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Droit pénal des affaires – Chronique de jurisprudence (2012-2013), R.D.C.-T.B.H., 2015/3, p. 260-285

Droit pénal des affaires - Chronique de jurisprudence (2012-2013)

Emmanuel Roger France [1], [2]

INHOUD

I. Généralités (par ordre alphabétique) 1. Autonomie du droit pénal

2. Causes de justification - Elément moral

3. Droit de la preuve

4. Interdictions professionnelles

5. Légalité

6. Participation

7. Expertise judiciaire

8. Personnes morales (responsabilité pénale)

II. Infractions au Code pénal (par article) 1. Faux en écriture (art. 193 et s.)

2. Faux informatique (art. 210bis)

3. Entrave des enchères ou des soumissions (art. 314)

4. Association de malfaiteurs (art. 322)

5. Infractions liées à l'état de faillite (art. 489 et s.)

6. Organisation frauduleuse d'insolvabilité (art. 490bis)

7. Abus de confiance (art. 491)

8. Abus de biens sociaux (art. 492bis)

9. Escroquerie (art. 496)

10. Tromperie (art. 498)

11. Recel (art. 505, al. 1er, 1°)

12. Blanchiment (art. 505, al. 1er, 2° à 4°)

III. Infractions aux lois particulières (par ordre alphabétique) 1. Délit d'initié

2. Douanes et accises

3. Droits d'auteur

4. Infractions comptables

5. Infractions fiscales

6. Intermédiation en services bancaires

7. Pratiques du commerce

8. Société de l'information

9. Transports

* * *

I. Algemeen (alfabetische rangorde) 1. Autonomie van het strafrecht

2. Rechtvaardigingsgronden - Moreel bestanddeel

3. Bewijsrecht

4. Beroepsverbod

5. Wettelijkheid

6. Deelneming

7. Gerechtelijke expertise

8. Rechtspersonen (strafrechtelijke aansprakelijkheid)

II. Misdrijven omschreven in het Strafwetboek (per artikel) 1. Valsheid in geschrifte (art. 193 e.v.)

2. Valsheid inzake informatica (art.210bis)

3. Verstoren van de vrijheid van opbod en inschrijving (art. 314)

4. Bendevorming (art. 322)

5. Misdrijven die verband houden met de staat van faillissement (art. 489 e.v.)

6. Bedrieglijk onvermogen (art. 490bis)

7. Misbruik van vertrouwen (art. 491)

8. Misbruik van vennootschapsgoederen (art. 492bis)

9. Oplichting (art. 496)

10. Bedrog (art. 498)

11. Heling (art. 505, al. 1, 1°)

12. Witwassen (art. 505, al. 1, 2° tot 4°)

III. Misdrijven omschreven in bijzondere wetten (alfabetisch) 1. Misbruik van voorkennis

2. Douane en accijnzen

3. Auteursrechten

4. Boekhoudkundige misdrijven

5. Fiscale misdrijven

6. Bemiddeling in bankdiensten

7. Handelspraktijken

8. Informatiemaatschappij

9. Vervoer

I. Généralités (par ordre alphabétique)
1. Autonomie du droit pénal

La Cour de cassation a rappelé que le juge pénal « n'est pas tenu par la signification des notions et des faits dans les branches du droit distinctes du droit pénal ».

Ainsi, dans un dossier de droit pénal comptable et financier, le juge pénal est libre d'apprécier souverainement, sur la base des éléments de fait qui lui ont été régulièrement présentés et qui ont été soumis à la contradiction des parties, si la construction mise en place par les prévenus « réalise des apports effectifs ou non » [3].

2. Causes de justification - Elément moral

La question s'est posée de savoir dans quelle mesure « l'erreur invincible » peut être valablement invoquée comme cause de justification dans le cadre d'infractions dites « réglementaires », qui « existent par la simple violation matérielle des dispositions légales », sans exiger un élément moral particulier [4].

Le tribunal correctionnel de Bruxelles répond par l'affirmative. Il souligne que même les infractions réglementaires nécessitent un élément moral, à savoir une faute, avec cette particularité que cette dernière résulte ipso facto de la perpétration du fait érigé en infraction. Il s'agit toutefois d'une présomption « réfragable », puisque les infractions n'excluent pas l'application de causes de justification, telle l'erreur invincible.

En ce qui concerne l'erreur « de droit », le tribunal relève que cette dernière peut, en raison de certaines circonstances, être considérée par le juge comme étant une erreur « invincible », à la condition « que de ces circonstances il puisse déduire que le prévenu a agi comme l'aurait fait toute personne raisonnable et prudente ».

En l'espèce, il jugea que ce n'était pas le cas, non seulement parce que les obligations qui pesaient sur le prévenu « n'étaient pas compliquées à comprendre et à appliquer », mais en outre parce qu'il « lui appartenait au besoin de se faire assister et conseiller par des personnes compétentes, vu l'ampleur de son activité ».

3. Droit de la preuve

Comme le rappelle une jurisprudence constante, « la preuve est libre » [5]. Il n'y a, par conséquent, pas de violation de ce principe « lorsque le juge du fond constate qu'il est reconnu d'une personne n'ayant pas de qualité au sein d'une société qu'il a pourtant fait usage d'un papier à en-tête de celle-ci à des fins d'obtention d'un marché public » [6].

Toujours en matière de droit de la preuve, on ne perdra pas de vue l'article 16 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, qui dispose que lorsque l'infraction se rattache à l'exécution d'un contrat, dont l'existence est déniée, ou dont l'interprétation est contestée, le juge de répression, en statuant sur l'existence de ce contrat ou sur son exécution, se conforme aux règles du droit civil. En application de ce principe, la Cour de cassation cassa un arrêt de la cour d'appel de Gand rendu en matière d'abus de confiance, reprochant à cette dernière d'avoir, à tort, examiné l'existence d'une convention, en ne prenant en considération que les principes de libre administration et appréciation de la preuve en droit pénal (et non les règles du droit civil, comme elle aurait dû le faire) [7].

4. Interdictions professionnelles

Un prévenu a invoqué en cassation la violation de l'article 6, 1. de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la méconnaissance des droits de la défense et le défaut de motivation en reprochant au juge d'appel de lui avoir infligé une peine d'interdiction professionnelle, sans qu'un débat contradictoire ait été tenu à cet égard, et alors que cette peine n'avait pas été prononcée par le premier juge, ni même requise par le ministère public.

L'article 1er de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités, prévoit en effet la possibilité de sanctionner d'une interdiction professionnelle de 3 à 10 ans les prévenus condamnés du chef de certaines préventions, dont celle de recel, qui avait été retenue en l'espèce.

La Cour de cassation relève que « même si le ministère public ne l'a pas requise formellement et si elle n'est que facultative, l'interdiction professionnelle relève des prévisions de la loi, dont un prévenu poursuivi du chef de recel est en mesure de tenir compte pour assurer sa défense » [8].

A titre subsidiaire, le prévenu invitait également la Cour de cassation à poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle au sujet de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, résultant, d'une part, de ce que les articles 1er et 1erbis de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 autorisent la condamnation à une interdiction professionnelle sans débats contradictoires, alors que tel n'est pas le cas pour les prévenus qui ne sont pas susceptibles de se voir infliger cette sanction et, d'autre part, de ce que, à la différence de l'interdiction professionnelle, la peine accessoire de confiscation doit faire l'objet d'une réquisition du ministère public. La Cour de cassation a refusé de poser la question préjudicielle, au motif que les catégories de prévenus sont présentées dans des termes à ce point généraux qu'elles ne permettent pas de déterminer en quoi le principe constitutionnel d'égalité ou de non-discrimination serait violé. Par ailleurs, la Cour relève qu'elle n'est pas tenue au renvoi préjudiciel lorsque, comme en l'espèce, la question ne dénonce pas une distinction opérée par la loi entre des personnes se trouvant dans la même situation juridique et auxquelles s'appliqueraient des règles différentes [9].

5. Légalité

La confiscation prévue aux articles 42, 3°, et 43bis, alinéa 2, du Code pénal constitue une peine facultative. En raison du caractère facultatif de cette peine, le juge peut partager entre les condamnés les montants qu'il confisque. Le montant total des confiscations ne peut alors excéder le montant des avantages patrimoniaux tirés de l'infraction.

Ces dispositions et le principe général de droit suivant lequel la peine est personnelle, ne permettent pas au juge de condamner différentes personnes solidairement à une même peine. En conséquence, l'arrêt qui, en vertu des articles 42, 3°, et 43bis, alinéa 2, du Code pénal, condamne plusieurs auteurs à la confiscation des avantages patrimoniaux (ces auteurs devenant ainsi les débiteurs communs de l'Etat qui peut récupérer sa dette sur chacun d'entre eux), avec pour seule réserve que le montant total de la confiscation ne peut excéder l'avantage patrimonial tiré de l'infraction, ordonne, en réalité, à charge de ces auteurs, la confiscation solidaire de ces avantages patrimoniaux et, dès lors, ne justifie pas légalement la décision [10].

Sur un plan plus procédural, on notera cette décision de cassation portant sur la mission impartie au ministère public, qui « ne se réduit pas à celle d'un accusateur ». Il intervient aussi au procès pour « proposer au juge une solution de justice ». Il en résulte notamment, selon la Cour de cassation, que l'information « n'est pas menée uniquement à charge ». L'article 28bis, § 3, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle le soumet à « l'obligation de veiller à la légalité des moyens de preuve ainsi qu'à la loyauté avec laquelle ils sont rassemblés ». Si, rappelle la Cour, d'une part, la loyauté du ministère public se présume, d'autre part, ledit principe de loyauté « implique que tous les éléments recueillis par le parquet soient versés au dossier répressif et, plus particulièrement, les éléments à décharge. S'il est donc partie au procès pénal, le procureur du Roi ne l'est pas au même titre que l'inculpé ou la partie civile, lesquels ne sont pas tenus de verser aux débats les éléments contraires aux intérêts qu'ils défendent » [11].

6. Participation

Pour être coupable de participation à un crime ou un délit, il faut notamment que le prévenu y ait contribué, de la manière déterminée par la loi.

La Cour de cassation a eu l'occasion d'en rappeler les contours en énonçant que la participation est de deux espèces: « principale ou accessoire. Les coupables de la première, visée à l'article 66 du Code pénal, sont appelés auteurs de l'infraction: ils en sont la cause. Les coupables de la seconde, visée à l'article 67 de ce code, sont appelés complices: leur intervention a été utile à l'action sans avoir été nécessaire ». La loi effectue donc une distinction entre les actes physiques ou moraux qui placent les co-délinquants dans l'une ou dans l'autre catégorie et elle consacre cette différence en prévoyant pour les complices, à l'article 69 du Code pénal, une peine inférieure à celle encourue par les auteurs. En conséquence, un délinquant peut être à la fois coauteur et complice d'un autre, par exemple si, après l'avoir directement provoqué à l'action, il s'est borné à lui prêter une assistance accessoire dans les faits qui l'ont préparée ou consommée. Il en résulte qu'une décision qui déclarerait l'accusé auteur et complice du même crime n'est pas nécessairement contradictoire. En revanche, souligne la Cour, il est « impossible que les mêmes faits constituent à la fois une participation principale et une participation accessoire » [12].

Par ailleurs, en règle, un acte positif et conscient, préalable à l'exécution d'un crime ou d'un délit, suffit à fonder la participation punissable, lorsque sans celui-ci, l'infraction n'eut pu être commise. La circonstance que l'auteur dudit acte n'ait pas souhaité participer physiquement aux faits et qu'il souhaitait s'en dégager n'est pas constitutive du désistement volontaire. Ce dernier consiste, pour l'auteur d'une tentative punissable de crime ou de délit, à renoncer spontanément à son dessein avant la consommation de l'infraction. Par ailleurs, pour être déclaré coupable d'un crime ou d'un délit, il suffit de poser un acte, prévu par l'article 66 du Code pénal, en vue de coopérer, « consciemment et volontairement » à l'infraction qui est, ou sera, commise par un tiers. Il n'est en revanche pas nécessaire que le coauteur « ait su que l'infraction avait été perpétrée » [13]. En effet, dans la mesure où, en l'espèce, le prévenu soutenait que le coauteur « devait avoir su que l'infraction avait effectivement été perpétrée », il ajoute à l'article 66 une condition que ce dernier ne prévoit pas.

On restera également attentif à la jurisprudence pénale en matière de participation « par abstention ».

Ainsi, la cour d'appel de Gand a-t-elle condamné à ce titre l'administrateur d'une société poursuivie pour des infractions en matière de protection de l'environnement et d'épuration des eaux. En ce qui concerne la société elle-même, la cour d'appel estima que l'action publique était dans l'intervalle éteinte en raison de sa dissolution sans liquidation suite à une fusion. Elle avait toutefois retenu la responsabilité de l'administrateur en question dans la mesure où le conseil d'administration de cette société avait systématiquement manqué, en raison de considérations économiques, de respecter les obligations en matière de protection de l'environnement et d'épuration, soulignant que l'administrateur n'avait pas protesté contre ces décisions ou n'avait pas proposé de prévoir les ressources nécessaires [14].

Cet administrateur s'est pourvu en cassation. La Cour a confirmé en la matière que « l'abstention peut constituer une participation punissable au sens de l'article 66 du Code pénal lorsque la personne concernée a l'obligation légale positive de faire exécuter ou prévenir un certain acte et que son abstention est volontaire et qu'elle favorise ainsi la commission d'un acte punissable ». La Haute Cour confirme ainsi la décision dont appel, jugeant que l'obligation légale positive de prévoir les ressources et les investissements, afin de permettre à la société de respecter ses obligations en la matière, incombe au conseil d'administration et aux membres de ce conseil. Il est question de participation punissable lorsqu'un administrateur s'est abstenu de respecter cette obligation légale, dont il avait connaissance, « puisque rien n'indique qu'il a protesté au sein du conseil d'administration contre l'insuffisance des décisions en matière d'investissements environnementaux et il a choisi sciemment et volontairement de s'abstenir » [15].

7. Expertise judiciaire

Dans le cadre d'une procédure pénale, les juges peuvent faire appel à un expert en vue de recueillir un avis sur des aspects techniques qui méritent un examen approfondi par une personne dotée de compétences particulières dans un domaine qui n'est pas celui d'un magistrat. Toutefois, comme le note la cour d'appel de Bruxelles en la matière, « le juge ne peut confier à l'expert ni les tâches qu'il pourrait exécuter lui-même, ni surtout le soin de dire le droit, c'est-à-dire de dégager les conséquences juridiques des faits constatés ou appréciés. Ce qu'il convient d'attribuer à l'expert, ce sont des missions d'ordre scientifique ou technique. L'expert est le conseiller technique du juge ». En l'espèce, la cour a estimé que le juge d'instruction avait bien demandé aux experts un avis scientifique dans un domaine de compétences qui était celui des experts et non le sien, et qu'il n'y avait donc pas lieu de déclarer nul son réquisitoire ainsi que le rapport d'expertise versé au dossier [16].

De son côté, la Cour de cassation, se prononçant sur la question de l'impartialité de l'expert judiciaire, estime que les soupçons qu'un inculpé dit éprouver en la matière doivent, certes, être pris en considération, mais sans constituer pour autant un critère exclusif: il y a lieu, en effet, de rechercher si les appréhensions de l'intéressé peuvent passer pour « objectivement justifiées » [17].

La Cour confirme également qu'il ne se déduit pas de l'article 37 de la loi du 22 avril 1999 relative aux professions comptables et fiscales que les aides et collaborateurs de l'expert judiciaire doivent, comme lui, être inscrits au tableau établi par l'Institut des experts-comptables et des conseils fiscaux. En effet, l'aide dont ils peuvent s'entourer ne constitue pas elle-même l'activité d'expertise, soumise au monopole légal, puisque l'expert judiciaire ne délègue pas ses fonctions [18].

