Article

Cour d'appel Liège, 07/06/2012, R.D.C.-T.B.H., 2015/5, p. 430-436

Cour d'appel de Liège 7 juin 2012

SOCIÉTÉS
Dispositions communes à toutes les sociétés - Engagements des associés entre eux - Généralités - Droit de préemption statutaire - Vente d'actions - Tierce complicité - Réparation en nature - Nullité (oui) - Attribution judiciaire (non)
En cas de violation d'un droit de préemption statutaire, le juge peut prononcer, à titre de réparation en nature, la nullité de la vente à un tiers, si les conditions de la tierce complicité sont réunies. L'attribution des actions au profit du bénéficiaire du pacte n'est toutefois possible que dans l'hypothèse où l'actionnaire cédant aurait également vendu ses actions, s'il avait dû respecter le pacte de préemption. Tel n'est pas le cas lorsque la vente au tiers a été effectuée en vue de soustraire temporairement les actions au patrimoine commun de l'actionnaire vendeur et de son épouse.
VENNOOTSCHAPPEN
Bepalingen gemeen aan alle vennootschappen - Verplichtingen tussen vennoten - Algemeen - Statutair voorkooprecht - Verkoop van aandelen - Derde-medeplichtigheid - Herstel in natura - Nietigheid (ja) - Rechterlijke toewijzing (nee)
Bij de schending van een statutair voorkooprecht kan de rechter de verkoop aan een derde nietig verklaren bij wijze van herstel in natura, indien de voorwaarden van derde-medeplichtigheid aan andermans contractbreuk vervuld zijn. De rechterlijke toewijzing van de aandelen aan de begunstigde van het verkooprecht is evenwel slechts mogelijk in de mate dat de verbonden aandeelhouder zijn aandelen ook zou hebben verkocht, indien hij gedwongen zou zijn geweest om het beding na te leven. Dat is niet het geval wanneer de verkoop aan een derde heeft plaatsgevonden om de aandelen tijdelijk te onttrekken aan het gemeenschappelijke vermogen van de verkopende aandeelhouder en zijn echtgenote.
Siég. M. Ligot (président), A. Manka et Th. Lambert (conseillers)
Zaak: 2011/RG/687

Vu la requête du 22 avril 2011 par laquelle Th.H. interjette appel du jugement rendu le 13 janvier 2011 par le tribunal de commerce de Liège.

Vu l'appel incident introduit par F.P. par conclusions reçues au greffe de la cour le 5 septembre 2011.

Vu les conclusions et dossiers des parties.

Antécédents

- Le 27 mars 1995, Th.H. époux de M.E.et F.P. constituent la SA Le Vieux Château de la Neuville, appelée ci-après « la société », dont le siège se trouvait à l'époque à 4121 Neupré, Neuville en Condroz, Allée du Château 13. « La société » qui avait pour activités l'exploitation d'un cercle équestre, d'une cafétéria et d'une salle de banquet fut constituée avec un capital de 1.200.000 FB souscrit et réparti de manière égale entre les deux fondateurs.

- Trois augmentations de capital sont intervenues les 3 avril 1996, 27 mars 1997 et 12 février 1998. A l'issue de celles-ci, le capital de « la société » avait été porté à 4.000.000 FB et Th.H. détenait 313 actions entièrement libérées pour 50 à F.P.

- Très rapidement, la mésentente s'est installée entre les deux fondateurs. Celle-ci paraît avoir trouvé son origine dans l'octroi d'un prêt de 500.000 FB par Th.H. à F.P. en janvier 1996. Le 22 avril 1997, Th.H. va introduire une procédure en vue d'obtenir le remboursement de ce prêt, ce qui donnera lieu à un jugement faisant droit à sa demande prononcé le 10 octobre 2002 par le tribunal de première instance de Huy, confirmé par arrêt rendu le 11 septembre 2007 par la cour d'appel de céans.

