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L'applicabilité de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises en cas d'arbitrage commercial international, R.D.C.-T.B.H., 2015/4, p. 339-348

L'applicabilité de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises en cas d'arbitrage commercial international

Nikolay Marinov [1]

TABLE DES MATIERES

Introduction

I. Le choix des parties d'appliquer la Convention de Vienne A. Choix « direct » de la Convention de Vienne

B. Choix « indirect » de la Convention de Vienne

C. Exclusion de la Convention de Vienne

II. Choix du tribunal arbitral d'appliquer la Convention de Vienne

A. L'application directe de la Convention de Vienne

B. L'application indirecte de la Convention de Vienne En général

Effet de la réserve prévue à l'article 95

C. L'application de la Convention de Vienne au titre de la lex mercatoria

Conclusion

RESUME
La question de l'applicabilité de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises en tant que droit régissant le fond du litige en cas d'arbitrage commercial international a fait (et fait toujours) l'objet de discussions aussi bien en doctrine qu'en jurisprudence arbitrale. Le présent article examine et fournit au lecteur un aperçu critique de l'état de la question.
SAMENVATTING
De vraag betreffende de toepasselijkheid van het Weens Koopverdrag (CISG) als materieel recht voor de oplossing van geschillen in geval van internationale arbitrage is het voorwerp geweest (en is het nog steeds) van discussies zowel in de rechtsleer als in de arbitrale rechtspraak. Huidig artikel onderzoekt en biedt de lezer een kritisch overzicht van de stand van zaken.
Introduction [2]

1.L'arbitrage commercial international peut être défini comme le « mécanisme établi spécialement pour la résolution finale et contraignante de litiges relatifs à une relation contractuelle ou autre présentant un élément d'extranéité, par des arbitres indépendants, en accord avec les procédures, les structures et les standards substantiels légaux ou non choisis directement ou indirectement par les parties » [3].

La mondialisation des échanges économiques depuis la seconde moitié du XXe siècle, mais aussi l'exigence de règlement rapide des conflits propres à l'activité commerciale, ont contribué à l'essor fulgurant de cette pratique. En témoignent la multiplication des centres permanents d'arbitrage dans le monde entier, ainsi que le nombre des arbitrages engagés pour régler les litiges du commerce international [4].

2.Une des questions qui reviennent le plus souvent en la matière est celle relative au droit applicable. A cet égard, signalons dès à présent qu'en cas d'arbitrage international, cette question peut viser plusieurs choses [5], à savoir: (1) le droit applicable à la convention d'arbitrage (lequel peut être différent du droit applicable au contrat principal en vertu du principe de l'autonomie de la convention d'arbitrage); (2) le droit applicable à la procédure arbitrale (appelé encore loi d'arbitrage ou lex arbitri); (3) le droit applicable au fond du litige (appelé encore lex causae). De manière générale, il est admis que ces droits peuvent différer, les parties jouissant d'une grande liberté dans leur détermination en vertu du principe de l'autonomie de la volonté, clé de voûte du mécanisme de l'arbitrage international.

3.Tout en reconnaissant un intérêt majeur à chacune de ces questions, dans le cadre du présent article nous n'examinerons que celle liée à la lex causae, soit le droit applicable au fond du litige. Plus précisément encore, nous aborderons la question de l'applicabilité de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises [6] (ci-après la Convention de Vienne ou CVIM) en tant que droit régissant le fond du litige en cas d'arbitrage commercial international. Cette question a fait (et fait toujours) l'objet de discussions aussi bien en doctrine qu'en jurisprudence arbitrale. Nous allons donc fournir au lecteur un aperçu critique de l'état de la question avant de nous positionner par rapport à celle-ci.

L'intérêt pratique de l'article est quant à lui aisément perceptible compte tenu de l'importance qu'ont prise aussi bien la Convention de Vienne que la pratique de l'arbitrage dans la vie des affaires, mais aussi en raison de l'étroite relation que les deux entretiennent entre elles. Ainsi, sur la base d'une étude réalisée en 2008, des auteurs ont pu constater que 70% des affaires relatives à la CVIM sont traitées dans le cadre d'un arbitrage, ce qui rend ce procédé le principal forum pour la résolution des différends en matière de vente internationale [7]. Vu l'importance de la question en pratique, la présente contribution se retrouve ainsi pleinement justifiée.

4.Il va de soi que cette contribution ne prétend pas d'être exhaustive. Elle se veut plutôt « spécialisée », car nous consacrerons une attention particulière à certaines questions qui troublent souvent les praticiens et qui font l'objet de controverses.

Par souci de clarté, nous diviserons l'article en deux parties: dans la première partie, nous examinerons l'hypothèse dans laquelle les parties auraient elles-mêmes désigné la Convention de Vienne comme applicable au fond de leur litige (I), alors que dans la seconde partie, nous nous intéresserons plus particulièrement à la question de l'applicabilité de la Convention de Vienne par les arbitres en l'absence d'un choix des parties (II). Nous terminerons notre analyse par une brève conclusion.

I. Le choix des parties d'appliquer la Convention de Vienne

5.Comme l'a souligné M. Gaillard, approuvé par MM. Keutgen et Dal, le régime de détermination des règles de droit applicables au fond du litige en cas d'arbitrage commercial international a connu, depuis le milieu du XXe siècle, « un vaste mouvement de libéralisation » consacrant le caractère primordial de la volonté des parties [8].

Ainsi, à l'heure actuelle, la liberté des parties de soumettre leur litige au droit de leur choix est reconnue par la plupart des droits nationaux et des instruments internationaux [9] ainsi que par les règlements des principales institutions arbitrales, telles la Chambre du Commerce International (CCI) [10] et la CNUDCI [11].

En Belgique, l'article 17, § 1er, alinéa 1er nouveau [12], du Code judiciaire suit cette tendance générale [13].

6.Plus important encore, la grande majorité des textes nationaux et internationaux relatifs à l'arbitrage commercial international visent les « règles de droit » et non la « loi » ou le « droit » pour décrire l'objet du choix des parties [14]. En conséquence, il ne fait aucun doute que celles-ci peuvent choisir comme applicable au fond de leur litige non seulement un droit étatique dans toutes ses variantes, mais aussi des règles « non nationales » comme la Convention de Vienne.

Concrètement, les parties à une procédure d'arbitrage international peuvent choisir la CVIM comme droit applicable à leur différend soit de manière directe (A), soit de manière indirecte (B). Si elles le souhaitent, les parties peuvent également décider d'exclure la CVIM de leur relation contractuelle (C).

A. Choix « direct » de la Convention de Vienne

7.Les parties étant autorisées à soumettre leur différend à des « règles de droit », elles sont libres d'opter directement pour la CVIM comme droit applicable au fond.

