BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Général - Ouverture de crédit - Funding loss - Article 1907bis Code civil - Indemnité de remploi (« funding loss ») - Reprise d'encours - Requalification d'une ouverture de crédit en prêt
Il y a lieu pour le tribunal de qualifier adéquatement le contrat et de rechercher la norme applicable, et ce indépendamment de la qualification qui lui a été donnée à l'origine par les parties ou l'une d'elles.
Une « reprise d'encours » suppose la conclusion d'une nouvelle convention d'avance de fonds dont les modalités peuvent être différentes de la première.
Lorsque la convention de crédit consiste, non pas à permettre au crédité de disposer d'une nouvelle somme d'argent ou d'un crédit qu'il peut prélever selon ses besoins pour une période déterminée, mais à solder, par un seul virement immédiat, la créance que la banque détient sur lui, l'opération doit s'analyser en un prêt.
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BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Algemeen - Kredietopening - Funding loss - Artikel 1907bis Burgerlijk Wetboek - Wederbeleggingsvergoeding (“funding loss”) - Wederopname - Herkwalificatie van een kredietopening in een lening
Ongeacht de kwalificatie die de contractpartijen of één van hen aan hun overeenkomst geven/geeft, interpreteert en kwalificeert de rechtbank soeverein de overeenkomst die aan zijn oordeel wordt voorgelegd.
Een “wederopname” veronderstelt het sluiten van een nieuwe overeenkomst waarbij voorschotten ter beschikking worden gesteld. De voorwaarden van deze overeenkomst kunnen verschillen van deze van de eerste overeenkomst.
Wanneer de kredietovereenkomst de kredietnemer niet toelaat om naar eigen believen te beschikken over een nieuwe som geld of wanneer hij het krediet niet naar eigen goeddunken kan opnemen, maar daarentegen de schuld die de bank op hem heeft door middel van één enkele onmiddellijke overschrijving vereffent, dan moet men deze kredietovereenkomst als een lening kwalificeren.
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1.Les faits dont le jugement annoté a eu à connaître peuvent être résumés comme suit: par convention du 17 juin 2009, la banque avait consenti à une SPRL une ouverture de crédit pour une durée de 12 mois, utilisable sous forme d'avance à terme. A l'échéance, le crédit n'étant pas remboursé, les parties réaménagèrent une première fois le crédit au moyen d'une convention qualifiée par elles de « reprise d'encours » pour une nouvelle durée de 12 mois sous forme d'avance. Le crédit n'étant toujours pas remboursé à cette nouvelle échéance, les parties conclurent une troisième convention apparemment également qualifiée de « reprise d'encours », et intitulée « refinancement de la ligne 717.234 et dépassement ». Les modalités de remboursement étaient cette fois précisées comme suit: « 119 mensualités de 636,39 EUR et une mensualité de 636,84 EUR ».
Le 31 décembre 2011, la SPRL indiqua souhaiter solder le crédit au moyen de la réalisation du gage consenti par son gérant et demanda à se voir communiquer un décompte, s'élevant, selon la banque, au montant total de 62.630,10 EUR, en ce compris la somme de 6.665,50 EUR à titre de clause de « funding loss ». Ce dernier montant fut contesté par la SPRL, qui entendait se prévaloir de l'article 1907bis du Code civil limitant l'indemnité de remploi pouvant être réclamée lors du remboursement total ou partiel d'un prêt à un montant équivalent à 6 mois d'intérêts calculés sur la somme remboursée au taux fixé par la convention. La banque refusa de faire suite à cette contestation, se référant aux termes de la convention de crédit en vertu desquels elle avait calculé et appliqué l'indemnité de « funding loss » litigieuse.
2.Comme le résumait le tribunal de commerce de Charleroi, le litige portait donc sur le montant de l'indemnité réclamée par la banque, et partant, sur la qualification à donner à la troisième convention: un prêt à tempérament, selon la SPRL, ou une simple « reprise d'encours » de l'ouverture de crédit initiale, comme le soutenait la banque, étant entendu que cette qualification devait déterminer l'application ou non de la limitation de l'indemnité de remploi imposée par l'article 1907bis du Code civil. Il est en effet de jurisprudence et de doctrine unanimes que cet article, ainsi que l'ensemble du Titre X du Code civil, n'est applicable qu'au prêt à intérêts, à l'exclusion de toute ouverture de crédit [1].