- De son côté, F.P. assigne le 20 novembre 1997 « la société » et Th.H. devant le président du tribunal de commerce de Huy siégeant en référé en vue d'obtenir la désignation d'un administrateur provisoire chargé d'assurer l'administration et la gestion de la société à l'exclusion de Th.H., d'examiner les raisons d'une situation financière et économique préoccupante et de proposer les remèdes à y apporter. Par ordonnance du 10 février 1998, le juge des référés déboute F.P.

- Par citation du même jour, F.P. avait assigné les mêmes parties défenderesses devant le tribunal de commerce de Huy en vue d'obtenir la désignation d'un expert-comptable chargé « de vérifier les livres et comptes de La Neuville, dire si la comptabilité est tenue conformément aux dispositions légales et déterminer les raisons pour lesquelles La Neuville se trouve dans une situation financière et économique préoccupante et particulièrement de décrire les opérations critiquées (dans la citation introductive d'instance) ». Il est question « d'irrégularités constitutives de détournements d'actifs (recettes non comptabilisées et détournées) et abus de biens sociaux » (jugement du tribunal de commerce de Huy du 7 novembre 2001, points 1.7. et 2.1.1., p. 2). Cette action est également rejetée le 7 novembre 2001.

- A l'huissier qui, à la requête de Th.H., tente d'exécuter le jugement rendu le 10 octobre 2002 par le tribunal de première instance de Huy, F.P. propose le 7 février 2003 de s'acquitter de sa dette par des versements de 12,39 EUR par mois et de faire abandon des 21.499,49 EUR qui lui étaient réclamés sur base de cette décision par un prélèvement sur son compte courant créditeur de 34.085,36 EUR à l'égard de la société (jugement du 9 janvier 2007 du juge des saisies de Marche-en-Famenne).

- Le 18 octobre 2004, F.P. se constitue partie civile entre les mains d'un juge d'instruction liégeois ce qui aboutira finalement à la condamnation de Th.H. par le tribunal correctionnel de Liège le 30 novembre 2010 à une peine de 8 mois d'emprisonnement avec sursis de 4 ans et à une amende de 1.000 EUR avec sursis de 3 ans des chefs de faux, usage de faux et escroquerie.

Au civil, Th.H. est condamné à payer à la SA KBC Assurances la somme de 20.327,27 EUR avec les intérêts compensatoires depuis le 20 janvier 2000 et à F.P. 1 EUR à titre définitif destiné à réparer le dommage moral qu'il a subi en sa qualité d'actionnaire minoritaire de la SA Le Vieux Château de la Neuville au motif que « les agissements du prévenu donnent une mauvaise image de la société en question ». Sur appel de Th.H., cette affaire était fixée le 25 avril 2012 devant la 6e chambre de la cour d'appel de céans.

- Le 17 avril 2007, Th.H. cède à F.L. les 313 actions dont il est propriétaire au sein de « la société » pour le prix de 1 EUR l'action. La convention établie sur base d'un modèle sur lequel les mentions laissées en blanc ont été remplies porte de manière contradictoire que

° « Le vendeur déclare que les statuts ne contiennent aucune stipulation limitant la compétence des actionnaires pour transférer des actions et qu'il n'a conclu aucune convention tendant à la limitation de ladite compétence »,

° « L'acheteur reconnaît être complètement informé sur les statuts et la situation financière de la société » (convention p. 2, art. 3 intitulé « garanties »).

Cette convention a été précédée de plusieurs courriers qui ont une incidence sur le litige:

° une lettre recommandée adressée le 6 juin 2006 par Th.H. à F.P. dont le récépissé de dépôt du même jour identifie l'expéditeur comme étant « la société »; le contenu de ce courrier que F.P. conteste avoir reçu est le suivant:

« Monsieur,

Je connais de grosses difficultés dans mon couple, de plus, la SA Le Vieux Château de la Neuville dont vous êtes actionnaire à ± 13% a des problèmes de trésorerie, et je n'ai pas les moyens personnels d'y remédier.

Madame F.L. pourrait acquérir mes parts dans la société pour 1 EUR l'action et ensuite amener de la liquidité dans la société et permettre à celle-ci de passer ce cap difficile.

