Article

Cour constitutionnelle, 25/09/2014, R.D.C.-T.B.H., 2015/6, p. 549-554

Cour constitutionnelle 25 septembre 2014

FAILLITE
Liquidation - Excusabilité - Libération du conjoint - Décharge de la sûreté personnelle - Cohabitants de fait
En n'étendant pas aux cohabitants de fait, qui sont personnellement obligés à la dette de leur cohabitant failli, le bénéfice de l'excusabilité, le législateur a créé, avec le conjoint, ex-conjoint et cohabitant légal du failli, une différence de traitement raisonnablement justifiée, dès lors que la communauté formée par des cohabitants de fait n'est pas établie avec la même certitude que celle issue du mariage ou de la cohabitation légale et qu'il n'en découle pas les mêmes droits et obligations.
Par ailleurs, le cohabitant de fait du failli, qui s'est porté caution personnelle des engagements de ce dernier, ne peut se voir refuser la décharge prévue par l'article 80, alinéa 3, de la loi sur les faillites, au seul motif que son engagement ne pourrait être qualifié de gratuit en raison de sa cohabitation avec le failli.
FAILLISSEMENT
Vereffening - Verschoonbaarheid - Bevrijding van de echtgenoot - Bevrijding van de persoonlijke zekerheidsteller - Feitelijk samenwonenden
Door de regel van de verschoonbaarheid niet uit te breiden tot de feitelijk samenwonenden die zich persoonlijk aansprakelijk hebben gesteld voor de schuld van hun gefailleerde samenwonende partner, heeft de wetgever een verschil in behandeling ingevoerd ten aanzien van echtgenoot, de ex-echtgenoot en de wettelijk samenwonende partner van de gefailleerde dat niet zonder redelijke verantwoording is. Immers de door feitelijk samenwonenden gevormde gemeenschap vertoont niet dezelfde standvastigheid als die welke ontstaat uit het huwelijk of uit de wettelijke samenwoning en uit deze gemeenschap vloeien evenmin dezelfde rechten en plichten voort.
Daarnaast kan de feitelijk samenwonende partner van de gefailleerde die zich persoonlijk zeker stelde voor schulden van deze laatste niet uitgesloten worden van de bevrijding in de zin van artikel 80, derde lid faillissementswet op grond van de reden dat zijn verbintenis niet kosteloos is louter omwille van het feit dat hij samenwoont met de gefailleerde.
Siég.: J. Spreutels et A. Alen (présidents), E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen (juges)
Pl.: Mes S. Depré, E. de Lophem
Affaire: 140/2014

En cause: la question préjudicielle relative aux articles 80, alinéa 3, et 82, alinéa 2, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, posée par le tribunal de commerce de Dinant.

La Cour constitutionnelle, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant:

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par jugement du 13 novembre 2013 en cause de Bernard Castaigne, agissant en sa qualité de curateur, et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 novembre 2013, le tribunal de commerce de Dinant a posé la question préjudicielle suivante:

« Les articles 80, alinéa 3, et 82, alinéa 2, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, violent-t-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle et sans que le tribunal dispose à cet égard du moindre pouvoir d'appréciation, à la différence du conjoint séparé de fait ou non, de l'ex-conjoint et du cohabitant légal qui bénéficient de plein droit de l'effet de l'excusabilité, le compagnon ou la compagne du failli, formant un ménage de fait avec celui-ci, qui serait personnellement obligé à la dette du failli ne peut ni être libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité octroyée au failli, ni être considéré comme ayant agi à titre gratuit et demander à pouvoir bénéficier d'une décharge de ses engagements? »

Des mémoires ont été introduits par:

- Maria-Isabel Vaamonde y Salgueiro;

- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me S. Depré et Me E. de Lophem, avocats au barreau de Bruxelles.

Maria-Isabel Vaamonde y Salgueiro a introduit un mémoire en réponse.