8. Personnes morales (responsabilité pénale)
Imputabilité

En vertu de l'article 5, alinéa 1er, du Code pénal, toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte. Bien que ces critères soient alternatifs, cette disposition permet évidemment également au juge d'imputer l'infraction à la personne morale, lorsqu'il constate l'existence de plusieurs d'entre eux [19]. En l'espèce, il s'agissait d'un ensemble immobilier construit illégalement, dont la réalisation pouvait apporter une plus-value à la société. Le juge d'appel avait estimé que la personne morale avait agi « pour son compte » et « son propre intérêt ». Ce faisant, il a retenu deux des critères mis en place par l'article 5 du Code pénal et ne devait donc en aucun cas justifier si les infractions étaient également liées à l'objet social de la société ou non.

Dans un dossier où les juges d'appel avaient condamné une personne morale, cette dernière s'est pourvue en cassation au motif que la cour d'appel avait, à tort, assimilé l'élément matériel et moral des infractions pour la personne physique à l'élément matériel et moral pour la personne morale. Or, soulignait cette personne morale, les agissements ayant été commis par une personne physique en tant qu'organe ne peuvent automatiquement entraîner la responsabilité pénale de la personne morale: les éléments constitutifs de l'infraction doivent également être établis à charge de cette dernière. Dans la mesure où deux des trois gérants de la personne morale n'avaient été ni poursuivis, ni condamnés, et qu'ils n'étaient nullement concernés par les faits mis à sa charge, la personne morale estimait que sa culpabilité ne pouvait donc pas être établie. La Cour de cassation rejeta cette argumentation, en jugeant que la seule circonstance que deux des trois gérants d'une personne morale ne soient pas également poursuivis, n'exclut pas que la personne morale puisse être déclarée pénalement responsable. De plus, en l'espèce, les juges d'appel avaient précisé que la personne morale avait engagé les travailleurs, que l'un des gérants était informé de l'existence de faits punissables dans son chef et que la personne morale avait réalisé son objectif social sans prendre en considération les dispositions de droit social, n'entreprenant rien afin de mettre un terme aux infractions, « par goût de la facilité et appât du gain et afin de prendre une avance déloyale sur le secteur ». Ce faisant, estime la Cour de cassation, les juges d'appel ont constaté concrètement les agissements attribués à la personne morale, sans déduire automatiquement cette responsabilité de la culpabilité d'une personne physique ayant agi en tant qu'organe de la personne morale [20].

Dans un même ordre d'idées, la cour d'appel de Liège, soulignant que l'opportunité des poursuites est une prérogative du ministère public, juge que l'absence de poursuites des personnes physiques « n'empêche nullement la personne morale seule poursuivie de se prévaloir de la cause d'excuse absolutoire ». Sur cette base, « il ne peut, dès lors, être déduit de l'absence de mise à la cause d'une personne physique ou morale, aucune violation des droits de la défense, dès l'instant où les personnes poursuivies peuvent faire valoir tous leurs moyens, y compris ceux relatifs à l'implication d'un tiers, devant une juridiction dont l'indépendance et l'impartialité ne sont pas remises en cause » [21].

La responsabilité de la personne morale peut également être établie sur la base de l'article 418 du Code pénal en cas de défaut de prévoyance ou de précaution, cet article comprenant toutes les formes de la faute, aussi légère soit-elle. Ce fut le cas dans le cadre d'un chantier de construction, la personne morale n'ayant pas associé le gestionnaire du réseau gazier aux réunions de la structure de coordination. Au vu des particularités du terrain, à savoir des canalisations de gaz à haute pression, « le fait de ne pas avoir associé leur gestionnaire aux réunions en question constitue un manquement à la norme générale de prudence consacrée notamment par l'article 418 du Code pénal » [22].

Elément moral

Il résulte de l'article 5 du Code pénal que la sanctionnabilité concomitante de la personne physique et de la personne morale nécessite que le juge constate non seulement que la personne physique a commis la faute « sciemment et volontairement », mais également qu'il constate une faute de la personne morale, dont la responsabilité est engagée lorsque la réalisation de l'infraction résulte d'une décision prise sciemment et volontairement par la personne morale, ou d'une négligence commise en son sein. Pour « constater cet élément moral, le juge peut se fonder sur les agissements des organes de gestion de la personne morale ou de ses dirigeants, pouvant notamment être une personne physique ». En l'espèce, le juge condamna la société pour négligence et défaut d'attention, l'entreprise ayant été organisée et fonctionnant de telle sorte qu'une autorisation générale, pourtant nécessaire, n'avait pas été demandée [23].

Cumul

Une personne physique peut également être responsable, aux côtés de la personne morale, d'un délit fiscal, compte tenu notamment de son rôle au sein de la société, particulièrement dans la commission de l'infraction.

Une décision en appel relève à cet égard que, d'après la déclaration de la prévenue, c'est elle qui s'occupait de l'entrepôt, gérait le stock à l'entrée, effectuait les livraisons, etc. Selon les juges d'appel, la sortie des marchandises sans remplir les formalités adéquates constitue un acte dont le caractère conscient et volontaire, dans le chef de la prévenue, se déduit de sa connaissance parfaite de l'administration, de ses fonctions de contact avec les fournisseurs et la clientèle, ainsi que de l'importance des manquants [24].

Décumul

L'article 5, § 2, du Code pénal, qui régit les cas où la responsabilité d'une personne physique et celle d'une personne morale sont engagées en raison d'une même infraction, crée une cause d'excuse absolutoire au profit de la personne ayant commis « la faute la moins grave », et ce pour autant que la personne physique identifiée n'ait pas agi sciemment et volontairement. La mise en balance des fautes et la détermination de la faute la plus grave « relève de l'appréciation souveraine du juge du fond » [25]. En application de ces principes, la cour d'appel de Mons a condamné l'unique associé d'une petite société dont les responsabilités et compétences démontraient qu'il avait commis la faute la plus grave, en exploitant un établissement sans en avoir reçu l'autorisation.

Le principe du décumul a également été appliqué par le tribunal correctionnel d'Arlon, suite à un accident impliquant deux ouvriers couvreurs tombés des échafaudages passerelles installés par une société. Le tribunal, après avoir examiné qui, de la personne morale ou de la personne physique, avait pris la plus grande part dans la réalisation de l'infraction, a estimé que c'était la personne morale qui avait eu le rôle déterminant dans la commission du fait reproché, constatant qu'il apparaissait que les personnes physiques n'avait pas pris une part primordiale et décisive dans la réalisation de l'accident, notamment parce que ni l'une ni l'autre n'assurait la surveillance du chantier et qu'ils n'étaient pas sur les lieux de l'accident au moment des faits. Dès lors, selon le tribunal, c'est bien la personne morale qui avait commis la faute prépondérante, la plus grave, et qui doit donc être seule condamnée [26].

En revanche, l'argumentation relative à l'application du principe de décumul n'a pas été retenue dans un dossier relatif à des nuisances sonores, dans lequel les prévenus, personnes physiques, estimaient que la société, organisatrice de la soirée, avait commis la faute la plus grave alors qu'ils n'étaient que des utilisateurs occasionnels de l'appareil générateur des nuisances. En l'espèce, le juge a retenu que les prévenus avaient agi en réalité « sciemment et volontairement », qu'ils avaient la capacité de réduire le volume sonore mais n'avaient rien fait pour empêcher la commission de l'infraction et qu'ils avaient, en outre, refusé de donner suite à la demande des autorités verbalisantes de cesser la musique [27].

Un autre cas d'application a porté sur un accident subi par une jeune fille tombée d'un mur d'escalade lors d'un examen d'éducation physique dans l'école qu'elle fréquentait. Des poursuites ont été engagées pour coups et blessures involontaires tant à l'encontre du professeur d'éducation physique que de l'école en tant que telle. Le tribunal correctionnel de Huy a estimé que la faute la plus grave devrait être uniquement retenue dans le chef de la personne physique, à savoir le professeur d'éducation physique, dans la mesure où le professeur n'avait pas vérifié que la communication et la compréhension était parfaite entre les couples d'élèves faisant l'exercice et n'avait pas donné de consignes à ses élèves [28].

Mandataire ad hoc

Le tribunal correctionnel de Liège s'est penché de façon détaillée sur la question de la prise en charge des honoraires du mandataire ad hoc.

Il relève tout d'abord que lorsque le mandataire ad hoc est désigné par la personne morale elle-même, la question des honoraires de ce mandataire est réglée directement avec le mandant, sur la base d'une convention intervenante. Par contre, lorsque la personne morale poursuivie n'a pas, elle-même, désigné de mandataire ad hoc et que c'est la juridiction qui est amenée à lui en désigner un, la question qui se pose alors est de savoir à qui les honoraires de ce mandataire incombent. En effet, la loi n'a strictement rien prévu concernant cette question.

En ce qui concerne son statut, il apparaît au tribunal que le mandataire ad hoc ne répond pas aux critères d'un mandataire de justice. En effet, les caractéristiques des mandataires de justice (définition et contrôle de la mission par le juge, indépendance, impartialité, rémunération fixée par le juge) ne correspondent pas à la réalité du mandataire ad hoc. Il ne pourrait ainsi être demandé au mandataire ad hoc de prendre de la distance par rapport à la personne morale pour conserver son impartialité ou encore de rendre des comptes au tribunal sur la gestion du patrimoine, comme c'est le cas des mandataires de justice, alors que son but est de préserver les intérêts de la personne morale.

Le tribunal en déduit que la mission du mandataire ad hoc consiste en la représentation et en la défense des intérêts de la personne morale dans le cadre circonscrit de l'action publique et dans laquelle il a été désigné et que, dans cette mesure, la mission du mandataire ad hoc se rapproche de celle de l'avocat. Toutefois, poursuit-il, ce mandat va bien au-delà de celui d'un avocat puisque alors que l'avocat se conforme aux instructions que lui donnent les instances dirigeantes de la société, le mandataire ad hoc est seul compétent pour déterminer la stratégie de défense de la société, et, le cas échéant, pour exercer des voies de recours au nom de celle-ci. Il garantit ainsi l'indépendance de la société dans la défense de ses intérêts.

Le tribunal correctionnel conclut que le statut du mandataire ad hoc procède d'un « statut sui generis » qui ne procède pas d'un statut comparable à celui d'un mandataire de justice. Par conséquent, ce statut exclut la qualification de ses frais et honoraires en frais de justice. Selon le tribunal, la circonstance que le mandataire ad hoc ait été désigné par décision de justice, à l'instar des interprètes, experts et autres professions, est sans incidence à cet égard. En outre, souligne le juge, les frais et honoraires du mandataire ad hoc n'entrent pas dans l'une des catégories visées par l'arrête royal du 28 décembre 1950 portant règlement général sur les frais de justice en matière répressive. En conséquence, il estime que les frais et honoraires du mandataire ad hoc doivent être considérés comme des « frais de défense, qui devront être mis à la charge de la personne morale représentée dans le cadre de l'instance » [29].

Dans un autre dossier, des poursuites étaient menées contre la personne morale et contre l'ancien administrateur délégué de cette personne morale, qui ne l'était toutefois plus au moment où le tribunal a été saisi de l'action publique, sa femme l'ayant remplacé dans cette fonction dans l'intervalle. La question s'est alors posée de savoir s'il était toujours nécessaire de nommer un mandataire ad hoc pour représenter la société. La cour d'appel de Liège, après avoir noté que la ratio legis de l'article 2bis du Titre préliminaire du Code de procédure pénale a pour but de garantir une défense autonome de la personne morale lorsqu'elle est poursuivie en même temps que son représentant statutaire pour les mêmes faits, a jugé en l'espèce que les conditions de cet article n'étaient plus réunies puisque le prévenu n'était plus habilité à représenter la société, n'étant plus administrateur délégué de celle-ci. C'est pourquoi, à moins qu'il n'ait été prouvé que le remplacement du prévenu par son épouse au poste de représentant était en fait une simulation, il a été jugé qu'il n'était pas justifié de procéder à pareille désignation de mandataire ad hoc [30].

A diverses reprises, la cour d'appel de Liège a également réformé les décisions rendues en première instance par les tribunaux correctionnels de Arlon [31] et de Huy [32] qui n'avaient pas désigné de mandataires ad hoc alors que, souligne la cour, il incombait à ces juges de première instance de le faire, conformément à l'article 2bis du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, lorsque les poursuites contre une personne morale et contre la personne habilitée à la représenter sont engagées pour les mêmes faits ou des faits connexes.

Dans une affaire soumise au tribunal correctionnel de Bruxelles, une personne morale représentée par un mandataire ad hoc a été, en cours de procédure, déclarée en faillite. La question s'est posée de savoir dans quelle mesure les intérêts de la personne morale, pour ce qui est de sa défense pénale, devaient être repris par le mandataire ad hoc ou par le curateur. Dans un jugement du 27 mars 2012, le tribunal a estimé que la personne morale devait être représentée par le mandataire ad hoc, se fondant sur la considération qu'une fois que le mandataire ad hoc est désigné, son mandat continue jusqu'au moment où une décision définitive est rendue sur la procédure pénale à l'encontre de la personne morale, même si la personne morale est déclarée en faillite dans le cours de cette procédure. Le tribunal souligne également que le curateur intervient pour les créanciers, et non pas pour la société faillie en tant que telle, de telle façon que, s'il devait prendre la défense pénale de la société, il pourrait être confronté à un conflit d'intérêt. Le tribunal correctionnel en conclut que « le curateur n'offre pas les mêmes garanties que le mandataire ad hoc » pour ce qui est de l'exercice des droits de la défense de la société [33].

Transaction pénale

Le tribunal correctionnel de Bruxelles a été confronté à une situation dans laquelle le ministère public lui demandait de bien vouloir constater l'extinction de l'action publique au motif que la personne morale poursuivie avait accepté la transaction pénale que le parquet lui avait proposée. Le tribunal constata qu'en l'espèce la proposition de transaction avait bien été acceptée, mais « par un avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite ».

Il jugea en conséquence que dans la mesure où le curateur n'était pas habilité à représenter la personne morale faillie dans le cadre de sa défense pénale, comme l'avait d'ailleurs observé la cour d'appel de Bruxelles dans un arrêt circonstancié du 4 octobre 2011, l'accord de transaction passée avec la personne morale n'avait donc pas été valablement accepté, de telle sorte qu'il ne pouvait être fait droit aux réquisitions du ministère public [34].

Liquidation ou dissolution de la personne morale

En vertu de l'article 20 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, l'action publique s'éteint par la mort de l'inculpé ou par la clôture de la liquidation, la dissolution judiciaire ou la dissolution sans liquidation lorsqu'il s'agit d'une personne morale. Toutefois, l'action publique pourra encore être exercée ultérieurement contre la personne morale, si la mise en liquidation, la dissolution judiciaire ou la dissolution sans liquidation a eu pour but d'échapper aux poursuites ou si la personne morale a été inculpée par le juge d'instruction, conformément à l'article 61bis du Code d'instruction criminelle, avant la perte de la personnalité juridique.

Il ressort de travaux préparatoires de la loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénale des personnes morales que, par ces dispositions, le législateur a entendu empêcher la mise en échec de l'action publique par la liquidation ou la dissolution lorsque, notamment, celle-ci intervient après que la personne morale a eu connaissance, de manière certaine, de l'existence des poursuites par le fait d'une inculpation. En vertu de ces principes, il a été jugé qu'il en allait de même, a fortiori, d'une citation à comparaître, une personne morale ayant été citée dans le cas d'espèce directement avant la perte de sa personnalité juridique. La Cour de cassation a jugé que la personne morale avait eu connaissance de manière certaine de l'existence de poursuites à son encontre. L'action publique n'était donc pas éteinte [35].

Dans un autre cas et de façon similaire, il a été décidé que la dissolution sans liquidation en suite d'une absorption par une société de droit étranger visait à échapper aux poursuites et que les poursuites judiciaires n'étaient par conséquent pas éteintes lorsque la société absorbée avait maintenu son siège en Belgique. En effet, pour les juges d'appel, la dissolution n'a pas entraîné la disparition des activités de la société absorbée, qui ont été continuées au même endroit par la nouvelle entité [36].