Si vous avez la possibilité de financer la SA à court terme, vous avez (le) loisir d'effectuer l'opération à sa place.

Je vous demanderais de bien réfléchir à la situation et de me faire connaître votre position.

En attente de vos nouvelles, veuillez recevoir monsieur, mes salutations les plus distinguées. »

° une lettre du 26 janvier 2007 adressée par Th.H. à « la société » dans laquelle celui-ci écrit:

« Monsieur,

Au vu de la mauvaise santé de la SA Le Vieux Château de la Neuville, je désire céder les 313 actions au porteur que je possède à madame F.L., allée du château 13, 4121 Neupré et cela pour environ 1 EUR l'action. »

° une lettre adressée le 14 février 2007 à F.L. par Th.H. en sa qualité d'administrateur délégué de « la société »:

« Chère madame,

Vous savez après nos différentes conversations concernant votre acquisition des actions que la SA Le Vieux Château éprouve de grosses difficultés, surtout au niveau de la trésorerie, de plus après une analyse à la grosse louche, il devrait y avoir une perte d'environ 50.000 EUR, sur l'exercice 2006.

Il vous faudra donc, comme je vous l'avais dit, et ne voulant pas que vous soyez surprise par des cadavres dans les armoires, injecter d'importantes liquidités à court terme.

Pour ma part, je suis prêt à vous aider, mais ne tiens pas à rester administrateur délégué.

En attente de vos nouvelles... »

° la réponse de F.L. datée du 20 février 2007:

« Monsieur,

Je sais, comme vous me l'avez dit, que votre société a de gros soucis.

Je suis toutefois prête à tenter l'aventure.

Je prendrai la place d'administrateur délégué mais je souhaite que vous restiez au conseil d'administration.

Nous pourrions en discuter dans les jours à venir. »

- Le 19 septembre 2007, une assemblée générale extraordinaire de « la société » prononce la dissolution du conseil d'administration et désigne en tant qu'administrateurs, F.L. qui exercera les fonctions d'administrateur délégué et Th.H.

- Le 2 octobre 2007, suite à une citation en divorce signifiée le 25 mai 2007, le tribunal de première instance de Liège admet le divorce entre les époux H.-E., lequel divorce est transcrit le 11 janvier 2008.

- Très rapidement mais à une date qui n'est pas autrement précisée, F.L. va rétrocéder les 313 actions qu'elle a acquises pour le prix de 1 EUR l'action à Th.H. au moyen d'un don manuel. Il importe de préciser à ce moment que F.L. est la mère d'A.W. qui n'est autre que la compagne de Th.H.

- Le 22 mars 2008, F.P. propose à nouveau à l'huissier de justice requis d'exécuter l'arrêt rendu le 11 septembre 2007 de la cour d'appel de céans qui le condamne à rembourser le prêt qui lui a été consenti par Th.H., que celui-ci prélève son dû sur le compte courant de « la société » qui lui doit une somme de 1.375.000 FB (jugement du 15 juin 2011 du juge des saisies de Liège, pt. 1, p. 2).

- Le 11 juin 2008, F.L. en sa qualité d'administrateur délégué de « la société » écrit à F.P. ce qui suit:

« Monsieur,

Je suis informée par monsieur H.Th., de son désir de vendre ses actions détenues dans la SA Le Vieux Château de la Neuville.

Il s'agit de 313 actions au porteur, l'acheteur est monsieur F.L., avenue de la Concorde 847, 62780 Stella Plage, France.

Le prix est de 1.000.000 EUR (un million d'euros).

Veuillez me faire savoir, dans les délais prévus par les statuts si vous désirez utiliser votre droit de préemption.

En attente de vos nouvelles, ... ».

- F.L. justifie de versements effectués en faveur du compte de « la société » à concurrence de 28.000 EUR du 10 mars au 27 août 2008, sous forme d'« apports en compte courant ».