Par ordonnance du 8 mai 2014, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et R. Leysen, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait tenue, à moins qu'une des parties n'ait demandé, dans le délai de 7 jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les débats seraient clos le 28 mai 2014 et l'affaire mise en délibéré.

Aucune demande d'audience n'ayant été introduite, l'affaire a été mise en délibéré le 28 mai 2014.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

En juillet 2013, J.-C. Friedrich a fait aveu de faillite pour le snack qu'il exploitait; sa compagne, M.-I. Vaamonde y Salgueiro, s'était portée caution solidaire et indivisible de ses engagements auprès des sociétés « EB Lease » et « Record Bank ». Après avoir constaté que J.-C. Friedrich était excusable, le juge a quo examine la demande de M.-I. Vaamonde y Salgueiro d'être libérée de son engagement comme sûreté personnelle.

Le juge a quo estime que M.-I. Vaamonde y Salgueiro avait intérêt à ce que la situation financière de son compagnon prospère et que son engagement ne peut être considéré comme gratuit, de sorte que la possibilité de décharge prévue par l'article 80, alinéa 3, de la loi sur les faillites ne peut s'appliquer à son engagement.

Constatant que si M.-I. Vaamonde y Salgueiro avait été l'épouse (art. 82, al. 2, de la loi sur les faillites) ou le cohabitant légal (arrêt n° 129/2010 du 18 novembre 2010) du failli excusable, elle aurait pu bénéficier de plein droit de l'excusabilité du failli, le juge a quo décide de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite ci-dessus.

III. En droit
- A -

A.1. M.-I. Vaamonde y Salgueiro explique sa situation personnelle: à aucun moment, son compagnon et elle n'ont envisagé le mariage ou la cohabitation légale, et lors de son engagement comme caution solidaire, personne n'a attiré son attention sur les conséquences de ce statut au regard d'une éventuelle faillite.

Elle avance que sa situation financière et celle de ses enfants est déjà très précaire et que, si elle n'est pas libérée de ses engagements, soit elle sera obligée d'introduire un dossier en règlement collectif de dettes, soit ce sera en réalité son compagnon, failli excusé, qui prendra en charge le paiement, alors qu'il a des problèmes de santé. Leur couple sera poussé vers une rupture en raison de problèmes financiers, simplement parce qu'il manque un document officiel légalisant leur union.

Elle conteste par ailleurs que son engagement ait été contracté dans un but d'enrichissement personnel, car il n'avait d'autre but que d'aider son compagnon.

Elle estime que les nouvelles familles recomposées qui sont dans l'impossibilité de se marier en raison de leurs situations financières catastrophiques doivent être protégées au même titre que les autres familles « légales ». Elle demande dès lors de mettre fin à une injustice particulière, le régime en cause étant appelé à être modifié à court terme.

A.2. En ce qui concerne la possibilité d'obtenir une décharge de la sûreté personnelle, le Conseil des ministres constate tout d'abord que la condition de la gratuité de l'engagement peut, contrairement à ce que considère le juge a quo, faire l'objet d'une appréciation par le juge. Pour le surplus, cette mesure correspond à un but légitime et est raisonnablement justifiée.

En ce qui concerne le bénéfice de l'excusabilité du failli, le Conseil des ministres considère que les catégories de personnes comparées sont, d'une part, le conjoint, l'ex-conjoint ou le cohabitant légal et, d'autre part, toute autre personne, la Cour s'étant prononcée sur cette comparaison dans l'arrêt n° 87/2011; le fait que la sûreté personnelle soit le cohabitant de fait du failli excusé est en effet dénué de toute pertinence au regard de l'application de la loi.

L'excusabilité du failli poursuit à la fois un but de protection du failli lui-même en lui permettant de redémarrer une activité économique, ainsi qu'un but d'intérêt général en permettant de relancer une activité économique potentiellement génératrice de richesse; le fait d'étendre le bénéfice de l'excusabilité du failli au conjoint ou cohabitant légal a pour but de renforcer la protection ainsi offerte.

