Article

Cour d'appel Bruxelles, 20/04/2012, R.D.C.-T.B.H., 2015/2, p. 181-184

Cour d'appel de Bruxelles 20 avril 2012

BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Cartes de banque - Carte de crédit - Instrument de paiement électronique
Quand les parties n'invoquent pas les dispositions de la loi du 17 juillet 2002 concernant les transactions effectuées au moyen d'instruments de transfert électronique de fonds, et ces règles s'appliquent, il est nécessaire d'ordonner la réouverture des débats pour permettre aux parties de conclure sur l'application des articles de cette loi.
La loi du 17 juillet 2002 s'applique aux transactions par carte de crédit.
BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Bankkaart - Kredietkaart - Elektronisch betaalinstrument
Wanneer de partijen zich niet steunen op de wet van 17 juli 2002 betreffende transacties uitgevoerd met instrumenten voor de elektronische overmaking van geldmiddelen en deze wet nochtans van toepassing is, is het noodzakelijk om de debatten te heropen zodat de partijen standpunt kunnen innemen over de toepassing van de artikelen van deze wet.
De wet van 17 juli 2002 vindt toepassing op transacties met kredietkaarten.

American Express Services Europe Inc. / T.C.

Siég.: M.-F. Carlier, M. Moris et M. van der Haegen (conseillers)
Pl.: Mes Ph. Meulepas loco R. Demets et Ph. Erkes
I. La décision entreprise

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 1er février 2008 par le tribunal de première instance de Bruxelles.

Il n'est pas produit d'acte de signification.

II. La procédure devant la cour

L'appel est formé par requête, déposée par la société American Express Services Europe Inc. (ci-après « American Express ») au greffe de la cour, le 17 mars 2008.

La procédure est contradictoire, l'affaire ayant été fixée sur pied de l'article 747 du Code judiciaire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. A l'époque des faits, T.C. est l'administrateur délégué de la SCRL Atex Travel qui exploite une agence de voyage située avenue Legrand n° 73 à Uccle.

Dans le cadre de ses activités d'agent de voyage, la SCRL Atex Travel commande des billets d'avion aux compagnies aériennes, essentiellement SN Brussels Airlines (en abrégé SNBA) et Virgin Express.

Ces compagnies aériennes exigent le paiement immédiat des billets d'avion commandés par l'utilisation d'une carte de crédit, à l'exclusion de tout autre moyen de paiement.

2. C'est ainsi que l'agence Atex Travel communique à SNBA et Virgin Express les coordonnées précises de ses 6 cartes de crédit existantes, de manière à permettre à ces compagnies aériennes de débiter les comptes auxquels ces cartes sont liées chez American Express, du montant correspondant au billet émis.

Au début du mois de juillet 2005, les crédits disponibles sur les comptes liés aux différentes cartes de Atex Travel sont épuisés.

Afin de ne pas compromettre les commandes en cours, T.C. accepte de mettre sa carte de crédit American Express personnelle à la disposition de la société SNBA (qui facture à la fois les billets SNBA et Virgin Express) en lui communiquant les coordonnées de cette carte personnelle en vue de leur utilisation sans autre forme de présentation de la carte ou de confirmation (électronique ou autre) de l'accord de T.C.

T.C. invoque que cette autorisation était donnée à titre strictement temporaire, pour couvrir uniquement les commandes de début juillet 2005 (correspondant au début des vacances d'été), alors que SNBA a continué à utiliser cette carte personnelle jusqu'en août 2005.

3. Les débits enregistrés sur les relevés d'utilisation de la carte personnelle American Express de T.C. sont honorés ponctuellement jusqu'au quatrième relevé produit par American Express devant la cour, à savoir celui du 8 juin 2005 correspondant aux billets émis jusqu'au 14 mai 2005.

Ces quatre relevés datent respectivement des 7 mars 2005 (opérations de février, de type privé), 8 avril 2005 (opérations de mars et début avril de type incertain, car couvrant 16 nuitées du 5 avril à Las Vegas), 9 mai 2005 (opérations d'avril de type incertain, car couvrant à nouveau 16 nuitées du 7 avril à Las Vegas) et 8 juin 2005 (opérations de mai de type privé, sauf éventuellement une dépense à Roissy Charles De Gaulle).