Ceci est bien sûr vrai lorsque les conditions d'applicabilité de la convention sont remplies [15], mais est-ce aussi valable en dehors de cette hypothèse? Plus précisément, les parties peuvent-elles choisir d'appliquer la CVIM en dehors de son champ d'application, par exemple lorsqu'elles n'ont pas leur établissement dans des états contractants ou pour régir un litige survenu dans le cadre d'une vente de navires ou d'avions [16]?

Bien que la Convention de Vienne reste muette quant à la faculté des parties de l'appliquer en dehors de son champ d'application (ce qu'on appelle encore « opting in ») [17], de nombreux auteurs [18] considèrent qu'un tel choix est possible, pour autant qu'il ne viole pas l'ordre public [19]. Nous partageons cette opinion qui s'impose en vertu de la liberté dont jouissent les parties en matière d'arbitrage international.

La jurisprudence arbitrale suit également cette tendance. Ainsi, à titre d'exemple, dans une sentence du 5 avril 2007, l'Institut d'arbitrage auprès de la Chambre de commerce de Stockholm a appliqué la CVIM conformément au souhait des parties, et ce même si le vendeur était établi dans un état non contractant, à savoir le Brésil qui n'est devenu partie à la Convention qu'en 2014 [20].

8.En réalité, la véritable question ne tient pas tant à la possibilité pour les parties de soumettre leur relation à la Convention de Vienne en dehors de son champ d'application qu'à la portée d'un tel choix.

Il existe à cet égard un débat portant sur le statut d'une convention internationale de droit matériel lorsque la volonté des parties a pour effet d'en proroger le domaine. Pour certains [21], la volonté des parties a pour effet de soumettre leur contrat au régime de l'instrument choisi par elles. Pour d'autres [22], la volonté des parties a pour effet d'incorporer cet instrument dans le contrat. Dans la première hypothèse, la convention aura valeur de loi alors que dans la seconde hypothèse, elle aura une valeur contractuelle, avec la conséquence que ses dispositions impératives n'invalideront pas celles du contrat qui leur sont contraires et qu'elles pourront être écartées par le droit désigné par la règle de conflit applicable à défaut de choix de la lex causae opéré par les parties.

Ce débat a-t-il sa place devant l'arbitre? Bien que certains auteurs estiment que tel est le cas [23], nous ne pouvons qu'approuver la position de M. Mourre lorsqu'il refuse de transposer la controverse en matière d'arbitrage. En effet, pour l'arbitre, le système de droit désigné par les parties a nécessairement un titre exclusif à s'appliquer, et ce sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'il s'agisse d'une loi nationale ou d'une convention internationale de droit matériel. Dès lors que les parties ont convenu de soumettre leur litige à une convention internationale (en l'occurrence la Convention de Vienne), celle-ci doit être appliquée pleinement et dans les mêmes conditions que n'importe quelles autres « règles de droit » [24].

B. Choix « indirect » de la Convention de Vienne

9.Le choix des parties d'appliquer la CVIM peut aussi être effectué de manière indirecte. Tel sera le cas lorsque les parties s'accordent pour que le droit d'un état qui a ratifié la Convention soit applicable à leur différend. Selon la doctrine majoritaire [25], la convention faisant partie intégrante du droit des pays contractants, le choix de la loi d'un état signataire fait par les parties englobe le droit uniforme sur la vente internationale de marchandises, à moins que les parties n'aient manifesté leur volonté de ne voir s'appliquer que le droit interne (p. ex., le Code civil français). Le choix d'un droit étatique n'est pour le surplus pas inutile, mais permet d'identifier la loi nationale qui devra être utilisée pour combler les éventuelles lacunes de la Convention [26]. Cette approche ne diffère en rien de celle adoptée devant les juridictions étatiques [27].

Il est important de préciser également que pour qu'une telle désignation d'un droit national englobe la CVIM, les conditions d'application de celle-ci doivent être réunies, contrairement à l'hypothèse exposée ci-dessus relative au choix direct [28]. En effet, si les conditions d'application de la Convention ne sont pas réunies, elle ne pourra pas être considérée comme faisant partie du droit désigné, laissant ainsi la place au droit national de la vente.

10.En guise d'exemple, citons la sentence n° 6653/1993 de la CCI dans laquelle le tribunal arbitral a raisonné comme suit dans le cadre d'un litige opposant un vendeur allemand et un acheteur syrien ayant choisi le droit français comme applicable au fond (c'est nous qui soulignons) [29]:

« Le contrat stipule en son article intitulé 'Arbitration clause' que le tribunal arbitral appliquera 'the substantive laws of France', c'est-à-dire le droit français.

(…)

Le droit français de la vente est constitué par les articles 1582 et suivants du Code civil mais, depuis le 1er janvier 1988, le droit français de la vente internationale est constitué par la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, dite Convention de Vienne du 11 avril 1980. La marchandise objet du contrat entre sans discussion possible dans le champ d'application de cette Convention.

Il convient de remarquer que parmi les Etats dans lesquels cette Convention est devenue applicable à la même date, figure la Syrie. La Convention est devenue applicable en Allemagne le 1er janvier 1991.

Ainsi, la volonté des parties de choisir le droit français correspond-elle aux dispositions de la Convention de Vienne, aujourd'hui partie intégrante de leur droit national respectif. La volonté des parties de se référer au droit français conduit le tribunal arbitral, pour toutes les questions non spécialement couvertes par la Convention de Vienne, à retenir le droit français en matière de preuve, de théorie générale des obligations et, le cas échéant, de droit interne de la vente (…) »

De même, dans une sentence arbitrale récente rendue par la Cour d'arbitrage commercial international auprès de la Chambre de commerce de Serbie, l'arbitre a dit que [30]:

« Article 8 of the Contract contains a choice of law clause, providing that the Contract 'shall be governed and construed in accordance with applicable regulations and laws of the Republic of Serbia'. Since Serbia ratified the UN Convention on Contracts for the International Sale of Goods (CISG), which thereby became an integral part of Serbian law, the sole arbitrator finds that the CISG should be primarily applied to the Contract. This finding is in accordance with the foreign judicial and arbitral practice (…). »

Il ressort donc du raisonnement de l'arbitre que la CVIM non seulement fait partie du droit serbe, mais qu'elle constitue le droit serbe de la vente internationale de marchandises par excellence.

Cette position doit être pleinement approuvée [31].

C. Exclusion de la Convention de Vienne

11.L'article 6 de la CVIM prévoit que « les parties peuvent exclure l'application de la présente convention ou déroger à l'une quelconque de ses dispositions ou en modifier les effets ». Cette disposition consacre le caractère supplétif de la Convention de Vienne.