Le cohabitant de fait se distingue objectivement des catégories bénéficiant de l'extension de l'excusabilité du failli. Le conjoint, l'ex-conjoint ou le cohabitant légal se trouvent en effet dans une relation juridique avec le failli excusé, caractérisée par des devoirs mutuels, et à laquelle il ne peut être mis fin que selon certaines conditions et formes particulières. Par contre, la cohabitation de fait ne crée aucun devoir particulier, notamment sur le plan patrimonial, et il peut y être mis fin unilatéralement et immédiatement. Le cohabitant de fait ne se trouve donc pas, juridiquement, dans une situation différente de n'importe quelle autre personne qui se serait engagée de la sorte, aucun statut particulier du cohabitant de fait n'existant par ailleurs.

Enfin, l'extension du bénéfice de l'excusabilité au conjoint, à l'ex-conjoint ou au cohabitant légal constitue une dérogation au droit commun des contrats; étendre cette protection au cohabitant de fait n'est pas indispensable pour permettre au failli excusé de redémarrer une activité économique et constituerait dès lors une atteinte injustifiée et disproportionnée aux droits des créanciers, s'écartant de l'équilibre que le législateur a recherché entre les créanciers et les débiteurs.

- B -

B.1.1. L'article 80, alinéa 3, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites (ci-après: la loi sur les faillites), inséré par la loi du 20 juillet 2005, dispose:

« Le failli, les personnes qui ont fait la déclaration visée à l'article 72ter et les créanciers visés à l'article 63, alinéa 2, sont entendus en chambre du conseil sur la décharge. Sauf lorsqu'elle a frauduleusement organisé son insolvabilité, le tribunal décharge en tout ou en partie la personne physique qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli lorsqu'il constate que son obligation est disproportionnée à ses revenus et à son patrimoine. »

B.1.2. L'article 82, alinéa 2, de la loi sur les faillites, tel qu'il a été remplacé par la loi du 18 juillet 2008, dispose:

« Le conjoint du failli qui est personnellement obligé à la dette de son époux ou l'ex-conjoint qui est personnellement obligé à la dette de son époux contractée du temps du mariage est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité. »

B.2. La question préjudicielle porte sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution des dispositions précitées, dans l'interprétation selon laquelle, « sans que le tribunal dispose à cet égard du moindre pouvoir d'appréciation », le cohabitant de fait d'un failli déclaré excusable est traité différemment du conjoint, de l'ex-conjoint et du cohabitant légal d'un tel failli: alors que ces derniers bénéficient de plein droit de l'effet de l'excusabilité, le cohabitant de fait personnellement obligé à la dette du failli ne pourrait ni être libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité octroyée au failli, ni être considéré comme ayant agi à titre gratuit et demander à pouvoir bénéficier d'une décharge de son engagement.

B.3. Le jugement de renvoi concerne la situation d'un failli excusé et de sa compagne, qui s'est portée caution solidaire d'un crédit destiné au financement de l'ouverture et de l'exploitation d'un snack par le failli excusé, activité commerciale qui a fait l'objet de l'aveu de faillite.

Quant au bénéfice de l'excusabilité

B.4. L'article 82, alinéa 2, en cause fait partie de la législation sur les faillites, qui vise essentiellement à réaliser un juste équilibre entre les intérêts du débiteur et ceux des créanciers.

La déclaration d'excusabilité constitue pour le failli une mesure de faveur qui lui permet de reprendre ses activités sur une base assainie et ceci, non seulement dans son intérêt, mais aussi dans celui de ses créanciers ou de certains d'entre eux qui peuvent avoir intérêt à ce que leur débiteur reprenne ses activités sur une telle base, le maintien d'une activité commerciale ou industrielle pouvant en outre servir l'intérêt général (Doc. parl., Chambre, 1991-1992, n° 631/1, pp. 35 et 36).