- Le 25 mars 2009, dans le cadre du procès-verbal d'ouverture des opérations de liquidation-partage du régime matrimonial des époux H.-E., M.E. qui fut également en son temps administrateur de « la société » revendique la contre-valeur des 313 actions de la société vendues le 17 avril 2007 par Th.H. en fraude de ses droits. Ses prétentions sont contestées par Th.H. qui « se réserve d'établir que les parts ne ressortissent pas au patrimoine commun et conteste en tout état de cause les avoir vendues en fraude des droits de madame ».

- Le 8 mai 2009, F.P. qui se plaint du non-respect du droit de préemption qui lui était reconnu par les statuts de « la société » assigne Th.H. devant le tribunal de commerce de Liège en vue d'obtenir l'annulation de la vente conclue le 17 avril 2007 entre celui-ci et F.L. et la possibilité de faire valoir son droit de préférence sur les parts visées par cette convention et « sur toutes autres parts ».

- Le 29 juillet 2009, « la société » représentée par A.W. et Th.H., en leur qualité, respectivement d'administrateur délégué et d'administrateur, désignés à ces fonctions par décisions prises lors des assemblées générales des 19 septembre 2007 et 21 novembre 2008 va vendre des bâtiments, terres et terrains qui lui appartenaient.

- Le conseil d'administration du 21 novembre 2009 de la société porte que « suite à la vente de la propriété située Allée du Château 11 à 4121 Neuville-en-Condroz, une réunion d'information avec les clients a été organisée le vendredi 20 novembre 2009. Il y fut annoncé l'arrêt de l'activité du centre équestre à partir du 1er janvier 2010, elle sera confirmée par un recommandé aux clients ». Aucune indication précise n'est fournie par les parties à propos de la situation actuelle de « la société ».

- Le 9 avril 2010, F.P. cite F.L. en intervention et déclaration de jugement commun.

- Devant le tribunal de commerce de Liège, les prétentions des parties étaient les suivantes:

F.P. demandait

- que soit annulée la vente intervenue entre Th.H. et F.L. des 313 parts pour 313 EUR,

- qu'il lui soit permis de faire valoir son droit de préférence sur la vente de ces 313 parts pour un montant total de 313 EUR et « toute autre vente éventuelle d'autres parts de 'la société' »,

- que sa demande en intervention et déclaration de jugement commun contre F.L. soit déclarée recevable et fondée,

- que Th.H. et F.L. soient condamnés solidairement aux dépens liquidés à 1.539,41 EUR,

- l'exécution provisoire du jugement, nonobstant tout recours et sans caution, ni cantonnement « car il existe un risque certain que Th.H. ne liquide la société » (conclusions déposées le 29 juillet 2010).

Th.H. postulait

- à titre principal, qu'il soit dit qu'il n'y a pas eu violation de la clause de préemption lors de la cession par lui de ses titres,

- à titre subsidiaire, que l'action en nullité soit rejetée « vu le principe de la relativité des effets internes des conventions et par conséquent (qu'il soit) dit que la partie demanderesse ne peut obtenir l'annulation d'une vente par rapport à laquelle elle ne prouve pas que le cessionnaire serait tiers complice »,

- à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse d'une nullité de la cession d'actions litigieuse, qu'il soit dit que les actions cédées retournent dans le patrimoine du cédant, à l'exclusion du patrimoine du candidat bénéficiaire de la clause de préemption,

- à titre reconventionnel, la condamnation de F.P. au paiement de 2.500 EUR à titre de dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire, sans préjudice de la possibilité pour le tribunal de le condamner au paiement d'une amende civile,

- la condamnation de F.P. aux dépens liquidés à 2.000 EUR (conclusions déposées le 30 août 2010).

F.L. concluait quant à elle au rejet de l'action dirigée à son encontre et à la condamnation de F.P. aux dépens liquidés à 1.200 EUR.

