net », mais de prendre en considération le tarif global de tous les services regroupés sur la même facture, dans la mesure où la concurrence s'opère au niveau du produit global;
- rien n'interdit de déterminer au cas par cas des conditions tarifaires individuelles;
- l'interdiction pour une entreprise en position dominante d'offrir des rabais fidélisants ne s'applique qu'à l'égard des intermédiaires et à la condition qu'elle soit un fournisseur incontournable;
- Mobistar et Base ne démontrent pas l'existence d'effets anticoncurrentiels concrets, notamment l'impossibilité de répliquer des offres;
- la discussion sur l'absence de justification économique est dès lors sans objet.
(iii) Sur la définition d'un rabais fidélisant |
99. Il n'est pas contesté qu'un fournisseur en position dominante peut octroyer des rabais en contrepartie de gains d'efficience, par exemple des rabais pour les grosses commandes qui permettent au fournisseur de produire des lots de produits importants, mais il ne peut consentir de remises ni d'incitations pour s'assurer la fidélité de la clientèle, c'est-à-dire pour éviter que ses clients ne s'approvisionnent auprès d'un fournisseur concurrent (décision de la Commission du 14 juillet 1999, affaire IV/D-2/34.780, Virgin / British Airways, J.O.C.E., 4 février 2000, L. 30/1).
Dans le droit de l'Union, il n'existe aucune définition du terme « rabais ». La jurisprudence retient la notion de « l'octroi d'un avantage financier » (C.J.U.E., 13 février 1979, n° 85/76, Hoffmann La Roche, pt. 90), c'est-à-dire le paiement d'une somme inférieure à ce qui aurait dû être normalement réclamé, toutes choses restant égales.
Or, il ne peut être contesté que l'octroi d'un tarif « bas » est un avantage financier.
Il est constant que tout au long de la période litigieuse, c'est Belgacom qui avait le plus grand nombre d'abonnés. Même si Belgacom le conteste (cf. infra la section relative aux effets de réseau), à tout le moins, l'utilisateur considérera qu'en théorie, il y avait donc plus d'appels de et vers le réseau de Belgacom que de et vers les réseaux de Base et Mobistar. La fixation d'un tarif « on-net » bas constitue dès lors un incitant non négligeable pour les consommateurs finals à choisir le réseau Belgacom plutôt que ceux de ses concurrents, puisque selon qu'ils appellent un abonné du réseau Belgacom ou ceux d'autres réseaux, le coût de l'appel sera moins élevé. En choisissant le réseau Belgacom, le consommateur maximalisera ses chances de trouver des interlocuteurs abonnés auprès du même opérateur que le sien et partant de profiter du tarif « bas ».
100. En offrant un tel tarif, Belgacom s'assure que les consommateurs finals lui réserveront l'exclusivité de leur demande de téléphonie mobile puisqu'ils n'ont aucun intérêt à contracter avec la concurrence sous peine de perdre l'avantage financier qui leur est consenti, dès lors que, eu égard à la répartition asymétrique des abonnés entre les différents opérateurs et à l'effet de réseau (cf. infra), ses communications vers les abonnés du réseau Belgacom - qui constituent plus de la moitié des utilisateurs - seront beaucoup plus chères.
Cette réduction est donc fidélisante. Celle-ci est en outre renforcée dans certains cas par la gratuité des frais d'activation et la conclusion d'un contrat à durée déterminée plus ou moins long.
L'intention de Belgacom de fidéliser ses clients par un avantage financier ressort très clairement de sa communication, comme en témoigne cette affiche:
dans laquelle il est clairement fait état que si on reste dans le réseau Proximus, on bénéficie d'un « tarif allégé » (c'est la cour qui souligne), ce qui suffit à démontrer qu'il s'agit bien d'un rabais, même au sens usuel du terme.
(…)
De plus, dès lors que Belgacom refuse de produire le détail de ses coûts, il est impossible pour la cour de vérifier à ce stade de la procédure si elle peut faire valoir des justifications économiques de sa politique tarifaire et, notamment, si ses prix couvrent l'essentiel des coûts imputables à la fourniture de la prestation de service, et si, partant, il serait possible pour un concurrent aussi efficace de concurrencer ses prix sans encourir des pertes insupportables à long terme (cf. pt. 38 de l'arrêt Post Danmark).
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(vii) Sur les effets anticoncurrentiels |
109. Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le fait, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, de lier - fût-ce à leur demande - des acheteurs par une obligation ou promesse de s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article [102 TFUE], soit que l'obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu'elle trouve sa contrepartie dans l'octroi de rabais. Il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d'accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un régime de rabais de fidélité, c'est-à-dire de remises liées à la condition que le client - quel que soit par ailleurs le montant, considérable ou minime, de ses achats - s'approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante. Dans le cadre d'une analyse des circonstances de l'espèce, [il faut] seulement démontrer la capacité d'une pratique de restreindre la concurrence. Il n'est pas nécessaire de procéder à une analyse des effets concrets des rabais sur la concurrence. Ensuite, étant donné qu'il n'est pas nécessaire de démontrer des effets concrets des rabais, il en résulte nécessairement [qu'il ne faut pas non plus] démontrer un lien de causalité entre les pratiques incriminées et des effets concrets sur le marché. Ainsi, [le fait que] les clients se sont approvisionnés exclusivement auprès [de l'entreprise dominante] pour des raisons commerciales parfaitement indépendantes des rabais, à le supposer avéré, ne s'oppose pas à ce que ces rabais aient été susceptibles d'inciter les clients à un approvisionnement exclusif. Enfin, il [n'] y a [pas] lieu de démontrer ni un préjudice immédiat aux consommateurs ni un lien de causalité entre un tel préjudice et les pratiques mises en cause. En effet, il ressort de la jurisprudence que l'article [102 TFUE] ne vise pas seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective (T.U.E., 12 juin 2014, T-286/09, Intel, pts. 71, 73 et 103 à 105, ainsi que les références citées; voy. égal. les conclusions du 23 février 2006 de l'avocat général Kokott dans l'affaire British Airways et plus particulièrement le pt. 71 qui rappelle que ce qu'il y a lieu de prouver c'est « l'aptitude » d'un comportement à empêcher le maintien de la concurrence encore existante et, en ce qui concerne les rabais et les primes, qu'ils « sont de nature » à rendre plus difficile l'accès au marché).