Jugeant que « la faculté de se redresser est [...] utopique si [ le failli] doit conserver la charge du passif », le législateur a estimé que « rien ne justifie que la défaillance du débiteur, conséquence de circonstances dont il est victime, l'empêche de reprendre d'autres activités » (Doc. parl., Chambre, 1991-1992, n° 631/13, p. 50).

Il ressort des travaux préparatoires que le législateur s'est soucié de tenir « compte, de manière équilibrée, des intérêts combinés de la personne du failli, des créanciers, des travailleurs et de l'économie dans son ensemble » et d'assurer un règlement humain qui respecte les droits de toutes les parties intéressées (Doc. parl., Chambre, 1991-1992, n° 631/13, p. 29).

B.5.1. Par son arrêt n° 69/2002 du 28 mars 2002, la Cour avait jugé que l'article 82 de la loi sur les faillites, tel qu'il était d'application avant son remplacement par l'article 29 de la loi du 4 septembre 2002 « modifiant la loi du 8 août 1997 sur les faillites, le Code judiciaire et le Code des sociétés », était incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permettait en aucune manière à un juge de libérer de ses obligations le conjoint du failli déclaré excusable.

B.5.2. A la suite de cet arrêt, le législateur, par la loi du 4 septembre 2002, a inséré, à l'article 82 de la loi sur les faillites, un alinéa 2 selon lequel le conjoint du failli, « qui s'est personnellement obligé » à la dette du failli, est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité.

B.5.3. La Cour a jugé cette disposition incompatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination, en ce que le conjoint qui est, en vertu d'une disposition fiscale, obligé à une dette d'impôt du failli, ne peut être libéré, par la déclaration d'excusabilité, de l'obligation de payer cette dette (arrêt n° 78/2004 du 12 mai 2004 et arrêt n° 6/2005 du 12 janvier 2005). Afin de remédier à cette situation, l'article 82, alinéa 2, de la loi sur les faillites, tel qu'il a été remplacé par l'article 2 de la loi du 2 février 2005 modifiant l'article 82, alinéa 2, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, a précisé que le conjoint du failli qui est personnellement obligé à la dette de ce dernier est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité.

B.5.4. La loi du 18 juillet 2008 a une nouvelle fois modifié l'article 82, alinéa 2, de la loi sur les faillites, en étendant le bénéfice de l'excusabilité à l'ex-conjoint du failli excusé.

B.5.5. L'article 82, alinéa 2, libère de ses obligations le conjoint et l'ex-conjoint du failli excusé qui est personnellement obligé à la dette du failli.

B.6.1. Interrogée sur la situation du cohabitant légal qui est personnellement obligé à la dette de son cohabitant légal failli déclaré excusable, la Cour a jugé, par son arrêt n° 129/2010 du 18 novembre 2010, que lorsque le législateur introduit dans la loi sur les faillites une possibilité de déclarer le failli excusable et étend les effets de l'excusabilité au conjoint du failli qui est personnellement obligé à la dette du failli mais que cette mesure de faveur ne profite pas au cohabitant légal également personnellement obligé à la dette du failli, il traite différemment des personnes tenues au règlement des mêmes dettes.

Elle y décide:

« B.7. [...]

En effet, dans les deux situations, le conjoint et le cohabitant légal ont souscrit une obligation personnelle ou y sont tenus, laquelle ne porte toutefois pas sur le paiement d'une dette propre mais sur la liquidation d'une dette du débiteur principal failli.

En ce qui concerne le conjoint engagé personnellement en faveur de son époux failli, les poursuites ne peuvent plus être exercées sur ses biens par les créanciers du failli, en raison de l'extension des effets de l'excusabilité. Par contre, le cohabitant légal engagé personnellement en faveur de son cohabitant failli ne bénéficie en rien des effets de l'excusabilité et reste tenu d'apurer, sur ses biens actuels et futurs, une dette pour laquelle son cohabitant légal ne peut plus être poursuivi.

