Tribunal de commerce de Charleroi 11 octobre 2013
BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Général - Ouverture de crédit - Funding loss - Article 1907bis Code civil - Indemnité de remploi (« funding loss ») - Reprise d'encours - Requalification d'une ouverture de crédit en prêt
Il y a lieu pour le tribunal de qualifier adéquatement le contrat et de rechercher la norme applicable, et ce indépendamment de la qualification qui lui a été donnée à l'origine par les parties ou l'une d'elles.
Une « reprise d'encours » suppose la conclusion d'une nouvelle convention d'avance de fonds dont les modalités peuvent être différentes de la première.
Lorsque la convention de crédit consiste, non pas à permettre au crédité de disposer d'une nouvelle somme d'argent ou d'un crédit qu'il peut prélever selon ses besoins pour une période déterminée, mais à solder, par un seul virement immédiat, la créance que la banque détient sur lui, l'opération doit s'analyser en un prêt.
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BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Algemeen - Kredietopening - Funding loss - Artikel 1907bis Burgerlijk Wetboek - Wederbeleggingsvergoeding (“funding loss”) - Wederopname - Herkwalificatie van een kredietopening in een lening
Ongeacht de kwalificatie die de contractpartijen of één van hen aan hun overeenkomst geven/geeft, interpreteert en kwalificeert de rechtbank soeverein de overeenkomst die aan zijn oordeel wordt voorgelegd.
Een “wederopname” veronderstelt het sluiten van een nieuwe overeenkomst waarbij voorschotten ter beschikking worden gesteld. De voorwaarden van deze overeenkomst kunnen verschillen van deze van de eerste overeenkomst.
Wanneer de kredietovereenkomst de kredietnemer niet toelaat om naar eigen believen te beschikken over een nieuwe som geld of wanneer hij het krediet niet naar eigen goeddunken kan opnemen, maar daarentegen de schuld die de bank op hem heeft door middel van één enkele onmiddellijke overschrijving vereffent, dan moet men deze kredietovereenkomst als een lening kwalificeren.
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SCRL CPH / SPRL Axelle-Line et J.-P. Declercq
Siég.: B. Guevar (juge), R. Lemaitre et C. Gaillard (juges consulaires) |
Pl.: Mes S. Collin et G. Frerejean |
Le tribunal a constaté la production en formes régulières des pièces de procédure prévues par la loi.
Les conseils des parties ont été entendus en leurs explications à l'audience publique du 13 septembre 2013.
Après avoir délibéré, le tribunal rend le jugement suivant:
1. | Faits et rétroactes |
Les faits pertinents peuvent être résumés comme suit.
Par acte sous seing privé du 17 juin 2009, CPH a consenti une ouverture de crédit à Axelle-Line pour un montant de 60.000 EUR utilisable sous forme d'avance à terme déterminé d'une durée de 12 mois, dont le but était l'achat de marchandises, et ce par mise à disposition des fonds sur le compte courant professionnel de Axelle-Line.
En garantie des engagements de celle-ci, monsieur Declercq a consenti la mise en gage d'un livret lui appartenant.
Axelle-Line n'étant pas en mesure de rembourser les 60.000 EUR à l'échéance, une première « reprise d'encours » pour une nouvelle durée de 12 mois lui est consentie par CPH en date du 8 juin 2010, utilisable sous forme d'avance à terme, le but du crédit étant précisé comme suit: « refinancement de la ligne 696.129 ».
L'échéance ne pouvant à nouveau pas être respectée, une troisième convention sous seing privé est conclue entre parties en date du 10 janvier 2011.
Le but du crédit est précisé comme suit: « refinancement de la ligne 717.234 et dépassement ».
Les modalités de remboursement du capital et des intérêts sont cette fois libellés comme suit: « 119 mensualités de 636,39 EUR et une mensualité de 636,84 EUR ».
Par e-mail du 31 décembre 2011, monsieur Declercq informe CPH que Axelle-Line n'a plus d'activité et lui demande de « bien vouloir calculer ce qu'il en serait de la mise en exécution du gage dès ce mois de janvier 2012 ».
Par e-mail du 3 janvier 2012, CPH adresse un décompte présentant un montant total de 62.630,10 EUR, dont 6.665,50 EUR à titre de « clause de funding loss ».
Par e-mail du 11 janvier 2012, monsieur Declercq marque son accord sur le paiement immédiat du principal, soit la somme de 55.660,05 EUR, et s'étonne du montant qui lui est réclamé au titre de « funding loss ».
Il expose notamment: « (...) j'estime que seules les dispositions de l'article 6.2 pourraient être éventuellement appliquées dans le cas d'espèce: ce qui aboutirait à une indemnité de remploi de 2.544,80 EUR, toujours sous réserves. »
S'ensuit un échange de correspondance par e-mail duquel il ressort que chacune des parties reste sur ses positions.
