Article

Cour de justice de l'Union européenne, 21/11/2013, R.D.C.-T.B.H., 2015/8, p. 803-805

Cour de justice de l'Union européenne 21 novembre 2013

CONCURRENCE
Droit européen de la concurrence - Aides d'Etat - Articles 107 et 108 TFUE - Contrôle des aides d'Etat - Violation de l'obligation de standstill - Décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen - Obligation des juridictions des Etats membres d'adopter toutes les mesures nécessaires afin de tirer les conséquences résultant de la violation de l'obligation de standstill
Lorsque la Commission européenne a ouvert la procédure formelle d'examen à l'égard d'une mesure d'aide non notifiée en cours d'exécution, les juridictions nationales sont tenues de considérer que la mesure en cause constitue une aide d'Etat et d'adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences de la violation de l'obligation de standstill. A cette fin, la juridiction nationale peut décider de suspendre l'exécution de la mesure en cause et d'enjoindre la récupération des montants déjà versés. Elle peut aussi décider d'ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder, d'une part, les intérêts des parties concernées et, d'autre part, l'effet utile de la décision de la Commission d'ouvrir la procédure formelle d'examen.
MEDEDINGING
Europees mededingingsrecht - Steunmaatregelen van staten - Artikelen 107 en 108 VWEU - Controle op staatssteun - Schending van de standstill-verplichting - Besluit tot inleiding van formele onderzoeksprocedure - Verplichting voor de rechterlijke instanties van de lidstaten om alle noodzakelijke maatregelen te nemen teneinde de consequenties te trekken welke voortvloeien uit een schending van de standstill-verplichting
Wanneer de Europese Commissie de formele onderzoeksprocedure heeft ingeleid tegen een maatregel die reeds ten uitvoer wordt gebracht, zijn de nationale rechterlijke instanties verplicht om de maatregel te kwalificeren als staatssteun en om alle maatregelen te nemen die noodzakelijk zijn om de consequenties te verbinden aan de schending van de standstill-verplichting. Daartoe kan de nationale rechterlijke instantie besluiten om de uitvoering van de betrokken maatregel op te schorten en de terugvordering van de reeds verrichte gedane betalingen te gelasten. Zij kan ook besluiten om voorlopige maatregelen te gelasten teneinde enerzijds de belangen van de betrokken partijen te beschermen en anderzijds het nuttige effect van het besluit van de Europese Commissie tot opening van de formele onderzoeksprocedure te verzekeren.

Deutsche Lufthansa AG / Flughafen Frankfurt-Hahn GmbH, en présence de Ryanair Ltd.

Sièg.: R. Silva de Lapuerta (président de chambre), A. Arabadjiev (rapporteur), J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis et J.-C. Bonichot (juges)
MP: P. Mengozzi (avocat général)
Pl.: Mes A. Martin-Ehlers et T. Müller-Heidelberg, G. Berrisch et A. Lepièce
Aff. C-284/12

(…)

Sur les questions préjudicielles

(…)

Sur la première question

25. L'article 108, 3., TFUE institue un contrôle préventif sur les projets d'aides nouvelles (arrêts du 11 décembre 1973, n° 120/73, Lorenz, Rec., p. 1471, pt. 2, ainsi que du 12 février 2008, C-199/06, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, ci-après l'« arrêt CELF I », Rec., p. I-469, pt. 37).

26. La prévention ainsi organisée vise à ce que seules des aides compatibles soient mises à exécution. Afin de réaliser cet objectif, la mise en oeuvre d'un projet d'aide est différée jusqu'à ce que le doute sur sa compatibilité soit levé par la décision finale de la Commission (arrêt CELF I, précité, pt. 48).

27. La mise en oeuvre de ce système de contrôle incombe, d'une part, à la Commission et, d'autre part, aux juridictions nationales, leurs rôles respectifs étant complémentaires mais distincts (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1996, C-39/94, SFEI e.a., Rec., p. I-3547, pt. 41; du 21 octobre 2003, C-261/01 et C-262/01, van Calster e.a., Rec., p. I-12249, pt. 74, ainsi que du 5 octobre 2006, C-368/04, Transalpine Ölleitung in Österreich, Rec., p. I-9957, pts. 36 et 37).