Au terme d'une analyse approfondie, et se fondant principalement sur le tout récent arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 août 2013, le tribunal décida de (re)qualifier le troisième contrat de « prêt à intérêts », partant soumis audit article 1907bis « de manière telle que la demande ne peut être déclarée fondée qu'à concurrence d'un montant correspondant à six mois d'intérêts ». Il rouvrit les débats pour permettre aux parties de s'expliquer sur le montant des intérêts dus dans cette hypothèse. Le litige ne connut toutefois pas de développements judiciaires ultérieurs, les parties s'étant entendues sur ledit montant. Le jugement annoté est donc devenu définitif.
3.La problématique du « funding loss » et de l'indemnité de remploi de l'article 1907bis du Code civil a donné lieu à de nombreuses études doctrinales [2]. L'analyse opérée par le tribunal dans le jugement annoté concerne plus précisément le champ d'application de l'article 1907bis.
4.Le fait que le juge ait le droit, et même l'obligation, de qualifier l'acte juridique soumis à son examen en s'appuyant sur les caractéristiques intrinsèques de l'acte et la volonté réelle des parties, sans être tenu par l'intitulé qu'elles lui ont donné, ne fait plus l'objet d'aucune controverse. Le jugement annoté le relève d'ailleurs justement, en prémisse de son raisonnement: « Il y a lieu pour le tribunal de qualifier adéquatement le contrat et de rechercher la norme applicable, et ce indépendamment de la qualification qui lui a été donnée à l'origine par les parties ou l'une d'elles. »
5.Quels sont les critères qui ont été retenus par la doctrine et la jurisprudence récentes pour distinguer la convention d'ouverture de crédit du prêt?
La décision commentée, se référant à un arrêt du 15 septembre 2009 de la cour d'appel de Bruxelles [3], énonce à cet égard que sont déterminantes pour la qualification de prêt, les modalités (i) de mise à disposition des fonds et (ii) des obligations du crédité. Nous reprendrons une distinction similaire en examinant successivement (a) les modalités de mise à disposition des fonds, (b) la liberté de prélèvement consentie au crédité et (c) les modalités de remboursement, avant d'aborder (d) l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 août 2013 et ses suites.
a) | Modalités de mise à disposition des fonds |
6.Un premier critère traditionnellement avancé a trait à l'immédiateté de la mise à disposition des fonds. Ce critère repose sur la définition classique du prêt comme étant un contrat réel [4], par opposition au caractère consensuel de l'ouverture de crédit. Puisque le contrat de prêt n'est valablement formé que par la remise des fonds, une opération de crédit ne prévoyant qu'une mise à disposition ultérieure ne pourrait pas être qualifiée de prêt.
Cet argument est contesté par Madame Biquet-Mathieu, qui relève que le prêt, même envisagé comme un contrat réel, n'implique nullement « par sa nature » une simultanéité entre l'accord initial et la remise des fonds prêtés. Une telle exigence n'a d'ailleurs jamais été formulée à l'égard du gage ou de la donation, qui ne sont nullement invalidés par une remise retardée de la chose (n'ayant pour effet que de retarder la formation effective du contrat) [5].
En tout état de cause, il est très largement admis que ce critère doit s'apprécier avec souplesse, sous peine d'éliminer totalement la figure du prêt dans les relations bancaires, où il existe toujours un certain décalage entre la conclusion du contrat et la remise des fonds [6]. A l'inverse, la concomitance de la remise des fonds n'est pas non plus incompatible avec la qualification de l'opération en une ouverture de crédit [7].
7.Une autre ligne de démarcation fréquemment citée repose sur l'unicité ou la pluralité de la ou des remises de fonds. La justification s'inspire elle aussi largement du caractère réel du contrat de prêt: puisque le contrat ne se forme que par la mise à disposition des fonds prêtés, il ne saurait y avoir qu'un seul contrat de prêt par remise de fonds [8].
Ce trait, parfois présenté comme caractéristique du prêt, ne fait toutefois pas non plus l'unanimité. De Page déjà considérait que rien n'interdisait que la remise des fonds soit échelonnée dans le temps, par exemple pour correspondre à l'état d'avancement de la construction dans le cadre d'un prêt hypothécaire [9].