La possibilité offerte aux parties d'exclure la convention de leur relation contractuelle (ce qu'on appelle encore « opting out ») a amené certains auteurs à affirmer que l'absence d'exclusion doit être comprise comme une condition négative d'applicabilité de la CVIM [32]. Aussi bien les juges que les arbitres appliqueront l'article 6 lorsque les parties auront manifesté leur volonté d'écarter la convention [33].

12.L'exclusion de la convention peut être expresse. Il en sera ainsi lorsque le contrat contient une clause à cet effet, qu'il s'agisse pour le reste d'une exclusion totale ou partielle et qu'il y ait ou pas des précisions quant au droit applicable au fond [34].

Même si la convention ne le prévoit pas explicitement [35], on s'accorde généralement pour dire que l'exclusion de la convention peut aussi être implicite [36], pour autant qu'elle soit certaine [37]. A titre d'exemple, constituent des exclusions implicites de la CVIM:

    • la désignation par les parties du droit d'un état non contractant comme applicable au fond de leur litige [38], ;
    • la désignation de règles particulières comme, par exemple, le Code civil français ou belge, même si celles-ci font partie de l'ordre juridique d'un état contractant [39].

    Par contre, ne constituent pas des exclusions implicites de la convention [40]:

      • la désignation des incoterms [41] comme applicables à la relation contractuelle [42];
      • le choix du forum arbitral, même quand celui-ci est situé dans un état non contractant [43].
      II. Choix du tribunal arbitral d'appliquer la Convention de Vienne

      13.Lorsque les parties n'ont pas choisi le droit applicable au fond de leur différend (que ce soit de manière expresse ou tacite), cette tâche revient au tribunal arbitral. A cet égard, deux grandes voies de détermination du droit applicable par les arbitres existent: d'une part, la voie classique qui consiste à déterminer la lex causae par le biais de règles de conflit de lois; d'autre part, la voie moderne prenant de plus en plus d'importance dans la pratique arbitrale et consistant à choisir la lex causae directement, c'est-à-dire sans effectuer un détour par des règles de conflit de lois.

      Incontestablement, la méthode moderne gagne du terrain et devient lentement, mais assurément, la méthode de détermination par excellence du droit applicable en l'absence de choix des parties. Ainsi, de nombreux règlements d'arbitrages [44] et lois nationales [45], y compris la loi belge [46], retiennent cette solution.

      Quelle que soit la méthode adoptée par les arbitres, ils bénéficient d'une grande liberté [47].

      14.Les arbitres ont-ils le droit d'appliquer des règles non nationales au fond du litige, en l'absence de choix des parties?

      Certains règlements, lois et conventions d'arbitrage semblent leur refuser cette faculté et ne les autorisent qu'à opter pour une loi étatique. Ainsi, par exemple, l'article 28, § 2, de la loi type de la CNUDCI dispose qu'à défaut d'une désignation du droit applicable par les parties, « le tribunal arbitral applique la loi désignée par la règle de conflit de lois qu'il juge applicable en l'espèce » [48]. Cela vaut aussi pour la Convention de Genève de 1961, le règlement d'arbitrage de la CNUDCI et les lois allemande, anglaise et italienne [49].

      En revanche, d'autres instruments nationaux et internationaux ont fait preuve de plus de libéralisme et autorisent les arbitres à choisir des « règles de droit », cette notion incluant les règles non nationales. Tel est le cas du droit belge qui est allé plus loin que la loi type de la CNUDCI lorsqu'il l'a adoptée et qui prévoit à l'article 1710, § 3 nouveau, du Code judiciaire qu'à défaut d'une désignation du droit par les parties, « le tribunal arbitral applique les règles de droit qu'il juge les plus appropriées ». Les droits français, néerlandais et suisse, mais aussi les règlements d'arbitrage de la CCI, de l'OMPI, de l'AAA et du LCIA vont dans le même sens [50].

      Nous pouvons donc dire qu'en fonction de la loi ou du règlement d'arbitrage qu'ils devront respecter, la marge de manoeuvre dont disposent les arbitres pour la détermination du droit applicable au fond du litige s'agrandira ou se rétrécira. A titre personnel, nous estimons qu'en l'absence de choix des parties, les arbitres doivent être capables de choisir un droit non national comme applicable au fond du litige, surtout lorsque celui-ci consisterait en un ensemble général, complet et précis de règles et serait susceptible d'offrir des résultats prévisibles, tel la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises. Dans tous les autres cas, les arbitres doivent être autorisés à puiser dans ces règles non nationales à titre complémentaire, c'est-à-dire lorsque les seules lois étatiques seront inaptes ou inadaptées pour résoudre les différends dont ils sont saisis. Cette solution se justifie par l'essence même de l'arbitrage commercial international. En tout état de cause, au vu de ce qui précède, il semblerait qu'une évolution vers la reconnaissance de plus d'autonomie dans le chef des arbitres se dessine en droit comparé.

      15.L'article 1, § 1er, de la Convention de Vienne se lit comme suit:

      « La présente Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des Etats différents:

        • lorsque ces Etats sont des Etats contractants [51]; ou
        • lorsque les règles du droit international privé mènent à l'application de la loi d'un Etat contractant. »

        Il ressort de cette disposition que pour qu'une vente internationale de marchandises rentre dans le champ d'application spatial de la convention (et donc pour que celle-ci soit applicable), deux conditions complémentaires doivent être réunies, à savoir: (1) il faut que les établissements des parties soient situés dans deux états différents (critère d'internationalité) et (2) il faut qu'il y ait un rattachement aux états parties à la CVIM. Cette deuxième condition sera remplie soit lorsque les parties ont leur établissement dans des états contractants (art. 1, § 1er, a)), soit lorsque les règles de droit international privé mènent au droit d'un Etat contractant (art. 1, § 1er, b)). Dans la première hypothèse, la convention s'appliquera directement, alors que, dans la seconde hypothèse, un détour par des systèmes de droit international privé sera nécessaire.

        16.Comme exposé ci-avant, en l'absence de choix des parties, il revient au tribunal arbitral de déterminer le droit applicable au fond, de sorte que si le litige soumis à l'arbitrage concerne une opération de vente internationale, l'arbitre devra déterminer si la Convention de Vienne s'applique ou pas.

        Ci-après, nous examinerons successivement les cas de figure suivants: l'application directe ou « automatique » de la CVIM par les arbitres en vertu de l'article 1, § 1er, a) (A); l'application indirecte de la CVIM par les arbitres en vertu de l'article 1, § 1er, b) (B); l'application de la CVIM au titre de la lex mercatoria ou des principes généraux du droit (C) [52].

        A. L'application directe de la Convention de Vienne

        17.De nombreuses sentences arbitrales témoignent de l'application que font les arbitres de la Convention de Vienne sur base de l'article 1, § 1er, a).