Conformément à l'accord donné par monsieur Declercq à titre provisionnel, CPH est créditée du principal en date du 28 février 2012.
Par courrier du 2 avril 2012, CPH met Axelle-Line en demeure de payer la somme de 6.556,02 EUR, « représentant l'indemnité de remploi actualisée à la date de réception des fonds, soit le 28 février 2012 ».
Par courrier du 7 avril 2012, Axelle-Line répond à CPH qu'elle fait sien le contenu du courrier qui lui est adressé à la même date par monsieur Declercq.
Plusieurs courriers sont encore adressés tant par Axelle-Line que par monsieur Declercq par lesquels ils réitèrent leur refus de payer l'indemnité de « funding loss ».
CPH lance citation à l'encontre de Axelle-Line par exploit d'huissier du 6 juin 2012.
Monsieur Declercq forme quant à lui intervention volontaire par requête déposée en date du 21 décembre 2012.
2. | Objet de la demande |
La demande tend à la condamnation in solidum de la SPRL Axelle-Line et de monsieur Jean-Pierre Declercq à payer à la SCRL Banque CPH la somme de 6.556,02 EUR à majorer des intérêts moratoires à dater du 2 avril 2012 et des frais et dépens.
3. | Discussion |
Le litige porte sur le montant de l'indemnité réclamé par CPH.
Celle-ci considère que l'indemnité de « funding loss », contractuellement prévue et calculée conformément à la convention de crédit, est due par Axelle-Line et que l'article 1907bis du Code civil ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce. Elle estime que la convention est parfaitement claire concernant la clause de « funding loss ».
Axelle-Line et monsieur Declercq soutiennent quant à eux que, par le mécanisme de la novation, le contrat d'ouverture de crédit s'est mué en prêt à tempérament du fait de la convention signée en date du 7 janvier 2011, en manière telle que par application de l'article 1907bis du Code civil, lequel est impératif, l'indemnité de remploi ne peut dépasser 6 mois d'intérêts, soit la somme de 1.391,50 EUR.
A titre subsidiaire, ils estiment que CPH a manqué à son devoir d'information, compte tenu du caractère incompréhensible de la clause, et qu'elle aurait dès lors commis une faute précontractuelle dolosive et constitutive d'abus de droit.
Il y a lieu pour le tribunal de qualifier adéquatement le contrat et de rechercher la norme applicable, et ce indépendamment de la qualification qui lui a été donnée à l'origine par les parties ou l'une d'elles (D. Mougenot, Principes de droit judiciaire privé, Larcier, 2009, pp. 95 et 96).
L'indemnité de « funding loss » constitue une variété d'indemnité de remploi (Mons (9e ch.), 11 juin 2009, J.L.M.B., 2010, p. 936).
L'ouverture de crédit est « la convention par laquelle une personne (le créditeur) s'oblige à mettre, temporairement, à la disposition d'une autre (le crédité), ses fonds ou son crédit personnel, à concurrence d'un montant déterminé; en contrepartie, le crédité s'engage à payer une commission et en outre, si le crédit est réalisable en argent, à rembourser les avances reçues augmentées d'un intérêt » (Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, 1988, p. 403).
Elle se distingue du prêt qui, en tant que contrat réel, suppose la remise matérielle de la chose et ne se confond pas avec une promesse de prêt, le crédit pouvant se réaliser autrement que par la remise de fonds (J. Malherbe, Droit commercial, t. III, Louvain, UCL, 2004).
Il n'est pas contesté que la première convention conclue entre parties doit s'analyser comme constituant une ouverture de crédit.
Celle-ci a consisté en la mise à disposition d'une somme de 60.000 EUR, pour un terme de 12 mois, qui pouvait être prélevée par Axelle-Line selon ses besoins en vue de l'achat de marchandises.
La question à résoudre est de déterminer si la convention conclue le 7 janvier 2011 constitue une simple « reprise d'encours » de l'ouverture de crédit initiale, comme le soutient CPH, ou comme une modalité de remboursement de la précédente sous la forme d'un prêt à tempérament, comme le soutiennent Axelle-Line et monsieur Declercq.
La question du mécanisme de la novation n'est pas pertinente en l'espèce.
En réalité, il y a lieu de considérer les trois opérations comme étant des opérations autonomes.
En effet, il est généralement admis qu'une « reprise d'encours » suppose la conclusion d'une nouvelle convention d'avance de fonds. Il s'agit d'une nouvelle mise à disposition des fonds dont les modalités peuvent être différentes de la première, comme en l'espèce.
La première ouverture de crédit signée le 11 juin 2009 devait être soldée à l'échéance de 12 mois. Elle l'a été dès la signature de la première « reprise d'encours ».