II. Infractions au Code pénal (par article)
1. Faux en écriture (art. 193 et s.)

Cf. également à ce sujet infra: Infractions fiscales: faux et usage de faux fiscal - Prescription

Altération de la vérité

Le faux intellectuel peut être soit un délit de commission, lorsque l'auteur du faux insère dans l'écrit des mentions contraires à la vérité, soit un délit d'omission, lorsque l'auteur du faux omet intentionnellement certaines constatations ou déclarations, qu'il est chargé de reprendre dans l'écrit.

A titre d'exemple de faux intellectuel, récemment jugé par la cour d'appel de Bruxelles, un prévenu avait incité la victime à acheter des parts dans sa société notamment à travers des états financiers prometteurs, qui ne reflétaient pas la situation réelle de l'entreprise. La cour a jugé que pareils états financiers constituent une altération de la vérité dans une écriture de commerce, susceptible d'être qualifiée de faux intellectuel [37].

De même, constitue un faux intellectuel l'acte contenant un simulacre de consentements [38].

L'altération de la vérité est appréciée de façon souveraine par le juge. Dans une affaire portant sur des attestations bancaires constatant des apports libérés en vue de la constitution de sociétés, arguées de faux, il a ainsi été jugé que « la constatation que les sociétés, après la constitution ou l'augmentation de capital, n'ont jamais pu disposer librement des sommes et que ces dernières n'ont jamais été soumises aux risques de l'entreprise, ne permet pas de conclure au travestissement de la vérité dans les attestations bancaires, qui ne tendent qu'à apporter la preuve du dépôt des sommes, préalablement à la constitution ou à l'augmentation du capital, à un moment déterminé sur un compte déterminé » [39].

Ecrits protégés

La notion d'écrit protégé par la loi recouvre une réalité très large. Sont ainsi protégés par la loi, selon une jurisprudence constante encore récemment rappelée par la Cour de cassation, les écrits « qui s'imposent à la confiance publique de sorte que l'autorité ou les particuliers qui en prennent connaissance ou auxquels ils sont présentés, peuvent se convaincre de la réalité de l'acte ou du fait juridique constaté par ces écrits, ou sont en droit de leur accorder foi » [40].

Sont ainsi considérés comme écrits protégés par la loi « les bilans et comptes annuels de sociétés commerciales » [41], de même que les « actes de société » [42].

On notera à cet égard un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles qui a jugé, dans une affaire de vente de parts de société sur base d'un bilan inexact, qu'il n'y avait toutefois, en l'espèce, pas de faux punissable dans la mesure où l'acheteur avait signé un engagement de confidentialité avec notamment une clause qui lui permettait de vérifier « la situation patrimoniale et financière de la société, de ses activités commerciales et de ses possibilités d'avenir ». En lui donnant accès à tous les documents et renseignements qu'il désirait, la cour a jugé que dès lors que l'acheteur était en mesure de vérifier la situation financière de la société, les documents erronés « ne pouvaient pas faire preuve » et ne constituent donc pas des faux [43].

Les chèques sont également à considérer comme écrits protégés, « dès lors que la personne qui les reçoit n'a pas la possibilité de contrôler les indications y figurant ». La circonstance que la mention de sa certification, non accompagnée d'aucun élément permettant de penser qu'elle émane d'une banque, est une information vérifiable ne lui ôte pas ce caractère [44].

Pour ce qui est des factures, « une facture non conforme à la réalité peut constituer un faux punissable à l'égard des tiers qui ne peuvent contrôler l'exactitude de son contenu ». Ainsi, dans un dossier relatif à un cas de recel, il a été jugé en l'espèce que « faire établir une fausse facture par le fournisseur du bien tiré de l'infraction afin de donner l'impression à des tiers, parmi lesquels les autorités judiciaires, que l'acheteur s'est procuré légalement ce bien et ainsi en dissimuler le recel, peut constituer l'infraction de faux en écritures dès lors que les autorités judiciaires peuvent, de ce fait, être effectivement convaincues de la fiabilité du fait juridique désigné comme faux et qu'il peut être porté préjudice aux intérêts légitimes du propriétaire lésé, demandeur en réparation » [45].

Dans un autre dossier, une candidate à la fonction de président du tribunal de commerce avait fait de fausses déclarations écrites concernant sa situation financière. Poursuivie pour faux, sa défense invoquait le fait que lesdits documents ne devaient pas être considérés comme étant faux dans la mesure où ils n'étaient pas en mesure de produire des effets juridiques, l'état financier des candidats pour ce poste n'étant pas un critère de nomination. Cette argumentation fût rejetée par la cour d'appel qui retient en l'espèce que le fait établi dans la déclaration, à savoir le fait qu'une personne n'avait jamais traité avec la prévenue et qu'elle la considérait comme simple caution, ne correspondait pas à la réalité. La prévenue aspirait à être nommée président du tribunal de commerce et aurait donc dissimulé sa situation financière exacte, ce qui était nécessaire pour atteindre cet objectif. Par conséquent, elle avait, par cette déclaration, l'intention d'occulter l'existence d'importants emprunts à l'égard des instances appelées à l'évaluer en vue d'une éventuelle nomination. En agissant de la sorte, elle a mis ou a pu mettre en péril l'intérêt général public. Ce raisonnement fut confirmé par la Cour de cassation en ces termes: l'écrit qui comporte un acte ou un fait juridique « doit avoir une portée juridique, c'est-à-dire qu'il est sensé établir tout fait pouvant influencer la situation juridique des personnes ou des choses concernées; un écrit qui constate les liens juridiques entre des parties contractantes en vue de l'accès d'une de ces parties à une fonction visée, a une portée juridique, nonobstant le fait que la modification de la réalité juridique visée par cet écrit soit liée à l'observation d'une obligation légale ». En conséquence, la Haute Cour estime que par la motivation évoquée ci-avant, la cour d'appel a indiqué le fait juridique pertinent pour lequel la déclaration peut faire office de preuve et a justifié légalement sa décision [46].

Préjudice possible

L'existence d'un préjudice ou de la possibilité d'un préjudice est un élément matériel constitutif de l'infraction. A ce titre, la Cour de cassation a estimé que la dissimulation, dans un acte constitutif de société, de l'identité du véritable gérant est, en soi, « susceptible de porter préjudice aux tiers appelés à entrer en contact avec elle » [47].

Intention frauduleuse

L'article 193 du Code pénal dispose, de manière générale, que le faux en écriture doit être commis avec une intention frauduleuse ou à dessein de nuire. En conséquence, l'intention de commettre le fait n'est donc pas, en soi, suffisante: elle doit requérir en outre un élément intentionnel spécial qui peut consister, soit dans l'intention frauduleuse, soit dans le dessein de nuire: c'est ce qu'a encore souligné la Cour de cassation, à plusieurs reprises, en ces termes: « Le seul fait de masquer la vérité dans un écrit comme le prévoit la loi et l'usage de cet écrit ne constituent pas l'infraction de faux en écritures et usage de faux. La condition de l'élément moral doit, par ailleurs et à titre complémentaire, être démontrée. » [48].

La Haute Cour a également précisé à plusieurs reprises que « l'intention frauduleuse » requise pour que le faux soit punissable est réalisée lorsque l'auteur, « trahissant la confiance commune dans l'écrit », cherche à obtenir, pour lui-même ou pour autrui, un « avantage ou un profit, de quelque nature qu'il soit », qui « n'aurait pas été obtenu si la vérité ou la sincérité de l'écrit avait été respectée » [49].

L'élément moral du délit de faux en écriture « peut se déduire d'une constance d'éléments factuels concordants » [50].

Enfin, on notera que la jurisprudence exige par ailleurs du juge qu'il constate séparément et distinctement l'altération de la vérité, l'intention criminelle et le préjudice potentiel causé aux tiers [51].

Non bis in idem (usage de faux)

Aucune disposition légale (ni l'art. 14, 7. du pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni le principe général du droit non bis in idem) n'empêche le juge, à propos des faits qui forment une infraction continuée, de décider, d'une part, que ces faits constituent partiellement la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse en tant que faits pour lesquels le prévenu a déjà été condamné par une décision passée en force de chose jugée et d'infliger une peine complémentaire du chef de l'ensemble des faits en application de l'article 65, alinéa 2, du Code pénal en tenant compte de la peine déjà prononcée, et d'autre part, d'infliger une peine distincte pour les faits postérieurs à la décision judiciaire passée en force de chose jugée. Ainsi, relève la Cour de cassation, le juge n'inflige pas deux peines distinctes pour un même fait ou pour les mêmes faits, mais il sanctionne deux faits distincts [52].

Participation

Conformément aux principes en la matière, il a été jugé de manière constante que pour qu'un prévenu puisse être légalement condamné comme participant à une infraction de faux en écriture, il n'est point requis que le participant ait agi avec une intention frauduleuse, ni que les actes de participation contiennent tous les éléments de l'infraction: il suffit d'avoir apporté, à l'exécution du faux, une aide nécessaire ou de l'avoir directement provoquée, d'avoir eu une connaissance positive des éléments constituant le fait principal, et d'avoir eu la volonté de s'associer de la façon prévue par la loi, à la réalisation de l'infraction [53].

Dans un dossier, un comptable fut poursuivi en raison de la différence entre les recettes encodées et l'argent effectivement encaissé. En l'espèce, le tribunal correctionnel a toutefois estimé que ce dernier n'était pas coupable, en raison d'absence de connaissance de l'altération de la vérité, justifiée comme suit: « Le comptable d'une société, chargé d'une mission d'assistance externe, n'a pas de mission d'enquête. Confronté à plusieurs explications possibles au sujet d'une discordance entre des recettes encodées et l'argent réellement encaissé, il ne lui appartient pas de trancher entre les différentes hypothèses. A défaut pour lui de connaître l'altération de la vérité au moment où il a passé l'écriture, aucune faute pénale ne peut lui être imputée. » [54].

Prescription (usage de faux)

Dans la mesure où l'usage n'implique pas nécessairement qu'il y ait un acte positif déterminé de la part de l'auteur du faux, plusieurs décisions ont confirmé la jurisprudence classique selon laquelle: « l'usage de faux se continue, même sans fait nouveau de l'auteur du faux et sans intervention itérative de sa part tant que le but qu'il visait n'est pas entièrement atteint, et tant que l'acte initial qui lui est reproché achève d'engendrer à son profit, sans qu'il s'y oppose, l'effet utile qu'il en attendait » [55].

2. Faux informatique (art. 210bis)

Le tribunal correctionnel de Gand a eu à connaître d'une affaire dans laquelle un employé, voulant se venger de son patron, avait créé un compte Facebook au nom de ce dernier sur lequel il avait mis des photos ainsi que de faux messages, dont il ressortait notamment que ce dernier aurait une relation adultère.

La création d'un compte Facebook au nom d'une autre personne et le fait d'y mettre de faux messages auxquels tout le monde a accès, a été jugée comme étant de la manipulation de données informatiques juridiquement pertinentes. Dans la mesure où, en l'espèce, les éléments démontraient également que l'employé avait certainement agi avec le dessein de nuire et qu'il y avait une possibilité de préjudice pour la victime, la prévention de faux en informatique, telle que définie à l'article 210bis du Code pénal, a été retenue comme fondée [56].

3. Entrave des enchères ou des soumissions (art. 314)

L'article 314 du Code pénal réprime « les personnes qui, dans les adjudications de la propriété, de l'usufruit ou de la location des choses mobilières ou immobilières, d'une entreprise, d'une fourniture, d'une exploitation ou d'un service quelconque, auront entravé ou troublé la liberté des enchères ou des soumissions, par violences ou par menaces, par dons ou promesses » ou « par tout autre moyen frauduleux ».

Interrogée quant à la légalité de cet article, en ce qu'il réfère notamment à la notion vague de « tout autre moyen frauduleux », la Cour de cassation a saisi l'occasion pour en préciser la portée de manière détaillée, comme suit:

La Cour souligne tout d'abord que la notion « par tout autre moyen frauduleux » a été insérée lors de la modification de l'article 314 du Code pénal par l'article 66 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fourniture et de services. Alors qu'auparavant l'article 314 du Code pénal punissait uniquement la falsification de concurrence par violences ou par menaces, il a été admis que celle-ci résultait dans de nombreux cas d'accords préalables sur les prix de soumission, de partage des commandes ou « de toute autre pratique frauduleuse ». Punir le fait de s'accorder en vue de fausser la concurrence visait à en démontrer plus facilement l'existence. La nouvelle disposition a inséré une sanction pour les personnes qui faussent les conditions normales de concurrence pour un marché public déterminé.

Le champ d'application rationae personae de la disposition pénale est, selon la Cour, clairement défini: « la disposition s'adresse à quiconque prend part à l'adjudication de la propriété, de l'usufruit ou de la location de choses mobilières ou immobilières, d'une entreprise, d'une fourniture, d'une exploitation ou d'un service quelconque, en d'autres termes à quiconque prend part à une transaction par laquelle il y a mise aux enchères publiques ».

Quant au champ d'application matériel, il est également suffisamment délimité: « la disposition pénale concerne l'adjudication aux enchères publiques de la propriété, de l'usufruit ou de la location de choses mobilières ou immobilières, d'une entreprise, d'une fourniture, d'une exploitation ou d'un service quelconque, dans laquelle la liberté des enchères ou la soumission aura été entravée ou troublée par violences ou par menaces, par dons ou promesses ou par tout autre moyen frauduleux ».

La Cour souligne que « la fraude est une notion que le législateur emploie régulièrement et connue de la jurisprudence et de la doctrine. Elle n'a d'autre signification que celle du langage usuel et compte, en général, tous les agissements frauduleux visant à se procurer ou à procurer à autrui un avantage illégitime ». En l'espèce, la loi vise spécifiquement les agissements qui influencent négativement la liberté des enchères ou la soumission et portent ainsi préjudice aux finances publiques et à la concurrence loyale.

Enfin, un élément moral doit également être établi pour la punissabilité. En cette matière, « le dol général suffit: celui qui entrave ou trouble sciemment la liberté des enchères ou la soumission ressortit à l'application de l'article 314 du Code pénal » [57].

4. Association de malfaiteurs (art. 322)

L'association de malfaiteurs, telle que réprimée aux articles 322 à 324 du Code pénal, nécessite l'existence d'un groupe organisé de personnes qui a pour but de commettre contre les personnes ou les propriétés, des attentats constituant des crimes ou des délits.

Cette organisation visée par l'article 322 du Code pénal « doit avoir un caractère volontaire exclusif de tout rassemblement accidentel ou circonstanciel, et elle doit rattacher les différents membres les uns aux autres par des liens non équivoques érigeant leur entente en un corps capable de fonctionner au moment propice » [58]. Par conséquent, une concertation occasionnelle dans le but de perpétrer un crime ou un délit ne constitue pas une association organisée au sens de cette prévention. Il résulte également de la définition de cette infraction que le danger social que l'article 322 du Code pénal entend réprimer « n'est pas le seul accord par lequel différentes personnes décident de commettre des infractions en commun » [59].

Ceci étant, dès lors que le juge estime qu'il y a bien une association formée dans le but d'intenter aux personnes ou aux propriétés, il suffit que le prévenu ait été conscient de sa participation à une activité organisée et qu'il ait contribué par ses actes à son déroulement pour que la prévention soit établie. Dans le cas d'espèce qui a donné lieu à cette décision, le juge a estimé que tant la prévenue que le prévenu ne pouvaient raisonnablement ignorer qu'ils participaient non pas à un rassemblement occasionnel, mais bien à un groupement organisé, c'est-à-dire capable de fonctionner au moment propice, ce que les faits ont démontré, ces derniers ayant été commis à des dates rapprochées, et selon un mode opératoire similaire, sinon identique, chacun des prévenus ayant un rôle spécifique à tenir selon un scénario préalablement mis au point [60].