Comme il a été démontré que, eu égard à la structure du marché - sur lequel il n'y a que trois opérateurs, dont l'un détient plus de la moitié des parts de marché - les avantages financiers, qui peuvent être qualifiés de « rabais » selon le droit de la concurrence, avaient pour principal effet de fidéliser la clientèle acquise de Belgacom (cf. interview de son CEO dans La Libre du 30 avril 2005 qui dit que « la première priorité est de retenir les meilleurs clients »), il n'est pas nécessaire de démontrer l'existence d'effets anticoncurrentiels concrets, notamment l'impossibilité de répliquer des offres. Il s'ensuit que le fait que Mobistar ait pu convaincre la SNCB de changer d'opérateur ou que les opérateurs alternatifs - qui ne sont pas des entreprises en position dominante - aient tenté de répliquer à la politique agressive de Belgacom sont sans pertinence puisque une perte de profits ou l'accomplissement d'efforts plus importants suffisent pour démontrer la capacité d'une entreprise dominante à freiner la concurrence.
Au demeurant, il résulte de l'examen de la dominance sur le marché auquel la cour a procédé, que l'entrée sur le marché de Mobistar et de Base n'a pas empêché Belgacom d'acquérir le plus de nouveaux clients et qu'elle est restée l'opérateur qui détient en Europe la plus grande part de marché.
Le moyen de Belgacom ne peut être admis, d'autant qu'elle s'abstient volontairement de démontrer la justification économique de ses tarifs.
(viii) Conclusion |
110. Il suit des considérations qui précèdent que, sous réserve des constatations et avis techniques des experts:
(i) en offrant un tarif « on-net » bas, différencié d'un tarif « off-net »;
(ii) en accordant une remise additionnelle « Proxivolume » lorsqu'elle est groupée à l'offre « ProGroup »;
(iii) en consentant des avantages financiers sans justification économique raisonnable, dans le cadre des offres individuelles identifiées supra sous b), f), g), m), n), o), q), r) et s);
il est, à ce stade de la procédure, vraisemblable que Belgacom a consenti des rabais de fidélité abusifs, ce qui justifie amplement la mission confiée à ces experts, avant de dire droit plus avant.
c. Sur les prix prédateurs |
(i) Conditions de l'abus |
111. Base et Mobistar soutiennent que les tarifs « on-net » de Belgacom constituent également des prix prédateurs.
Les prix prédateurs sont des pratiques qui sont sanctionnées en raison de l'atteinte grave à la structure de la concurrence qu'elles représentent. En effet, elles visent, par définition, à évincer ou à discipliner un concurrent. Elles consistent pour une entreprise à sacrifier une partie de son bénéfice à court terme, sans nécessairement subir une perte, pour écarter ou éliminer des concurrents, ce qui lui permet par la suite d'imposer des prix supra-compétitifs (c'est-à-dire supérieurs à ceux que l'existence d'une concurrence permettrait) et de renforcer sa position dominante. Or, l'article [102] interdit à une entreprise dominante d'éliminer un concurrent et de renforcer sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites (J.-Fr. Bellis, « Examen de jurisprudence. Droit européen de la concurrence (1993 à 2005) », R.C.J.B., 2007, p. 515 et « Examen de jurisprudence (2006 à 2011) », R.C.J.B., 2013, p. 742).
Il résulte de la jurisprudence relative aux prix prédateurs que, d'une part, des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (c'est-à-dire ceux qui varient en fonction des quantités produites) permettent de présumer le caractère éliminatoire d'une pratique de prix et que, d'autre part, des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux (qui comprennent les coûts fixes demeurant constants quelles que soient les quantités produites et les coûts variables) mais supérieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés comme abusifs lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent (CJUE, 3 juillet 1991, C-62/86, AKZO / Commission, pts. 71 et 72; T.U.E., 6 octobre 1994, T-83/91, Tetra Pak / Commission, Rec., p. II-755, pts. 148 et 149, confirmé par C.J.U.E., 14 novembre 1996, C-333/94 P, Tetra Pak / Commission, Rec., p. I-5951, pt. 41; T.U.E., 30 janvier 2007, T-340/03, France Telecom / Commission, pt. 130).
Dans son arrêt France Telecom, la Cour a ultérieurement précisé que des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables doivent toujours être considérés comme abusifs. La preuve de la possibilité de récupération des pertes subies du fait de l'application par une entreprise en position dominante de prix inférieurs à un certain niveau de coûts ne constitue pas une condition nécessaire afin d'établir le caractère abusif d'une telle politique de prix. La démonstration d'une possibilité de récupération des pertes n'est pas un préalable à la constatation d'une pratique de prix prédateurs. Une entreprise en position dominante ne peut se prévaloir d'aucun droit absolu d'aligner ses prix sur ceux de ses concurrents pour justifier son comportement lorsque celui-ci constitue un abus de sa position dominante (C.J.U.E., 2 avril 2009, C-202/07, France Telecom, pts. 33, 47, 110 et 112).