A nouveau, ce critère ne saurait à lui seul être déterminant, puisqu'il est tout à fait concevable que les fonds faisant l'objet d'une ouverture de crédit soient prélevés en une seule fois. C'est ce que décide la cour d'appel de Bruxelles dans un arrêt du 27 septembre 2012, lorsqu'elle énonce que « le fait que le crédit doive être prélevé en une seule fois pour la totalité du montant et dans une période relativement brève ne permet pas de requalifier la convention en contrat réel de prêt » [10].
Suite à un raisonnement basé sur l'analyse développée par Madame Biquet-Mathieu [11], la même chambre de la cour d'appel de Bruxelles avait décidé, quelques mois auparavant, par un arrêt du 2 mars 2012, que deux conventions qui s'inscrivaient dans le cadre d'un contrat d'ouverture de crédit constituaient bien des prêts, partant soumis à l'article 1907bis du Code civil, au motif qu'il s'agissait bien de « deux conventions distinctes d'avances à terme fixe qui présentent toutes les caractéristiques d'un prêt, puisqu'elles furent toutes deux consenties par la remise unique d'une somme fixe, remboursable à terme fixe par trimestrialités constantes » [12]. La cour complète sa motivation en précisant que ces deux avances n'étaient pas renouvelables. Cet arrêt confirme probablement à nouveau que le critère de la remise unique ou plurale de fonds n'emporte pas à lui seul qualification du contrat en un prêt, puisque la cour énonce une pluralité de critères.
Ces deux arrêts a priori contradictoires rendus à quelques mois d'intervalle par la cour d'appel de Bruxelles ont laissé les commentateurs perplexes. Monsieur Cattaruzza relève à cet égard que la seule différence entre les conventions analysées dans ces deux affaires tenait à l'existence, pour la convention ayant donné lieu à l'arrêt du 27 septembre 2012 (ayant lui-même déféré la problématique à la Cour constitutionnelle, cf. infra), d'une période de prélèvement. Si l'auteur reconnaît que ce critère de distinction est en général pertinent, il s'interroge toutefois, à juste titre selon nous, sur son application en l'espèce, où la durée d'un mois de cette période de prélèvement rendait la différence de nature entre les deux crédits assez ténue [13].
b) | Liberté de prélèvement consentie au crédité |
8.Un critère de distinction entre le contrat de prêt et d'ouverture de crédit qui semble, à juste titre selon nous, se distinguer dans la doctrine et la jurisprudence récentes, y compris dans la décision annotée, consiste en la liberté de prélèvement consentie au crédité. Ce qui caractériserait une ouverture de crédit par rapport à un prêt serait que dans la première, le crédité se voit octroyer une mise à disposition de fonds qu'il peut utiliser au moment et dans la mesure où il le juge nécessaire, voire ne pas utiliser du tout, alors que dans le second, le crédité ne dispose d'aucune latitude quant au prélèvement des fonds [14].
Cette caractéristique relative à la liberté dont dispose le crédité de prélever les fonds à sa guise semble effectivement consacrée par la doctrine comme étant le critère essentiel de la définition de l'ouverture de crédit [15], voire son seul véritable trait caractéristique par rapport au contrat de prêt [16].
Là où cette liberté devait être totale pour la doctrine classique [17], la pratique bancaire a démontré qu'elle pouvait, dans certaines circonstances, être très encadrée, par l'effet de l'inclusion dans le contrat soit d'une période de prélèvement plus ou moins courte, soit d'une indemnité due en cas de non-utilisation de tout ou partie du crédit.
C'est sur cette base que certaines décisions ont pu requalifier une ouverture de crédit en un contrat de prêt, après avoir constaté, in concreto, que la liberté de prélèvement était par trop restreinte, voire inexistente. La cour d'appel de Liège a ainsi relevé, par un arrêt du 28 janvier 2010, qu'en vertu des dispositions du contrat, « le crédité ne bénéficie pas d'une faculté, mais a l'obligation de prélever les fonds ainsi mis à disposition » [18]. En l'espèce, une période de prélèvement d'un an était convenue. Pendant cette période, la partie du crédit non prélevée ne donnait pas lieu à des intérêts débiteurs mais bien à une « commission de réservation » (calculée au taux de 0,5% l'an), tandis qu'à l'issue de celle-ci une indemnité de remploi était réclamée sur la partie non prélevée des fonds.