        Ainsi, dans la sentence arbitrale n° 7531/1994 de la CCI, l'arbitre a décidé que la CVIM s'appliquait au fond du différend puisque les deux parties avaient leur établissement dans un état contractant, à savoir la Chine et l'Autriche [53].

        Il en va de même dans une sentence du 7 décembre 2005 rendue par la CIETAC [54]. En l'espèce, le tribunal arbitral saisi d'un litige entre un vendeur établi en Allemagne et un acheteur établi en Chine a décidé que [55]:

        « The contract in this case is an international sales contract, and it has no stipulation on the applicable law. The [Buyer]'s place of business is China, and the [Seller]'s is in Germany. Both China and Germany are Contracting States of the CISG; therefore, the provisions and general principles in the CISG shall be applied first (…) »

        Les arbitres ont-ils pour autant l'obligation d'appliquer la convention à chaque fois que les parties ont leur établissement dans des états contractants?

        Alors que certains auteurs considèrent qu'une telle obligation existe aussi bien pour les arbitres que pour les juges étatiques lorsque le lieu du situs du tribunal arbitral se situe dans un état contractant, la meilleure doctrine estime que la convention n'est pas obligatoire pour les arbitres, peu importe si le tribunal arbitral siège dans un état contractant ou non [56]. Cette position se justifie par le fait que, contrairement au juge étatique, le tribunal arbitral n'a pas de for et n'est donc pas l'organe de l'état dans lequel il siège. Etant investi dans sa mission par les parties, le tribunal arbitral n'est pas le gardien d'un quelconque ordonnancement juridique étatique et n'a par conséquent pas d'obligation (de droit international public) d'appliquer la CVIM [57].

        18.En l'absence d'une obligation d'appliquer directement la Convention de Vienne, pourquoi les arbitres procèdent-ils à une telle application?

        MM. Mayer et Petrochilos suggèrent qu'une explication plausible serait la force persuasive de la convention, sa large acceptation à travers le monde et son caractère particulièrement adapté au commerce international [58].

        Selon M. Darankoum, la mise en oeuvre de la Convention de Vienne par les arbitres se justifie non seulement « par le fait que celle-ci apporte au règlement des litiges une neutralité quant au droit applicable et une parité de traitement entre les parties » mais aussi par le souci de satisfaire aux besoins des marchands qui est inhérent à la CVIM et qui constitue une des préoccupations majeures des arbitres [59].

        Nous pouvons ajouter qu'une telle application présente un avantage supplémentaire, à savoir une grande prévisibilité pour les parties.

        B. L'application indirecte de la Convention de Vienne
        En général

        19.La CVIM peut trouver à s'appliquer même si aucune des parties n'a son établissement dans un état contractant, pour autant que les règles de conflit de lois conduisent au droit d'un Etat contractant (art. 1, § 1er, b)).

        Cette règle vaut aussi en cas d'arbitrage.

        20.Concrètement, l'arbitre peut décider que la Convention de Vienne s'applique soit comme faisant partie du droit d'un état contractant, soit par elle-même [60].

        La règle de conflit de lois choisie par l'arbitre mènera généralement à l'application de la CVIM à travers le droit d'un état contractant.

        Tel est le cas dans la sentence arbitrale n° 7197/1992 de la CCI dans laquelle le tribunal arbitral a estimé que le litige opposant un vendeur autrichien et un acheteur bulgare devait être régi par la CVIM étant donné que les règles de droit international privé des deux pays menaient à l'application du droit d'un état contractant, à savoir l'Autriche [61].

        De même, dans le cadre d'un différend opposant un vendeur russe et un acheteur anglais, le tribunal d'arbitrage commercial international auprès de la Chambre de commerce et d'industrie de la Fédération de Russie a décidé que les règles de conflit de lois menaient au droit russe, de sorte que la CVIM pouvait s'appliquer en vertu de l'article 1, § 1er, b) [62].

        Toutefois, il est également possible que la règle de conflit de lois retenue par l'arbitre soit l'article 1, § 1er, a), de la convention ce qui mènera à l'application directe de celle-ci [63].

        21.Remarquons aussi que le principe de l'autonomie des parties constitue une règle de droit international privé largement répandue en droit comparé. Aussi, certains arbitres ont-ils appliqué la CVIM lorsque les parties avaient désigné la loi d'un état contractant (choix « indirect » de la convention par les parties) [64], tout en justifiant cette application par l'article 1, § 1er, b), de la convention [65].

        Même si nous acceptons cette approche, par souci de clarté, nous avons préféré examiner séparément l'application de la CVIM lorsque les parties l'ont elles-mêmes choisie et son application par les arbitres en l'absence d'un tel choix.

        Effet de la réserve prévue à l'article 95

        22.L'article 95 de la CVIM énonce que « tout Etat peut déclarer, au moment du dépôt de son instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion, qu'il ne sera pas lié par l'alinéa b du paragraphe 1er de l'article premier de la présente Convention ». Il s'agit donc d'une réserve relative à l'application indirecte de la convention que 6 Etats ont émise, à savoir la Chine, les Etats-Unis, la République tchèque, la Slovaquie, Singapour et Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

        Alors que, devant les tribunaux étatiques, de nombreux cas de figure (et, par conséquent, quelques difficultés) peuvent naître de la coexistence d'états contractants, d'états contractants réservataires et d'états non contractants, le tableau est plus simple en cas d'arbitrage. De nouveau, cela est dû à l'absence de for dans le chef du tribunal arbitral [66].

        23.De manière schématique, il nous semble que les différentes situations dans lesquelles peut se retrouver un arbitre sont au nombre de trois:

          • les règles de conflit de lois choisies par l'arbitre mènent à l'application du droit d'un état non contractant: dans ce cas-ci, la Convention de Vienne ne s'appliquera pas et ce sera le droit national de la vente de l'état en question qui régira le fond du différend;
          • les règles de conflit de lois mènent à l'application du droit d'un état contractant non réservataire: dans ce cas-ci, la Convention de Vienne s'appliquera;
          • les règles de conflit de lois mènent à l'application du droit d'un état contractant réservataire: dans ce cas-ci, la Convention de Vienne ne s'appliquera pas et ce sera le droit national de la vente de l'état désigné qui régira le litige. En effet, la convention faisant partie intégrale du droit de l'état contractant, elle doit être appliquée telle qu'elle a été incorporée dans celui-ci et donc, en l'espèce, avec la réserve prévue à l'article 95 [67]. Toute solution contraire risquerait de dénaturer de manière injustifiée le système juridique du pays en question. Pour le surplus, cette approche a le mérite d'appliquer strictement les règles de droit international privé [68].
          C. L'application de la Convention de Vienne au titre de la lex mercatoria