4. Le cinquième relevé (pour un solde de 9.634,22 EUR) envoyé par American Express à T.C. le 11 juillet 2005 reprend, à côté d'opérations de type privé, un certain nombre de billets émis par Atex Travel entre le 29 juin et le 6 juillet 2005. Il est payé en quatre fois, soit 2.000 EUR le 19 juillet, 2.000 EUR le 3 août, 2.000 EUR le 15 août et le solde de 3.634 EUR le 19 août 2005.

5. Le sixième relevé, à savoir celui envoyé le 8 août 2005, reprend exclusivement des billets d'avion SNBA et Virgin Express émis sur ordre d'Atex Travel entre le 6 juillet 2005 et le 5 août 2005. Ce relevé est ensuite majoré des indemnités de retard et intérêts par relevés des 9 septembre 2005, 7 octobre 2005, 7 novembre 2005 et 8 décembre 2005. Le montant de départ est de 37.138 EUR plus 140,86 EUR d'indemnités de retard.

Le 16 septembre 2005, American Express enregistre sur cette somme un paiement de 10.000 EUR.

Le 27 octobre 2005, American Express enregistre un paiement complémentaire de 100 EUR.

Le 13 décembre 2005, un versement est encore effectué pour 200 EUR (pièce 7 du dossier de T.C.).

T.C. invoque que ces trois versements à imputer sur le relevé du 8 août 2005 sont faits par la société Atex Travel et non par lui-même. Ce point n'est toutefois pas établi.

6. La société Atex Travel est déclarée en faillite par un jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 7 novembre 2005.

Le solde dû par T.C. à la suite des prélèvements effectués par SNBA en représentation des billets émis jusqu'à la date de la faillite (le dernier datant du 8 août 2005) et des indemnités contractuelles et intérêts de retard s'élève, selon le dernier relevé du 8 décembre 2005, à 39.483,36 EUR, dont à déduire le dernier versement de 200 EUR, soit un solde net de 39.283,36 EUR.

7. T.C. reçoit un premier rappel de paiement à l'intervention d'une société de recouvrement le 15 décembre 2005.

T.C. conteste pour la première fois les relevés de compte d'American Express par un fax de son conseil du 29 décembre 2005, complété par une lettre du 16 janvier 2006.

Par cette lettre, T.C. explique que SNBA aurait abusé du mandat qu'il lui avait donné et qui était, selon lui, strictement limité dans le temps:

« A la fin du mois de juin 2005 ou peut-être au tout début du mois de juillet 2005, à une époque de très nombreuses commandes en vue des vacances d'été, les crédits disponibles des comptes des différentes cartes de la société étaient épuisés.

(…)

Afin de ne pas compromettre des commandes, mon client a accepté, à titre tout à fait exceptionnel (c'étaient les seules et uniques fois depuis les nombreuses années qu'il exerçait sa profession) de mettre sa carte de crédit AMERICAN EXPRESS à disposition tout à fait temporaire de la société, étant bien entendu qu'il ne s'agissait que de débloquer certaines commandes, qu'aucune utilisation de sa carte ne pouvait être effectuée sans son accord préalable et que, bien entendu, les montants qu'il avait ainsi mis à la disposition de la société devaient lui être remboursés au moment du paiement par les clients.

C'est ce qui s'est passé pour les commandes des 29 juin au 6 juillet probablement (...)

Par contre, mon client a constaté ultérieurement que de nouvelles utilisations intempestives et abusives de sa carte sont intervenues, sans aucun consentement de sa part, soit à l'intervention des employés de sa société, ce qui lui paraît très peu probable, soit à l'intervention de SN BRUSSELS AIRLINES qui était à présent en possession des coordonnées précises de sa carte de crédit personnelle, au-delà des six autres cartes de la société. »

Il s'ensuit un échange de correspondances entre la société de recouvrement et le conseil de T.C. les 23 février, 27 mars, 5 avril et 13 avril 2006.

T.C. est mis en demeure de payer le solde réclamé en principal de 39.283,36 EUR par lettre du conseil d'American Express du 19 octobre 2006.

8. Par exploit introductif d'instance du 23 novembre 2006, American Express cite T.C. devant le tribunal de première instance de Bruxelles en paiement de la somme de 39.283,36 EUR à majorer des intérêts conventionnels au taux de 1,50% par mois à partir du 8 août 2005 et des intérêts judiciaires à partir du jour de l'exploit jusqu'au paiement intégral, ainsi que de l'indemnité conventionnelle à raison de 12%, soit 4.714 EUR.