Par un arrêt du 27 septembre 2012, la cour d'appel de Bruxelles, à propos de contrats prévoyant de manière similaire une période de prélèvement (en l'espèce, d'un mois) donnant lieu à une commission de réservation puis à une indemnité de remploi sur les sommes non prélevées, a toutefois jugé en sens contraire qu'il n'y avait pas lieu à requalification. Après avoir considéré que « le fait que le crédit doive être prélevé en une seule fois pour la totalité du montant et dans une période relativement brève ne permet pas de requalifier la convention en contrat réel de prêt » - ce qui est conforme à l'opinion généralement admise selon laquelle il ne s'agit pas d'un critère déterminant (voy. supra n° 7) - la cour ajoute, de manière plus étonnante, que « toutes les conséquences du caractère consensuel de la convention sont respectées, puisqu'une commission de réservation est prévue sur toute partie du crédit qui ne serait pas prélevée jusqu'au prélèvement effectif, les intérêts débiteurs n'étant dus qu'en cas de prélèvement effectif » [19]. Cette partie du raisonnement de la cour nous paraît faire fi de la circonstance qu'à la fin de la période de prélèvement, le crédité devenait redevable d'une indemnité de remploi importante sur les sommes non prélevées, ce qui, comme l'avait relevé la cour d'appel de Liège par son arrêt du 28 janvier 2010 précité, rendait toute relative la liberté dont dispose le crédité de prélever ou non les fonds mis à sa disposition. On relèvera, en outre, que la commission de réservation constitue en elle-même une contrainte - certes moindre que la débition d'intérêts au taux contractuel - et que, en l'espèce la période de prélèvement était particulièrement brève (un mois). Pour ces différentes raisons, la motivation de l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 27 septembre 2012 nous paraît critiquable.
Le jugement annoté est également principalement motivé en référence à cette liberté de prélèvement, puisqu'il relève, à propos de la convention litigieuse, qu' « elle consiste, non pas à permettre au crédité de disposer d'une nouvelle somme d'argent ou d'un crédit qu'il peut prélever selon ses besoins pour une période déterminée, mais à solder, par un seul virement immédiat, la créance que la banque détient sur lui ».
c) | Modalités de remboursement des fonds |
9.De manière générale, on peut constater que les modalités en vertu desquelles les fonds doivent être remboursés ont nettement moins retenu l'attention, tant de la doctrine que de la jurisprudence, en tant que critère distinctif d'un prêt ou d'une ouverture de crédit. Ce désintérêt relatif peut a priori étonner, puisque la question de l'application ou non de la limitation de l'indemnité dite [20] de « funding loss » se posera précisément au moment du remboursement - ici anticipé - des fonds, et que l'article 1907bis du Code civil invite lui-même à se placer au moment de ce remboursement.
Il s'explique toutefois probablement par le fait que la liberté du crédité de définir lui-même les modalités temporelles de remboursement n'est pas considérée comme une des caractéristiques essentielles d'une ouverture de crédit. Rien n'empêche en effet les parties de prévoir que les montants prélevés en vertu d'une ouverture de crédit seront remboursés à termes fixes ou par des versements périodiques [21].
10.Une exception notable réside dans le caractère réutilisable du crédit par la technique du compte courant. Si le simple fait qu'un crédit n'est pas réutilisable ne suffit pas pour le requalifier en prêt, il est par contre admis qu'un crédit octroyé en compte courant ne saurait recevoir la qualification de prêt [22]. Dans une telle hypothèse, la question de l'application de l'article 1907bis du Code civil ne se posera cependant en principe pas, puisque ce type d'ouverture de crédit se caractérise par la souplesse des remises en compte, qui ne s'assimilent donc pas, dans la volonté des parties, à des remboursements anticipés donnant lieu à une indemnité de remploi [23], [24].
d) | L'arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 août 2013 et ses suites |
11.Par son arrêt précité du 27 septembre 2012, la cour d'appel de Bruxelles, statuant sur la demande de renvoi formée à titre subsidiaire par le crédité, a saisi la Cour constitutionnelle de la question suivante: « L'article 1907bis du Code civil interprété en ce sens que cette disposition n'est pas applicable aux ouvertures de crédit - et en particulier aux ouvertures de crédit non réutilisable - viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que les emprunteurs sont traités de manière différente alors qu'ils se trouvent dans une situation identique ? » [25].