Aucune démonstration des effets concrets des pratiques en cause n'a été exigée par la jurisprudence européenne. Il suffit de démontrer l'existence d'un plan de prédation pendant la durée de l'infraction pour justifier la qualification d'abus de position dominante de la pratique incriminée (T.U.E., 30 janvier 2007, précité, pts. 195-218).
(…)
112. La méthodologie à appliquer en l'espèce pour vérifier l'existence d'une éventuelle perte par l'application de prix prédateurs est la même que pour les rabais: on détermine le prix réel appliqué pour les appels « on-net » que l'on compare au coût correspondant. Il y a perte si le prix réel obtenu est inférieur au coût moyen correspondant.
L'opérateur intégré devra, pour la production de ses minutes « on-net » pratiquer des prix de détail compatibles avec l'achat par sa branche aval à sa branche amont d'une terminaison d'appel égale à celle facturée à un tiers. A cet égard, la terminaison d'appel revêt le caractère d'un coût variable à court terme.
Comme précisé dans le cadre de l'examen des rabais, seule une expertise contradictoire des coûts de Belgacom est susceptible de vérifier l'existence de la marge négative alléguée par Base et Mobistar. Celle-ci a été identifiée dans le rapport du consultant LECG (pièce IV.10 du dossier de Base), mais comme elle a été établie sur la base des coûts de Base, dans l'ignorance de ceux de Belgacom, il y a lieu de refaire l'exercice sur la base des coûts de Belgacom. Ce n'est pas pour autant que Base - tout comme Mobistar qui a également fait faire un test sur la base de ses propres coûts - ne rapporte pas la preuve du caractère vraisemblable du fait allégué qu'elle impute, ainsi que cela a été dit au point 88.
La vérification de tarifs manifestement déficitaires devra être faite sur tous les tarifs allégués par Base et Mobistar, en ce compris, s'il échet, les plans tarifaires VPN et Progroup et les formules tarifaires individualisées, puisque, pour ce type d'abus, ce n'est pas l'effet fidélisant qui doit être retenu comme dans les rabais, mais la perte volontaire acceptée par l'opérateur dominant.
(…)
115. Quant aux moyens développés à propos de l'éviction anticoncurrentielle, il y a tout d'abord lieu de rappeler qu'aucune démonstration des effets concrets des pratiques en cause n'a été exigée par la jurisprudence européenne (c'est la cour qui souligne).
Ce n'est pas parce que Base et Mobistar ne produisent pas de preuves directes de l'existence d'un plan détaillé ou d'une stratégie prédatrice que leur demande doit être déclarée per se non fondée. Ainsi, il n'est pas nécessaire de prouver que les concurrents ont été contraints de quitter le marché puisqu'il ne peut être exclu que l'entreprise dominante préfère amener ses concurrents à s'aligner sur ses prix plutôt que de les évincer. (…)
(iii) Conclusions |
116. Il se déduit de ce qui précède que si les experts constatent que Belgacom a enregistré des pertes sur ses appels « on-net » l'existence d'un prix prédateur ou d'éviction est établie.
d. Sur l'effet ciseau |
(i) Conditions de l'abus |
117. Comme le rappelle J.-Fr. Bellis dans sa chronique de jurisprudence (o.c., pp. 736 à 740), en l'absence de toute justification objective, est susceptible de constituer un abus au sens de l'article 102 TFUE le fait pour une entreprise verticalement intégrée, détenant une position dominante sur le marché de gros des prestations [...] intermédiaires, d'appliquer une pratique tarifaire telle que l'écart entre les prix pratiqués sur ce marché et ceux appliqués sur le marché de détail [...] aux clients finals n'est pas suffisant pour couvrir les coûts spécifiques que cette même entreprise doit supporter afin d'accéder ce dernier marché (C.J.U.E., 17 février 2011, C-52/09, Konkurrensverket / TeliaSonera Sverige AB,Rec., 2011, p. I-00527, pt. 112). Le caractère abusif de cette pratique tarifaire trouve son origine dans l'article 102, alinéa 2, sous a), qui interdit explicitement le fait d'imposer de façon directe ou indirecte des prix (...) ou [des] conditions de transaction non équitables (C.J.U.E., 17 février 2011, C-52/09, Konkurrensverket / TeliaSonera Sverige AB, Rec., 2011, p. I-00527, pt. 25).
Le caractère abusif du comportement de l'entreprise dominante est donc lié au caractère non équitable de l'écart entre ses prix pour les prestations intermédiaires et ses prix de détail, et non à l'existence de prix excessifs sur le marché de détail ou de prix prédateurs sur le marché intermédiaire (C.J.U.E., 14 octobre 2010, C-280/08, Deutsche Telekom / Commission, Rec., 2010, p. I-09555, pt. 198; T.U.E., 10 avril 2008, T-271/03, Deutsche Telekom / Commission, Rec., 2008, p. II-00477, pt. 167).
Pour déterminer le caractère abusif d'une telle pratique, la jurisprudence européenne a précisé qu'il fallait prendre en compte les tarifs et coûts pratiqués par l'entreprise dominante sur le marché de détail et la stratégie de celle-ci, et non la situation des concurrents actuels ou potentiels (C.J.U.E., 3 juillet 1991, C-62/86, AKZO / Commission, Rec., 1991, p. I-3359, pt. 74; T.U.E., 10 avril 2008, T-271/03, Deutsche Telekom / Commission, Rec., 2008, p. II-00477, pt. 188). Il ne conviendra d'ailleurs d'examiner les tarifs et coûts des concurrents que s'il n'est pas possible, compte tenu des circonstances, de faire référence aux tarifs et coûts de l'entreprise dominante (C.J.U.E., 17 février 2011, C-52/09, Konkurrensverket / TeliaSonera Sverige AB, Rec., 2011, p. I-00527, pt. 113). De même, il conviendra de démontrer le caractère indispensable du produit de gros (C.J.U.E., 14 octobre 2010, C-280/08, Deutsche Telekom / Commission, Rec., 2010, p. I-09555, pt. 232; C.J.U.E., 17 février 2011, C-52/09, Konkurrensverket / TeliaSonera Sverige AB, Rec., 2011, p. I-00527, pt. 113).