En n'étendant pas aux cohabitants légaux personnellement obligés à la dette de leur cohabitant failli la règle de l'excusabilité, le législateur a créé une différence de traitement qui, au regard de l'objectif décrit en B.3., n'est pas raisonnablement justifiée. »

B.6.2. Par l'effet du constat de la lacune opéré par l'arrêt n° 129/2010 précité, les cohabitants légaux personnellement obligés à la dette de leur cohabitant failli bénéficient de la règle de l'excusabilité.

B.7. La Cour doit examiner si cette mesure a des effets discriminatoires à l'égard du cohabitant de fait du failli excusé qui est personnellement obligé à la dette de ce failli.

Pour ce faire, il convient de tenir compte des caractéristiques respectives du mariage, de la cohabitation légale, et de la cohabitation de fait, ainsi que, d'une part, des objectifs économiques et sociaux de la mesure litigieuse et, d'autre part, des principes, applicables en la matière, du droit patrimonial civil, en vertu desquels « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » (art. 1134, al. 1er, C. civ.) et « quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir ses engagements sur tous ses biens mobiliers ou immobiliers, présents et à venir » (art. 7 L. hyp. du 16 décembre 1851).

B.8. La différence de traitement se fonde sur un élément objectif, à savoir que la situation juridique des partenaires diffère suivant que les uns sont mariés ou cohabitants légaux, et les autres cohabitants de fait. Leur situation juridique diffère aussi bien en ce qui concerne leurs devoirs personnels mutuels que pour ce qui est de leur situation patrimoniale.

B.9.1. Les époux se doivent mutuellement secours et assistance (art. 213 C. civ.); ils bénéficient de la protection du logement de la famille et des meubles meublants (art. 215 C. civ.); les époux doivent consacrer leurs revenus par priorité à leur contribution aux charges du mariage (art. 217 C. civ.), auxquelles ils doivent contribuer selon leurs facultés (art. 221 C. civ.). Les dettes qui sont contractées par l'un des époux pour les besoins du ménage et l'éducation des enfants obligent solidairement l'autre époux, sauf lorsqu'elles sont excessives eu égard aux ressources du ménage (art. 222 C. civ.).

B.9.2. Par cohabitation légale, il y a lieu d'entendre la situation de vie commune de deux personnes ayant fait une déclaration écrite de cohabitation légale (art. 1475 C. civ.). La cohabitation légale cesse lorsque l'une des parties se marie ou décède. Il peut également être mis fin à la cohabitation légale par les cohabitants, soit de commun accord, soit unilatéralement, au moyen d'une déclaration écrite qui est remise à l'officier de l'état civil, qui acte la cessation de la cohabitation légale dans le registre de la population (art. 1476 C. civ.).

Les dispositions suivantes s'appliquent à la cohabitation légale: la protection légale du domicile familial (art. 215, 220, § 1er, et 224, § 1er, 1., C. civ.) s'applique par analogie à la cohabitation légale; les cohabitants légaux contribuent aux charges de la vie commune en proportion de leurs facultés et toute dette non excessive contractée par l'un des cohabitants légaux pour les besoins de la vie commune et des enfants qu'ils éduquent oblige solidairement l'autre cohabitant (art. 1477 C. civ.).

B.10. En ce qui concerne le conjoint ou le cohabitant légal engagé personnellement en faveur de son époux failli, les poursuites ne peuvent plus être exercées sur ses biens par les créanciers du failli, en raison de l'extension des effets de l'excusabilité. Par contre, le cohabitant de fait engagé personnellement en faveur de son cohabitant failli ne bénéficie en rien des effets de l'excusabilité et reste tenu d'apurer, sur ses biens actuels et futurs, une dette pour laquelle son partenaire ne peut plus être poursuivi.