5. Infractions liées à l'état de faillite (art. 489 et s.)

L'article 489ter, 1°, du Code pénal sanctionne le failli ou les dirigeants d'une société commerciale en état de faillite, qui, avec une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, font disparaître tout ou partie de l'actif en le détournant, le dissimulant ou le détruisant.

Un prévenu s'est pourvu en cassation contre une condamnation en appel, estimant que les juges n'avaient pas constaté l'élément matériel du détournement d'actifs qui lui était reproché, dès lors que l'acte consistait en un paiement d'une créance qui lui était due par la société en état de faillite. La Cour de cassation a jugé que le pourvoi ne pouvait être accueilli dans la mesure où « le dirigeant d'une société en état de faillite, qui sous le couvert d'une opération qu'il n'était pas en droit d'effectuer, s'attribue une chose qui ne lui appartient pas et prive ainsi les créanciers de leur gage, commet le détournement prohibé par la disposition précitée ». La Haute Cour souligne en l'espèce que l'arrêt énonce que le prévenu a fait main basse sur le prix de la cession du fonds de commerce exploité par la société et qu'à supposer même qu'il était bénéficiaire d'une créance à charge de cette société, l'important passif de celle-ci lui interdisait de procéder à un tel prélèvement [61].

Dans cette même affaire, le prévenu reprocha à la cour d'appel de violer l'article 489bis, 2° et 4°, du Code pénal en l'ayant déclaré coupable d'avoir, dans l'intention de retarder la faillite, utilisé des moyens ruineux pour se procurer des fonds et omis de faire l'aveu de la faillite, alors que la cour d'appel n'avait pas constaté l'élément moral ni répondu à ses conclusions dans ce cadre. Cette argumentation ne fut pas davantage retenue par la Cour de cassation qui note que l'arrêt considère d'abord que les dettes fiscales et sociales laissées par le prévenu « sont d'une telle ampleur qu'elles impliquaient incontestablement une cessation des paiements et un ébranlement du crédit ». L'arrêt précise ensuite que le demandeur connaissait la situation financière catastrophique de la société pour en avoir été lui-même à l'origine. Les juges d'appel ont encore énoncé, souligne la Cour, qu'en dépit de la dette conséquente de la société à l'égard des créanciers institutionnels, celle-ci avait été maintenue en activité par le prévenu alors que les conditions de la faillite étaient réunies dès le premier procès-verbal de carence établie à la demande de l'administration fiscale [62].

Pour ce qui est de l'autorité de la chose jugée, la Cour de cassation a également rappelé en la matière, qu' « à l'exception de la constatation de l'état de faillite dans les circonstances visées à l'article 489quater du Code pénal, une décision du tribunal de commerce n'a pas autorité de chose jugée en matière répressive; le juge pénal peut, dès lors, fixer l'époque de la cessation des paiements à une date antérieure à celle que le tribunal de commerce a déterminé » [63].

Enfin, la Cour constitutionnelle a eu également à se pencher sur l'interdiction professionnelle faite aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités.

Le tribunal de commerce de Liège lui a posé la question préjudicielle suivante: « L'article 3bis, § 2 et § 3, de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités, prévoyant la possibilité pour un tribunal de commerce de prononcer une interdiction professionnelle ne pouvant excéder 10 ans maximum, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où le failli cité devant le tribunal de commerce se voit appliquer un régime différent du failli cité devant le tribunal correctionnel, malgré la loi du 28 avril 2009, et pour lequel le tribunal correctionnel peut prononcer une mesure d'interdiction professionnelle sur pied de l'article 1erbis du même arrêté royal n° 22, particulièrement en ce que le failli cité devant le tribunal de commerce ne peut pas bénéficier du sursis? »

Dans son arrêt du 31 mai 2012, la Cour a estimé que les personnes visées par l'article 1erbis peuvent en effet être comparées à celles qui sont visées à l'article 3bis, § 2, de l'arrêté royal n° 22. L'article 1erbis s'applique, notamment, à une personne condamnée, même conditionnellement, comme auteur ou complice de l'une des infractions visées aux articles 489, 489bis et 489ter du Code pénal. Ces dispositions punissent, entre autres, les commerçants en état de faillite au sens de l'article 2 de la loi sur les faillites qui auront, notamment, commis dans la gestion de leur commerce, les fautes décrites dans ces articles. Ces personnes sont comparables à celles qui sont visées par l'article 3bis, § 2, puisqu'elles sont, les unes comme les autres, des commerçants faillis qui ont commis des fautes dans l'exploitation de leur commerce et qui, pour ce motif, sont passibles d'une même mesure d'interdiction portant sur toute activité commerciale.

Selon la Cour, les personnes visées à l'article 1erbis bénéficient bel et bien d'un traitement plus favorable que celles que vise l'article 3bis, § 2.

En effet, l'interdiction prononcée par le juge pénal est une peine accessoire qui peut notamment faire l'objet d'une mesure de sursis à l'exécution de la peine. La Cour constate, en outre, que la durée de l'interdiction prononcée par le juge pénal pourrait être inférieure à 3 ans s'il existe des circonstances atténuantes. Au contraire, les personnes visées à l'article 3bis, § 2, ne peuvent bénéficier d'aucune mesure d'adoucissement de l'interdiction de la part du juge consulaire.

Selon la Cour, une telle différence de traitement n'est pas raisonnablement justifiée car elle aboutit à traiter les faillis dont les fautes de gestion sont censées être les plus graves, puisqu'elles constituent des infractions pénales, plus favorablement que les faillis qui n'ont pas commis de fautes pénales.

Relevant que cette différence de traitement ne trouve toutefois pas son origine dans la disposition en cause, mais dans l'absence de dispositions qui permettraient aux faillis ayant fait l'objet d'une interdiction professionnelle de nature civile, prononcée par le tribunal de commerce, de bénéficier d'une mesure de sursis, la Cour dit pour droit que « l'article 3bis, § 2 et § 3, de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution », mais dit également par ailleurs que « l'absence d'une disposition législative qui permet de faire bénéficier les faillis d'une éventuelle mesure de sursis lorsqu'une interdiction professionnelle est prononcée par le tribunal de commerce viole les articles 10 et 11 de la Constitution » [64].

Cette jurisprudence a été confirmée dans un second arrêt du 14 novembre 2012 [65].

6. Organisation frauduleuse d'insolvabilité (art. 490bis)

L'organisation par un débiteur de son insolvabilité peut, conformément à une jurisprudence classique, être déduite de toute circonstance de nature à révéler sa volonté de se rendre insolvable.

Dans ce cadre, il a été jugé qu'il peut ainsi en aller de l'introduction d'une requête tendant à obtenir le règlement collectif de dettes [66].

Pour rappel, la procédure en règlement collectif de dettes s'adresse à toute personne physique non commerçante, qui se trouve en situation de surendettement (à savoir n'est plus en état, de manière durable, de payer ses dettes exigibles ou à échoir) et qui n'a pas manifestement organisé son insolvabilité. En l'espèce, après avoir relevé que selon les travaux préparatoires, la procédure mise en place ne peut être utilisée par un débiteur solvable pour échapper au paiement de ses dettes, les juges ont constaté que les prévenus n'avaient jamais payé leur dette et qu'ils s'était évertués, pendant près de 15 ans, à échapper à leur obligation de rembourser, en multipliant les procédures, pour, in fine, introduire la requête en règlement collectif de dettes comme ultime manoeuvre procédurale visant à perpétuer leur volonté d'échapper au paiement de la créance.

7. Abus de confiance (art. 491)
Objet de l'infraction

En matière d'abus de confiance, l'article 491 du Code pénal énumère les objets susceptibles d'être détournés ou dissipés: « Effets, deniers, marchandises, billets, quittances, écrits de toute nature contenant ou opérant obligation ou décharge. »

A ce titre, un billet gagnant du Lotto peut par conséquent faire l'objet de l'infraction, selon la cour d'appel d'Anvers. Cette dernière a ainsi condamné une personne qui s'était présentée avec le ticket gagnant du Lotto en vue de le faire contrôler et de pouvoir en toucher le montant. La cour retient de l'ensemble des circonstances de l'espèce qu'il était évident qu'il s'était approprié frauduleusement le billet au préjudice du propriétaire légitime et qu'il avait consciemment menti sur les circonstances dans lesquelles il avait prétendu être entré en possession du ticket de Lotto gagnant (en déclarant tout d'abord qu'il avait trouvé ce ticket sur le sol du comptoir et par la suite qu'il avait soudainement vu deux tickets sur le comptoir du magasin) [67].

Caractère précaire de la remise

Faisant l'objet de poursuites pour avoir soustrait des données commerciales de la firme dont il était l'employé, un prévenu, après qu'il y ait eu requalification des faits de la prévention de vol domestique en abus de confiance, a reproché à la cour d'appel d'avoir déclaré la prévention établie sous cette dernière qualification, sans avoir constaté qu'il disposait de la possession précaire requise par l'article 491 du Code pénal, plutôt que d'une simple détention de ces données en sa qualité d'employé.

La Cour de cassation relève que les juges d'appel avaient considéré qu'au moment de la rupture du contrat de travail, le prévenu, en qualité de directeur commercial, avait eu libre accès aux données de la société, et était resté en possession de données commerciales appartenant à celle-ci alors qu'il était tenu de les restituer et que ces données avaient été retrouvées lors d'une perquisition notamment à son domicile. L'arrêt de la cour d'appel constatait également qu'à la fin du contrat, le prévenu s'était approprié frauduleusement ces choses, dans le but illicite de favoriser une société dont l'objet social était le même que celui de la société qu'il avait quittée.

Par conséquent, la Cour de cassation considère que les juges d'appel ont légalement pu décider que le prévenu n'avait été mis en possession des données qu'à titre précaire et à la condition de les rendre, et ont donc justifié la qualification d'abus de confiance à ces faits [68].

La question de la possession précaire s'est également posée dans le cadre d'un dossier soumis à la cour d'appel de Gand relatif au comportement d'une agence de recouvrement de créance. La cour d'appel de Gand constate qu'une telle agence, lorsqu'elle recouvre les créances pour compte de ses clients, reçoit de l'argent des débiteurs de ses clients, à titre précaire, dans la mesure où il lui appartient de rendre ensuite ces montants à ses clients. Constatant en l'espèce le non-remboursement des sommes ainsi touchées de débiteurs de ses clients, la cour d'appel de Gand a jugé qu'il y avait en l'espèce abus de confiance par l'agence de recouvrement de créances [69].

Détournement ou dissipation

Tout abus de confiance nécessite la preuve d'un détournement ou d'une dissipation.

Dans l'affaire dite « Citibank », la banque ainsi que plusieurs de ses employés ont été poursuivis pour avoir frauduleusement détourné des sommes qui leur avaient été remises par les clients de la banque afin de faire l'objet d'investissements dans des produits structurés de type obligataire « Lehman Brothers » dont le capital « était garanti à 100% par la Citibank Belgium SA ».

La cour a jugé que cette prévention n'était pas fondée dans la mesure où, indépendamment du fait qu'il n'était par ailleurs pas établi que de telles valeurs mobilières existent ou aient existé (c'est en effet la société Lehman Brothers Holding Inc. qui offrait cette garantie et non pas Citibank), c'est bien en vue de l'achat des produits structurés de Citibank que les fonds avaient, en réalité, été remis et effectivement affectés par la banque [70].

Caractère instantané

Une personne, détentrice du patrimoine d'un tiers en vue de le gérer, avait transféré les valeurs de ce patrimoine sur un compte à son nom et dans un coffre lui appartenant. Poursuivie pour abus de confiance, la prévenue s'est défendue de ne jamais avoir été mise en demeure de restituer les valeurs en question. Ce moyen de défense n'a pas été retenu par la Cour de cassation, qui relève, que l'abus de confiance est une infraction instantanée, réalisée dès lors que sont réunies la dissimulation, à savoir l'appropriation illégale ou la dilapidation, à savoir l'affectation inconsidérée ou inutile, avec pour conséquence la perte de la chose ou du titre, et l'intention frauduleuse. Comme le souligne la Cour, « la mise en demeure ne constitue pas un élément constitutif de l'abus de confiance, ni davantage, un élément nécessaire pour prouver ce délit, lorsque d'autres éléments démontrent que l'auteur a agi frauduleusement » [71].

8. Abus de biens sociaux (art. 492bis)

Comme le rappelle la jurisprudence, « l'article 492bis du Code pénal punit notamment les dirigeants de droit ou de fait d'une société commerciale ou civile qui, avec une intention frauduleuse et à des fins personnelles, directement ou indirectement, ont fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage qu'ils savaient significativement préjudiciable aux intérêts patrimoniaux de celle-ci et à ceux de ses créanciers ou associés ». A ainsi été jugé coupable d'abus de biens sociaux, le dirigeant d'une société qui, alors qu'il est bien conscient de la situation financière catastrophique dans laquelle se trouvait ladite société, utilise des biens sociaux de façon significativement préjudiciable, au détriment de celle-ci et de ses associés « en cédant le fonds de commerce et en s'appropriant le prix de cette cession, en dépit de l'existence d'un passif social important, comprenant des créances privilégiées » [72].

Dans un même ordre d'idées, le tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné pour abus de biens sociaux des prévenus qui, après avoir constitué des sociétés, utilisaient le capital des sociétés fraîchement fondées pour en créer de nouvelles, inscrivant ledit retrait de liquidités dans le compte courant, ouvert au nom du gérant. Le tribunal relève que le préjudice est non seulement significatif mais « absolu » puisqu'il vidait la société de sa substance, rendant impossible le financement par celle-ci de ses activités. Le tribunal a considéré que l'inscription en compte d'une créance du gérant n'avait pas d'influence, dans la mesure où il ne rend pas disponible le montant correspondant dont la société a besoin [73].

Enfin, le tribunal correctionnel de Liège s'est penché sur un dossier dans lequel se posait la question de savoir si la rémunération octroyée à un dirigeant ne constituait pas un abus de biens sociaux. Ce dernier avait été nommé administrateur délégué de la société mais son salaire n'avait jamais été déterminé par le conseil d'administration. La rémunération qu'il s'était octroyée avait connu une croissance exponentielle sur deux ans, en passant de 6.600 EUR par mois à plus de 30.000 EUR par mois. Le tribunal part de la constatation selon laquelle « le montant d'une rémunération est le reflet de toute une série de facteurs, pas toujours objectivables, et il n'appartient pas au tribunal correctionnel, a posteriori, de sanctionner le montant de la rémunération octroyée, sauf abus manifeste. » En l'espèce, après s'être replacé dans le contexte propre à la société, et après avoir pris en considération l'ensemble des responsabilités ainsi que le travail qui a été réalisé par le prévenu, il estime qu'un tel abus ne peut être démontré. Les montants sont certes importants mais ils ne sont pas forcément hors toute proportion, certainement lorsque l'on prend en considération les revenus et les charges de la société en question [74].

9. Escroquerie (art. 496)

L'utilisation de manoeuvres frauduleuses provoquant la remise ou la délivrance de fonds, meubles, obligations, quittances ou décharges, est l'un des éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie. Cet élément n'a pas été jugé présent par la cour d'appel de Bruxelles dans un dossier où le prévenu avait incité le demandeur à acheter des parts de sa société au travers de bilans financiers prometteurs qui ne reflétaient toutefois pas la situation réelle de l'entreprise, la cour jugeant que si la partie civile ne se comporte pas prudemment, si elle ne fait pas les démarches qui sont à sa portée pour se prémunir de tout risque, les manoeuvres ne peuvent être considérées comme étant frauduleuses [75]. En l'occurrence, la partie civile avait signé un engagement de confidentialité avec une clause qui lui permettait de vérifier « la situation patrimoniale et financière de la société, de ses activités commerciales et de ses possibilités d'avenir ». La cour a donc estimé qu'il apparaissait des faits que la prétendue victime avait en réalité tous les moyens pratiques mis à sa disposition pour contrôler la véracité des documents qui lui étaient présentés et l'argument de la partie civile selon lequel elle faisait confiance au prévenu en raison des relations d'amitié entre celui-ci et son frère n'a pas été jugé sérieux au regard de l'ampleur de l'investissement envisagé et des termes de cet accord de confidentialité, qui démontrent que la partie civile n'entendait pas s'engager à la légère sans vérification, qu'elle n'avait toutefois pas faite.