Afin de déterminer si l'entreprise occupant une position dominante a exploité de manière abusive cette position par l'application de ses pratiques tarifaires, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances et d'examiner si cette pratique tend à enlever l'acheteur, ou à restreindre pour celui-ci, les possibilités de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement, à barrer l'accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou renforcer la position dominante par' une concurrence faussée (C.J.U.E., 14 octobre 2010, C-280/08, Deutsche Telekom / Commission, Rec., 2010, p. I-09555, pt. 175; C.J.U.E., 17 février 2011, C-52/09, Konkurrensverket / TeliaSonera Sverige AB, Rec., 2011, p. I-00527, pt. 28).
Exploite, ainsi, de façon abusive sa position dominante l'entreprise qui met en oeuvre une politique de prix visant à écarter du marché des concurrents qui sont peut-être aussi efficaces que cette même entreprise, mais qui, en raison de leur capacité financière moindre, sont incapables de résister à la concurrence qui leur est faite (C.J.U.E., 17 février 2011, C-52/09, Konkurrensverket / Telicdonera Sverige AB, Rec., 2011, p. I-00527, pts. 39 et 40).
118. En l'espèce, il conviendra de comparer les tarifs de détail de Belgacom pour les appels « on-net » avec ses propres MTR et de vérifier s'il existait une marge suffisante sur le marché de détail pour absorber le coût du service intermédiaire et ainsi d'apprécier si des concurrents aussi efficaces que Belgacom pouvaient entrer en concurrence avec elle. En d'autres termes, si Base et Mobistar étaient susceptibles de pouvoir offrir à leurs clients qui souhaitaient appeler des abonnés du réseau de Belgacom des tarifs égaux ou inférieurs aux tarifs « on-net » de Belgacom, sans subir de pertes.
(…)
(iv) Conclusions |
128. S'il résulte des constatations des experts qu'il existe une marge négative entre les revenus des appels « on-net » et les charges de terminaison de Belgacom, l'abus de position dominante par compression des marges sera établi.
e. Sur l'effet de réseau |
(…)
(iv) Sur les principes applicables à une différenciation tarifaire « on-net » et « off-net » |
133. Jusqu'à présent, Base et Mobistar avaient mis en cause la licéité du tarif « on-net » de Belgacom qu'elles considéraient comme étant trop bas, dans la mesure où il pouvait être interprété comme un rabais fidélisant, un prix prédateur ou un ciseau tarifaire, toutes pratiques devant être jugées comme abusives si elles émanent d'une entreprise en position dominante et tendent à restreindre la concurrence. Dans le cadre du présent grief, elles mettent toujours en cause le niveau trop bas de ce tarif, mais l'associent cette fois au tarif « off-net » qui n'a comme seule différence avec le tarif « on-net », outre son prix plus élevé, que de concerner un appel vers un abonné d'un autre réseau; elles considèrent que la différenciation tarifaire très importante entre ces deux types d'appel n'est pas justifiée et constitue dès lors un abus de position dominante.
(…)
136. Ce n'est pas parce que la différenciation tarifaire en cause n'a pas encore été condamnée par la C.J.U.E. et le T.U.E. qu'elle ne pourrait pas constituer un abus de position dominante.
(…)
(v) Position de la cour |
137. En l'espèce, il y a lieu de vérifier si, comme Base et Mobistar le soutiennent, une différenciation tarifaire entre les appels « on-net » et « off-net » de Belgacom peut porter atteinte au jeu de la concurrence, notamment par un renforcement d'un effet de réseau ou l'élévation des coûts de ses concurrents et si son comportement repose sur une justification économique raisonnable.
138. Un effet de réseau (ou effet de club) est une situation dans laquelle: « l'avantage qu'un consommateur tire d'un produit augmente non seulement avec la quantité qu'il / elle consomme, mais avec le nombre d'autres personnes qui le consomment également » (OCDE (DAF/COM(2005)42), 6 mars 2006 « Barriers to entry », pp. 239-250). Tel est typiquement le cas des industries de télécommunications où les possibilités d'appel entre différents appareils augmentent plus vite que leur nombre. Il n'est en effet pas contestable que l'utilité de posséder un GSM augmente avec le nombre d'utilisateurs.
Dans le secteur des télécommunications, les effets de club peuvent prendre deux formes, celle d'un effet statistique ou celle d'un effet tribu. L'effet statistique est lié aux parts de marché respectives des opérateurs. Cet effet se traduit par l'incitation du consommateur à choisir, toutes choses étant égales par ailleurs, l'offre (...) « on-net » de l'opérateur qui dispose de la part de marché la plus importante, afin de maximiser ses chances de trouver des interlocuteurs abonnés auprès du même opérateur que le sien, et, partant, de tirer davantage profit de la composante (...) « on-net » de son forfait. L'effet de club statistique est d'autant plus puissant qu'il revêt un caractère à la fois dynamique et cumulatif: on parle alors d'effet « boule de neige ». Plus un opérateur parvient à en tirer parti, en généralisant les offres « on-net » en particulier, et plus sa part de marché sera accrue au détriment des opérateurs de taille plus modeste. L'effet tribu est lié à la propension naturelle des proches à s'abonner auprès du même opérateur. Cet effet s'explique par le mécanisme de prescription à l'oeuvre sur le marché de détail de la téléphonie mobile à destination d'une clientèle résidentielle, particulièrement important au sein des foyers, qui favorise la constitution de « tribus » de proches, abonnés auprès du même opérateur (Lexique de l'Autorité française de la concurrence, www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/fiche5lexique_dec12.pdf). Même si cette définition vise des offres d'abondance, elle reste valable, mutatis mutandis, pour les offres proposant un tarif bas.