Faisant un long détour par l'objectif poursuivi par le législateur, la Cour constitutionnelle a jugé que la différence de traitement entre un crédité, dans le cadre d'une ouverture de crédit non réutilisable, et un emprunteur n'était pas discriminatoire, et ce malgré les similitudes entre ces deux contractants, qui ne sont pas suffisantes pour « imposer au législateur d'étendre la mesure dérogatoire au droit commun des obligations, prévue à l'article 1907bis du Code civil, à tout type de contrat analogue, sans égard pour le contexte économique particulier dans lequel il y fait recours » [26].
12.Confirmant l'analyse classique, la Cour constitutionnelle indique que « le contrat de prêt est un contrat réel en vertu duquel le prêteur transfère en une seule fois la totalité du montant prêté à l'emprunteur, contre remboursement, avec intérêt, à une date déterminée ou à des dates d'échéance » [27]. Le contrat d'ouverture de crédit est, lui, défini comme « un contrat consensuel en vertu duquel les fonds ne sont pas mis à la disposition immédiate du crédité, mais peuvent être utilisés lorsque et dans la mesure où ce dernier le jugerait nécessaire, moyennant paiement à la fois d'une commission et d'un intérêt, s'il s'agit d'une somme d'argent » [28].
C'est donc à nouveau le critère de la liberté de prélèvement qui a été mis en exergue par la Cour pour distinguer l'ouverture de crédit du prêt, sur la base d'une définition classique.
A l'instar de messieurs Blommaert et Vannerom, nous pensons que l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 août 2013 n'empêche pas de continuer à vérifier au cas par cas si cette liberté de prélèvelment est bien effective (voy. égal. supra b)) [29].
Madame Biquet-Mathieu va plus loin en estimant, quant à elle, qu'aucun enseignement ne peut être tiré de cet arrêt en ce qui concerne la distinction entre le prêt et l'ouverture de crédit, car la Cour s'est uniquement prononcée sur la base de l'interprétation retenue par la cour d'appel de Bruxelles, selon laquelle le contrat en cause ne pouvait s'analyser en un prêt (cf. supra, n° 8). Elle n'a pas vérifié le bienfondé de cette interprétation, pas plus qu'elle n'a condamné l'interprétation contraire [30].
13.Enfin, la Cour constitutionnelle consacre quelques développements au contrat d'ouverture de crédit non réutilisable [31], pour lui reconnaître, dans la pratique, des analogies importantes avec le prêt. Outre les différences juridiques déjà relevées, la Cour distingue encore ces deux contrats sur la base d'une analyse économique reposant sur deux critères: (i) le contrat d'ouverture permet au crédité de différer la mise en possession effective des fonds « et, partant, le paiement des intérêts », et (ii) l'acceptation par le crédité d'une indemnité de remploi élevée « pourrait » permettre d'obtenir un taux d'intérêt plus avantageux [32].
Même si le bien-fondé de ces considérations économiques laisse perplexe [33], celles-ci, en ce qu'elles invitent à procéder à une analyse in concreto basée notamment sur une comparaison des taux proposés, pourraient, dans le futur, offrir des perspectives intéressantes aux plaideurs [34].
Conclusion |
14.La controverse relative au champ d'application de l'article 1907bis du Code civil a, certes, perdu une partie de son enjeu pratique, depuis que de nombreuses lois particulières sont venues, à leur tour, limiter le montant de l'indemnité de remploi pouvant être réclamée au crédité. Citons ainsi l'article 12, § 1er, alinéa 5 [35], de la loi du 4 août 1992 sur le crédit hypothécaire, l'article 23 [36] de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation, et, plus récemment, l'article 9, § 2, de la loi du 21 décembre 2013 relative à diverses dispositions concernant le financement des petites et moyennes entreprises [37].
Dans nombre de cas, elle trouvera toutefois encore à s'appliquer, si l'on songe notamment aux contrats d'investissements conclus avec des entreprises ne rentrant pas dans le champ d'application ratione personae de la loi du 21 décembre 2013 précitée (parce qu'elles dépassent les seuils prévus par l'art. 15, § 1er, du Code des sociétés pour être qualifiées de P.M.E., p. ex.) ou dont le montant dépasse un million d'euros [38]. Dans tous les cas, cette loi impose en outre au juge de qualifier préalablement le contrat lorsqu'il statue sur le sort de l'indemnité de remploi [39], [40].
