Article

Cour d'appel Liège (14e ch.), 31/01/2013, R.D.C.-T.B.H., 2015/4, p. 349-352

Cour d'appel de Liège (14e ch.)31 janvier 2013

SOCIÉTÉS
Société privée à responsabilité limitée - Capital - Libération du capital souscrit - Gérant et associé unique
La régularité de la libération du solde du capital souscrit ne peut être remise en cause lorsque le seul gérant d'une SPRL était également l'associé unique de celle-ci, disposant de « la totalité des pouvoirs de gérance » en vertu des statuts et donc du pouvoir de demander la libération du solde du capital souscrit. Le fait qu'il ne se soit pas écrit à lui-même pour réclamer ce paiement ne permet pas de conclure à son irrégularité dès lors que la réalité du versement avec l'indication précise de sa destination est acquise.
PRESCRIPTION (DROIT CIVIL)
Durée - Délais généraux de prescription - 5 + 20 ans extracontractuelles - Action fondée sur l'article 18 de la loi sur les faillites
Même s'il ne s'agit pas stricto sensu d'une action destinée à retenir la responsabilité extracontractuelle de celui qui a reçu, en période suspecte et en connaissance de la cessation des paiements du futur failli, un paiement de sa part, il n'en demeure pas moins que l'action en inopposabilité fondée sur l'article 18 de la loi sur les faillites qui tend à réparer le préjudice subi par la masse des créanciers rentre bien dans le cadre général du régime d'exception prévu par l'article 2262bis, § 1er, alinéa 2, du Code civil.
VENNOOTSCHAPPEN
Besloten vennootschap met beperkte aansprakelijkheid - Kapitaal - Volstorting van het geplaatst kapitaal - Zaakvoerder en enige vennoot
De regelmatigheid van de volstorting van het saldo van het geplaatst kapitaal kan niet worden betwist indien de enige zaakvoerder van een BVBA ook de enige aandeelhouder daarvan is en hij statutair beschikt over “alle beheersbevoegdheden”, met inbegrip van de bevoegdheid om de volstorting van het saldo van het geplaatst kapitaal op te vragen. Het feit dat hij niet naar zichzelf heeft geschreven om deze betaling op te vragen kan niet leiden tot de onregelmatigheid van de betaling omdat de werkelijkheid van de betaling, met een precieze aanwijzing van de bestemming daarvan, vaststaat.
VERJARING (BURGERLIJK RECHT)
Duur - Algemene verjaringstermijnen - 5 + 20 jaar buitencontractueel - Vordering op grond van artikel 18 van de faillissementswet
Dat het niet stricto sensu om een vordering gaat tot het weerhouden van de buitencontractuele aansprakelijkheid van diegene die, in de verdachte periode en met kennis van de staking van betaling van de toekomstige gefailleerde, een betaling van deze laatste heeft ontvangen, neemt niet weg dat de vordering tot niet-tegenstelbaarheid op grond van artikel 18 van de faillissementswet die tot doel heeft de schade geleden door de massa van schuldeisers te herstellen binnen het algemene kader valt van het uitzonderingsregime bepaald in artikel 2262bis, § 1, tweede alinea van het Burgerlijk Wetboek.

G.X. et Ch.Y.

Siég.: M. Ligot (président), A. Manka et Th. Lambert (conseillers)
Aff.: 2011/RG/1749

Vu la requête du 22 novembre 2011 par laquelle G.X. interjette appel du jugement rendu le 25 octobre 2011 par le tribunal de commerce de Namur.

Vu les conclusions et dossiers des parties.

Antécédents

G.X. et Ch.Y. ont constitué le 9 février 2001 la SPRL W. 2000 au capital de 18.600 EUR. G.X. a souscrit 185 parts et Ch.Y. 1 part.

Le capital est libéré à concurrence de 6.230,65 EUR et G.X. est désigné en tant que gérant non statutaire.