Eu égard à sa situation monopolistique, Belgacom disposait d'un réseau d'abonnés très important. Tous les appels de mobile à mobile étaient à l'origine « on-net ». Au moment de la libéralisation du marché, son intérêt était donc, au minimum, de le conserver et, au mieux, de l'augmenter. Elle ne s'en cache d'ailleurs pas. Une des manières de le faire consistait à fidéliser ses clients en les incitant à rester sur son réseau par un tarif attrayant des appels « on-net ». De plus, eu égard à l'effet tribu, elle pouvait espérer que ses abonnés inciteraient leurs proches à s'abonner auprès d'elle. Telle est la raison d'être de la publicité dont il est question au point 100 (Entre Proximus, on est tous liés par un tarif allégé).
Une différenciation tarifaire non justifiée économiquement est de nature à porter atteinte au jeu de la concurrence sur le marché de détail de la téléphonie mobile, en ce qu'elle tend à renforcer l'effet de réseau et, partant, à affaiblir la position financière des opérateurs concurrents. En effet, une telle pratique est susceptible de limiter la fluidité du marché et d'élever le coût des concurrents, en leur imposant de pratiquer des tarifs « off-net » plus chers, dès lors qu'ils sont contraints de supporter des MTR pour permettre à leurs abonnés d'atteindre ceux de l'opérateur dominant. Par ailleurs, dès lors que les tarifs « off-net » des grands réseaux sont élevés, les abonnés des plus petits réseaux recevront moins d'appels, réduisant ainsi leur capacité financière. Il s'agit donc d'une barrière à l'entrée. Elle est par conséquent susceptible d'exposer, à terme, les plus petits opérateurs à une éviction du marché ou, à tout le moins, à les discipliner sur le marché aval. En tout cas, elle renforce la position dominante de l'opérateur dominant.
Le monopole dont Belgacom jouissait lui conférait une responsabilité particulière de ne pas entraver l'entrée sur le marché et le développement d'opérateurs concurrents. Or, il est à cet égard significatif de constater que l'offre de tarifs « on-net » bas coïncide avec l'entrée de Mobistar sur le marché.
Il convient en outre de tenir compte du fait que le marché est asymétrique au regard des parts de marché détenues par Belgacom et que la différenciation tarifaire est, prima facie, très importante (sous réserve d'une expertise plus affinée dont il sera question infra). La combinaison de ces deux facteurs est de nature à renforcer l'effet de réseau, dès lors que les concurrents - qui en raison de la structure asymétrique du marché doivent nécessairement assumer plus d'appels « off-net », à tout le moins en nombres absolus - devront faire plus d'efforts pour répliquer l'offre, notamment en raison de la hauteur des MTR qu'ils devront supporter. A ce sujet, la cour a rappelé, au point 63 du présent arrêt, qu'il n'était pas établi que l'asymétrie des MTR dont Base et Mobistar ont pu bénéficier ait pu compenser les avantages dont Belgacom jouissait en qualité de premier entrant.
(…)
139. Belgacom conteste qu'une différenciation tarifaire entre les appels « on-net » et « off-net » puisse constituer une pratique discriminatoire dans la mesure où il ne s'agit pas de services identiques et que, partant, un différentiel entre les tarifs peut se concevoir.
En l'espèce, il n'est pas question de « discrimination » mais « d'application d'un prix ou de conditions inéquitables ».
Par ailleurs et à titre surabondant, il n'est pas certain que les deux services soient fondamentalement différents, en tout cas pas selon le point de vue de Base et de Mobistar. Au point 81, la cour a décrit ces deux services et constaté qu'ils utilisaient la même infrastructure et qu'ils comportaient tous deux un départ et une terminaison d'appels, ce qui impliquait, comme l'a dit le Conseil de la concurrence, qu'il n'y avait pas de raison que les coûts de collecte d'appels soient sensiblement différents de ceux de la terminaison, d'autant que Belgacom avait reconnu que les frais supplémentaires entre les deux commutateurs de chaque opérateur étaient minimes. Il est donc possible de comparer les deux services, d'autant qu'il a été constaté par le Conseil de la concurrence que les appels « on-net » devaient être considérés comme un produit d'appel.
Il est donc important de savoir si la différenciation repose sur un critère économique objectif et raisonnable. A défaut, elle peut être considérée comme inéquitable et constituer un avantage concurrentiel qui ne repose pas sur les mérites.
140. Les parties se sont très longuement exprimées sur ce que le premier juge a voulu dire en précisant qu' « il est possible que les tarifs 'on-net' critiqués aient été de nature à limiter l'interopérabilité des réseaux et à favoriser Proximus malgré le niveau de prix de ses services apparemment plus élevé » ainsi que sur les critères de choix des consommateurs finals pour tel ou tel type de réseau (effet « tribu » ou effet « statistique »).
Dès lors que l'appel est une voie d'achèvement de la procédure et que la cour a décidé d'adopter une autre approche que celle du premier juge, d'une part, en retenant un test EEO au lieu d'un test REO et, d'autre part, en confiant aux experts le soin d'identifier la structure des tarifs en cause pour lui permettre de vérifier si la différenciation tarifaire reposait sur une justification économique raisonnable, et que, à ce stade de la procédure, elle n'entend pas statuer sur le quantum du dommage allégué, il est sans intérêt de tenter d'interpréter ce qu'a voulu dire le premier juge, notamment à propos de « l'interopérabilité » des réseaux et d'analyser les différentes étapes de son raisonnement et son éventuelle absence de motivation.