B.11. En n'étendant pas aux cohabitants de fait personnellement obligés à la dette de leur cohabitant failli la règle de l'excusabilité, le législateur a créé une différence de traitement qui, au regard de l'objectif décrit en B.4., n'est pas sans justification raisonnable, dès lors que la communauté formée par des cohabitants de fait n'est pas établie avec la même certitude que celle issue du mariage ou de la cohabitation légale et qu'il n'en découle pas les mêmes droits et obligations.

En effet, alors que les conjoints et cohabitants légaux ont des droits et devoirs mutuels définis par le Code civil, les cohabitants de fait n'ont pas pris l'un envers l'autre les mêmes engagements juridiques; ne constituant pas une forme institutionnalisée de vie commune, la cohabitation de fait n'instaure, juridiquement, pas de communauté de patrimoine, pas plus qu'elle ne crée une solidarité patrimoniale, les cohabitants de fait ne se devant pas secours et assistance.

Les cohabitants de fait ont par ailleurs pu disposer, avant de fournir cette sûreté, d'une liberté d'appréciation dont ne dispose pas, dans la même mesure, le conjoint ou le cohabitant légal dont l'engagement est une condition de l'octroi d'un crédit demandé par son partenaire.

B.12. En ce qu'elle vise l'article 82, alinéa 2, de la loi sur les faillites, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la possibilité de décharge

B.13. L'article 80, alinéa 3, en cause, a été inséré par la loi du 20 juillet 2005 modifiant la loi du 8 août 1997 sur les faillites, et portant des dispositions fiscales diverses.

B.14.1. Par son arrêt n° 69/2002, rendu le 28 mars 2002, la Cour avait constaté que « si l'institution de la caution implique qu'elle reste, en règle, tenue de son cautionnement lorsque le failli est déclaré excusable, il n'est pas [...] justifié de ne [pas] permettre [...] qu'un juge puisse apprécier s'il n'y a pas lieu de la décharger, en particulier en ayant égard au caractère désintéressé de son engagement ». Elle concluait que, pour ce motif, l'article 82 de la loi du 8 août 1997, qui n'envisageait pas le sort de la caution, violait les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.14.2. A la suite de cet arrêt, l'article 82, alinéa 1er, de la loi sur les faillites, introduit par la loi du 4 septembre 2002, a mis fin à la discrimination constatée par la Cour mais en étendant automatiquement à toute caution qui s'est engagée à titre gratuit le bénéfice de l'excusabilité.

Les travaux préparatoires de la loi du 4 septembre 2002, qui déchargeait de leurs obligations les cautions à titre gratuit du failli excusé, témoignent du souci de prendre en compte la situation des cautions « qui sont constituées par des particuliers pour des motifs de bienfaisance, sans parfois mesurer toutes les conséquences de leur décision » (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, Doc. n° 50-1132/001, p. 17); la nature gratuite de la caution suppose que les personnes qui se sont engagées ne poursuivent aucun avantage économique par le biais de leur caution.

B.15.1. Par son arrêt n° 114/2004 du 30 juin 2004, la Cour a jugé cette disposition incompatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination, en ce qu'en étendant automatiquement à la caution à titre gratuit le bénéfice de l'excusabilité qui n'est accordée qu'à certaines conditions au failli, le législateur a imposé aux créanciers un sacrifice qui n'est pas raisonnablement proportionné au but qu'il poursuit; elle a dès lors annulé l'article 82, alinéa 1er, tout en maintenant ses effets jusqu'au 31 juillet 2005 au plus tard.

B.15.2. En adoptant la loi du 20 juillet 2005, le législateur a voulu remédier à cette inconstitutionnalité. Cette loi prévoit une procédure par laquelle la caution personnelle n'est plus déchargée automatiquement, mais peut être déchargée par le juge, de son engagement à l'égard du créancier du failli, à condition que le juge vérifie que la personne s'est constituée sûreté personnelle « à titre gratuit » et n'a pas frauduleusement organisé son insolvabilité et qu'il constate que l'engagement est disproportionné aux revenus de cette personne et à son patrimoine.