Le 30 décembre 2003 à 9 heures 51, G.X., qui à cette date est le seul titulaire de l'ensemble des parts de la société, verse à partir de son compte 360-(…) sur le compte de la société la somme de 12.500 EUR. Le virement mentionne à titre de communication « libération solde du capital SPRL W. 2000 ».

Une minute plus tard, G.X., agissant cette fois en tant que gérant de la société, donne à la banque un ordre de transfert de la somme de 12.000 EUR vers le compte 360-(…) dont il est titulaire. L'ordre de transfert porte la communication suivante: « acompte sur retard salaire 2003 ».

Il justifie ce paiement par l'existence dans son chef d'une créance de 19.087,75 EUR à titre d'arriérés de rémunération, le dernier paiement de sa rémunération mensuelle étant intervenu le 14 janvier 2003.

Le 23 février 2004, G.X. fait aveu de faillite pour le compte de la SPRL W. 2000. La faillite est déclarée le 26 février 2004 et Me P.-E. Ghislain est désigné en tant que curateur.

Le 6 août 2004, le curateur qui considère que le capital n'a pas été valablement libéré met en demeure G.X. de rembourser la somme de 12.400 EUR, correspondant au capital restant à libérer suivant les derniers comptes annuels approuvés le 21 juin 2003. Il ajoute dans son courrier au sujet du remboursement effectué 30 décembre 2003 que « cette opération s'est en outre déroulée en période suspecte et n'est pas opposable aux créanciers de la faillite ».

Le 18 août 2004, le curateur assigne la SPRL W. 2000 en vue d'obtenir le report de la date de cessation des paiements.

Par jugement du 2 février 2006, le tribunal de commerce de Namur dit pour droit que la date de cessation des paiements de la société faillite remonte au 26 août 2003.

Le 22 octobre 2010, le curateur assigne G.X. devant le tribunal de commerce de Namur. Il postule « qu'il soit dit pour droit que le paiement effectué (à son profit) au titre de paiement de sa rémunération de gérant est inopposable à la masse de même que la prétendue libération du capital social »; il demande en conséquence que G. X. soit condamné à lui payer 12.369,35 EUR majorés des intérêts moratoires aux différents taux légaux depuis la mise en demeure du 6 août 2004 et les intérêts judiciaires.

En cours de procédure, le curateur précise sa demande en ce sens qu'il postule

- qu'il soit dit pour droit que le paiement effectué à son profit le 30 décembre 2003 par G.X., agissant en qualité de gérant de la SPRL W. 2000 est inopposable à la masse;

- que G.X. soit condamné à lui payer 12.000 EUR majorés des intérêts moratoires depuis le 30 décembre 2003 et les intérêts judiciaires;

- à titre subsidiaire, que G.X. soit condamné à lui payer 12.369,35 EUR à titre de libération du capital social, cette somme étant majorée des intérêts moratoires depuis le 6 août 2004, date de la mise en demeure, et des intérêts judiciaires;

- dans tous les cas, que G.X. soit condamné aux dépens (conclusions de synthèse du 3 juin 2011).

Le tribunal de commerce, après avoir rejeté l'exception de prescription soulevée par G.X., accueille l'action du curateur sur pied de l'article 18 de la loi sur les faillites et condamne G.X. à lui payer 12.000 EUR à majorer des intérêts au taux légal depuis le 30 décembre 2003 ainsi qu'aux dépens liquidés à 238,79 EUR.

Objet de l'appel

G.X. réitère l'exception de prescription qu'il avait soulevée sur base de l'article 2262bis, § 1er, alinéa 2, du Code civil; à titre subsidiaire, il conclut au défaut de fondement de la demande du curateur et postule la condamnation de celui-ci aux dépens des deux instances liquidés à 2.606 EUR.