(…)
En toute hypothèse, il n'est pas contestable que les deux effets se recoupent puisque si un consommateur choisit un réseau sur les conseils de ses amis ou de sa famille, c'est parce qu'il y trouve un intérêt, lequel ne peut être que financier. Belgacom l'a bien compris puisque, dans sa publicité ciblant un effet « tribu », elle met en exergue un avantage financier (Entre Proximus - effet « tribu » - on est tous liés par un tarif allégé - effet « statistique ») (cf. pt. 100).
(…)
141. Il se déduit de tout ce qui précède que, nonobstant les dénégations de Belgacom, l'effet de réseau dans le marché des télécommunications est bien un fait avéré, comme l'ont reconnu la cour d'appel de Paris et les régulateurs européens.
142. Il ne peut être reproché à Base et à Mobistar de ne pas apporter plus de preuves du caractère abusif du grief qu'elles invoquent.
La matérialité de celui-ci dépend en effet d'une constatation technique qui ne peut être faite que par un expert. S'inspirant de l'affaire France Telecom qui a donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 juin 2014 et pour répondre au moyen soulevé par Mobistar, selon lequel les différenciations tarifaires étaient importantes et non justifiées par une différence de coûts (cf. ses conclusions, p. 249, pt. 836 et pp. 269 à 274, pts. 899 à 903), la cour souhaite savoir si la différenciation tarifaire est objectivement justifiée, c'est-à-dire si les prix des appels « on-net » et « off-net » sont en rapport avec leurs coûts de production (avec la particularité que les MTR compris dans les appels « off-net » doivent être orientés sur les coûts et que, comme cela a été dit au point 40 du présent arrêt, un éventuel excédent de MTR par rapport aux coûts ne pourra constituer un dommage réparable spécifique dans le chef de Base et Mobistar puisqu'elles en ont obtenu le remboursement).
S'il existe des incohérences affectant les calculs de coûts entre ces deux services, l'abus sera avéré, dès lors que Belgacom ne produit aucune justification économique de la différenciation tarifaire, sauf à affirmer, sans preuves, qu'elle serait justifiée par les charges de terminaison, et sans faire état de gains d'efficacité admissibles lui permettant de justifier son comportement. Pour rappel, en ce qui concerne les MTR, il convient de rappeler que Belgacom disposait d'une marge de manoeuvre dans le cadre de la fourchette préconisée par l'IBPT. Pour ne pas être en infraction avec l'article 102 du TFUE (si tel devait être cas), Belgacom avait donc le choix, soit d'augmenter ses tarifs « on-net », soit de diminuer ses tarifs « off-net ».
Comme les constatations doivent être faites sur la base des coûts de Belgacom, puisqu'elles permettront de savoir si un concurrent aussi efficace qu'elle est susceptible de dupliquer son offre (test EEO), il ne peut être fait grief à Base et Mobistar de ne pas avoir présenté une étude de leurs consultants, effectuée sur cette base. En effet, en raison du refus opposé par Belgacom, elles n'ont pu avoir accès à ces données.
Par ailleurs, la mission confiée aux experts ne constitue pas une délégation de l'office du juge dès lors qu'elle ne porte que sur une constatation technique et sur un avis non contraignant à propos de la justification économique de la différenciation tarifaire.
(…)
4. Sur la mise en oeuvre de la responsabilité civile de Belgacom |
a. Sur la faute |
144. Bien qu'il soit nécessaire d'attendre que les experts aient accompli leur mission pour dire si Belgacom a ou non abusé de sa position dominante, il est cependant de l'intérêt d'une bonne justice que la cour rencontre déjà, au niveau des principes, certains des moyens et arguments développés par Belgacom concernant la mise en oeuvre de sa responsabilité civile, afin que les parties ne soient pas obligées de plaider à nouveau sur ces questions controversées après le dépôt du rapport des experts, d'autant que la cause a été introduite il y a plus de 11 ans et qu'il est à craindre qu'elle prendra encore de très nombreux développements.
Belgacom soutient en effet que, même si la cour devait arriver à la conclusion qu'elle a abusé de sa position dominante et, partant, violé l'article 102 du TFUE et l'article 3 de la LPCE, il ne s'en déduit pas, pour autant, qu'elle aurait commis une faute au sens de l'article 1382 du Code civil et qu'elle serait ainsi tenue d'indemniser Base et Mobistar du préjudice qu'elles auraient subi à l'occasion de ces abus.
(i) Thèse de Belgacom |
145. Belgacom soutient qu'il n'existe pas d'adéquation automatique entre la violation d'une norme légale et l'existence d'une faute.
(…)
(ii) Sur la notion de faute |
146. La faute extracontractuelle est susceptible de se présenter sous deux aspects. Ou bien c'est un acte ou une abstention qui méconnaît une norme de droit international ayant des effets directs dans l'ordre juridique national ou une norme de droit interne imposant à des sujets de droit d'agir ou de s'abstenir de manière déterminée. Ou bien, c'est un acte ou une abstention qui, sans constituer un manquement à de telles normes, s'analyse en une erreur de conduite, laquelle doit être appréciée suivant le critère d'une personne normalement soigneuse et prudente placée dans les mêmes conditions (conclusions du procureur général Velu avant Cass., 13 mai 1982, Pas., 1982, I, p. 1077).
Sous réserve de l'existence d'une cause d'exonération, toute transgression matérielle d'une disposition légale ou réglementaire constitue en soi une faute qui entraîne la responsabilité civile de son auteur, à condition que cette transgression soit commise librement et consciemment; pour que cette dernière condition soit remplie, il faut et il suffit que l'auteur de la transgression ait conscience d'enfreindre la loi, sans qu'il faille rechercher, en outre, s'il a agi par imprudence, négligence ou imprévoyance (Cass., 10 avril 1970, Pas., 1970, I, p. 682).
