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Les contrats de distribution sélective, R.D.C.-T.B.H., 2015/6, p. 609-610

Laurent du Jardin, Les contrats de distribution sélective, Bruylant, 2014, 230 p.


Monsieur du Jardin nous révèle que son ouvrage a été écrit en grande partie « à l'occasion de nombreuses retraites à l'abbaye d'Orval ». Le calme et la sérénité de ce lieu l'ont heureusement inspiré: on découvre un ouvrage fort intéressant, à la présentation originale et qui a le grand mérite de nous livrer les réflexions personnelles de l'auteur, nourries par sa pratique d'avocat, et écrites dans un langage concis et élégant.

Le système de distribution sélective est utilisé pour la distribution des produits de luxe et/ou de haute technicité. Si l'auteur se livre à quelques développements particuliers sur le secteur de la haute horlogerie qui combine ces deux caractéristiques, son propos est toutefois beaucoup plus vaste et présente de l'intérêt pour tous les secteurs qui pratiquent ce système de distribution.

Dans son chapitre préliminaire, monsieur du Jardin commence fort opportunément à mettre le lecteur à jour en se référant aux nouvelles dispositions du Code de droit économique (« le CDE ») qui remplacent les anciennes dispositions éparses applicables en droit de la distribution [1]: une table de concordance permet au lecteur, en un coup d'oeil, de passer en revue toutes les nouvelles dispositions applicables du CDE.

Encore en préliminaire, monsieur du Jardin rappelle les règles de droit international privé applicables en tenant compte des évolutions les plus récentes: détermination du tribunal compétent d'après le Règlement de Bruxelles Ibis et du droit applicable d'après le Règlement de Rome I. Ce rappel est bienvenu, dès lors que la résolution de ces questions préliminaires de droit international privé peut avoir une importance capitale pour l'issue du litige.

Toujours en préliminaire, l'auteur examine la question cruciale de savoir si et dans quelle mesure les dispositions relatives à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée s'appliquent aux contrats de distribution sélective. A cet égard, monsieur du Jardin observe à juste titre que si le distributeur sélectif jouit parfois d'une exclusivité de fait, « il ne faut pas confondre monopole de fait et monopole de droit » [2]. S'agissant du critère des « obligations importantes » que supporte le distributeur, l'auteur estime que l'on ne peut conclure de façon automatique qu'en raison de l'obligation faite au distributeur de respecter des critères de sélection, celui-ci pourrait prétendre d'office bénéficier de la protection de la loi en cas de résiliation unilatérale du contrat par le fournisseur. Monsieur du Jardin conclut à cet égard que « c'est une appréciation nuancée, insistant sur les facteurs de dépendance économique qui s'impose » [3].

Partie 1. Formation du contrat

Monsieur du Jardin souligne d'emblée que, même si un candidat distributeur répond aux critères qualitatifs de sélection, il n'a pas pour autant le droit d'être agréé. Il convient de tenir compte de la liberté de contracter dans le chef du fournisseur et du caractère intuitu personae du contrat sélectif dans le chef du distributeur: celui-ci est personnellement choisi. « Faire partie du réseau agréé du fournisseur est un privilège. » [4].

L'auteur attire ensuite notre attention sur le fait que, dans le domaine de l'information précontractuelle, le CDE a innové: il a modifié la définition de « l'accord de partenariat commercial ». Monsieur du Jardin écrit ainsi: « Le contrat de distribution sélective qui n'était normalement pas visé par la loi du 19 décembre 2005 est désormais presque certainement visé par le Livre X, Titre 2 du Code de droit économique. » En effet, le CDE n'exige plus, pour que la loi s'applique, que celui qui reçoit le droit d'utiliser une formule commerciale soit tenu de payer une redevance au fournisseur en contrepartie de ce droit. Cette nouveauté est fort judicieusement mise en avant par l'auteur quand on sait les lourdes sanctions applicables en cas de non-respect des dispositions légales en matière d'information précontractuelle.

Partie 2. Exécution du contrat

Dans cette partie, Monsieur du Jardin insiste sur le fait que « le contrat de distribution dépend de la stratégie de distribution du fournisseur qui le rédige », stratégie qui est « naturellement évolutive » et que le fournisseur doit donc pouvoir adapter unilatéralement au cours de l'exécution du contrat [5]. Le contrat de distribution sélective est clairement un contrat d'adhésion et monsieur du Jardin plaide pour une « reconnaissance expresse d'un ius variandi du contrat sélectif » [6].