Discussion

La régularité de la libération du solde du capital ne peut être remise en cause. G.X. était en effet à la date du 30 décembre 2003 l'associé unique de la SPRL W. 2000 et le seul gérant de la société, disposant de « la totalité des pouvoirs de gérance » en vertu de l'article 10 des statuts. Il disposait donc bien du pouvoir de demander la libération du solde du capital souscrit. Le fait qu'il ne se soit pas écrit à lui-même pour réclamer ce paiement ne permet pas de conclure à son irrégularité dès lors que la réalité du versement avec l'indication précise de sa destination est acquise.

Seul le paiement effectué le même jour par la SPRL W. 2000 est critiquable.

La demande du curateur est basée sur l'article 18 de la loi sur les faillites. L'appelant y oppose à titre principal l'exception de prescription prévue par l'article 2262bis, § 1er, alinéa 2, du Code civil. A titre subsidiaire, il conclut que les conditions d'application de l'article 18 de la loi sur les faillites ne sont pas réunies.

« L'article 2262bis, § 1er, énonce, en son alinéa 1er, que toutes les actions personnelles se prescrivent par 10 ans, et, en son alinéa 2, que par dérogation à l'alinéa précédent, toute action en réparation d'un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle se prescrit par 5 ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a connaissance du dommage ou de son aggravation et de l'identité de la personne responsable.

Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 10 juin 1998, à l'origine de ces dispositions, que le champ d'application de l'alinéa 2 comprend tous les cas de responsabilité civile extracontractuelle, tant à base de faute que sans faute ou objective » (Cass., 20 janvier 2011, R.G.A.R., 2011/4, n° 14.733).

« Que faut-il entendre par 'toute action en réparation d'un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle'? L'expression doit s'interpréter largement et vise tous les cas d'agissements fautifs, en raison de la violation tant d'une norme légale que du devoir général de prudence, y compris la responsabilité objective et sans faute. » (C. Eyben, « Quels délais pour la prescription? », La prescription extinctive, Etudes de droit comparé, Bibliothèque de la Faculté de Droit de l'Université Catholique de Louvain, volume 50, Bruylant, 2010, n° 36, p. 25; voy. projet de loi modifiant certaines dispositions en matière de prescription, exposé des motifs, Ch. repr., 1996-1997, 18 juin 1997, 1087/1, p. 11; dans le sens d'une interprétation large de ce régime d'exception: M. Marchandise, La prescription libératoire en matière civile, Dossiers du J.T., n° 64, n° 49, p. 56).

Il est admis que l'action paulienne échappe au délai décennal puisqu'elle a un fondement quasi délictuel; elle rentre dans le cadre de l'article 2262bis, § 1er, alinéa 2, du Code civil et est soumise au délai de prescription prévu par cette disposition (C. Eyben, o.c., n° 24, p. 20).

Qu'en est-il de l'action prévue par l'article 18 de la loi sur les faillites?

« La raison d'être de cette disposition est, encore une fois, la lésion de l'égalité des créanciers; ceux qui ont accepté de traiter avec le débiteur ou même de recevoir un paiement alors qu'ils savaient que celui-ci était en état de cessation de paiement et donc dans l'obligation de déposer son bilan, devront remettre les choses dans leur état primitif ». Il s'agit donc de réparer un préjudice subi par la masse des créanciers (T.P.D.C., t. 2, éd. 2010, pp. 387 et 389, nos 401 et 402).

« Trois conditions doivent être remplies pour prononcer (l')inopposabilité (prévue par cette disposition): il convient que l'acte intervienne durant la période suspecte, qu'il ait été posé alors que le créancier avait connaissance de l'état de cessation de paiement et qu'il ait causé préjudice à la masse. Il n'est par contre pas requis que le créancier ait agi de mauvaise foi ou frauduleusement. » (I. Verougstraete et al., Manuel de la continuité des entreprises et de la faillite, éd. 2010-2011, Kluwer, n° 3.3.7.27).

Même s'il ne s'agit pas stricto sensu d'une action destinée à retenir la responsabilité extracontractuelle de celui qui a reçu, en période suspecte et en connaissance de la cessation des paiements du futur failli, un paiement de sa part, il n'en demeure pas moins que cette action en inopposabilité qui tend à réparer le préjudice subi par la masse des créanciers rentre bien dans le cadre général du régime d'exception prévu par l'article 2262bis, § 1er, alinéa 2, du Code civil.