Une éventuelle distinction entre l'acte illicite et la faute ne se pose que dans l'hypothèse de la responsabilité des pouvoirs publics (en cas de violation d'une norme imposant un comportement ou une abstention déterminés) ou encore à propos de comportements qui présentent objectivement les caractéristiques d'une faute mais ne sont pas imputables à leur auteur à défaut de discernement (P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, t. II, Bruylant, n° 829, p. 1188).
Le second aspect de la faute aquilienne consiste dans la violation d'une norme de bon comportement que l'on peut attendre d'une personne soigneuse et prudente placée dans les mêmes conditions et exerçant les mêmes fonctions ou ayant la même qualification que la personne dont la responsabilité est recherchée (cf. Cass., 5 juin 2003, Pas., 2003, I, p. 1125).
La faute civile est toujours appréciée in abstracto et est indépendante de tout élément intentionnel; quant à l'imputabilité et le discernement, ils se définissent comme étant la capacité de discerner quel serait le comportement du bon père de famille placé dans les circonstances de l'espèce ou quelle est la norme légale (au sens large du terme) méconnue (P. Van Ommeslaghe, o.c., n° 808, p. 1151 et n° 841, p. 1206).
(iii) Application au cas d'espèce |
147. L'article 102 du TFUE dispose que (c'est la cour qui souligne)
« est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.
Ces pratiques peuvent notamment consister:
a.- imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables;
b.- limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs;
c.- appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence;
d.- subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats ».
Cette disposition d'ordre public (précédemment art. 82 et 86 du traité CEE) constitue l'un des piliers de la mise en oeuvre de la mission dévolue à la Communauté économique européenne, à savoir l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun (art. 3, f) du Traité de Rome). Il s'agit donc d'une norme essentielle qui ne peut se réduire à une déclaration d'intention comme le soutient Belgacom puisqu'elle interdit tout comportement qui aurait pour conséquence de fausser la concurrence. L'établissement d'un régime de libre concurrence est en effet un des instruments indispensables d'une politique visant au développement économique par l'élimination des entraves à la libre circulation. Afin d'assurer le bon fonctionnement du marché commun, il ne suffit pas d'assurer la liberté de la concurrence, il faut en outre veiller à ce que les effets qui doivent normalement résulter de cette liberté ne soient pas faussés par des mesures - qu'elles soient d'origine publique ou privée - favorisant ou désavantageant certaines entreprises (M. Waelbroeck et A. Frigani, Commentaire J. Megret, Editions de l'Université de Bruxelles, 1997, p. 8).
L'article [102] produit des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendre des droits dans le chef des justiciables (C.J.U.E., 30 janvier 1974, n° 127/73, BRT / Sabam), notamment celui de demander réparation du dommage causé par un comportement susceptible de restreindre ou de fausser la concurrence, sous peine qu'il soit porté atteinte à la pleine efficacité du traité (C.J.U.E., 20 septembre 2001, C-453/99, Courage, pts. 25 et s.).
Il est par ailleurs de jurisprudence constante que, pour qu'une infraction aux règles de la concurrence du traité puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n'est pas nécessaire que l'entreprise ait eu conscience d'enfreindre ces règles, il suffit qu'elle n'ait pu ignorer que sa conduite avait pour objet de restreindre la concurrence (C.J.U.E., 8 novembre 1983, nos 96/82 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, IAZ e.a. / Commission, Rec., p. 3369, pt. 45 et du 11 juillet 1989, n° 246/86, Belasco e.a. / Commission, pt. 41; T.U.E., 6 avril 1995, T-141/89, Tréfileurope / Commission, Rec., p. II-791, pt. 176 et 14 mai 1998, T-310/94, Gruber + Weber / Commission, Rec., p. II-1043, pt. 259). Il convient également de tenir compte du fait qu'il s'agit d'une entreprise de grande dimension disposant des connaissances juridiques et économiques nécessaires pour connaître le caractère infractionnel de sa conduite et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (T.U.E., 12 juillet 2001, T-202/98, Napier Brown, pts. 127 et 128).
Selon la jurisprudence, une entreprise est consciente du caractère anticoncurrentiel de son comportement lorsque les éléments de fait matériels justifiant tant la constatation d'une position dominante sur le marché concerné que l'appréciation par la Commission d'un abus de cette position étaient connus par elle (voir, en ce sens, C.J.U.E., 9 novembre 1983, n° 322/81, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin / Commission, pt. 107 et T.U.E., 14 décembre 2006, T-259/02 à 264/02 et T-271/02, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a. / Commission, pts. 207 et 210; voir, également, conclusions de l'avocat général M. Mazák sous l'arrêt de la C.J.U.E., 14 octobre 2010, C-280/08, Deutsche Telekom / Commission, pt. 39 et T.U.E., 29 mars 2012, T-336/07, Telefonica, pt. 320).
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1. Sur la position dominante |
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Il n'est donc pas raisonnable pour Belgacom de soutenir qu'elle ignorait qu'elle devait être considérée comme une entreprise en position dominante pendant la période litigieuse et, partant, soumise à des obligations particulières en raison de sa position de force, qu'elle a au demeurant reconnue devant le Conseil de la concurrence (cf. pt. 163 de la décision du 26 mai 2009).
2. Sur l'octroi de « rabais » |
149. Dans son arrêt du 9 novembre 1983 (n° 322/81, Michelin, pts. 57, 70 et 71), la C.J.U.E. a rappelé qu'il incombe à une entreprise en position dominante, indépendamment des causes d'une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun.