Dans le même ordre d'idée, l'absence de manoeuvres frauduleuses a été confirmée par un arrêt de la Cour de cassation, cassant un arrêt qui avait condamné pour escroquerie un prévenu qui avait organisé des ventes de biens appartenant à la partie civile et comptabilisé ensuite les paiements à des prix inférieurs à ceux qui étaient réellement payés. Le prévenu réalisait alors de fausses factures afin que la comptabilité de la victime apparaisse comme exacte. La Cour souligne que les manoeuvres frauduleuses doivent être comprises comme étant « des moyens trompeurs assimilés ou associés à des agissements extrinsèques, déterminants pour la remise ou la livraison de la chose ». Même si le juge apprécie souverainement si un comportement constitue une manoeuvre frauduleuse, les juges d'appels ne pouvaient, en l'espèce, déduire légalement des agissements de ce prévenu l'existence de telles manoeuvres dans la mesure où, si le prévenu avait bien menti, il n'avait pas étayé ses allégations d'actes extrinsèques à même de crédibiliser ses propos. En effet, « de simples allégations mensongères, même répétées, ne constituent pas des manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 496 du Code pénal, si elles ne sont pas associées à des agissements extrinsèques qui leur font foi » [76].

Enfin, de façon similaire, la Cour de cassation a refusé d'admettre la tentative d'escroquerie dans une affaire où le demandeur reprochait au prévenu de se faire passer pour un créancier qu'il n'était en réalité pas. En effet, les manoeuvres frauduleuses ou les fausses qualités visées par l'article 496 du Code pénal doivent avoir été employées dans le but de surprendre la confiance d'une autre personne, ce qui, selon la Cour, n'était pas le cas en l'espèce, dans la mesure où « l'action en résolution d'un contrat et la demande de remboursement de la somme qu'une des deux parties affirme lui être due par l'autre pour solde des opérations faites entre elles n'ont pas pour but de surprendre la confiance du débiteur prétendu mais de poursuivre contre lui l'exécution de l'obligation que à tort ou à raison, le créancier lui impute ». La Cour conclut que « les circonstances qu'il y a, entre la partie civile et la personne qu'elle poursuit, un compte à débattre, suffit pour écarter le délit, alors même que la créance ne serait pas reconnue » [77].

En revanche, l'existence de manoeuvres frauduleuses a bien été retenue par la cour d'appel d'Anvers dans un cas d'espèce où le prévenu avait pour habitude de se présenter dans des magasins de vêtements pour essayer de nouveaux vêtements. Il demandait à l'employé du magasin de bien vouloir le laisser garder les nouveaux vêtements sur lui et les payer à la caisse, ce que les employés acceptaient en retirant l'alarme du nouveau vêtement. Une fois à la caisse, le prévenu prétendait ne pas avoir l'argent mais indiquait qu'il laissait ses anciens vêtements au magasin et allait chercher l'argent chez lui pour revenir payer. Bien entendu, il ne revenait pas. Le fait de laisser ses anciens vêtements, et de partir avec les nouveaux sur soi, en promettant de revenir pour payer, a été considéré comme étant une manoeuvre frauduleuse déterminante pour la remise des biens [78].

10. Tromperie (art. 498)

L'article 498 du Code pénal réprime au titre de tromperie « celui qui aura trompé l'acheteur sur l'identité de la chose vendue, en livrant frauduleusement une chose autre que l'objet déterminé sur lequel a porté la transaction, sur la nature, ou l'origine de la chose vendue, en vendant ou en livrant une chose semblable en apparence à celle qu'il a achetée ou qu'il a cru acheter ».

La question de son application s'est posée dans le cadre de la vente de terrains et de constructions, dont il s'est ensuite avéré qu'ils se trouvaient dans une situation urbanistique infractionnelle, les acheteurs soutenant que les vendeurs avaient voulu les tromper sur la nature des choses vendues. Après avoir rappelé que la tromperie sur la nature de la chose existe lorsque « dans l'intention de s'enrichir aux dépends d'autrui et par l'emploi de la ruse, d'un artifice ou d'un mensonge, le vendeur a livré une chose semblable en apparence à ce que l'acheteur a acheté ou cru acheter, mais impropre à l'usage prévu, et que, si l'acheteur avait connu cette circonstance, le contrat n'aurait pas été conclu » [79], la Cour de cassation jugea qu'en l'espèce tel n'était pas le cas, à l'instar de ce qu'avaient décidé les juges d'appel. Ces derniers s'étaient en effet fondés sur l'attitude des vendeurs, relevant à cet égard « qu'il n'est pas démontré que les problèmes urbanistiques rencontrés par les vendeurs aient été cachés aux acquéreurs, lesquels paraissent bien avoir eu leur attention attirée à ce propos, même si l'importance de ces problèmes a pu être minimisée ».

11. Recel (art. 505, al. 1er, 1°)

Dans une affaire de livraison de métaux, une personne morale a été poursuivie du chef de recel, la partie poursuivante estimant que la société avait eu connaissance de l'origine délictueuse du matériel dont elle avait fait l'acquisition à l'intervention d'autres parties. Elle fut acquittée par la cour d'appel qui a considéré, en l'espèce, que les livraisons de métaux étaient insignifiantes par rapport au flux des transactions de la société et ne pouvaient attirer son attention, qu'il y avait eu en moyenne quatre livraisons mensuelles réparties entre deux ferrailleurs, ce qui n'était pas de nature à attirer l'attention sur un commerce illicite et que rien ne permettait d'affirmer que les instances dirigeantes de la défenderesse auraient pu ou dû être au courant de livraisons supérieures à celles répertoriées, à supposer même qu'elles aient existé. La cour d'appel a encore relevé que la marchandise était généralement acheminée pendant les heures de service par des salariés de la société, à l'aide d'une camionnette de cette entreprise, qui avait pu être ou devenir un des partenaires commerciaux de la société et qu'il n'était pas apparu que ces entrées n'avaient pas été correctement comptabilisées [80].

Dans une autre affaire, les juges d'appel avaient requalifié la prévention initiale de vol en recel. En cassation, la défense des prévenus a relevé que cette requalification avait été effectuée à tort, la cour d'appel ayant méconnu la notion légale de « vol », en considérant qu'elle s'étend à la prise de possession frauduleuse du bien volé par une personne autre que le voleur, et la notion légale de « recel », en considérant qu'elle s'étend à la soustraction frauduleuse de la chose appartenant à autrui. La Cour de cassation confirma l'arrêt en question, en soulignant que « tant le vol que le recel sont des infractions contre la propriété. Même si les éléments constitutifs de ces deux infractions diffèrent, l'acte d'un prévenu concernant une chose déterminée au préjudice d'une personne déterminée, peut constituer soit un vol, soit un recel », étant entendu que le juge a le devoir de donner aux faits leur qualification exacte, en appréciant souverainement si lesdits faits qu'il requalifie et du chef qu'il condamne sont les mêmes que les faits qui fondent les poursuites [81].

12. Blanchiment (art. 505, al. 1er, 2° à 4°)
Eléments matériels

La Cour de cassation a confirmé la jurisprudence classique selon laquelle une condamnation du chef de blanchiment requiert seulement « que la provenance ou l'origine illégale des choses visée à l'article 42, 3°, du Code pénal et la condition que l'auteur en ait eu connaissance soient établis, sans qu'il soit nécessaire que le juge pénal ait connaissance de l'infraction précise, sous réserve qu'il puisse exclure, sur la base des éléments de fait, toute origine ou provenance légale » [82].

Il a été jugé que les revenus obtenus par un travailleur indien résidant illégalement en Belgique, et provenant d'une occupation illégale, ne constituent pas nécessairement des avantages patrimoniaux illégaux. En conséquence, « les revenus tirés de cet emploi ne sont, dès lors, pas nécessairement des avantages patrimoniaux tirés directement d'une infraction » [83].

L'infraction de blanchiment n'a pas été davantage retenue dans un dossier où le prévenu avait été poursuivi sur pied de l'article 505, alinéa 1er, 3°, du Code pénal (qui sanctionne ceux qui auront converti ou transféré des choses visées à l'art. 42, 3°, du Code pénal, dans le but de dissimuler ou de déguiser le régime illicite des avantages patrimoniaux illégaux ou d'aider toute personne impliquée dans la réalisation de l'infraction dont proviennent ces choses, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes). En effet, en l'espèce, le prévenu s'était borné à effectuer des retraits et des dépôts d'argent d'origine illégale sur son compte. Or, la conversion ou le transfert des capitaux illicites, incriminés par les dispositions légales susdites, implique leur mise en circulation à l'effet d'en masquer l'origine. Or, « pareille mise en circulation n'est pas réalisée par le seul fait, pour un déposant, de verser ou de prélever des fonds sur son propre compte » [84].

Par ailleurs, l'existence du délit visé à l'article 505, § 1, 3°, du Code pénal n'est pas subordonnée à la condamnation d'un autre prévenu du chef de l'infraction dont les avantages patrimoniaux sont issus. Il suffit que soient établies l'origine délictueuse et la connaissance que l'auteur en avait. La précision requise n'exige pas l'identification du crime ou du délit à l'aide duquel les avantages patrimoniaux ont été obtenus, pour autant que sur base des éléments de fait soumis à son appréciation, le juge puisse, à nouveau, exclure toute provenance légale de ces avantages. Il s'ensuit que l'existence d'une poursuite en cours relativement à l'infraction de base n'oblige pas le juge saisi d'un fait de blanchiment à suspendre le jugement de la cause [85].

Un arrêt de la cour d'appel avait admis, à tort, que l'infraction de blanchiment visée à l'article 505, alinéa 1er, 4°, du Code pénal ne peut être commise par l'auteur de l'infraction de base, déclarant en conséquence irrecevable la plainte de la partie civile. Cette décision a été cassée par la Cour de cassation, qui confirme que l'auteur, le coauteur ou le complice de l'infraction dont sont tirés les avantages patrimoniaux peuvent également être les auteurs de l'infraction du blanchiment qui est visée à l'article 505, alinéa 1er, 4°, du Code pénal [86].

Enfin, toujours en relation avec l'infraction de base, on notera cette décision de procédure qui n'est pas sans intérêt: un prévenu poursuivi pour blanchiment s'était retrouvé devant un juge qui s'était déjà prononcé dans un jugement sur la faute qui constituait l'infraction de base de la prévention de blanchiment. La Cour de cassation a reconnu que dans ces circonstances, le prévenu puisse avoir des craintes sur la capacité pour ledit juge de se prononcer de façon impartiale sur sa faute relative à la prévention de blanchiment [87].

Elément moral

Un couple avait été condamné pour avoir loué des immeubles dans des conditions s'apparentant à de la traite des êtres humains. Le revenu de ces locations avait été utilisé par les prévenus pour rembourser les prêts hypothécaires de ces mêmes immeubles.

Saisi de ce dossier, le tribunal correctionnel de Bruxelles estima que l'infraction de blanchiment n'était pas fondée en l'absence d'élément moral. En effet, les dispositions concernées, à savoir en l'espèce l'article 505, alinéa 1er, 3° et 4°, du Code pénal, impliquent une volonté délibérée de dissimulation ou de déguisement de l'argent illicitement récolté. Or, relève le juge, la volonté de dissimulation ne dictait pas les prévenus dans l'utilisation des loyers en remboursement des crédits hypothécaires, puisque les opérations étaient transparentes et lisibles.

Il s'en déduit que la disposition visée réprime le comportement visant « l'escamotage ou le camouflage délibéré d'une somme d'origine illicite ». A l'égard de l'auteur de l'infraction primaire, les opérations portant sur les revenus issus de cette infraction ne deviennent donc punissables au titre de blanchiment que « s'il commet une faute nouvelle, forcément postérieure à ladite infraction primaire, et supplémentaire, visant à les rendre délibérément plus difficiles à identifier ou à localiser » [88].

Confiscation spéciale

L'article 505 prévoit la confiscation des avantages patrimoniaux qui ont été convertis ou transférés dans le but de dissimuler leur origine illicite, même si le condamné n'en était pas le propriétaire.

Un prévenu, condamné pour blanchiment, qui a eu une assurance vie et des titres confisqués, a reproché à la décision de confiscation prononcée par la cour d'appel de porter sur une assurance vie et des titres appartenant à un tiers à l'infraction, qui était en conséquence lésé par cette sanction. Cette argumentation n'a pas été retenue par la Cour de cassation, qui a rappelé au prévenu que le prescrit de l'article 505 prévoit que la confiscation « ne peut cependant porter préjudice aux droits des tiers sur les biens susceptibles de faire l'objet de la confiscation »: ces tiers peuvent donc intervenir à la cause, interjeter appel ou se pourvoir en cassation contre la décision ordonnant cette peine voire, lorsqu'elle est passée en force de chose jugée, agir devant le juge civil pour faire valoir leurs droits selon le droit commun. En appliquant la confiscation obligatoire à l'objet du blanchiment, même s'il n'appartient pas au condamné, l'article 505 du Code pénal ne viole par conséquent pas la disposition conventionnelle invoquée par le prévenu, sauf à lire ledit article isolément des règles qui en atténuent la rigueur [89].

Prescription

Il résulte du texte de l'article 505, alinéa 1er, 4°, du Code pénal ainsi que de la genèse de la loi que l'infraction de blanchiment prévue par cette disposition constitue une infraction continue, qui naît du fait de dissimuler ou déguiser la nature, l'origine, l'emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété des avantages patrimoniaux et persiste tant que l'auteur dissimule ou déguise ces éléments.

Par conséquent, l'arrêt qui constate que le demandeur qui a invoqué que le blanchiment des avantages patrimoniaux indûment obtenus a persisté à tout le moins jusqu'à la date de la plainte avec constitution de partie civile, et qui rejette cette allégation au seul motif que les faits étaient prescrits à ce moment, sans toutefois préciser la date ou la période de ces faits, ne justifie pas légalement cette décision [90].

On notera également que le caractère punissable des infractions de blanchiment visée à l'article 505, alinéa 1er, 2° et 4°, du Code pénal ne requiert pas que les avantages patrimoniaux soient tirés d'une infraction de base du chef de laquelle l'action publique n'est pas encore prescrite [91].

Loi du 11 janvier 1993

L'obligation de déclaration de soupçon a été combattue par un avocat français, devant la Cour européenne des droits de l'homme, lui posant la question de savoir si, telle que mise en oeuvre en France et à la lumière du but légitime poursuivi, l'obligation de déclaration de soupçon ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel des avocats. De fait, l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients, qui se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique: la défense des justiciables. Or, souligne le requérant, un avocat ne peut pas mener à bien cette mission fondamentale s'il n'est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels.

Tout en confirmant que « le secret professionnel des avocats a une grande importance et qu'il s'agit à ne pas en douter de l'un des principes fondamentaux sur lequel repose l'organisation de la justice dans une société démocratique », la Cour estime que ce secret n'est cependant pas intangible comme elle a déjà eu l'occasion de le juger, et qu'il convient de mettre son importance en balance avec celle que revêt pour les états membres la lutte contre le blanchiment des capitaux.

En conséquence, si on doit effectivement considérer que l'obligation de déclaration de soupçon mise à charge des avocats constitue bien une ingérence dans leur droit au respect de leur correspondance et dans leur droit au respect de leur « vie privée » (cette notion incluant les activités professionnelles ou commerciales), elle juge par ailleurs que pareille ingérence est « prévue par la loi » au sens de l'article 8, 2., de la Convention. La Cour ne doute pas, que visant à lutter contre le blanchiment des capitaux et les infractions pénales associées, cette ingérence poursuit un des buts légitimes de la Convention et de son article 8, à savoir la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales.