          24.Il est aussi intéressant pour notre exposé de mentionner que certaines juridictions arbitrales ont parfois appliqué la CVIM en dehors de son champ d'application en tant qu'expression de la lex mercatoria ou des principes généraux du droit. Par exemple, dans une affaire datant de 1989 et soumise à la CCI, le tribunal arbitral a estimé que [69]:

          « (…) there is no better source to determine the prevailing trade usages than the terms of the United Nations Convention on the International Sale of Goods of 11 April 1980, usually called the 'Vienna Convention'. This is so even though neither the country of the Buyer nor the country of the Seller are parties to that Convention. »

          Plusieurs autres sentences ont suivi la même démarche [70]. Ceci est en particulier vrai dans la sentence n° 8501/2001 de la CCI dans laquelle, en l'absence de choix exprès des parties quant au droit applicable et en présence de références aux incoterms et aux règles et usances uniformes sur le crédit documentaire (RUU), le tribunal arbitral a estimé que la CVIM s'appliquait au titre de principes du commerce international généralement admis. Selon le tribunal [71]:

          « (…) les principes consacrés par la Convention de Vienne correspondent aux règles et usages du commerce largement admis. Bien que la Convention de Vienne ne soit pas en tant que telle applicable aux contrats (l'Etat de la défenderesse n'ayant pas ratifié cette convention), le tribunal arbitral estime qu'il peut faire référence à ses dispositions comme l'expression des usages du monde du commerce international. »

          25.Nous approuvons la critique formulée par M. Heuzé à l'égard d'une telle démarche [72]. Toute invocation de la lex mercatoria dans le cadre de la mise en oeuvre de la CVIM nous paraît injustifiée et inopportune car:

            • soit les différentes conditions d'application de la convention sont remplies et, dans ce cas, elle s'appliquera sans qu'il soit nécessaire d'invoquer la lex mercatoria (toute référence à celle-ci est donc inutile);
            • soit les conditions d'application de la convention ne sont pas remplies et l'appliquer, que ce soit au titre de la lex mercatoria ou des principes généraux du droit, aboutirait à violer les expectatives légitimes des parties [73]. Comme l'expose M. Heuzé, « si leur contrat n'est pas de ceux qui visent la CVIM, il n'y a aucune raison de penser qu'elles [les parties] auraient pu néanmoins songer à son applicabilité. Si elles n'ont rien dit à ce sujet, il est très vraisemblable qu'elles entendaient au contraire se fier à des règles différentes. On voit donc mal quelle justification on pourrait proposer à cette contravention à leurs représentations intellectuelles » [74]. Qui plus est, avec pareille démarche, les limites de la Convention de Vienne deviennent imperceptibles, ce qui permet aux arbitres de procéder à des prorogations injustifiées de son champ d'application.

            26.Force est néanmoins de constater que de facto aucun contrôle (ou presque) n'est exercé sur l'arbitre quant au choix du droit applicable en l'absence d'une expression par les parties de leur volonté. Ceci est dû au fait que le « mauvais » choix du droit applicable n'est pas une cause d'annulation ou de refus d'exequatur de la sentence au terme des instruments nationaux et internationaux applicables en la matière. Par ailleurs, même si l'arbitre doit respecter les attentes légitimes des parties, celles-ci ne pourront engager sa responsabilité (et ce de manière fortement théorique) qu'en cas de manquement grave dans l'exercice de sa mission [75].

            27.Nous ne pouvons donc qu'espérer que les juridictions arbitrales cesseront d'appliquer la Convention de Vienne en dehors de son champ d'application, sauf, bien sûr, lorsqu'elles agissent sur base d'un choix des parties [76]. La jurisprudence arbitrale sur cette question (du moins celle qui est publiée) n'étant pas abondante, nous devrons attendre et observer quelle sera la position adoptée par les arbitres à l'avenir.

            Conclusion

            28.Tout au long de notre exposé, nous avons insisté sur la grande liberté dont jouissent aussi bien les parties que les arbitres dans la détermination du droit applicable au fond du différend en cas d'arbitrage commercial international, celle-ci n'étant limitée que dans des rares hypothèses.

            De manière plus intéressante encore, la quasi-totalité des instruments nationaux et internationaux adoptés en la matière prévoient que les parties sont libres de soumettre leur conflit à des « règles de droit », cette notion vague incluant les règles d'origine non nationale comme la Convention de Vienne.

            Signalons aussi qu'il est heureux de constater que dans sa réforme du droit belge de l'arbitrage, le législateur belge a opté pour une approche moderne du procédé, dépassant même la loi type de la CNUDCI à certains égards. En accordant plus de liberté aux parties et aux arbitres, mais aussi en rendant la procédure plus flexible, il a accompli son objectif, à savoir rendre notre pays plus attrayant pour la tenue d'arbitrages internationaux.

            29.Dans notre analyse relative à l'application de la Convention de Vienne en cas d'arbitrage commercial international, nous avons vu qu'elle peut résulter soit de la volonté des parties (choix « direct » ou « indirect »), soit, en l'absence d'un choix des parties, d'une décision du tribunal arbitral. Nous avons aussi remarqué que certains arbitres n'hésitent pas à appliquer la convention même en dehors de son champ d'applicabilité, au titre de la lex mercatoria. D'après nous, une telle application est malvenue, car elle risque de contrevenir aux expectatives légitimes des parties.

            Pour ce qui concerne plus précisément l'application indirecte de la CVIM par les arbitres, il est à retenir qu'elle présente moins de difficultés que dans une procédure judiciaire. L'absence de for dans le chef du tribunal arbitral contribue à simplifier les différentes hypothèses qui peuvent se présenter devant lui, notamment lorsqu'une réserve a été formulée sur base de l'article 95.