9. Par le jugement entrepris du 1er février 2008, la demande d'American Express est déclarée recevable mais non fondée.

La demande reconventionnelle de T.C. en remboursement de ses frais de défense est également déclarée recevable, mais non fondée.

American Express est condamnée aux dépens de l'instance, liquidés à 288,35 EUR de frais de citation et 2.000 EUR d'indemnité de procédure dans le chef de T.C.

10. En termes de conclusions prises devant la cour, American Express demande à la cour de déclarer son appel recevable et fondé « et dès lors de condamner la partie intimée en appel à [lui] payer le montant de 39.283,36 EUR, à majorer des intérêts conventionnels au taux de 1,5% par mois, à partir du 8 août 2005 et des intérêts judiciaires à partir de la citation jusqu'au paiement intégral, ainsi que l'indemnité conventionnelle à 12% d'un montant de 4.714 EUR ».

American Express demande à la cour de condamner T.C. aux frais des deux instances.

T.C. demande, quant à lui, à la cour de dire l'appel recevable mais non fondé, d'en débouter American Express et de la condamner aux dépens de la procédure d'appel, liquidés, en ce qui le concerne, au montant de l'indemnité de procédure de base de 2.750 EUR.

IV. Discussion

11. T.C. invoque qu'en matière de paiement par carte de crédit, le rapport contractuel entre le titulaire de la carte et l'émetteur doit être assimilé à un mandat, aux termes duquel le titulaire de la carte donne un mandat global irrévocable à l'émetteur de payer les commerçants qui justifieraient de l'autorisation du titulaire de se faire payer par l'émetteur.

T.C. se prévaut de l'article 1315 du Code civil pour conclure que, c'est à l'émetteur, lorsqu'il demande au titulaire de payer les sommes débitées sur le compte lié à la carte par les commerçants l'ayant acceptée en paiement, à établir l'autorisation qui leur a été donnée par le titulaire de la carte.

En l'espèce, selon T.C., American Express n'établit pas l'existence de l'autorisation ou du mandat qu'il aurait conféré à SNBA ou Virgin Express pour utiliser sa carte personnelle au-delà de la période temporaire pour laquelle il admet cette utilisation et qui expirait, selon lui, le 6 juillet 2005.

12. American Express oppose à cette argumentation l'article 14 de ses conditions générales dont l'acceptation par T.C. n'est pas contestée.

L'article 14 des conditions générales d'American Express prévoit ce qui suit:

« Le titulaire ou le titulaire principal est tenu de vérifier dès réception le relevé mensuel des dépenses effectuées.

American Express Services Europe Limited n'est pas tenue de conserver ni de produire une copie originale de la note de débit ni de la souche délivrée par un appareil de saisie électronique de données ayant enregistré la dépense. La charge de la preuve de la non-conformité du montant repris sur le relevé mensuel avec la note de débit ou la souche délivrée par un appareil de saisie électronique de données ayant enregistré la dépense incombe au titulaire. Tout relevé mensuel qui n'est pas contesté dans les 3 mois de la réception est considéré comme définitivement accepté. »

13. T.C. invoque qu'il ne peut être fait application en l'espèce de cette disposition, celle-ci étant contraire aux dispositions impératives de l'article 32, 13°, 18° et 27°, de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information du consommateur.

En vertu de ces dispositions, sont abusives et dès lors interdites et nulles, d'une part, les clauses qui ont pour objet de fixer un délai déraisonnablement court pour signaler des vices au vendeur, et, d'autre part, les clauses et conditions qui ont pour objet soit de limiter les moyens de preuve que le consommateur peut utiliser, soit d'exclure ou de limiter de façon inappropriée les droits légaux du consommateur vis-à-vis du vendeur en cas de non-exécution totale ou partielle par le vendeur d'une quelconque de ses obligations contractuelles.

T.C. prétend donc qu'American Express ne peut modifier par voie contractuelle la charge de la preuve qui lui incombe en vertu de l'article 1315 du Code civil et ne peut imposer un délai de protestation anormalement court de 3 mois, alors qu'il est constant en l'espèce que la première réclamation date du 29 décembre 2005, soit un peu moins de 5 mois après la date du premier relevé contesté du 8 août 2005.