- Le tribunal de commerce de Liège, dans son jugement du 13 janvier 2011,

- dit les demandes principale et en intervention recevables et, d'ores et déjà, très largement fondées,

- prononce la nullité de la cession des 313 actions de « la société » intervenue le 17 avril 2007 entre Th.H. et F.L.,

- dit pour droit que F.P. peut exercer son droit de préemption sur la cession de ces 313 actions pour le prix d'1 EUR par action soit 313 EUR et autorise dès lors l'exercice de ce droit de préemption,

- déclare le jugement commun à F.L.,

- dit la demande reconventionnelle recevable mais non fondée,

- réserve à statuer pour le surplus et renvoie la cause au rôle,

- autorise l'exécution provisoire de la décision nonobstant tout recours et sans caution. Les premiers juges considèrent en effet que

- « la cession du 17 avril 2007 à F.L. par Th.H. est donc intervenue en contravention des statuts » (jugement, pt. 3.1.4., p. 6),

- « la cession litigieuse n'est pas seulement intervenue en violation des statuts mais elle révèle au surplus une véritable fraude aux droits de F.P. - seul actionnaire aux côtés de Th.H. - en ce que ce dernier a reconnu de manière implicite mais néanmoins certaine qu'à une date non précisée mais néanmoins très proche de la cession du 17 avril 2007, F.L. lui a fait don des 313 actions, ce que le conseil de Th.H. a formellement confirmé à l'audience du 18 novembre 2010.

(…)

La cession à titre gratuit des actions litigieuses par F.L. à Th.H. n'avait aucune justification économique et Th.H. ne prétend du reste en apporter aucune.

La quasi-simultanéité des opérations est en soi révélatrice de la fraude. » (jugement, pt. 3.1.5., p. 6),

- « en aucune manière F.L. n'a eu l'intention d'acquérir les parts de la société en vue du renflouement de celle-ci et (...) bien au contraire, elle a en toute connaissance de cause participé à une opération de fraude aux droits que F.P. pouvait tirer du droit de préemption, droit qu'elle connaissait lors de la signature de la convention dès lors qu'elle a reconnu, à ce moment, avoir pris connaissance des statuts.

Le caractère frauduleux de la cession du 17 avril 2007 est encore révélé par la volonté manifestée, en juin 2008, par Th.H. de vendre les 313 actions au porteur à un sieur F.L. pour le prix de 1.000.000 EUR. La fraude résulte plus précisément du caractère dérisoire du prix de 313 EUR au regard de celui d'1.000.000 EUR envisagé un an plus tard alors que la situation (...) de la société n'était pas plus florissante.

Enfin, s'il le fallait encore, la fraude est à nouveau démontrée par l'affirmation de Th.H. selon laquelle il n'aurait jamais cédé ces titres s'il avait pensé que le premier cité (F.P.) allait exercer son droit de préemption. » (jugement, pt. 3.1.6., p. 7),

- « La mauvaise foi qui caractérise le comportement de Th.H. empêche en outre celui-ci de se prévaloir du don fait à son profit par F.L., sa tierce complice (jugement, pt. 3.1.7., p. 8).

Pour ce qui est de la demande de F.P. tendant à pouvoir exercer son droit de préférence sur toute autre vente éventuelle d'autres parts de « la société », les premiers juges considèrent qu'elle n'est pas suffisamment instruite et réservent à statuer à cet égard.

- Le 10 février 2011, Th.H. fait procéder à la saisie-exécution mobilière des 313 actions en dehors du domicile de F.P. F.P. forme opposition à cette saisie et plaide le caractère abusif de cette voie d'exécution « dès lors que l'objectif de monsieur H. est de récupérer les 313 actions qu'il a été condamné à revendre à monsieur P. suite au jugement prononcé par le tribunal de commerce le 13 janvier 2011 » (jugement du 15 juin 2011 du juge des saisies de Liège, pt. 2, p. 2). Le juge des saisies décide qu'il n'en est rien « dès lors qu'il n'apparaît pas des pièces déposées que monsieur P. disposerait d'un autre actif aisément saisissable » (jugement, pt. 4, pp. 3 et 4). L'opposition est déclarée recevable mais non fondée.

Prétentions des parties en appel

Th.H. conclut à la réformation intégrale du jugement entrepris et au rejet de l'action introduite avec condamnation de F.P. aux dépens des deux instances liquidés à 2.706 EUR.