Il en va de même de la seconde « reprise d'encours » par laquelle la première est soldée.
Si la première convention peut être sans nul doute qualifiée d'ouverture de crédit, qu'en est-il de la deuxième et a fortiori de la troisième? Ne doivent-elles pas être qualifiées de prêt à intérêt?
Il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 15 septembre 2009 (juridat 2008/AR/1168) dont font état Axelle-Line et monsieur Declercq que « sont déterminantes pour la qualification de prêt, les modalités de la mise à disposition des fonds et des obligations du crédité ».
A cet égard, ainsi que le relève CPH elle-même en citant Van Ryn et Heenen (o.c., p. 404), dans le cadre d'une ouverture de crédit, à l'inverse du prêt, « le créditeur n'exécute son engagement que si le crédité le demande ou si les conditions convenues sont réalisées » (conclusions, p. 3).
Par ailleurs, très récemment, la Cour constitutionnelle a été amenée à trancher une question préjudicielle qui lui était posée par la cour d'appel de Bruxelles.
La cour d'appel s'interrogeait sur la question de savoir si l'article 1907bis du Code civil ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il s'applique exclusivement au prêt à intérêt et non à l'ouverture de crédit.
Si la Cour constitutionnelle a répondu par la négative, elle rappelle de manière très limpide les critères permettant de distinguer les deux types de convention.
Ainsi: « A la différence d'un contrat d'ouverture de crédit, qui est un contrat consensuel en vertu duquel les fonds ne sont pas mis à la disposition immédiate du crédité, mais peuvent être utilisés lorsque et dans la mesure où ce dernier le jugerait nécessaire, moyennant paiement à la fois d'une commission et d'un intérêt, s'il s'agit d'une somme d'argent, le contrat de prêt est un contrat réel en vertu duquel le prêteur transfère en une seule fois la totalité du montant prêté à l'emprunteur, contre remboursement avec intérêt, à une date déterminée ou à des dates d'échéance, et qui est soumis à certaines règles impératives spécifiques établies au titre X du Code civil » (C.C., n° 119/2013, 7 août 2013).
A la lumière des critères ainsi rappelés, la troisième convention, a fortiori, ne peut être qualifiée d'ouverture de crédit.
En effet, elle consiste, non pas à permettre au crédité de disposer d'une nouvelle somme d'argent ou d'un crédit qu'il peut prélever selon ses besoins pour une période déterminée, mais à solder, par un seul virement immédiat, la créance que la banque détient contre lui.
Il est naturellement admis que la remise des fonds résultant d'un prêt peut s'effectuer par virement (J. Malherbe, o.c., p. 589).
En l'espèce, les fonds transitaient par le compte courant de la SPRL Axelle-Line.
Malgré la qualification donnée au contrat par CPH, l'opération doit dès lors s'analyser comme étant un prêt permettant à Axelle-Line de rembourser sa ligne de crédit.
Les fonds mis à sa disposition sont en effet immédiatement et intégralement affectés au paiement de la dette antérieure et le prêt est remboursé par des mensualités égales.
Axelle-Line ne disposait d'aucune liberté d'utilisation des fonds, le but du crédit étant de les affecter au remboursement de la dette à l'égard de CPH.
La volonté des parties n'était manifestement pas d'ouvrir une nouvelle « ligne de crédit », au sens usuel du terme, mais bien de solder, en un versement, un crédit plus ancien.
Il ressort de ce qui précède que s'agissant d'un prêt à intérêt, l'article 1907bis du Code civil trouve à s'appliquer en manière telle que la demande ne peut être déclarée fondée qu'à concurrence d'un montant correspondant à 6 mois d'intérêts.
CPH ne s'est cependant pas expliquée à titre subsidiaire sur le calcul desdits intérêts par Axelle-Line et monsieur Declercq, lesquels aboutissent à un montant de 1.391,50 EUR, en manière telle qu'il y a lieu de réserver à statuer et de rouvrir les débats sur ce point.
Par ces motifs
Le tribunal de commerce
Statuant contradictoirement
Déclare les demandes principale et incidente recevable;
Avant de statuer quant à leur fondement, ordonne la réouverture des débats aux fins précisées ci-dessus;
Fixe la cause à l'audience du 17 janvier 2014 à 10h00 précises pour 15 minutes de plaidoiries.
Par application de l'article 775 du Code judiciaire, dit pour droit que la SCRL Banque CPH déposera et communiquera ses observations sur réouverture des débats pour le 15 novembre 2013 et que le SPRL Axelle-Line et Monsieur Jean-Pierre Declercq déposeront et communiqueront leurs observations sur réouverture des débats pour le 15 décembre 2013.
Réserve à statuer sur le surplus.
Il a été fait application de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
(…)