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150. Belgacom ne peut donc soutenir qu'elle ignorait que si elle offrait à ses clients un tarif « on-net » bas qui n'était pas couvert par ses coûts, dans le but de les inciter à lui réserver l'exclusivité de leur demande de services de téléphonie mobile, elle violait l'article 102 du TFUE.
3. Sur les prix prédateurs |
151. La pratique de prix prédateurs ou d'éviction entraînant une marge négative a été condamnée par la C.J.U.E. dans son arrêt AKZO (3 juillet 1991, n° 62/86, pt. 109) et par le T.U.E. dans son arrêt Tetra Pak (6 octobre 1994, T-83/91, pts. 148 et 149).
Une fois encore, Belgacom ne peut soutenir qu'elle pouvait légitimement penser qu'elle pouvait proposer des services à perte sans abuser de sa position dominante.
4. Sur l'effet ciseau |
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153. Il s'ensuit que, si, sur le plan des chiffres, l'existence d'un ciseau tarifaire est confirmée par les experts, Belgacom ne pouvait ignorer que sa conduite était susceptible de restreindre la concurrence et d'être interdite sur la base de l'article [102 du TFUE].
5. Sur l'effet réseau |
154. Au point 136 du présent arrêt, la cour a constaté que le fait que la différenciation tarifaire « on-net » et « off-net » et le renforcement de l'effet de réseau qui en découle au profit de la clientèle acquise au moment de la libéralisation des marchés n'avaient pas encore été condamnés explicitement par les juridictions européennes, n'empêchait pas que cette pratique tarifaire puisse être considérée comme un comportement anticoncurrentiel.
Elle a également dit qu'une telle pratique - si elle devait être confirmée à l'issue de l'expertise - tombait sous le prescrit de l'article 102, alinéa 2, sous a), du TFUE qui interdit explicitement d'imposer de façon directe ou indirecte des prix ou des conditions inéquitables et que cette disposition se suffisait à elle-même pour apprécier les abus allégués.
Il s'en déduit que la norme est suffisamment claire pour permettre à Belgacom d'apprécier quel devait être son comportement pour ne pas la transgresser.
155. En toute hypothèse, eu égard à la jurisprudence antérieure de la C.J.U.E. et du T.U.E., ainsi qu'à la pratique décisionnelle et les orientations de la Commission sur le caractère anticoncurrentiel de certaines pratiques tarifaires, plus particulièrement en ce qui concerne l'obligation pour une entreprise en position dominante de justifier ses tarifs sur la base de critères économiques objectifs, Belgacom ne pouvait ignorer que si des incohérences non justifiées, affectant les calculs des coûts des appels « on-net » et « off- net », devaient être constatées, il était raisonnablement prévisible que cette différenciation tarifaire serait condamnée par les cours et tribunaux.
Il en est d'autant plus ainsi qu'il ne s'agit que d'une manifestation différente d'un même comportement culpeux qui consiste, s'il est établi techniquement, à offrir un tarif « on-net » bas à ses abonnés, en vue de maintenir une position dominante au détriment des concurrents.
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Le risque d'atteinte à la concurrence d'un effet de réseau était donc connu avant le début de la période litigieuse.
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La cour n'est cependant pas liée par la décision du Conseil, d'autant que ce dernier n'a pas examiné l'adéquation des tarifs des appels « on-net » et « off-net » avec les coûts spécifiques de ces services, étape indispensable en vue de vérifier s'il n'existait pas d'incohérence entre les appels « on-net » et « off-net ». Telle est, au contraire, dans la présente affaire, la mission confiée aux experts.
157. Il se déduit de ce qui précède que, pas plus que pour les trois précédents griefs, Belgacom ne peut soutenir que la faute ne peut lui être imputée, à défaut de discernement dans son chef. Elle ne peut, non plus, faire état d'une cause d'exonération de responsabilité ou d'une erreur invincible.
6. | Conclusion |
158. Le moyen en défense de Belgacom ne peut être admis.
Il a été démontré ci-avant que l'article 102 du TFUE impose aux entreprises en position dominante un comportement et une abstention déterminés, nets, clairs et précis sur le caractère équitable de leurs pratiques tarifaires, dont les contours ont par ailleurs été précisés avant 1999 par la jurisprudence européenne et la pratique de la Commission, disposition que, toujours sans préjudice des constatations des experts, Belgacom a librement et consciemment violée.
En toute hypothèse, sous les mêmes réserves, Belgacom - qui est une très grande entreprise pouvant compter sur du personnel et des conseillers hautement qualifiés sur les plans juridique et économique, ainsi qu'en témoignent ses conclusions et les pièces qu'elle dépose - ne saurait soutenir que sa pratique tarifaire qui consistait à:
- offrir à ses clients des avantages financiers non justifiés sur le plan économique pour les inciter à lui réserver leur demande de services de téléphonie mobile;
- accepter de supporter des pertes sur les appels effectués par ses abonnés au profit des autres abonnés de son réseau;
- introduire un écart tarifaire entre ses prix sur le marché de gros et sur le marché de détail qui n'est pas suffisant pour permettre de couvrir au moins les coûts pour accéder au marché de détail;
- opérer une différenciation tarifaire entre des appels « on-net » et « off-net » qui fait apparaître des incohérences non justifiées affectant les calculs des coûts entre ces deux services et renforce l'effet de réseau;
était conforme à celle qu'aurait adoptée tout opérateur puissant, soigneux et prudent, conscient de sa responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à une concurrence effective et non faussée du marché, placée comme elle dans les mêmes conditions, c'est-à-dire adossé à un opérateur historique, puis placé pendant plus de 2 ans dans une situation de monopole et jouissant encore, 10 ans après l'entrée sur le marché du premier concurrent, d'une part de marché de plus de 50% - soit plus que celles cumulées des autres opérateurs.
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