            [1] Avocat au barreau de Bruxelles.
            [2] Nous tenons à remercier le professeur R. Jafferali pour son soutien et sa guidance, de précieux atouts qui ont permis la rédaction de la présente contribution.
            [3] J.D.M. Lew, L.A. Mistelis et S.M. Kröll, Comparative International Commercial Arbitration, The Hague, Kluwer Law International, 2003, p. 1.
            [4] Pour les statistiques des arbitrages soumis à la CCI depuis 1999, voy. www.iccwbo.org.
            [5] G.B. Born, International arbitration: law and practice, Alphen aan den Rijn, Kluwer Law International, 2012, p. 233.
            [6] Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises adoptée le 11 avril 1980 à Vienne.
            [7] S.M. Kröll, L.A. Mistelis et P.P. Viscasillas, UN Convention on Contracts for the International Sale of Goods (CISG): Commentary, München, C.H. Beck, 2011, pp. 25-26.
            [8] G. Keutgen et G.-A. Dal, L'arbitrage en droit belge et international, t. II, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 974.
            [9] Voy. en ce sens l'art. VII, § 1er, de la Convention européenne sur l'arbitrage commercial international faite à Genève le 21 avril 1961 et l'art. 28, § 1er, de la loi type sur l'arbitrage commercial international de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) adoptée le 21 juin 1985 à Vienne et amendée en 2006.
            [10] Art. 21, § 1er, du Règlement d'arbitrage de la CCI.
            [11] Art. 35, § 1er, du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI.
            [12] Tel que modifié par la nouvelle loi belge sur l'arbitrage du 24 juin 2013, publiée au Moniteur belge le 28 juin 2013 et entrée en vigueur le 1er octobre 2013. Cette loi modernise les règles belges relatives à l'arbitrage et les aligne sur les dispositions de la loi type sur l'arbitrage commercial international de la CNUDCI, l'objectif étant de rendre la Belgique plus attrayante pour la tenue d'arbitrages internationaux (projet de loi du 11 avril 2013 modifiant la Sixième Partie du Code judiciaire relative à l'arbitrage, Doc. parl., Chambre, 2012-2013, n° 53-2743/1, p. 6). Pour plus de détails sur la nouvelle loi belge sur l'arbitrage, voy. M. Piers et D. De Meulemeester, « Nieuwe Arbitragewet. België is voortaan een 'Uncitral model-wet'-land », N.J.W., 2013, p. 726 ; G. Keutgen, « La réforme 2013 du droit belge de l'arbitrage », R.D.I.D.C., 2014, p. 65 et M. Dal, « La nouvelle loi sur l'arbitrage », J.T., p. 785.
            [13] Signalons toutefois que même si la liberté des parties dans le choix du droit applicable au fond du litige est grande, elle n'est pas pour autant illimitée. En effet, le respect de l'ordre public s'impose directement aux arbitres et, par conséquent, indirectement aux parties. Il en va de l'effectivité des sentences arbitrales. Une sentence qui n'est pas conforme à l'ordre public risque d'être annulée et/ou de ne jamais recevoir l'exequatur (voy. art. 1717, § 3, b), ii) nouveau, du Code judiciaire belge; art. 1721, § 1er, b), ii) nouveau, du Code judiciaire belge; art. 34, § 2, b), ii), de la loi type de la CNUDCI; art. 36, § 1er, b) ii), de la loi type de la CNUDCI; art. V, § 2, b), de la Convention de New York de 1958 relative à la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères). Pour une étude détaillée du sujet, voy. J.-B. Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre public, Paris, L.G.D.J., 1999.
            [14] Voy. art. 28, § 1er, de la loi type de la CNUDCI; art. 1710, § 1er nouveau, du Code judiciaire belge; art. 1511, § 1er, du CPC français; art. 1051, § 1er, du ZPO allemand; art. 1054, § 2, du WBR néerlandais; art. 187, § 1er, de la LDIP suisse; art. 834, § 1er, du CPC italien; art. 35, § 1er, du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI; art. 21, § 1er, du Règlement d'arbitrage de la CCI; art. 59, a), du Règlement d'arbitrage de l'OMPI; art. 22.3 du Règlement d'arbitrage de la LCIA; art. 31, § 1er, du Règlement d'arbitrage de la AAA.
            [15] Voy. art. 1 à 5 et 100 de la CVIM qui fixent son champ d'application matériel, spatial et temporel. Pour un exemple de sentence arbitrale dans laquelle la CVIM a été appliquée en vertu d'un choix direct des parties et lorsque ses conditions d'applicabilité ont été remplies, voy. Tribunal d'arbitrage commercial international auprès de la Chambre de commerce et d'industrie de la Fédération de Russie, Sent. arb. n° 226/1999, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=875. En l'espèce, les parties, établies respectivement en Russie et en Italie, ont décidé de soumettre leur litige à la CVIM et leur choix a naturellement été suivi par le tribunal arbitral.
            [16] L'art. 2, e), de la CVIM exclut la vente de navires et d'aéronefs du champ d'application matériel de la convention.
            [17] Contrairement à son prédécesseur la Convention de la Haye du 1er juillet 1964 portant loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels (LUVI) qui prévoyait expressément cette faculté d'opting in en son art. 4.
            [18] Voy. en ce sens V. Heuzé, La vente internationale de marchandises, droit uniforme, Paris, GLN Joly éditions, 1992, pp. 101-102; S.M. Kröll, L.A. Mistelis et P.P. Viscasillas, o.c., p. 108; F. Ferrari, Contrat de vente internationale. Applicabilité et applications de la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2005, pp. 133-135; P. Schlechtriem, Commentary on the UN Convention on the International Sale of Goods (CISG), Oxford University Press, 1998, p. 58; N. Schmidt-Ahrendts, « CISG and arbitration », Belgrade Law Review, 2011, p. 215.
            [19] P. Schlechtriem, o.c., p. 58.
            [20] Institut d'arbitrage auprès de la Chambre de commerce de Stockholm, Sent. arb., 5 avril 2007, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=1194.
            [21] Voy. P. Lagarde, note sous Cass. fr., 4 février 1992, R.C.D.I.P., 1992, p. 495.
            [22] Voy. P. Mayer, « L'application par l'arbitre des conventions internationales de droit privé », dans L'internationalisation du droit. Mélanges en l'honneur d'Yvon Loussouarn, Paris, Dalloz, 1994, p. 283.
            [23] Voy. en ce sens G.C. Petrochilos, « Arbitration Conflict of Laws Rules and the 1980 International Sales Convention », Revue hellénique de droit international, 1999, p. 200.
            [24] A. Mourre, « L'application par l'arbitre de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises », Bulletin de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI, vol. 17, n° 1, 2006, p. 46.