F.P. conclut quant à lui à la confirmation du jugement entrepris et à ce que Th.H. soit condamné aux dépens des deux instances liquidés à 2.979,41 EUR. Il forme un appel incident en ce sens qu'il demande à pouvoir exercer son droit de préférence sur « toute autre vente éventuelle d'autres parts de la (société) ».

Cette demande ne manque pas d'étonner dès lors que le capital de la société est représenté par 363 parts sociales, soit les 313 parts litigieuses et les 50 parts dont F.P. est propriétaire depuis le jour de la constitution de « la société » (statuts coordonnés, art. 5).

F.L. réputée tierce complice par le jugement du 13 janvier 2011 n'a pas interjeté appel de celui-ci et elle n'a pas été intimée, ni appelée à la cause en degré d'appel par les autres protagonistes de l'affaire.

Discussion

F.P. se prévaut donc du non-respect par Th.H. de la clause de préférence prévue par les articles 9 B et 9bis des statuts coordonnés de la société qui spécifient que l'actionnaire qui veut céder tout ou partie de ses titres doit en informer préalablement le conseil d'administration par lettre recommandée en lui communiquant l'identité précise du cessionnaire, le nombre de titres à céder, les conditions de la cession envisagée, et que le conseil d'administration doit ensuite informer les actionnaires par courrier recommandé de la cession proposée en indiquant l'identité du cédant et du candidat cessionnaire, le prix demandé ainsi que le délai fixé pour l'exercice du droit de préemption qui ne peut être inférieur à 2 mois à compter de la notification.

Il est établi que ces formalités n'ont pas été respectées. La seule information donnée par lettre recommandée à F.P. le 6 juin 2006 intervient en effet plus de 7 mois avant que Th.H. notifie au conseil d'administration de « la société » son intention de céder ses 313 actions au porteur à F.L. pour le prix de 1 EUR l'action; elle est d'autre part équivoque puisque c'est le conditionnel qui est employé « Madame F.L. pourrait acquérir mes parts » et qu'aucun délai n'est indiqué quant à l'exercice par F.P. du droit de préemption. Le courrier du 26 janvier 2007 dont Th.H. se prévaut également, en page 6 de ses conclusions, a été adressé à la société et n'a pas reçu de suite de la part du conseil d'administration qui n'a pas invité F.P. à exercer son droit de préemption dans les formes et délais prévus par les statuts. C'est à tort que Th.H. se prévaut d'une application « téléologique » de la procédure statutairement prévue. A aucun moment, F.P. n'a été invité à exercer son droit de préemption dans un délai précis.

L'appelant se prévaut en vain de la relativité des effets internes des conventions et soutient que F.L. n'était pas liée par la clause de préemption.

Il est en effet jugé que le tiers acquéreur des actions était de mauvaise foi et tiers complice du non-respect par Th.H. du pacte de préférence prévu par les statuts de la société.

Il s'agit donc de déterminer les conséquences de la violation commise par Th.H. du pacte de préférence statutaire avec la tierce complicité de F.L.

« Si le droit des sociétés réserve donc un sort particulier à ces pactes de préférence, on constate cependant que pour les aspects non spécifiquement réglementés par le droit des sociétés, on en revient spécifiquement au droit commun. C'est le cas notamment en ce qui concerne les sanctions du non-respect du pacte de préférence, l'application du principe de relativité des conventions et des théories de la tierce complicité » (A. Vanwyck-Alexandre et S. Bar, « Le pacte de préférence ou le droit de conclure par priorité », CUP, vol. 75, 09/2004, n° 4 et la note 5, p. 140).

Pour ce qui concerne la question de la sanction en cas de violation du pacte, les mêmes auteurs écrivent ce qui suit:

« Une distinction importante est opérée selon que le tiers contractant est ou non de bonne foi.

- Si le tiers contractant est de bonne foi, le bénéficiaire du pacte devra se contenter de dommages et intérêts.

- Si le tiers contractant est de mauvaise foi, il sera considéré comme tiers complice de la violation du pacte, ce qui permettra au juge d'annuler purement et simplement le contrat.

Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 22 avril 1983, il est admis que la responsabilité du tiers peut être engagée sur base de la théorie de la tierce complicité dès lors qu'il connaissait ou devait connaître le lien contractuel violé et qu'il avait néanmoins participé à sa violation. La responsabilité du tiers contractant pourra donc, dans l'hypothèse d'un pacte de préférence, être engagée dès lors qu'il savait ou devait savoir qu'un pacte de préférence avait été consenti relativement à ce contrat par son cocontractant. Dans ces conditions, le bénéficiaire du pacte pourra obtenir l'annulation du contrat conclu au mépris de son droit.

(…)

Concernant la sanction appliquée en cas de tierce complicité, on peut se demander si le juge peut aller jusqu'à adjuger le bien au profit du bénéficiaire du pacte après avoir annulé la vente conclue avec le tiers complice. (...)

Pour notre part, nous pensons qu'à partir du moment où le vendeur a pris la décision de vendre et que le bénéficiaire a manifesté sa volonté d'acheter, la logique du système veut que le juge puisse prononcer l'annulation de la vente non point par retour du bien aux mains du vendeur mais par adjudication du bien au bénéficiaire, si du moins celui-ci l'avait demandé, manifestant ainsi sa volonté d'exercer son droit de préférence » (A. Vanwyck-Alexandre et S. Bar, o.c., nos 45, 46, p. 170, 171; nos 50, 51, p. 174).

Telle est également l'opinion du professeur Wéry (Précis de droit des obligations, 2e éd., Larcier, 2011, n° 658, p. 623).

« La jurisprudence admet également la 'réparation en nature'. Il serait plus exact de parler de la situation illicite, car c'est à la source même du dommage que s'attaquent les tribunaux. Celle-ci peut notamment se traduire par un ordre de cessation de la pratique déloyale, par l'inopposabilité au créancier du contrat litigieux passé entre le débiteur et le tiers voire, par la nullité de ce contrat.

La Cour de cassation a fait une intéressante application de ce principe dans une affaire relative à la violation d'un pacte de préférence. Dans la ligne de son arrêt du 30 janvier 1965, la Cour déclare, dans un arrêt du 27 avril 2006, que le créancier victime de la violation de ce droit de préférence peut exiger la réparation en nature. La Cour affirme qu' 'en principe, l'inobservation par le vendeur du droit de préférence n'entraîne pas la nullité de la vente' mais que 'lorsque l'acquéreur se révèle responsable de la rupture du contrat, car tiers-complice de cette rupture, et que le vendeur est également à la cause, le juge peut prononcer la nullité de la vente à titre de réparation du dommage subi par le bénéficiaire du droit de préférence (...)'.

La Cour de cassation française a récemment franchi un pas supplémentaire, en admettant la substitution du bénéficiaire du pacte de préférence au tiers ayant traité avec le débiteur: 'si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que le tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir'. Certains auteurs belges y sont, à juste titre favorables » et le professeur Wéry mentionne outre A. Vanwyck-Alexandre et S. Bar, précités, J. Dewez, « Le régime juridique du pacte de préférence et les sanctions de sa violation: nouvelles perspectives », R.G.D.C., 2008, pp. 435 et s.

Le professeur Van Ommeslaghe confirme que « La sanction de la violation d'un pacte de préférence est la même que celle du pacte de préemption en général. Une vente consentie au mépris du pacte de préférence au profit d'un acquéreur qui s'est rendu complice de cette violation pourra être annulée.

Mais en outre, la jurisprudence reconnaît en pareil cas au juge le droit, après avoir annulé la vente litigieuse, de constater l'existence d'une vente au profit du bénéficiaire de la clause de préférence et d'ordonner l'exécution de celle-ci:

- Bruxelles, 16 septembre 1999, J.T., 2001, 71.

- Civ. Bruxelles, 10 mars 1992, Pas., III, p. 62.