28. Tandis que l'appréciation de la compatibilité de mesures d'aide avec le marché intérieur relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l'Union, les juridictions nationales veillent à la sauvegarde, jusqu'à la décision finale de la Commission, des droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l'interdiction visée à l'article 108, 3., TFUE (voir, en ce sens, arrêts précités van Calster e.a., pt. 75, ainsi que Transalpine Ölleitung in Österreich, pt. 38).

(…)

31. L'objet de la mission des juridictions nationales est, par conséquent, d'adopter les mesures propres à remédier à l'illégalité de la mise à exécution des aides, afin que le bénéficiaire ne conserve pas la libre disposition de celles-ci pour le temps restant à courir jusqu'à la décision de la Commission (arrêt du 11 mars 2010, C-1/09, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, Rec., p. I-2099, pt. 30).

32. L'ouverture par la Commission de la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, 2., TFUE ne saurait donc décharger les juridictions nationales de leur obligation de sauvegarder les droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle de l'article 108, 3., TFUE (arrêt SFEI e.a., précité, pt. 44).

33. Cela étant, la portée de cette obligation peut varier en fonction de la question de savoir si la Commission a ou non ouvert la procédure formelle d'examen à l'égard de la mesure faisant l'objet du litige devant la juridiction nationale.

34. Dans l'hypothèse où la Commission n'a pas encore ouvert la procédure formelle d'examen et ne s'est donc pas encore prononcée sur la question de savoir si les mesures examinées sont susceptibles de constituer des aides d'Etat, les juridictions nationales, lorsqu'elles sont saisies d'une demande visant à tirer les conséquences d'une éventuelle violation de l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE, peuvent être amenées à interpréter et à appliquer la notion d'aide en vue de déterminer si ces dernières auraient dû être notifiées à la Commission (voir, en ce sens, arrêt SFEI e.a., précité, pts. 49 et 53 ainsi que pt. 1 du dispositif). Il leur appartient ainsi de vérifier, notamment, si la mesure en cause constitue un avantage et si elle est sélective, c'est-à-dire si elle favorise certaines entreprises ou certains producteurs au sens de l'article 107, 1., TFUE (arrêt Transalpine Ölleitung in Österreich, précité, pt. 39).

35. En effet, l'obligation de notification et l'interdiction de mise à exécution prévues à l'article 108, 3., TFUE, portent sur les projets susceptibles d'être qualifiés d'aides d'Etat au sens de l'article 107, 1., TFUE. Partant, avant de tirer les conséquences d'une éventuelle violation de l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE, les juridictions nationales doivent au préalable statuer sur la question de savoir si les mesures en cause constituent ou non des aides d'Etat.

36. Dans l'hypothèse où la Commission a déjà ouvert la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, 2., TFUE, il convient d'examiner quelles sont les mesures devant être prises par les juridictions nationales.

37. S'il est certes vrai que les évaluations opérées dans la décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen revêtent un caractère préliminaire, cette circonstance n'implique pas que celle-ci est dépourvue d'effets juridiques.

38. Il importe de souligner à cet égard que, au cas où les juridictions nationales pourraient estimer qu'une mesure ne constitue pas une aide au sens de l'article 107, 1., TFUE, et, partant, ne pas suspendre son exécution, alors que la Commission vient de constater, dans sa décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen, que cette mesure est susceptible de présenter des éléments d'aide, l'effet utile de l'article 108, 3., TFUE serait mis en échec.

39. En effet, d'une part, si l'évaluation préliminaire du caractère d'aide de la mesure en question, opérée dans la décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen, est par la suite confirmée dans la décision finale de la Commission, les juridictions nationales auraient méconnu leur obligation, imposée par les articles 108, 3., TFUE et 3 du règlement n° 659/1999, de suspendre l'exécution de tout projet d'aide jusqu'à l'adoption de la décision de la Commission sur la compatibilité de ce projet avec le marché intérieur.

40. D'autre part, même si, dans sa décision finale, la Commission devrait conclure à l'absence d'éléments d'aide, l'objectif de prévention qui sous-tend le système de contrôle des aides étatiques institué par le TFUE et rappelé aux points 25 et 26 du présent arrêt veut que, à la suite du doute soulevé dans la décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen quant au caractère d'aide de cette mesure et à sa compatibilité avec le marché intérieur, sa mise à exécution soit différée jusqu'à ce que ce doute soit levé par la décision finale de la Commission.