            [25] Voy. P. Schlechtriem et C. Witz, Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises, Paris, Dalloz, 2008, pp. 16-17; A. Mourre, o.c., p. 43; J. Waincymer, « The CISG and International Commercial Arbitration: Promoting a Complimentary Relationship Between Substance and Procedure », in Sharing International Commercial Law across National Boundaries: Festschrift for Albert H. Kritzer on the Occasion of his Eightieth Birthday, London, Wildy, Simmonds & Hill Publishing, 2008, p. 596. Signalons néanmoins l'existence d'une doctrine minoritaire selon laquelle le choix d'un droit étatique par les parties constitue une exclusion implicite de la convention en toute hypothèse. Pour une sentence allant dans ce sens, voy. CCI, Sent. arb. n° 8482/1996, publiée en anglais sur le site http://cisgw3.law.pace.edu/cases/968482i1.html. Ici, le tribunal arbitral a considéré qu'en choisissant le droit suisse comme applicable à leur différend, les parties n'avaient pas opté pour la CVIM, et ce même si la convention, ratifiée par la Suisse, fait partie de l'ordre juridique suisse. Le même raisonnement a été tenu par le tribunal arbitral de Florence dans une sentence du 19 avril 1994, publiée en anglais sur le site http://cisgw3.law.pace.edu/cases/940419i3.html.
            [26] S.M. Kröll, L.A. Mistelis et P.P. Viscasillas, o.c., p. 105.
            [27] A. Mourre, o.c., p. 44 et G.C. Petrochilos, o.c., p. 198.
            [28] N. Schmidt-Ahrendts, o.c., p. 215.
            [29] CCI, Sent. arb. n° 6653/1993, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=36.
            [30] Cour d'arbitrage commercial international auprès de la Chambre de commerce de Serbie, Sent. arb., 28 janvier 2009 (affaire des médicaments), publiée en anglais sur le site http://cisgw3.law.pace.edu/cases/090128sb.html.
            [31] Voy. dans le même sens CCI, Sent. arb. n° 7844/1994, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=123; CCI, Sent. arb. n° 8324/1995, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=240; CCI, Sent. arb. n° 9448/1999, publiée en anglais sur le site http://cisgw3.law.pace.edu/cases/999448i1.html.
            [32] F. Ferrari, o.c., p. 115.
            [33] A. Mourre, o.c., p. 46.
            [34] S.M. Kröll, L.A. Mistelis et P.P. Viscasillas, o.c., p. 106.
            [35] Contrairement à la LUVI qui réglait cette question en son art. 3.
            [36] Voy. en ce sens P. Schlechtriem, o.c., p. 54; P. Schlechtriem et C. Witz, o.c., pp. 20-21; F. Ferrari, o.c., pp. 119-120.
            [37] F. Ferrari. o.c., p. 121.
            [38] S.M. Kröll, L.A. Mistelis et P.P. Viscasillas, o.c., p. 104. Il est intéressant de préciser que la Convention de Vienne peut être exclue par voie de conditions générales de vente ou d'achat (lorsque, p. ex., une clause désignant le droit d'un état non contractant y figure), pour autant que les parties se soient accordées à faire entrer celles-ci dans le champ contractuel (P. Schlechtriem et C. Witz, o.c., pp. 23-24). Pour une étude détaillée du sujet, voy. R. Jafferali, « L'opposabilité des conditions générales dans les contrats internationaux », dans P.-A. Foriers (dir.), Les conditions générales de la vente, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 79 et s.
            [39] P. Schlechtriem, o.c., p. 56.
            [40] Ibid.; S.M. Kröll, L.A Mistelis et P.P. Viscasillas, o.c., p. 106.
            [41] Les incoterms (international commercial terms) sont des termes normalisés, édictés et publiés par la CCI, qui déterminent les obligations réciproques du vendeur et de l'acheteur dans le cadre d'un contrat de vente nationale ou internationale.
            [42] Voy. p. ex. Sent. arb. n° 7197/1992 de la CCI, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=37, dans laquelle le tribunal arbitral a estimé que la détermination du lieu de la livraison par le biais d'un incoterm ne fait pas obstacle à ce que la CVIM soit appliquée au reste de la relation contractuelle entre les parties.
            [43] Il y a lieu de souligner ici que, de manière générale, la doctrine et la jurisprudence considèrent désormais que le choix du siège de l'arbitrage ne constitue pas un choix implicite de la loi applicable. L'adage « qui elegit arbitrum, elegit ius » n'a donc plus de raison d'être.
            [44] Voy. p. ex. art. 35, § 1er, du Règlement CNUDCI; art. 21, § 1er, du Règlement CCI; art. 22.3 du règlement LCIA; art. 31, § 1er, du Règlement AAA; art. 59, a), du Règlement OMPI.
            [45] Voy. p. ex. art. 1511, § 1er, du CPC français et art. 1054, § 2, du WBR néerlandais.
            [46] Art. 1710, § 2 nouveau, du Code judiciaire belge.
            [47] Cette liberté n'est toutefois pas absolue. Tout d'abord, les arbitres sont obligés de respecter l'ordre public. Ensuite, tirant leur pouvoir juridictionnel de la volonté des parties, ils sont obligés de respecter celle-ci. Même lorsqu'ils utilisent la voie moderne, les arbitres ne peuvent pas agir de manière arbitraire. Ils sont toujours tenus de prendre en considération les attentes légitimes des parties et d'assurer l'efficacité de la sentence qu'ils vont rendre. S'ils manquent à cette obligation, leur responsabilité civile peut être engagée par les parties, même s'il s'agit d'une hypothèse fortement théorique (G.B. Born, International commercial arbitration, vol. I, Alphen aan den Rijn, Kluwer Law International, 2009, p. 1621).
            [48] L'approche restrictive adoptée par la CNUDCI est non seulement regrettable, mais aussi en totale contradiction avec le reste de l'art. 28 de la loi type et notamment son § 1er. Espérons que la Commission corrigera cette incohérence lors d'une prochaine révision du texte.
            [49] Voy. art. VII, § 1er, de la Convention de Genève de 1961; art. 35, § 1er, du Règlement CNUDCI; art. 1051, § 2, du ZPO allemand; art. 46, § 3, de l'AAA; art. 834, § 1er, du CPC italien.
            [50] Voy. art. 1511, § 1er, du CPC français; art. 1054, § 2, du WBR néerlandais; art. 187, § 1er, du LDIP suisse; art. 21, § 1er, du Règlement CCI; art. 59, a), du Règlement OMPI; art. 31, § 1er, du Règlement AAA; art. 22.3 du Règlement LCIA.
            [51] Actuellement, 83 états sont parties à la CVIM (www.uncitral.org). Notons qu'aux termes de l'art. 99 de la convention, un état devient un état contractant lorsqu'il a ratifié, accepté ou approuvé celle-ci. Cependant, les états contractants peuvent faire des réserves qui sont susceptibles d'influencer leur qualité d'état contractant. Tel est le cas des réserves prévues aux articles 92 et 93 de la CVIM. Quoi qu'il en soit, il est heureux de constater que le nombre des états contractants n'a cessé de croître depuis l'entrée en vigueur de la convention, ce qui rend son application autonome de plus en plus aisée.
            [52] Nous devons souligner ici que cette partie de l'article et la distinction que nous venons de faire entre l'application directe et l'application indirecte de la CVIM par les arbitres ne concerne que l'hypothèse dans laquelle ils recourent à la voie classique pour déterminer le droit applicable au fond du litige en l'absence de choix fait par les parties. Lorsque les arbitres recourent à la voie moderne, ils peuvent directement décider que la loi appropriée est celle d'un état contractant ou que c'est la Convention de Vienne per se qui doit s'appliquer et ce sans qu'ils doivent motiver leur décision ni faire usage de règles de conflit de lois.