- Comm. Namur, 22 février 1990, T.R.V., 1991, 234, note H. Laga. »

(Droit des obligations, Bruylant 2010, t. 1er, n° 380, p. 587). A cette jurisprudence, il est permis d'ajouter Comm. Ypres, 23 juin 2003, R.W., 2005-2006, liv. 12, 468; J.L.M.B., 2006/02, p. 84; J.D.S.C., 2008, livre 7, pp. 87 et s.

En l'espèce, il n'y a toutefois pas lieu de s'engager dans cette voie. Il est permis en effet de douter de la sincérité des parties contractantes car il apparaît, ainsi que le tribunal de commerce l'a relevé à bon droit, que F.L. s'est empressée de rétrocéder au vendeur sous forme d'une donation les 313 actions qu'elle venait d'acquérir, tandis que ce n'est qu'en 2008, qu'elle injectera des fonds dans « la société » dont sa fille était entre-temps devenue l'administrateur délégué, sous forme d'avances en compte courant.

A la différence des premiers juges, la cour n'est cependant pas convaincue que le mécanisme frauduleux, car fraude il y a bien eu, a été mis en place en vue de préjudicier F.P. Il semble bien en réalité que l'intention réelle de Th.H. et de F.L. ait été de « consolider » les droits du premier dans la société afin de les mettre à l'abri des revendications de l'épouse de celui-ci à l'issue du divorce qui s'annonçait.

La décision des premiers juges qui prononce la nullité de la convention du 17 avril 2007 doit être entièrement approuvée. Il n'y a toutefois pas lieu, dans les circonstances concrètes de la cause, d'aller au-delà et d'ordonner le transfert des 313 actions de Th.H. vers le patrimoine de F.P. moyennant le paiement de 313 EUR. Il s'agit en effet de réparer le dommage subi par celui-ci et non de lui permettre de s'enrichir.

L'annulation de la vente litigieuse et par voie de conséquence de la donation qui l'a suivie immédiatement, les deux opérations étant indissociables, réparera adéquatement le dommage subi par F.P. puisque « une fois le contrat annulé, le pacte de préférence subsiste de telle sorte que s'il décidait à nouveau de conclure le contrat visé, le propriétaire serait de nouveau contraint de mettre en oeuvre le pacte de préférence » (A. Vanwyck-Alexandre et S. Bar, o.c., n° 47, p. 172).

Cette solution s'impose d'autant que « Dans l'hypothèse où il s'avère peu probable que l'actionnaire vendeur ait offert ses actions s'il avait dû respecter le pacte de préférence, l'adjudication ne constitue pas la réparation la plus appropriée: si, en effet, en l'absence d'une faute contractuelle, un statu quo de la propriété des actions se serait présenté, la réparation ne peut avoir pour effet que la restauration de la situation antérieure. » (K. Geens, « L'opposabilité d'une clause statutaire d'agrément ou de préemption », Liber amicorum CDVA, Bruylant, 1998, n° 24, pp. 522 et 523).

Il n'y a pas lieu en l'état actuel de la procédure d'autoriser F.P. à faire valoir son droit de préférence « sur toute autre vente éventuelle d'autres parts de (la société) » puisqu'il n'apparaît pas que Th.H. ait manifesté dès à présent l'intention de vendre à nouveau tout ou partie des 313 actions litigieuses.

Les parties échouant l'une et l'autre sur quelque chef, les dépens d'instance et d'appel doivent être compensés, à l'exception des frais de la citation en intervention forcée et déclaration de jugement commun qui échappent à la saisine de la juridiction d'appel puisqu'aucun recours n'a été exercé pour ce qui concerne cette question réservée par les premiers juges.

Par ces motifs

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935.

La cour, statuant contradictoirement dans les limites de sa saisine et en vertu de l'effet dévolutif de l'appel,

Reçoit les appels,

Confirme le jugement entrepris sous l'émendation que l'adjudication à F.P. des 313 actions de Th.H. moyennant le paiement du prix de 1 EUR l'action est supprimée;

Déboute F.P. du surplus de ses prétentions et compense les dépens des deux instances entre les parties comparantes en degré d'appel, en ce que chaque partie supporte les siens.

(…)