L'auteur reconnaît cependant que le fournisseur ne pourrait imposer unilatéralement, que ce soit dans le contrat d'adhésion ou dans des amendements imposés en cours de contrat, des clauses qui seraient manifestement abusives: la fonction modératrice du principe de bonne foi sera ici sollicitée. Il ajoute que « la modification unilatérale devrait s'accompagner d'un préavis afin que soit préservé l'équilibre entre le bénéfice du fournisseur qui décide le changement et les contraintes du distributeur qui s'y conforme » [7].

Partie 3. Fin du contrat

S'agissant de la détermination du préavis raisonnable, monsieur du Jardin entend « souligner l'importance de critères sous estimés (la rentabilité du contrat, la notoriété [du produit distribué]), voire souvent oubliés (les usages) ». Il souhaite aussi « remettre à leur juste place des critères surestimés (la durée des relations contractuelles) ou mal compris (la part dans le chiffre d'affaires) » [8].

Pour ce faire, l'auteur ne procède pas à un examen de la jurisprudence, mais préfère nous livrer ses réflexions personnelles: le lecteur en tirera profit car l'auteur est un praticien bien conscient des réalités du terrain.

En ce qui concerne l'exécution du préavis, monsieur du Jardin se livre à une étude critique de la règle couramment admise selon laquelle « en cours de préavis, le contrat se poursuit aux conditions normales ». Pour lui, cette affirmation est « légitime et vérifiée concernant les obligations essentielles à l'existence même du contrat sous préavis » [9]. L'affirmation doit cependant faire l'objet d'un tempérament. L'auteur écrit: « Dans un contexte où de nombreux paramètres commerciaux changent dès la minute où la fin de la collaboration commerciale est programmée, manquerait à la bonne foi, le partenaire qui refuse d'en tenir compte en exigeant l'application inchangée d'une relation contractuelle en voie de liquidation. C'est à la fonction modératrice de la bonne foi que nous songeons. » [10].

Monsieur du Jardin nous en donne plusieurs illustrations: des critères de sélection dont le strict respect entraînerait des frais disproportionnés pour le distributeur compte tenu de la fin prochaine du contrat pourraient être assouplis, les objectifs de vente ne devraient plus être établis en fonction d'une perspective de croissance, des aménagements devraient être apportés pour ce qui concerne les commandes passées en cours de préavis et quant au crédit accordé pour les dernières livraisons.

Monsieur du Jardin nous livre ensuite des réflexions intéressantes sur les conditions d'octroi d'une indemnité de clientèle (plus-value notable de clientèle, apport du concessionnaire, acquisition de la clientèle au concédant) et sur le mode de calcul (bien délicat) de cette indemnité de clientèle.

L'auteur aborde ensuite la question de la résolution du contrat sans préavis et passe en revue certains aspects relatifs aux « obligations post-contractuelles » jusqu'ici peu abordés par la doctrine. A ce sujet, il traite notamment de l'intéressante question du maintien partiel et temporaire du contrat après une résolution immédiate de celui-ci. L'auteur plaide, avec raison, pour permettre dans certains cas une « survie contractuelle » pour une durée limitée, laquelle devrait de préférence être négociée par les deux parties.

D'autres questions sont aussi abordées telles que la problématique du retrait des enseignes, le sort des commandes non encore livrées à la date de la fin du contrat et la question de la reprise des stocks et de l'équipement spécifique imposé au distributeur en vertu des critères de sélection qualitatifs.

L'ouvrage se termine par un tableau récapitulatif synthétique et éclairant, également traduit en anglais, et par une bibliographie sélective.

Tant les avocats que les juristes d'entreprise et les magistrats apprécieront la lecture de cet ouvrage qui contient non seulement une mise à jour concise sur la matière, mais surtout nous expose certaines idées nouvelles et personnelles de son auteur et aborde de façon pragmatique certains sujets peu abordés en doctrine.

[1] Soit les lois - aujourd'hui abrogées - du 27 juillet 1961 sur les concessions de vente exclusives à durée indéterminée, du 13 avril 1995 sur le contrat d'agence et du 19 décembre 2005 sur l'information précontractuelle.
[2] Voy. p. 47, n° 42.
[3] Voy. p. 53.
[4] Voy. p. 73, n° 77.
[5] Voy. pp. 97 et s.
[6] Voy. p. 102, n° 107.
[7] Voy. p. 101, n° 107.
[8] Voy. p. 132.
[9] Voy. p. 147.
[10] Voy. p. 148.