            [53] CCI, Sent. arb. n° 7531/1994, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=139. La même solution a été retenue dans la sentence arbitrale n° 9862/1997 de la CCI, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=46 et dans la sentence arbitrale n° 304/1993 du tribunal d'arbitrage international auprès de la Chambre de commerce et d'industrie de la Fédération de Russie, publiée en anglais sur le site http://cisgw3.law.pace.edu/cases/950303r2.html.
            [54] La Commission chinoise d'arbitrage de l'économie et du commerce international.
            [55] CIETAC, Sent. arb., 7 décembre 2005, publiée en anglais sur le site http://cisgw3.law.pace.edu/cases/051207c1.html. Voy. aussi CIETAC, Sent. arb., 1er février 2000, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=1115.
            [56] Pour un exposé des positions en présence, voy. N. Schmidt-Ahrendtshrendtshh, o.c., p. 214.
            [57] Ibid.; G.C. Petrochilos, o.c., p. 201; P. Schlechtriem et C. Witz, o.c., pp. 15-16; V. Heuzé, o.c., p. 88.
            [58] P. Mayer, o.c., p. 287 et G.C. Petrochilos, o.c., p. 201.
            [59] E. Darankoum, « L'application de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises par les arbitres de la Chambre de Commerce Internationale en dehors de la volonté des parties est-elle prévisible? », R.Q.D.I., 2004/2, pp. 19-20.
            [60] N. Schmidt-Ahrendts, o.c., p. 216.
            [61] CCI, Sent. arb. n° 7197/1992, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=37.
            [62] Tribunal d'arbitrage commercial international auprès de la Chambre de commerce et d'industrie de la Fédération de Russie, Sent. arb. n° 406/1998, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=842.
            [63] N. Schmidt-Ahrendts, o.c., p. 216. Précisons que sous l'angle du droit international privé l'art. 1, § 1er, a), de la Convention de Vienne constitue une règle d'applicabilité et non pas une règle de rattachement. Sur la différence entre ces deux catégories de règles de conflit de lois, voy. F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2005, pp. 80-82 et 129.
            [64] Voy. supra, nos 9 et s.
            [65] Voy. CCI, sent. arb. n° 11333/2002, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=1163; CCI, Sent. arb. n° 9083/1999, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=465.
            [66] Devant les juridictions étatiques la question de l'effet de la réserve de l'article 95 de la convention est sujette à débat, certains auteurs affirmant que le juge d'un état contractant non réservataire appelé à appliquer le droit d'un état contractant réservataire n'est pas tenu par la réserve (voy. R. Jafferali, « L'opposabilité des conditions générales dans les contrats internationaux », o.c., pp. 101-104 et S.M. Kröll, L.A. Mistelis et P.P. Viscasillas, o.c., pp. 1208-1212), contrairement à d'autres auteurs estimant quant à eux que tel est bien le cas (voy. J.O. Honnold, Uniform Law for International Sales, The Hague, Kluwer Law International, 1999, pp. 38-44). A notre avis ce problème ne se pose pas en cas d'arbitrage car l'arbitre n'est pas un organe de l'état dans lequel il siège. En conséquence, il ne doit pas se soucier d'une éventuelle position étatique prise sur la question et sa seule ambition sera d'appliquer le droit désigné par la règle de conflit de lois sans le dénaturer.
            [67] Voy. l'avis n°15 du Comité consultatif de la Convention relative à la vente internationale de marchandises, « Les déclarations des articles 95 et 96 CVIM », 22 octobre 2013, p. 15. Rapporteur: Ulrich G. Schroeter, professeur à la faculté de droit de l'Université de Mannheim, Allemagne; Voy. V. Heuzé, o.c., pp. 94-96; G.C. Petrochilos, o.c., pp. 196-197; P. Schlechtriem et C. Witz, o.c., pp. 18-19. Une alternative menant au même résultat serait de considérer que l'arbitre est lié par la Convention de Vienne elle-même et notamment par son art. 95.
            [68] Cette situation ne doit pas être confondue avec celle dans laquelle les parties auraient elles-mêmes désigné le droit d'un état contractant réservataire et ce aussi bien lorsqu'elles savaient que l'état a émis la réserve que lorsqu'elles ne le savaient pas. Se trouvant face au choix exprès des parties, l'arbitre doit respecter celui-ci sans quoi il manquerait à sa mission. Aucun recours à des règles de conflit de lois n'est nécessaire en sorte que l'art. 95 ne trouvera pas à s'appliquer et la CVIM pourra régir le différend. La même solution s'imposerait également lorsque l'arbitre utilise la méthode moderne en l'absence de choix des parties. Signalons néanmoins que certaines juridictions arbitrales appliquent la CVIM même lorsque les règles de conflit de lois mènent à l'application du droit d'un état contractant réservataire. A titre d'exemple, dans une sentence du 21 mai 2005 rendue par la CIETAC et publiée sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=1202, le tribunal arbitral a décidé que la Convention de Vienne s'appliquait alors que les règles de conflit de lois menaient au droit d'un état réservataire, à savoir la Chine. Cette approche est regrettable et dénature le système juridique du pays réservataire désigné par les règles de conflit de lois.
            [69] CCI, Sent. arb. n° 5713/1989, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=16.
            [70] Voy. not. CCI, Sent. arb. n° 8502/1996, publiée en anglais sur le site www.unilex.info/case.cfm?id=395.
            [71] CCI, Sent. arb. n° 8501/2001, J.D.I., 2001, p. 1164.
            [72] Voy. V. Heuzé, o.c., pp. 102-103, mais aussi F. Ferrari, o.c., pp. 70-71.
            [73] Or, ce qui doit guider l'arbitre en toutes circonstances sont les attentes légitimes des parties qui ne doivent pas être surprises par l'application de règles de droit qu'elles ne pouvaient pas raisonnablement prévoir (voy. en ce sens A. Mourre, o.c., p. 48).
            [74] V. Heuzé, o.c., pp. 102-103.
            [75] Le « mal jugé » ou l'erreur de droit ne peuvent engager la responsabilité de l'arbitre qu'en cas de manquement grave (G. Keutgen et G.-A. Dal, L'arbitrage en droit belge et international, t. I, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 287). Ils ne constituent pas non plus une cause d'annulation ou de refus d'exequatur de la sentence arbitrale. Par conséquent, malgré l'interdiction de principe faite aux arbitres d'agir de manière arbitraire, il appert qu'en dehors de l'hypothèse dans laquelle les parties auraient opéré un choix exprès du droit applicable au fond de leur litige (la méconnaissance par l'arbitre du choix exprès des parties quant au droit applicable au fond du litige constituant une cause d'annulation de la sentence et/ou de refus d'exequatur, que ce soit pour excès de pouvoir ou pour non-conformité à la convention des parties), le choix arbitraire de la lex causae fait par l'arbitre ne peut pratiquement pas être sanctionné.
            [76] Voy. supra, n° 7 relatif au mécanisme d'opting in.