Enfin, et surtout, deux éléments sont aux yeux de la Cour décisifs dans l'appréciation de la proportionnalité de l'ingérence litigieuse.

Il s'agit tout d'abord du fait que l'obligation de déclaration de soupçon ne concerne que des activités éloignées de la mission de défense confiée aux avocats, similaire à celle exercée par les autres professionnels soumis à cette obligation. L'obligation de déclaration de soupçon ne touche donc pas à l'essence même de la mission de défense qui, comme indiqué précédemment, constitue le fondement du secret professionnel des avocats.

Ensuite, il s'agit du fait que la loi met en place un filtre protecteur du secret professionnel: les avocats ne communiquent pas les déclarations directement à l'autorité mais, selon le cas, au président de l'ordre des avocats, au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou au bâtonnier de l'ordre auprès duquel ils sont inscrits. Il peut être considéré qu'à ce stade, partagé avec un professionnel non seulement soumis aux mêmes règles déontologiques mais aussi élus par ses pairs pour en assurer le respect, le secret professionnel n'est pas altéré.

En conclusion, compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que, telle que mise en oeuvre en France, et eu égard à son but légitime poursuivi, l'obligation de déclaration de soupçon ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel des avocats [92].

III. Infractions aux lois particulières (par ordre alphabétique)
1. Délit d'initié

Dans le cadre d'un litige opposant la société Daimler AG à une personne prétendant avoir subi un préjudice en raison du fait de la publication prétendument tardive par cette société d'informations relatives au départ anticipé du président de son directoire, deux questions préjudicielles furent posées dans le cadre de l'application de l'article 1er de la directive n° 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) et d'autre part, l'article 1er de la directive n° 2003/124/CE de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d'application de la directive n° 2003/6/CE en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché.

A ce sujet, la Cour stipule que les articles 1er, 1., de la directive n° 2003/6/CE et 1er, 1., de la directive n° 2003/124/CE « doivent être interprétées en ce sens que, s'agissant d'un processus étalé dans le temps visant à réaliser une certaine circonstance ou à provoquer un certain événement, peuvent constituer des informations à caractère précis au sens de ces dispositions non seulement cette circonstance ou cet événement, mais également les étapes intermédiaires de ce processus qui sont liées à la réalisation de ceux-ci. »

Quant à l'article 1er, 1., de la directive n° 2003/124, il doit être interprété en ce sens que la notion « d'un ensemble de circonstances (…) dont on peut raisonnablement penser qu'il existera ou d'un événement (...) dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira » vise les circonstances ou les événements futurs dont il apparaît sur le fondement d'une appréciation globale des éléments déjà disponibles, qu'il y a une réelle perspective qu'ils existeront ou se produiront. Toutefois « il n'y a pas lieu d'interpréter cette notion en ce sens que doit être prise en considération l'ampleur de l'effet de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés » [93].

De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme a été saisie de la question de savoir dans quelle mesure il fallait prendre en considération le niveau de connaissance et de compétence de l'initié, dans le cadre du délit. En l'espèce, un prévenu invoquait en effet une violation de l'article 7 de la convention, argumentant que les éléments du délit d'initié n'étaient pas suffisamment précis et qu'il lui était donc impossible de prévoir les actes prohibés et ceux qui ne l'étaient pas. Ce moyen de défense ne fut pas retenu par la Cour qui, se penchant sur les circonstances de l'espèce, jugea que « le requérant était un investisseur institutionnel, familier du monde des affaires, et habitué à être contacté pour participer à des projets financiers de grande envergure. Compte tenu de son statut et de son expérience, il ne pouvait ignorer que sa décision dans les titres de la banque, pouvait le faire tomber sur le coup du délit de l'initié ». Selon la Cour, sachant qu'il n'existait aucun précédent comparable, il aurait dû faire preuve d'une prudence accrue lorsqu'il a décidé d'investir. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que la loi applicable à l'époque des faits était suffisamment prévisible pour permettre au requérant de se douter que sa responsabilité pénale était susceptible d'être engagée et qu'en conséquence il n'y avait pas eu violation de l'article 7 de la Convention [94].

2. Douanes et accises
Fraude (art. 322)

L'article 322 de la loi générale sur les douanes et accises stipule que « tout agent d'administration des douanes qui, directement ou indirectement, aura participé à un fait ou tentative de fraude, soit en aidant ou assistant les auteurs ou complices dans les faits qui l'auront préparé ou facilité ou dans ceux qui l'auront consommé, soit en ce concertant avec les auteurs ou complices, soit en agréant des offres ou promesses, ou en recevant des dons ou présents soit en laissant se consommer la fraude, lorsqu'il pouvait l'empêcher, soit de toute autre manière » sera passible de sanction pénale.

Cette disposition est applicable à l'agent d'administration des douanes qui, contre le paiement de 100 dollars, avait fourni des factures visas à l'exportation. En effet, « le fait ou la tentative de fraude au sens de l'article 322 de la loi générale sur les douanes et accises ne s'entend pas uniquement de l'importation ou de l'exportation de marchandises en éludant les droits, mais de toute irrégularité en matière d'opération de douanes » [95].

Participation

L'article 227, § 1er, de la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises dispose que, par extension de l'article 226, et sans préjudice aux dispositions des articles 66, 67, 69 et 505 du Code pénal en matière de participation pénale, « ceux qui seront convaincus d'avoir participé comme assureurs, comme ayant fait assuré, ou comme intéressés d'une manière quelconque à un fait de fraude », seront passibles des peines établies contre les auteurs.

La Cour de cassation a confirmé que cet article est applicable à l'infraction prévue par les articles 436 de la loi-programme de 2004 et 39 de la loi du 10 juin 1997 relative au régime général, à la détention, à la circulation et au contrôle des produits soumis à accises, consistant à s'être rendu coupable, en tant qu'auteur ou coauteur, complice ou intéressé, du chef de stockage des transports de produits énergétiques, dont l'origine n'est pas établie par des factures d'achat régulières sous le régime de la consommation et qui se sont soustraits à la prise en charge prescrite en vue d'assurer la perception de l'accise. En l'espèce, il s'agissait d'un chauffeur de camion qui transportait de l'essence d'origine illégale non soumise à accises, condamné en raison du fait qu'il ne pouvait ignorer le caractère frauduleux de la livraison, dès lors que le transport avait été effectué sans documents de transport ou relatifs aux accises, sans lettre de voiture, sans bon de chargement et avec une fausse plaque. Comme le relève la décision, la manière d'agir du prévenu, à savoir effectuer un transport sans les documents requis, sans contrôler les chargements et sans en connaître la provenance, peut uniquement s'expliquer par le fait que le demandeur connaissait le caractère frauduleux du transport [96].

Confiscation

L'article 23, alinéa 3, de la loi du 22 octobre 1997 relative aux droits d'accises sur les huiles minérales, prescrit la saisie et la confiscation pour les produits pour lesquels l'accise est exigible, des moyens de transport utilisés pour l'infraction, de même que des objets employés ou destinés à la perpétration de la fraude. Il a été jugé que cette confiscation revêt un caractère réel « parce que son prononcé ne requiert pas que le condamné soit propriétaire des marchandises à confisquer ni que le fraudeur soit connu » [97].

Prescription

En présence de marchandises entreposées, sans paiement préalable des droits, l'infraction est perpétrée lorsque les marchandises sortent de l'entrepôt fiscal. En cette matière, il a été jugé que « la date du délit de sortie des marchandises de l'entrepôt fiscal se situe nécessairement entre celle du recensement général à l'occasion duquel l'existence des manquements a été constatée et celle du recensement général antérieur » [98].

Délits collectifs

Lorsqu'un juge pénal à qui différentes infractions commises simultanément sont soumises décide qu'elles constituent la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse, il ne peut, en application de l'article 65, alinéa 1er, du Code pénal, que prononcer la peine la plus forte. Toutefois, il découle du caractère particulier de l'amende en matière de douanes et accises que lorsque de tels faits différents constituent la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse, l'unique amende qui doit être prononcée doit être calculée sur la somme des droits et taxes éludés par ces infractions [99].

Action civile

En droit pénal commun, l'action civile peut être naturellement poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l'action publique, avec pour conséquence que la compétence civile du juge pénal est entièrement dépendante du bien-fondé de l'action pénale. Par conséquent, lorsque l'action publique est déjà prescrite au moment de la saisie du juge pénal, où lorsque le prévenu est acquitté, le juge pénal ne peut plus prendre connaissance de l'action civile.

Il en va autrement en matière de droit pénal du droit des douanes et accises. En effet, l'article 283 de la loi générale sur les douanes et accises dispose que « lorsque les contraventions, délits ou crimes dont il s'agit dans les articles 281 et 282 donnent lieu au paiement de droits ou accises, et par conséquent à une action civile, indépendamment de la poursuite d'une peine, le juge compétent, soit criminel, soit correctionnel, connaîtra de l'affaire sous ce double rapport et jugera d'une et l'autre cause ». En conséquence, l'action publique et l'action civile sont indépendantes l'une de l'autre, de sorte que, en la matière, le juge pénal reste compétent pour connaître de l'action civile quand bien même il y aurait acquittement du prévenu [100].

Solidarité des peines

La cour d'appel de Liège a saisi la Cour constitutionnelle d'une question préjudicielle relative à la solidarité des peines en matière de douanes et accises en ces termes: « L'article 227, § 2, de la loi générale du 18 juillet 1977 portant coordination des dispositions générales relatives aux douanes et accises viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme, en tant que les prévenus, auteurs ou complices, auxquels il est reproché une infraction en matière de douanes et accises et qui seront sanctionnés par une peine d'amende, verront toujours cette condamnation prononcée de manière solidaire alors que les prévenus, auteurs et complices, auxquels il est reproché une infraction de droit commun et qui sont sanctionnés par une peine d'amende ne peuvent être condamnés solidairement mais se verront infligés une amende qui sera individualisée par le juge? »

Dans sa décision, après avoir examiné la spécificité des amendes prévues par la loi générale, et les modifications législatives importantes qui ont eu lieu avec pour effet de rendre les sanctions plus flexibles et plus modulables (loi du 21 décembre 2009), la Cour constitutionnelle juge que, avant la modification législative précitée, la condamnation solidaire au paiement de l'amende unique prononcée contre les contrevenants en matière de douanes et accises a pu être justifiée par le fait que cette amende concerne le fait matériel de l'infraction et qu'elle a un caractère réel. Dès lors que, depuis cette modification législative, l'amende est prononcée dans le chef de chaque condamné de manière individualisée et que la solidarité prévue par la disposition en cause risque au contraire de lui faire supporter le poids des peines prononcées à charge d'autres condamnés, la différence de traitement en cause n'est en effet pas raisonnablement justifiée.

Par conséquent, elle juge que l'article 227, § 2, de la loi générale sur les douanes et accises viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il dispose que les condamnations à l'amende sont toujours prononcées solidairement contre les délinquants et les complices [101].

3. Droits d'auteur

Le site Internet « The Pirate Bay », permettait de télécharger de façon illégale des oeuvres protégées par le droit d'auteur. Afin de mettre un terme aux violations des droits de propriété intellectuelle, un juge d'instruction a donné ordre aux fournisseurs d'accès Internet de bloquer l'accès au contenu hébergé sur le serveur lié à ce nom de domaine (« thepiratebay.org »).

Appelée à se prononcer sur la légalité de cette mesure, la Cour de cassation a jugé qu'il résulte du texte des articles 35 et 39bis du Code d'instruction criminelle, de leur genèse et du caractère de la mesure de contrainte provisoire, qu'un tel ordre peut être émis afin, notamment, de mettre un terme aux agissements qui semblent constituer une infraction ou en vue de la sauvegarde d'intérêts civils.

Le juge d'instruction peut, sur la base des articles 39bis et 89 du Code d'instruction criminelle, utiliser les moyens techniques appropriés pour empêcher l'accès aux données dans le système informatique, ainsi qu'aux copies mises à la disposition de personnes autorisées à utiliser ce système, et de garantir leur intégrité, s'il apparaît que, pour les raisons techniques ou à cause du volume des données, il n'est pas possible de copier des données sur des supports. Des moyens techniques appropriés au sens de l'article 29bis, § 4, du Code d'instruction criminelle, peuvent consister dans l'ordre donné aux fournisseurs d'accès à Internet de rendre inaccessible l'accès au serveur où les données sont hébergées et dont la copie n'est pas possible pour des raisons techniques ou à cause du volume de données.

Ces dispositions n'excluent donc pas que ces ordres soient adressés à d'autres personnes que celles qui stockent elles-mêmes ou font stocker les données et ne requièrent pas davantage que les ordres aient effectivement pour effet que la personne qui stocke ou fait stocker ces données ne peut plus les consulter, modifier ou effacer [102].

Toujours en matière de droit d'auteur, on notera cet arrêt de la Cour de cassation qui porte sur la notion même d'originalité, en vertu duquel « une oeuvre littéraire ou artistique est protégée par le droit d'auteur si elle est originale, en ce sens qu'elle est la création intellectuelle propre à son auteur. Il n'est pas requis, à cet égard, que l'oeuvre porte l'empreinte de la personnalité de son auteur » [103].

4. Infractions comptables

L'article 16, anciennement 17 de la loi du 17 juillet 1975 punit, en son alinéa 3, ceux qui, en qualité de commissaire, de commissaire-réviseur, de réviseur ou d'expert indépendant, ont attesté ou approuvé des comptes, des comptes annuels, des bilans et des comptes de résultats ou des comptes consolidés d'entreprise, lorsque les dispositions mentionnées à l'alinéa 1er n'ont pas été respectées, soit en sachant qu'elles ne l'avaient pas été, soit en n'ayant pas accompli les diligences normales pour s'assurer qu'elles avaient été respectées, soit s'ils ont agi avec une intention frauduleuse.

L'article 17, alinéa 1er, (ancien) de la loi du 17 juillet 1975 fait notamment référence à l'article 2 de ladite loi, lequel dispose que toute entreprise doit tenir une comptabilité appropriée à la nature et à l'étendue de ses activités en se conformant aux dispositions légales particulières qui les concernent.

L'article 171, § 2, du Code des sociétés punit ceux qui, en qualité de commissaire, de réviseur ou d'expert indépendant, attestent ou approuvent des comptes, des comptes annuels, des bilans et des comptes de résultats de sociétés ou des comptes consolidés d'entreprise lorsque les dispositions visées au § 1er ne sont pas respectées, soit en sachant qu'elles ne l'avaient pas été, soit en n'ayant pas accompli les diligences normales pour s'assurer qu'elles avaient été respectées, soit s'ils ont agi avec une intention frauduleuse.

L'article 171, § 1er, du Code des sociétés fait notamment référence à l'article 144 dudit code. L'article 144, 3°, dispose que le rapport des commissaires comprend une mention indiquant si la comptabilité est tenue conformément aux dispositions légales et réglementaires applicables. Auparavant, l'article 65, 2°, des lois coordonnées du 30 novembre 1935 sur les sociétés commerciales, dans son application antérieure au 6 février 2001, disposait que ce rapport indique spécialement si la comptabilité est tenue et si les comptes annuels sont établis conformément aux dispositions légales et réglementaires applicables.

Des prévenus poursuivis dans ce cadre ont invoqué que les obligations qu'ils devaient respecter, énumérées, d'une part, à l'article 171, § 2, du Code des sociétés et, d'autre part, à l'article 17 (ancien) de la loi du 17 juillet 1975 relative à la comptabilité des entreprises, renuméroté article 16 depuis le 6 février 2001 ensuite de l'entrée en vigueur de la loi du 7 mai 1999 instituant le Code des sociétés, n'étaient pas les mêmes et que, plus précisément, les obligations énoncées à l'article 65 des lois coordonnées du 30 novembre 1935 sur les sociétés commerciales (ancien), actuellement article 144 du Code des sociétés, n'étaient plus punissables sur la base de l'article 17 (ancien) de la loi du 17 juillet 1975, de sorte qu'ils ne pouvaient être renvoyés du chef d'infraction audit article à la juridiction de jugement en ce qui concerne les faits qui auraient été commis avant le 6 février 2001.