La décision annotée, s'inscrivant dans le fil des enseignements pouvant être tirés de l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 août 2013, nous paraît faire une exacte application des principes applicables, notamment en mettant en exergue le critère de la liberté de prélèvement des fonds comme étant déterminant pour retenir la qualification de crédit et exclure, corrélativement, celle de prêt à intérêts.
A notre estime, cette liberté implique notamment qu'aucune indemnité autre que la « commission de réservation » (rémunérant, comme son nom l'indique, le service que la banque offre au crédité de mettre à sa disposition un certain montant pendant la période de prélèvement) ne soit réclamée au crédité en cas de non prélèvement.
Avocat au barreau de Bruxelles, Maitre de conférences à l'Université Libre de Bruxelles
, Lydie Van MuylemAvocat au barreau de Bruxelles
[1] | J.-F. Romain, « Le contrat de prêt civil à intérêt en matière bancaire », in Synthèse de droit bancaire et financier. Liber amicorum André Bruyneel, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 316; J. Linsmeau, « Les opérations de crédit », Traité pratique de droit commercial, t. 5, Waterloo, Kluwer, 2007, p. 326; J. Cattaruzza, « La révision des conditions financières des ouvertures de crédit », in J.-P. Buyle (ed.), La banque dans la vie de l'entreprise, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 2005, p. 331. |
[2] | Voy. not. pour un point récent: M.-D. Weinberger, « Funding loss… in translation », Dr. banc. fin., 2014, pp. 3 et s. |
[3] | Dr. banc. fin., 2011, p. 60. |
[4] | Une conception qui conserve les faveurs de la jurisprudence, mais se trouve de plus en plus contestée par la doctrine, qui peut s'appuyer sur la jurisprudence de la Cour de cassation française (Cass. civ. fr., 28 mars 2000, J.C.P., 2000, II, 10296, p. 753). Voir à cet égard la thèse de B. Du Laing, résumée dans l'article « (Geld)lening en krediet(opening) », R.W., 2004-2005, p. 961; C. Biquet-Mathieu, « Le droit des obligations et du crédit », Chron. not., vol. 59, avril 2014, p. 184, n° 230. |
[5] | C. Biquet-Mathieu, « Le droit des obligations et du crédit », Chron. not., vol. 59, avril 2014, p. 186, n° 232. |
[6] | J. Cattaruzza, « L'indemnité de remploi au coeur des débats » (obs. sous C.C., 7 août 2013), J.T., 2013, p. 721; M.-D. Weinberger, « Funding loss… in translation », Dr. banc. fin., 2014, p. 21; C. Biquet-Mathieu, « Crédit, remboursement anticipé et indemnité de remploi », Rev. not. belge, 2006, p. 510. |
[7] | D. Blommaert et J. Vannerom, « De geldlening op interest en de niet-werderopneembare kredietopening: verwant of toch verschillend? Mijmeringen bij het standpunt van het Grondwettelijk Hof », in Liber amicorum F. Glansdorff et R. Legros, p. 85. |
[8] | Voy. not. F. Domont-Naert, « Les ouvertures de crédit », in Ch. Biquet-Mathieu (ed.), Le crédit à la consommation, CUP, n° 75, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 143. |
[9] | H. De Page et R. Dekkers, Traité élémentaire de droit civil, t. 5, Bruxelles, Bruylant, 1975, p. 126, n° 117. Voy. aussi C. Biquet-Mathieu, « Le droit des obligations et du crédit », Chron. not., vol. 59, avril 2014, p. 187, n° 232. |
[10] | Bruxelles, 27 septembre 2012, Dr. banc. fin., 2014, p. 55. |
[11] | Selon laquelle chaque avance consentie dans le cadre d'une convention générale d'ouverture de crédit doit s'analyser comme un contrat distinct, puisque ces avances nécessitent un nouvel accord des parties, pouvant chacun constituer des prêts, en fonction de leurs caractéristiques propres (C. Biquet-Mathieu, « Crédit, remboursement anticipé et indemnité de remploi », Rev. not. belge, 2006, pp. 510-511, approuvée par D. Blommaert et F. Bonnarens, « De wederbeleggingsvergoeding inzake hypothecair krediet: vergelijking met andere gereglementeerde en commerciële kredieten », in Hypothecair krediet. Crédit hypothécaire, Bruges, die Keure (coll. Droit et entreprise), 2010, pp. 526-527). |