14. La cour constate que les parties ne s'expliquent pas sur l'application au litige de la loi du 17 juillet 2002 relative aux opérations effectuées au moyen d'instruments de transfert électronique de fonds (entrée en vigueur le 1er février 2003 et actuellement abrogée par la loi du 10 décembre 2009 relative aux services de paiement).

Aux termes de son article 2, cette loi s'applique à toute opération effectuée au moyen d'un instrument de transfert électronique de fonds.

Le critère déterminant l'application de la loi n'est pas le caractère électronique de l'instrument utilisé, mais bien la nature électronique du transfert réalisé au moyen de cet instrument. Il n'est ainsi pas contesté qu'elle s'applique en principe à des cartes de crédit (note J.-P. Buyle et M. Delierneux sous Bruxelles, 27 mai 2002, R.D.C., 2004, p. 160; O. Goffard, « Risques et responsabilités en cas de transfert électronique de fonds par Internet ou des risques encourus par le titulaire et l'émetteur d'un instrument de transfert électronique de fonds », R.D.C., 2005, p. 5; J. Linsmeau, Traité pratique de droit commercial, t. V, Droit bancaire et financier, n° II.191-192, p. 236).

Il est dès lors nécessaire d'ordonner la réouverture des débats pour permettre aux parties de conclure sur l'application à la présente cause des articles 7, 8, § 2 et § 4, et 12 de la loi du 17 juillet 2002.

Les parties sont invitées à se pencher en particulier sur l'article 8, § 4, de la loi précitée, qui dispose que:

« Par dérogation aux dispositions du § 2 du présent article, la responsabilité du titulaire n'est pas engagée si l'instrument de transfert électronique de fonds a été utilisé sans présentation physique et sans identification électronique. La seule utilisation d'un code confidentiel ou de tout élément d'identification similaire n'est pas suffisante pour engager la responsabilité du titulaire. »

L'interprétation de cette disposition - qui vise les cas où l'émetteur de la carte a permis son utilisation dans des conditions de sécurité jugées insuffisantes par le législateur - a fait l'objet de plusieurs commentaires doctrinaux (R. Steennot, « De aansprakelijkheid in geval van bedrieglijk gebruik van het instrument », in Aspects juridiques du paiement électronique, Kluwer, 25 novembre 2004, t. I, nos 28 à 30, pp. 226-227; idem, Elektronisch betalingsverkeer, Intersentia, 2002, n° 423, p. 289 et n° 438, p. 297; J. Linsmeau, o.c., n° II.222, p. 252).

Cette disposition est impérative et toute clause par laquelle l'émetteur serait exonéré de la responsabilité qui en découle est interdite et nulle de plein droit, par application de l'article 12 de la loi.

15. Sur le plan des faits, la cour constate également que T.C. invoque que les trois versements enregistrés en règlement du sixième relevé d'American Express (celui faisant l'objet du présent litige) n'ont pas été effectués par lui-même, mais par Atex Travel. La cour s'interroge sur ce soutènement pour le versement de 200 EUR effectué le 13 décembre 2005, Atex Travel ayant été déclarée en faillite le 7 novembre 2005.

Les parties sont dès lors invitées à s'expliquer sur l'origine de ces trois versements et sur la reconnaissance qu'ils pourraient impliquer de l'existence d'un mandat implicite ou à tout le moins apparent en faveur des fournisseurs d'Atex Travel, plus large que ne le prétend T.C.

La même question se pose à propos des nuitées à Las Vegas incluses dans les relevés d'avril et mai 2005.

V. Dispositif

Pour ces motifs, la cour,

Ordonne la réouverture des débats afin de permettre aux parties de s'expliquer sur les questions décrites aux points 14 et 15 du présent arrêt;

Conformément à l'article 775 du Code judiciaire, fixe l'affaire à l'audience du 9 mai 2012 à 9 heures 20 pour 10' afin de permettre aux parties de convenir d'un calendrier de communication et de dépôt de conclusions limitées à l'objet de la présente réouverture des débats et à la cour de fixer ensuite une audience de plaidoiries ainsi que la durée des débats.

Réserve les dépens.

(…)


Note / Noot

Cf. ci-après décision n° 3, p. 185.