Dans un arrêt du 10 décembre 2013, la Cour de cassation juge que « par les dispositions respectives auxquelles ils font référence, l'article 16, anciennement 17, de la loi du 17 juillet 1975 et l'article 171 du Code des sociétés concernent uniquement l'infraction qui punit les commissaires qui, agissant avec l'intention frauduleuse prévue auxdits articles, attestent ou approuvent des comptes et des bilans, lorsque les dispositions légales applicables en matière de comptabilité ne sont pas respectées. Ces dispositions ont, par conséquent, une même portée et punissent les mêmes faits tant avant qu'après le 6 février 2001 ».

Par conséquent, « l'arrêt qui décide que les faits visés étaient et sont toujours punissables et que la défense des demandeurs se fonde sur une interprétation erronée de la loi, répond à leur défense et justifie légalement la décision » [104].

5. Infractions fiscales

Cf. également à ce sujet supra: Faux en écritures

Faux et usage de faux fiscal

Pour ce qui est du faux fiscal, la Cour de cassation a souligné à diverse reprises qu'« en punissant le faux en écritures publiques, de commerce ou privées, commis en vue de contrevenir, dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, aux dispositions du Code des impôts sur les revenus 1992 ou des arrêtés pris en exécution, l'article 450 de ce Code ne tend pas à protéger la foi publique, mais vise, de manière spécifique, tant le faux qui a pour but de tromper l'administration en vue du calcul de l'impôt que celui qui tend à ne pas payer celui-ci ou à en retarder le paiement » [105].

Fraude fiscale

L'article 207, alinéa 3, 3°, du CIR 1992 interdit la déductibilité des pertes antérieures, en cas de changement de contrôle d'une société qui ne répond pas à des besoins légitimes de caractère financier ou économique.

Cette disposition a été appliquée dans un cas d'espèce où le second prévenu était jusqu'à l'année 2009 le gérant officiel d'une SPRL. Sur le papier, ce dernier demeurait le gérant et ce, en dépit du fait que le premier prévenu était en réalité le gérant de fait et le principal actionnaire depuis la reprise en 1997 de la majorité des parts de la SPRL. Un changement de contrôle de la société était donc bel et bien survenu dans les faits. Le second prévenu restait gérant sur le papier uniquement en vue de conserver la possibilité de récupération des pertes. Les prévenus ont, selon le tribunal, violé avec une intention frauduleuse l'article 207, alinéa 3, 3°, du CIR 1992 et se sont donc intentionnellement soustraits aux impôts dus. Il a été jugé qu'il y avait eu une construction délibérément mise en oeuvre par les prévenus en vue de frauder le fisc, et non simplement d'éviter licitement l'impôt [106].

Prescription (faux et usage de faux fiscal)

En matière de prescription de l'usage de faux fiscal, il appartient au juge pénal de déterminer, en fait, si l'usage du faux fiscal a pris fin et a dès lors fait courir le délai de prescription de l'action publique.

Selon une jurisprudence récente de la Cour de cassation, la persistance de l'effet utile du faux fiscal peut être déduite de tout usage de pièces arguées de faux fait dans l'intention de tromper l'administration fiscale. Cette jurisprudence a encore été confirmée par un arrêt du 19 février 2013, dans lequel la Cour de cassation précise que « l'effet produit par l'usage de faux et voulu par le faussaire peut se poursuivre jusqu'à la date à laquelle il n'invoque plus le faux afin d'en obtenir un avantage illicite ou de causer un préjudice. Lorsque cet usage a pour objectif de reporter le paiement des impôts dus, l'usage peut continuer au plus tard jusqu'à la date du paiement inconditionnel de ces impôts » [107].

Dans une autre décision, rendue le 5 juin 2013, en application de la jurisprudence qui précède, la Cour précise également que l'usage de faux fiscaux « continue à nuire à l'administration quand bien même un paiement des impôts contestés aurait été effectué afin d'éviter le paiement ultérieur d'intérêts » [108]. Dans ce cas d'espèce, les contribuables avaient en effet payé l'impôt dû (sous toutes réserves et sans reconnaissance préjudiciable) et avaient ensuite intenté un recours contre l'administration fiscale pour en obtenir le remboursement, les impositions étant contestées.

Droits de la défense

Des enquêteurs avaient permis aux autorités judiciaires françaises d'entendre sous serment un dirigeant de société suspecté de fraude fiscale, en laissant croire à celui-ci qu'il n'était pas sous la menace de poursuites pénales. Il ressort cependant du dossier répressif que les autorités savaient que les documents de procédure le concernaient. Par ailleurs, le juge d'instruction avait fondé l'essentiel de ses actes d'instruction sur cette audition. Le prévenu n'a été informé des accusations portées contre lui qu'au moment du règlement de la procédure, bien après cette première audition.

La cour d'appel de Bruxelles jugea en la matière que les poursuites étaient irrecevables. Elle rappelle que l'article 14, 3., g) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui constitue une norme internationale ayant un effet direct en droit belge, dispose que « toute personne accusée d'une infraction pénale a droit (…) à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable ». En l'espèce, l'autorité poursuivante a irrémédiablement violé les droits de défense du prévenu, en permettant à l'autorité étrangère requise d'entendre le prévenu sous serment, en manière telle que celui-ci pouvait effectivement croire qu'il n'était pas accusé et qu'il ne se trouvait pas sous la menace de poursuites pénales (alors que les enquêteurs présents savaient que les documents de la procédure le visaient nommément) et en ne l'informant des accusations portées contre lui qu'au moment du règlement de la procédure (soit après un long délai entre cette audition et la convocation en chambre du conseil).

De son côté, souligne la Cour, en couvrant délibérément ces irrégularités et en fondant l'essentiel des actes subséquents de son instruction sur l'audition incriminée, le magistrat instructeur a, à tout le moins, gravement failli à l'obligation fondamentale qui est la sienne, selon l'article 56, § 1er, du Code d'instruction criminelle, de veiller à la légalité des moyens de preuve ainsi qu'à la loyauté avec laquelle ils sont rassemblés. En conséquence, lorsque, comme en l'espèce, « les éléments réunis au cours de l'instruction forment intellectuellement un tout indivisible avec l'audition irrégulière et indissociable de celle-ci, les poursuites doivent être déclarées irrecevables dans leur ensemble, et à l'égard de tous les prévenus » [109].

Coopération fiscale

La Cour constitutionnelle s'est prononcée sur la question de savoir si les articles 322, § 2 à 4 et 333/1 introduit dans le CIR 1992 par la loi du 14 avril 2011 violent les articles 10, 11, 22 et 29 de la Constitution, en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Pour rappel, ces articles autorisent l'administration des contributions directes à contraindre tout établissement financier, à lui communiquer les informations qu'il possède au sujet d'un contribuable à l'égard duquel cette administration dispose d'indices de fraude fiscale ou envisage de recourir à une taxation indiciaire sur pied de l'article 341 du CIR 1992, en raison d'éléments factuels concordant permettant de présumer raisonnablement une aisance supérieure à celle qui correspond aux revenus déclarés.

Après analyse des travaux préparatoires en la matière, la Cour constate que des garanties sont accordées au contribuable lorsque l'administration fait usage de ces mécanismes: elle doit en effet justifier un tel recours et « seuls des renseignements utiles à la détermination du montant des revenus imposables du contribuable peuvent être sollicités auprès des établissements financiers », les recherches devant se faire dans le respect de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée, et les inspecteurs fiscaux étant tenus au secret professionnel. En outre, la Cour note que l'article 333/1 met en place une procédure dite « par paliers » qui impose de s'adresser en premier lieu au contribuable lui-même afin d'obtenir les renseignements et que ce n'est que dans un second temps, s'il existe des présomptions que ce contribuable dissimule ou refuse de communiquer des données, que l'administration fiscale pourra, en faisant état d'indices de fraude fiscale ou d'une distorsion entre les revenus déclarés et le niveau de vie du contribuable, se tourner vers les établissements financiers dont il est client. Enfin, seul un fonctionnaire au grade d'inspecteur au moins peut formuler une telle demande, qui doit être autorisée par un fonctionnaire ayant au moins le grade de directeur et désigné à cet effet par le ministre des Finances. La Cour juge que ces exigences procédurales constituent des garanties importantes contre des ingérences arbitraires dans la vie privée du contribuable et des personnes avec lesquelles il a effectué des opérations financières.

Enfin, le contribuable se voit notifier simultanément les indices de fraude fiscale ou les éléments factuels laissant présumer une distorsion entre ses revenus déclarés et son train de vie, qui justifient la demande de renseignements adressée à l'établissement financier dont il est le client. L'administration fiscale fixe le délai de réponse accordé à l'établissement financier concerné. Pendant ce délai, qui doit être raisonnable, le contribuable est donc également en mesure de réagir et de contester la légalité de cette demande, selon le droit commun.

La Cour constitutionnelle conclut qu' « il résulte de ce qui précède que l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée est justifiée raisonnablement » [110].

Transaction pénale

Un prévenu a également saisi la Cour constitutionnelle d'un recours en annulation portant sur l'article 216bis, § 6, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle, en ce qu'il violerait les articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où cet article stipule que « pour les infractions fiscales ou sociales qui ont permis d'éluder des impôts ou des cotisations sociales, la transaction n'est possible qu'après le paiement des impôts ou des cotisations sociales éludées dont l'auteur est redevable, en ce qui compris les intérêts, et moyennant l'accord de l'administration fiscale ou sociale ».

Le recours était motivé par la différence de traitement, en ce que le législateur subordonne la possibilité pour le parquet de conclure une transaction pénale concernant les infractions fiscales ou sociales à la condition que l'impôt ou les cotisations sociales éludés aient été préalablement et intégralement payés et que l'administration fiscale ou sociale ait consenti à cette transaction pénale alors que de telles exigences ne sont pas requises pour les autres infractions de droit commun.

Cette argumentation a été rejetée par la Cour, qui estime qu'en raison de différences essentielles existant entre la victime d'une infraction de droit commun et l'administration fiscale et sociale (notamment le fait que les infractions sociales et fiscales portent atteinte à l'ensemble de la collectivité en privant l'autorité de moyen nécessaire à son bon fonctionnement), les différences de traitements attaqués ne sont pas sans justification raisonnable [111].

6. Intermédiation en services bancaires

Dans l'affaire dite « Citibank », cette dernière a été poursuivie pour avoir, « en infraction à la loi du 22 mars 2006 relative à l'intermédiation en services bancaires et en services d'investissement et la distribution d'instruments financiers (art. 10, § 4, 14, § 1er, 21, § 1er, à savoir ne pas avoir servi de manière honnête, équitable et professionnelle les intérêts de leur clientèle en donnant des informations incorrectes, non claires, trompeuses et incomplètes à propos des produits financiers de type obligataire 'Lehman Brothers' en faisant croire à tort que les capitaux étaient garantis à 100% par la Citibank Belgium SA et en informant pas correctement sur les caractéristiques et la dégradation de ces produits avant le 15 septembre 2008 au préjudice de diverses personnes ».

Statuant sur cette prévention, la cour d'appel de Bruxelles relève que les dispositions de l'article 10, § 4, de la loi du 22 mars 2006 relative à l'intermédiation en services bancaires et en services d'investissement et à la distribution d'instruments financiers « ne sont pas sanctionnées sur le plan pénal », de sorte que la prévention doit être limitée à cet égard.

Quant à l'article 14, § 1er, de la loi du 22 mars 2006, il n'est pas davantage applicable à la banque, dès lors que cette disposition ne vise que « les intermédiaires en services bancaires et en services d'investissement et leurs agents ». Les premiers sont définis à l'article 4, 2°, de cette loi: il s'agit de « toute personne morale ou toute personne physique ayant la qualité de travailleur indépendant au sens de la législation sociale, qui exerce ou entend exercer, même à titre occasionnel, des activités d'intermédiation en services bancaires et d'investissement », tandis que ces derniers sont définis au 1° du même texte comme étant « les activités qui consistent à mettre en contact des épargnants et des investisseurs, d'une part, et des entreprises réglementées d'autre part, y compris la promotion visant à mettre sur pied, pour compte d'une entreprise réglementée, un ou plusieurs des services bancaires et des services d'investissement suivants: (…). » Or, souligne la cour, « justement au vu des informations transmises par la prévenue lors des débats et compte tenu des pièces auxquelles la cour peut avoir égard, la prévenue est une entreprise réglementée telle que définie à l'article 4, 5° de la loi du 22 mars 2006 ».

Par conséquent, cette prévention a été déclarée comme n'étant pas établie [112].

7. Pratiques du commerce
Pratiques trompeuses

Tant l'infraction visée par l'article 102 de la loi sur les pratiques du commerce que celle reprise à l'article 103 de la même loi requièrent l'existence d'un dol général. Le recours aux termes « de mauvaise foi » à l'article 103 n'implique en effet pas l'exigence d'un dol spécial. La mauvaise foi est établie notamment lorsque, étant donné les circonstances de fait dans lesquelles les actes ont été commis, leur auteur ne peut avoir aucun doute quant à leur caractère délictueux. La mauvaise foi ne suppose pas une intention particulière: il suffit que l'intéressé viole la loi en connaissance de cause et au détriment de ses concurrents ou consommateurs.

Dans le dossier dit « Citibank », le ministère public soutenait à ce titre que la banque s'était rendue coupable de ces infractions en ayant fait croire au consommateur que le capital était garanti à 100% par la banque et en ne l'ayant pas informé correctement sur les caractéristiques et la dégradation des produits en cause.

La cour d'appel constate que, s'agissant des produits visés aux préventions, la documentation relative aux produits était, au contraire, dépourvue d'équivoque quant aux risques, que ce n'était pas Citibank qui garantissait le remboursement du placement (ce qui était bien précisé dans la documentation), que Citibank n'assume pas (en vertu de la loi ou d'un contrat) d'obligation, sanctionnée pénalement, d'informer les investisseurs en cas de modification négative d'un élément tel que la solvabilité du garant ou de l'émetteur et qu'aucune faute structurelle ne saurait lui être personnellement reprochée. Par ailleurs, il appartient à l'accusation d'apporter la preuve d'un dol propre, dans le chef de la personne morale elle-même. En l'espèce, la cour constate que pareille preuve n'est pas rapportée.

Ces préventions ont donc été déclarées comme non fondées [113].

Droits de la défense

Toujours dans l'affaire dite « Citibank », la cour d'appel de Bruxelles relève que des poursuites à caractère pénal avaient été envisagées dès le 4 novembre 2008, « ce qui suffit à faire naître le droit au silence ». Toutefois, par courrier électronique du 16 avril 2009, le ministère public, reprenant à son compte une demande de la DGCM, faisait grief, notamment au juriste de la banque, de ne pas y avoir réservé de suite, ajoutant « je tenais à vous avertir que la non-communication de ces documents internes dans le cadre de la procédure judiciaire est constitutive d'une infraction d'entrave au sens de la loi du 14 juillet 1991 (...) passible d'une amende de 10.000 EUR. Par conséquent, à défaut d'avoir reçu l'ensemble des documents demandés, sauf les consultations d'avocats, pour le (…) à 17 heures au plus tard, le SPF Economie dressera procès-verbal à votre encontre ainsi qu'à l'encontre (d'un autre cadre de la banque) pour entrave à l'information judiciaire ».