En effet, « Parmi les actes que la loi rend annulables s'ils ont été accomplis durant la période suspecte, plusieurs n'impliquent pas, par eux-mêmes, que le débiteur et son cocontractant, soient de mauvaise foi. Ces actes deviennent condamnables aux yeux de la loi, non pas pour avoir été accomplis dans une mauvaise intention mais à un mauvais moment.

Qu'ils s'agissent d'actes élisifs de la bonne foi ou non, de toute façon, s'ils ont été accomplis en un temps ou d'une manière que la loi sanctionne, leur accomplissement constitue une faute aquilienne, dit-on, en tant que contravention à une obligation légale de s'abstenir de tels actes à un moment donné. » (A. Cloquet, Les concordats et la faillite, Les Novelles, Droit commercial, t. IV, Larcier, 2005, n° 301, p. 102, et les références).

« L'inopposabilité n'intervient que parce qu'il a été établi que le créancier savait la déroute de son débiteur et par cette attitude consciente, a nui aux intérêts de l'ensemble des créanciers: une faute a été commise. » (W. De Rijcke et F. T'Kint, La faillite, Rép. not., t. XII, livre 12, éd. 2006, n° 342, p. 277).

Il faut enfin ajouter que « les auteurs attribuent à (la) nullité (prévue par l'art. 446 de la loi du 18 avril 1851 actuellement remplacée par l'inopposabilité visée par l'art. 18 de la loi sur les faillites), la même nature qu'à celle qui est fondée sur l'action paulienne ». Certains l'appellent une action paulienne adoucie (Fredericq, VII, 104 et réf. cit., et 134). Ce terme s'explique si l'on considère que les conditions exigées par cette nullité sont moins difficiles à prouver que dans l'action paulienne. Mais ce serait au contraire, d'une action paulienne renforcée qu'il conviendrait de parler, si l'on se place au point de vue de la protection plus grande que l'article 446 accorde à la masse faillie. De toutes façons, la base est différente. Ce n'est pas la fraude qui est réprimée, mais la lésion de l'égalité entre les créanciers (A. Cloquet, o.c., n° 316, p. 107 et les références).

C'est en vain que pour tenter d'échapper à la prescription que le curateur soutient que « le dommage n'a existé qu'au jour où il a été décidé par le tribunal de commerce de Namur que la date de cessation des paiements remontait au 26 août 2003, faisant ainsi tomber l'acte de l'appelant en période suspecte » (conclusions de synthèse, p. 8). Ce raisonnement ne peut être suivi.

L'acte dommageable pour la masse a été posé le 30 décembre 2003. Le curateur en a pris connaissance à l'occasion de la descente de faillite le 15 mars 2004 et il a écrit à l'appelant le 6 août 2004 que « cette opération (soit le paiement litigieux) s'est en outre déroulée en période suspecte et n'est pas opposable aux créanciers de la faillite ». Le curateur a pris connaissance du dommage subi par la masse le 15 mars 2004. Le fait que la date précise de cessation des paiements n'ait été déterminée que par un jugement intervenu le 2 février 2006 n'y change rien.

L'action introduite par citation du 22 octobre 2010 est donc tardive en ce qu'elle se fonde sur l'article 18 de la loi sur les faillites.

Par ces motifs

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935.

La cour, statuant contradictoirement

Reçoit l'appel,

Réformant le jugement entrepris,

Reçoit la demande et la déclare non fondée en ce qu'elle tend à la libération du solde du capital de la SPRL W. 2000; la déclare prescrite en ce qu'elle est fondée sur l'article 18 de la loi sur les faillites;

Condamne Me P.-E. Ghislain en sa qualité de curateur à la faillite de la SPRL W. 2000 aux dépens des deux instances liquidés pour l'appelant à 2.606 EUR.

(…)