B.15.3. Les travaux préparatoires de la loi du 20 juillet 2005 indiquent que le législateur a considéré que « cette solution [était] seule de nature à rencontrer les exigences de la Cour d'arbitrage », et que, « vu la multiplicité des situations patrimoniales des personnes qui ont conforté le crédit du failli, la fixation dans la loi de critères précis destinés à encadrer l'appréciation du tribunal [était] non seulement insatisfaisante, mais [pouvait] également être source d'insécurité juridique » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, Doc. n° 51-1811/001, p. 6).

B.16. Dans l'interprétation du juge a quo, le cohabitant de fait ne pourrait être déchargé de son engagement comme caution, car son engagement ne pourrait être considéré comme consenti « à titre gratuit », un cohabitant de fait ayant un « intérêt à ce que la situation financière de son compagnon prospère »; le juge a quo en déduit qu'il ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation lui permettant de décharger le cohabitant de fait du failli excusé.

B.17.1. C'est au juge a quo et non à la Cour qu'il appartient d'apprécier si la personne qui demande à bénéficier de l'article 80, alinéa 3, de la loi sur les faillites est une caution à titre gratuit, au sens de cette disposition.

La nature gratuite de la caution suppose que les personnes qui se sont engagées ne poursuivent aucun avantage économique, direct ou indirect, par le biais de leur caution (Cass., 26 juin 2008, Pas., 2008, n° 403; Cass., 14 novembre 2008, Pas., 2008, n° 632; voy. aussi l'article 2043bis du Code civil). La possibilité de décharge s'inscrit dans le souci du législateur de protéger la catégorie des cautions la plus désintéressée et la plus vulnérable.

Lors de l'adoption de la loi du 3 juin 2007, qui a inséré un article 2043bis dans le Code civil définissant le cautionnement à titre gratuit, et organisé une procédure générale protégeant les cautions à titre gratuit, la ministre de la Protection de la consommation a précisé:

« Le caractère gratuit est évalué au cas par cas. [...] Il s'agit uniquement d'un avantage économique, pas d'un avantage affectif. Le caractère gratuit est une question de fait qui doit être évaluée au cas par cas » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, Doc. n° 51-2730/003, p. 9).

Le juge peut donc apprécier in concreto le caractère gratuit de l'engagement de la caution.

B.17.2. Il convient de souligner que l'article 80, alinéa 3, de la loi sur les faillites ne peut être interprété comme excluant de la condition de gratuité de l'engagement de la caution, la personne qui cohabite en fait avec le failli excusé, pour la seule raison qu'elle cohabite avec ce dernier.

En effet, comme il est indiqué en B.11., la cohabitation de fait ne crée juridiquement aucune forme de solidarité patrimoniale des partenaires, de sorte qu'on ne peut considérer que cette situation de fait induit comme telle un intérêt économique, direct ou indirect, du cohabitant de fait qui se serait engagé comme caution.

S'il est raisonnablement justifié que le législateur n'ait pas automatiquement étendu les effets de l'excusabilité au cohabitant de fait, il n'est par contre pas raisonnablement justifié que la cohabitation de fait empêche toute décharge de la caution à titre gratuit du cohabitant de fait, lorsque celui-ci n'a pas frauduleusement organisé son insolvabilité et que son obligation est disproportionnée à ses revenus et à son patrimoine. Pour le surplus, l'appréciation de la situation factuelle des cohabitants de fait appartient au juge a quo.

B.18. Compte tenu de ce qui est dit en B.17.2., la question préjudicielle appelle une réponse négative, en ce qu'elle vise l'article 80, alinéa 3, de la loi sur les faillites.

Par ces motifs,

la Cour

dit pour droit:

Compte tenu de ce qui est dit en B.17.2., les articles 80, alinéa 3, et 82, alinéa 2, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

(…)