La cour souligne que de telles menaces quant à l'application d'une éventuelle sanction pénale consécutive à l'absence de collaboration peuvent certes se concevoir dans le cadre d'une enquête administrative, ainsi qu'à l'égard de tiers à l'enquête pénale, témoins dépositaires de pièces utiles à la manifestation de la vérité. Toutefois, sous peine de violer des principes fondamentaux du droit pénal et de la procédure pénale, les dispositions de la loi du 4 juillet 1991 sur les pratiques du commerce (et, aujourd'hui, de la loi qui l'a remplacée) ne sauraient être interprétées comme susceptibles d'entraîner l'application de pareilles obligations sanctionnées pénalement à l'égard de personnes physiques ou morales mises en cause dans l'enquête.

En effet, « pareille interprétation porterait atteinte à la règle consacrant la primauté du droit international en vigueur et directement applicable sur le droit national. La menace récurrente d'appliquer de telles sanctions pénales à l'égard d'une personne physique ou morale visée par une enquête pénale, constitue une atteinte grave aux droits de l'accusé de ne pas collaborer à l'enquête et, partant, de son droit au silence. »

Par conséquent, dans la mesure où, en l'espèce, suite à ce courrier, certaines pièces avaient été transmises, la cour décide que « le respect de ce droit au silence participant du caractère équitable de la procédure, au sens de l'article 6 de ladite convention, il y a eu lieu d'écarter des pièces transmises en suite de ces différents courriers, de même que les devoirs accomplis et les constatations opérées sur leur base, qui en sont la conséquence » [114].

Le commercial tient le criminel en état

Il a été rappelé par la Cour de cassation qu'en matière de pratiques du commerce, « le commercial tient le criminel en état ». En effet, en vertu de l'article 106 de l'ancienne loi sur les pratiques du commerce du 14 juillet 1991 (actuel art. 128 de la loi sur les pratiques du marché) lorsque le fait soumis au tribunal est également l'objet d'une action en cessation, il ne peut être décidé sur l'action pénale avant que le jugement statuant sur l'action en cessation n'ait autorité de la chose jugée [115].

8. Société de l'information

L'ordre, adressé par un juge d'instruction à un fournisseur d'accès à Internet, de bloquer par tous les moyens techniques possibles l'accès au contenu hébergé par un serveur associé à un nom de domaine principal déterminé, en bloquant à tout le moins tous les noms de domaine qui renvoient à ce serveur associé au nom de domaine principal déterminé, tout en spécifiant de surcroît les procédés techniques devant être employés à cette fin, n'applique pas l'obligation de surveillance visée à l'article 15 de la directive n° 2000/31 sur le commerce électronique et à l'article 21, § 1er, de la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l'information.

En effet, selon la Cour de cassation, il n'est pas demandé au fournisseur d'accès à internet de surveiller les informations qu'il transmet ou qu'il stocke, ni de rechercher activement les faits ou circonstances indiquant des activités illicites [116].

9. Transports

Selon le tribunal correctionnel de Verviers, la fiabilité du disque tachygraphe numérique ne peut être mise à mal. Une tolérance peut être accordée lors de leur contrôle dans la mesure où le temps comptabilisé par ceux-ci est plus élevé que celui compté par les tachygraphes analogiques, car « le système applicable aux tachygraphes numériques implique que toute minute est comptée entièrement, même si elle n'est que partiellement utilisée dans le cadre d'un temps de conduite ». Par ailleurs, la tolérance qui peut être facultativement accordée par les Etats membres de l'Union européenne en faveur « des conducteurs qui effectuent des opérations comportant des arrêts fréquents » (ces derniers bénéficient d'une tolérance maximale de 15 minutes sur une durée de conduite continue de 4h30), ne peut l'être que de manière transitoire, tant que coexisteront les tachygraphes numériques et tachygraphes analogiques, car il est apparu que « la durée enregistrée avec un tachygraphe numérique est supérieure à celle enregistrée avec un tachygraphe analogique » [117].

La Cour de justice de l'Union européenne a eu, quant à elle, à répondre à des questions préjudicielles posées par un tribunal hongrois dans le cadre du règlement n° 561/2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, qui contient une disposition imposant aux Etats membres que les infractions prévues par le règlement soient proportionnées.

Les deux premières questions étaient relatives à la proportionnalité à l'amende hongroise elle-même fixée de manière forfaitaire, sans aucune considération quant à la gravité. La Cour a considéré que l'application d'une amende d'un montant forfaitaire pour toute violation des règles relatives à l'utilisation des feuilles d'enregistrement, sans modulation du montant de ladite amende en fonction de la gravité de l'infraction, apparaît comme étant disproportionnée au regard des objectifs visés par la réglementation de l'Union.

Quant aux troisième et quatrième questions, elles portaient sur le caractère objectif du système de sanction et sur l'intensité de l'amende, au regard du principe de proportionnalité. La Cour considère que le régime de sanction hongrois apparaît disproportionné, notamment dans le cas d'espèce, où seul un disque sur les quinze contrôlés présentait un défaut d'enregistrement, à savoir le kilométrage à l'arrivée qui n'y figurait pas. En outre, il ressortait du dossier soumis à la Cour que le défaut d'enregistrement en cause ne pouvait constituer un abus, dans la mesure où l'indication manquante sur la feuille d'enregistrement figurait en revanche sur la lettre de transport. Statuant sur l'intensité de l'amende, la Cour note que le montant de celle-ci est presque équivalent au revenu moyen mensuel net d'un travailleur salarié en Hongrie et que par conséquent son intensité apparaît comme étant disproportionnée par rapport à l'infraction commise [118].

[1] La chronique précédente (2010-2011) a été publiée dans la R.D.C., 2012, 751.
[2] Avocat au barreau de Bruxelles. L'auteur remercie mademoiselle Camille Van Hamme ainsi que messieurs Matthias Petel et Nicolas Dupont pour leur précieuse collaboration.
[3] Cass., 2 octobre 2012, Pas., 2012, I, p. 1797.
[4] Corr. Bruxelles, 2 mars 2012, Dr. pén. entr., 2013, p. 2.
[5] Cass., 9 mai 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 275.
[6] Ibid.
[7] Cass., 19 février 2013, Pas., 2013, I, p. 448.
[8] Cass., 15 mai 2013, R.D.P., 2014, p. 99.
[9] Ibid.
[10] Cass., 9 avril 2013, P.12.0783.N.
[11] Cass., 19 décembre 2012, P.12.1310.F.
[12] Cass., 25 avril 2012, P.12.0125.F, T. Strafr., 2013, p. 295.
[13] Cass., 17 avril 2013, Pas., 2013, I, p. 886.
[14] Gand, 25 novembre 2011, R.D.C., 2013, 919.
[15] Cass., 5 juin 2012, R.D.C., 2013, 881 avec note.
[16] Bruxelles, 5 avril 2011, J.L.M.B., 2012, p. 458.
[17] Cass., 24 octobre 2012, Pas., 2012, I, p. 2002.
[18] Ibid.
[19] Cass., 23 janvier 2013, P.12.1424.F.
[20] Cass., 19 février 2013, Pas., 2013, I, p. 453.
[21] Liège, 22 mars 2012, J.D.S.C., 2012, p. 193.
[22] Cass., 14 novembre 2012, Pas., 2012, I, p. 2219.
[23] Cass., 30 avril 2013, Pas., 2013, I, p. 1018.
[24] Cass., 5 septembre 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 30.
[25] Mons, 21 mars 2011, J.D.S.C., 2013, p. 249.
[26] Corr. Arlon, 3 mars 2011, J.D.S.C., 2012, p. 191.
[27] Cass., 11 décembre 2012, Pas., 2012, I, p. 2457.
[28] Corr. Huy, 28 février 2012, J.D.S.C., 2012, p. 179.
[29] Corr. Liège, 18 octobre 2013, J.L.M.B., 2013, p. 1758.
[30] Liège, 9 février 2012, J.L.M.B., 2012, p. 1531.
[31] Liège, 8 décembre 2011, J.D.S.C., 2012, p. 192.
[32] Liège, 3 février 2011, J.D.S.C., 2012, p. 199.
[33] Corr. Bruxelles, 27 mars 2012, R.D.C., 2012, 540.
[34] Corr. Bruxelles, 17 février 2012, Dr. pén. entr., 2013, p. 103.
[35] Cass., 17 avril 2013, Pas., 2013, I, p. 882, publié également au J.M.L.B., 2013, p. 1841 et T. Strafr., 2013, p. 865 avec note.
[36] Cass., 5 juin 2013, T.F.R., 2013, 866 avec note.
[37] Bruxelles, 24 janvier 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 191 avec note Lugentz.
[38] Cass., 21 novembre 2012, Dr. pén. entr., 2013, p. 985 (il s'agit en l'espèce d'une simulation de mariage).
[39] Cass., 2 octobre 2012, Pas., 2012, I, p. 1798.
[40] Cass., 24 septembre 2013, Pas., 2013, I, p. 1762.
[41] Bruxelles, 24 janvier 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 191.
[42] Cass., 14 novembre 2012, Dr. pén. entr., 2013, p. 91.
[43] Bruxelles, 24 janvier 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 191 avec note Lugentz.
[44] Cass., 27 février 2013, Pas., 2013, I, p. 497.
[45] Cass., 22 janvier 2013, Pas., 2013, I, p. 142.
[46] Cass., 24 septembre 2013, Pas., 2013, I, p. 1762.
[47] Cass., 14 novembre 2012, Dr. pén. entr., 2013/4, p. 91.
[48] Cass., 17 septembre 2013, Pas., 2013, I, p. 1701; Cass., 11 décembre 2012, Pas., 2012, I, p. 2459.
[49] Cass., 17 septembre 2013, Pas., 2013, I, p. 1701; Cass., 11 décembre 2012, Pas., 2012, I, p. 2459 et Cass., 21 novembre 2012, J.L.M.B., 2013, p. 984.
[50] Cass., 9 mai 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 275.
[51] Cass., 11 décembre 2012, Pas., 2012, I, p. 2459.
[52] Cass., 5 juin 2012, N.C., 2013, p. 74.
[53] Corr. Bruxelles, 25 janvier 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 119.
[54] Corr. Liège, 29 octobre 2013, J.L.M.B., 2014, p. 433.
[55] Cass., 5 juin 2013, Pas., 2013, I, p. 487 et Cass., 26 février 2013, Pas., 2013, I, p. 486.
[56] Corr. Gand, 21 septembre 2011, N.C., 2014, p. 70.
[57] Cass., 22 mai 2012, P.11.1723.N.
[58] Cass., 20 février 2013, Pas., 2014/3, p. 574.
[59] Ibid. et Cass., 20 février 2013, Pas., 2013, I, p. 459.
[60] Liège (mis. acc.), 14 septembre 2011, J.L.M.B., 2012, p. 1516.
[61] Cass., 6 février 2013, Pas., 2013, I, p. 336 avec conclusion avocat-général Vandermeersch.
[62] Ibid. et Cass., 6 février 2013, Dr. pén. entr., 2013, p. 73 avec conclusion avocat général Vandermeersch.
[63] Cass., 21 février 2012, Pas., 2012, I, p. 410.
[64] C.C., 31 mai 2012, Dr. pén. entr., 2013, p. 39 avec note M. Lemal.
[65] C.C., 14 novembre 2012, n° 138/2012.
[66] Cass., 7 janvier 2013, S.12.0016.F/9.
[67] Anvers, 3 avril 2013, N.C., 2013, p. 470.
[68] Cass., 23 novembre 2011, R.D.P., 2012, p. 406.
[69] Gand, 24 janvier 2012, R.W., 2012-2013, p. 1070.
[70] Bruxelles, 21 mai 2012, Dr. pén. entr., 2012/3, p. 143 avec note.
[71] Cass., 25 septembre 2012, Pas., 2012, I, p. 1734 et T. Strafr., 2013-2014, p. 244.
[72] Cass., 6 février 2013, Pas., 2013, I, p. 339.
[73] Corr. Bruxelles, 25 janvier 2012, Dr. pén. entr., p. 119 et J.D.S.C., 2013, p. 261.
[74] Corr. Liège, 29 octobre 2013, J.L.M.B., 2014, p. 434.
[75] Bruxelles, 24 janvier 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 192.
[76] Cass., 4 décembre 2012, Pas. 2012, I, p. 2407.
[77] Cass., 20 novembre 2013, P.13.1001.F/2.
[78] Anvers, 19 septembre 2012, R.W., 2013-2014, p. 109.
[79] Cass., 17 février 2012, Pas., 2012, I, p. 366.
[80] Cass., 7 novembre 2012, Dr. pén. entr., 2013, p. 55.
[81] Cass., 22 janvier 2013, Pas., 2013, I, p. 137.
[82] Cass., 17 septembre 2013, Pas., 2013, I, p. 1701.
[83] Cass., 3 avril 2012, Pas., 2012, I, p. 744.
[84] Cass., 5 juin 2013, R.D.P., 2014, 199.
[85] Cass., 12 juin 2013, J.T., 2014, p. 175 avec note publiée également au T. Strafr., 2014, p. 125; Pas. 2013, I, p. 1333.
[86] Cass., 22 janvier 2013, Pas., 2013, I, p. 145.
[87] Cass., 9 octobre 2012, T. Strafr., 2013, p. 37 avec note.
[88] Corr. Bruxelles, 22 septembre 2012, J.L.M.B., 2012, p. 1543.
[89] Cass., 5 décembre 2012, Pas., 2012, I, p. 2445 et Dr. pén. entr., 2013, p. 51.
[90] Cass., 22 janvier 2013, Pas., 2013, I, p. 145 et R.W., 2013, p. 544.
[91] Ibid.
[92] C.E.D.H., 6 décembre 2012, Dr. pén. entr., 2013, p. 35 avec note publiée également au J.L.M.B., 2013, p. 732.
[93] C.J.U.E., 28 juin 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 264 avec note.
[94] C.E.D.H., 6 octobre 2011, Dr. pén. entr., 2012, p. 87 avec note.
[95] Cass., 28 mai 2013, Pas., 2013, I, p. 1194.
[96] Ibid.
[97] Cass., 15 février 2011, Dr. pén. entr., 2012, p. 257.
[98] Cass., 5 septembre 2012, Dr. pén. entr., 2013, p. 29 avec note.
[99] Cass., 8 octobre 2013, Pas., 2013, I, p. 1890.
[100] Cass., 12 septembre 2012, Dr. pén. entr., 2013, p. 139.
[101] C.C., 7 novembre 2013, n° 148/2013.
[102] Cass., 22 octobre 2013, I.R.D.I., 2014, p. 365.
[103] Cass., 26 janvier 2012, J.L.M.B., 2012, p. 977.
[104] Cass., 10 décembre 2013, P.13.0691.N/15.
[105] Cass., 26 février 2013, Pas., 2013, I, p. 486.
[106] Corr. Gand, 28 mars 2012, F.J.F., 2013, p. 752.
[107] Cass., 19 février 2013, Pas., 2013, I, p. 449.
[108] Cass., 5 juin 2013, Pas., 2013, I, p. 1249 et J.L.M.B., 2014, p. 75 avec note P. Monville.
[109] Bruxelles, 21 octobre 2013, R.G.C.F., 2014/2, p. 125.
[110] C.C., 14 février 2013, Dr. pén. entr., 2013, p. 132 avec note.
[111] C.C., 14 février 2013, Dr. pén. entr., 2013, p. 134.
[112] Bruxelles, 21 mai 2012, Dr. pén. entr., 2012/3, p. 143 avec note.
[113] Bruxelles, 21 mai 2012, Dr. pén. entr., 2012/3, p. 143 avec note.
[114] Bruxelles, 21 mai 2012, Dr. pén. entr., 2013, p. 143 avec note A. Lecocq, P. Proesmans et N. Van Der Eecken.
[115] Cass., 23 janvier 2013, R.W., 2013, p. 502.
[116] Cass., 22 octobre 2013, I.R.D.I., 2014, p. 365.
[117] Corr. Verviers, 21 juin 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 299.
[118] C.J.U.E., 9 février 2012, Dr. pén. entr., 2012, p. 79.