[12] | Bruxelles, 2 mars 2012, Dr. banc. fin., 2014, pp. 47 et s. et spéc. 51. Voy. aussi C. Biquet-Mathieu, « Le droit des obligations et du crédit », Chron. not., vol. 59, avril 2014, pp. 180-182, nos 223-224. |
[13] | J. Cattaruzza, « L'indemnité de remploi au coeur des débats » (obs. sous C.C.., 7 août 2013), J.T., 2013, p. 721. |
[14] | M.-D. Weinberger, « Funding loss… in translation », Dr. banc. fin., 2014, p. 21; D. Blommaert et J. Vannerom, « De geldlening op interest en de niet-werderopneembare kredietopening: verwant of toch verschillend? Mijmeringen bij het standpunt van het Grondwettelijk Hof », in Liber amicorum F. Glansdorff et R. Legros, p. 86. |
[15] | J. Cattaruzza, « La révision des conditions financières des ouvertures de crédit », in J.-P. Buyle (eds.), La banque dans la vie de l'entreprise, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 2005, p. 332. |
[16] | D. Blommaert et J. Vannerom, « De geldlening op interest en de niet-werderopneembare kredietopening: verwant of toch verschillend? Mijmeringen bij het standpunt van het Grondwettelijk Hof », in Liber amicorum F. Glansdorff et R. Legros, p. 85. |
[17] | Voy. not. M. Falloise: « L'ouverture de crédit est une convention par laquelle une personne s'oblige à fournir des fonds à une autre personne qui, de son côté, s'oblige, si elle fait usage du crédit, à la rembourser. » (Traité des ouvertures de crédit, Paris et Liège, 1891, p. 1) et A. Dieryck: « L'ouverture de crédit est une convention par laquelle le créditeur s'engage à tenir un ou plusieurs éléments de crédit à la disposition du crédité, qui en fera usage s'il en a besoin, et qui s'engage dès lors à les restituer dans les conditions déterminées entre eux ou fixées par l'usage. ” (Les ouvertures de crédit, Bruxelles et Paris, Bruylant et L.G.D.J., 1945, p. 37). |
[18] | Liège, 28 janvier 2010, R.G.D.C., 2010, p. 475. Voy. aussi Bruxelles, 25 novembre 2009, Dr. banc. fin., 2014, p. 44; Bruxelles, 15 septembre 2009, Dr. banc. fin., 2011, p. 63. |
[19] | Bruxelles, 27 septembre 2012, Dr. banc. fin., 2014, p. 55. |
[20] | Peut-être improprement, voy. M.-D. Weinberger, « Funding loss… in translation », Dr. banc. fin., 2014, pp. 4 et 5. |
[21] | La cour d'appel de Bruxelles, dans son arrêt du 15 septembre 2009 (Dr. banc. fin., 2011, p. 63), a certes qualifié de prêt une avance non réutilisable et à rembourser par versements périodiques, mais il ne nous semble pas possible d'en déduire que le seul critère des modalités prédéfinies de remboursement exclurait toute qualification du contrat en ouverture de crédit. |
[22] | C. Biquet-Mathieu, « Crédit, remboursement anticipé et indemnité de remploi », Rev. not. belge, 2006, p. 511; Bruxelles, 6 septembre 1999, R.D.C., 2000, p. 710; Civ. Charleroi, 8 juin 2000, R.D.C., 2001, p. 783. |
[23] | C. Biquet-Mathieu, « Crédit, remboursement anticipé et indemnité de remploi », Rev. not. belge, 2006, p. 511; M.-D. Weinberger, « Funding loss… in translation », Dr. banc. fin., 2014, p. 21. |
[24] | Relevons, pour être complet, que la décision annotée constate que les fonds mis à la disposition par la banque ont transité par le compte courant du crédité. Il nous semble toutefois pouvoir être déduit des termes du jugement que ce compte courant a précisément été soldé par la remise litigieuse, ce qui n'est donc pas contradictoire avec l'existence d'un prêt. |