41. Il importe également de souligner que l'application des règles de l'Union en matière d'aides d'Etat repose sur une obligation de coopération loyale entre, d'une part, les juridictions nationales et, d'autre part, la Commission et les juridictions de l'Union, dans le cadre de laquelle chacun agit en fonction du rôle qui lui est assigné par le traité. Dans le cadre de cette coopération, les juridictions nationales doivent prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du droit de l'Union et de s'abstenir de celles qui sont susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité, ainsi qu'il découle de l'article 4, 3., TFUE. Ainsi, les juridictions nationales doivent, en particulier, s'abstenir de prendre des décisions allant à l'encontre d'une décision de la Commission, même si elle revêt un caractère provisoire.

42. Par conséquent, lorsque la Commission a ouvert la procédure formelle d'examen à l'égard d'une mesure en cours d'exécution, les juridictions nationales sont tenues d'adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences d'une éventuelle violation de l'obligation de suspension de l'exécution de ladite mesure.

43. A cette fin, les juridictions nationales peuvent décider de suspendre l'exécution de la mesure en cause et d'enjoindre la récupération des montants déjà versés. Elles peuvent aussi décider d'ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder, d'une part, les intérêts des parties concernées et, d'autre part, l'effet utile de la décision de la Commission d'ouvrir la procédure formelle d'examen.

44. Lorsqu'elles éprouvent des doutes sur le point de savoir si la mesure en cause constitue une aide d'Etat au sens de l'article 107, 1., TFUE ou quant à la validité ou à l'interprétation de la décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen, les juridictions nationales peuvent, d'une part, demander à la Commission des éclaircissements et, d'autre part, elles peuvent ou doivent, conformément à l'article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE, tel qu'interprété par la Cour, déférer une question préjudicielle à la Cour (voir à cet effet, en ce qui concerne les renvois préjudiciels en appréciation de validité en matière d'aides d'Etat, arrêt du 10 janvier 2006, C-222/04, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., Rec., p. I-289, pts. 72 à 74).

45. Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question:

- lorsque, en application de l'article 108, 3., TFUE, la Commission a ouvert la procédure formelle d'examen prévue au point 2. dudit article à l'égard d'une mesure non notifiée en cours d'exécution, une juridiction nationale, saisie d'une demande tendant à la cessation de l'exécution de cette mesure et à la récupération des sommes déjà versées, est tenue d'adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences d'une éventuelle violation de l'obligation de suspension de l'exécution de ladite mesure;

- à cette fin, la juridiction nationale peut décider de suspendre l'exécution de la mesure en cause et d'enjoindre la récupération des montants déjà versés. Elle peut aussi décider d'ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder, d'une part, les intérêts des parties concernées et, d'autre part, l'effet utile de la décision de la Commission d'ouvrir la procédure formelle d'examen;

- lorsque la juridiction nationale éprouve des doutes sur le point de savoir si la mesure en cause constitue une aide d'Etat au sens de l'article 107, 1., TFUE ou quant à la validité ou à l'interprétation de la décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen, elle peut, d'une part, demander à la Commission des éclaircissements et, d'autre part, elle peut ou doit, conformément à l'article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE, poser une question préjudicielle à la Cour.


Observations / Noot

Cet arrêt de principe a été confirmé à plusieurs reprises et, notamment, par l'ordonnance rendue par la Cour de justice le 4 avril 2014 dans l'affaire C-27/13 (Flughafen Lübeck GmbH / Air Berlin).

Cet arrêt a fait l'objet de plusieurs commentaires et notes de doctrine. A titre d'illustration, voir:

    • L. Idot, « Rôle du juge national et ouverture de la phase formelle par la Commission », Europe, 2014, janvier Com., n° 1, pp. 38-39;
    • A. Sohet, « Handhaving door de nationale rechter van de standstill-verplichting bij staatssteun », R.D.C., 2014, pp. 249-255;
    • P. De Bandt, « Lufthansa: a new era for State aid enforcement? », Journal of European Competition Law & Practice, 2014, vol. 5, n° 4, pp. 206-207;
    • L. Ghazarian, « Binding Effect of Opening Decisions - Lufthansa AG / FFH », European State Aid Law Quarterly, 2014, pp. 108-114;
    • T. Morgan, « State Aid, National Courts and the Separation of Powers: Should Judges be Bound to the European Commission's Unfinished State Aid Business? », Journal of European Competition Law & Practice, 2014, vol. 5, n° 5, pp. 256-257;
    • Ph. Nicolaides, « Are National Courts Becoming an Extension of the Commission? », European State Aid Law Quarterly, 2014, pp. 409-413.