[25] | Bruxelles, 27 septembre 2012, Dr. banc. fin., 2014, p. 58. |
[26] | C.C., n° 119/2013, 7 août 2013, J.T., 2013, p. 719 (considérant B.6.4.). |
[27] | C.C., n° 119/2013, 7 août 2013, J.T., 2013, p. 719 (considérant B.4.). |
[28] | Idem. |
[29] | D. Blommaert et J. Vannerom, « De geldlening op interest en de niet-werderopneembare kredietopening: verwant of toch verschillend? Mijmeringen bij het standpunt van het Grondwettelijk Hof », in Liber amicorum F. Glansdorff et R. Legros, p. 84. Comp. (en ce qui concerne l'existence d'une période de prélèvement): J. Cattaruzza, « L'indemnité de remploi au coeur des débats » (obs. sous C.C., 7 août 2013), J.T., 2013, p. 721. |
[30] | C. Biquet-Mathieu, « Le droit des obligations et du crédit », Chron. not., vol. 59, avril 2014, p. 190, n° 234. |
[31] | Mais il est vrai que lorsque le crédit présente un caractère réutilisable, la distinction avec un contrat de prêt est plus aisée (cf. supra). |
[32] | C.C., n° 119/2013, 7 août 2013, J.T., 2013, p. 719 (considérant B.6.4.). |
[33] | D. Blommaert et J. Vannerom, « De geldlening op interest en de niet-werderopneembare kredietopening: verwant of toch verschillend? Mijmeringen bij het standpunt van het Grondwettelijk Hof », in Liber amicorum F. Glansdorff et R. Legros, p. 79; M.-D. Weinberger, « Funding loss… in translation », Dr. banc. fin., 2014, p. 17. |
[34] | D. Blommaert et J. Vannerom, « De geldlening op interest en de niet-werderopneembare kredietopening: verwant of toch verschillend? Mijmeringen bij het standpunt van het Grondwettelijk Hof », in Liber amicorum F. Glansdorff et R. Legros, pp. 80 et 90. |
[35] | Devenu l'art. VII.131, § 1er, al. 5, CDE. |
[36] | Inséré par la loi du 13 juin 2010, devenu l'art. VII.97 CDE. |
[37] | M.B., 31 décembre 2013. Voy. not. D. Blommaert et C. Alter, « La responsabilité du banquier dispensateur de crédit. Principes généraux et premier commentaire de la loi relative au financement des P.M.E », in X., Les responsabilités en matière commerciale. Actualités et perspectives, Ed. du Jeune Barreau de Liège, Limal, Anthémis, 2014, pp. 33 et s. |
[38] | Dans cette dernière hypothèse, une protection est certes octroyée au crédité, dans la mesure où l'art. 9, § 2, al. 2, de la loi de financement des P.M.E. dispose que le montant de l'indemnité de remploi doit être en conformité avec les modalités de calcul énoncées à cet égard dans le code de conduite (section III.10-14). Il est toutefois permis de douter que cette mesure soit aussi protectrice que le régime de l'article 1907bis du Code civil (voy. not. en ce sens M.-D. Weinberger, « Funding loss… in translation », Dr. banc. fin., 2014, p. 29). |
[39] | Voy. art. 9, § 2, de la loi, qui consacre son propre caractère subsidiaire, puisqu'il ne s'applique que « si le crédit ne peut pas être qualifié de prêt à intérêt tel que visé à l'article 1907bis du Code civil », ne dispensant dès lors pas le juge d'un travail de qualification du contrat. |
[40] | Il est également d'autres domaines du droit où la distinction entre contrat de prêt et ouverture de crédit conserve un intérêt, notamment en droit de l'insolvabilité où il convient de déterminer s'il s'agit ou non d'un contrat à prestations successives, lequel obéit à des règles particulières (voy. not., concernant la procédure en réorganisation judiciaire, C. Alter et Z. Pletinckx, « Droit bancaire et continuité des entreprises », in A. Zenner et M. Dal (dirs), Actualité de la continuité, continuité de l'actualité - Etats généraux de la continuité des entreprises, Barreau de Bruxelles Ordre français, Larcier, 2012, p. 360, nos 2 et s.). |