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Le mandat d'encaissement d'un chèque présente-t-il des riques pour la banque ?, R.D.C.-T.B.H., 2015/2, p. 179-180

BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Général - Chèque - Encaissement
La banque à laquelle il est uniquement demandé de porter un chèque à l'encaissement, n'est chargée que d'un simple mandat d'encaissement. Dans ce cadre, elle n'a pas à vérifier la régularité du chèque remis à l'encaissement.
BANK- EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Algemeen - Cheque - Incasso
De bank waaraan alleen gevraagd wordt om een cheque te innen, is alleen belast met een eenvoudig inningsmandaat. In deze context is zij niet gehouden de juistheid van de cheque ter incasso te controleren.
Le mandat d'encaissement d'un chèque présente-t-il des riques pour la banque ?

1.Le commerce international n'est pas toujours dépourvu de surprises, même pour ceux qui en ont l'habitude.

La société G.R.C. l'a appris à ses dépens.

Elle avait vendu à monsieur A., un de ses clients habituels, deux véhicules pour un montant de 63.200 EUR. Ce prix est « payé » par monsieur A. par la remise d'un chèque tiré sur la Standard Chatered Bank.

La société G.R.C. a ensuite remis ce chèque à sa banque afin que celle-ci puisse se charger de son encaissement, étant entendu que le chèque litigieux n'était pas crédité sauf bonne fin sur le compte de la société G.R.C.

Un peu plus d'un mois plus tard, la banque informe G.R.C. de ce que la banque tirée refuse de payer le chèque au motif que la monnaie de paiement a été modifiée sur la formule pré-imprimée. En effet, sur cette formule la monnaie de paiement était le dirham et monsieur A. l'avait corrigé à la main pour y substituer l'euro.

Après avoir déposé une plainte au pénal contre monsieur A. pour émission de chèque sans provision, la société G.R.C. va introduire une procédure à l'encontre de sa banque, celle-ci ayant selon elle manqué à son devoir d'information pour ne pas avoir attiré son attention sur le fait que le changement de la monnaie de paiement nécessitait un contreseing spécial.

2.L'encaissement d'un chèque et d'une manière plus générale d'un effet de commerce, est un service qu'un établissement de crédit peut rendre à son client. La banque est alors chargée par son client d'un mandat d'encaisser le chèque auprès de la banque tirée [1].

L'objet de ce mandat est d'accomplir les démarches utiles à l'encaissement, le cas échéant, à l'intervention d'une banque intermédiaire qui agit alors en qualité de mandataire substitué [2], le chèque qui lui est remis par le client. Il s'ensuit que la banque n'assume aucune obligation quant au paiement effectif du chèque qui lui a été remis pour encaissement [3] et ce même s'il crédite immédiatement le compte du client sauf bonne fin, de la valeur du chèque [4]. Si elle ne peut assurer le paiement du chèque, la banque doit être en mesure de le restituer à son client [5].

A l'inverse de la banque tirée qui est tenue de vérifier la régularité du chèque et partant la suite ininterrompue des endossements [6], la cour a décidé qu'une telle obligation ne pesait pas sur la banque chargée d'un « simple » [7] mandat d'encaissement [8].

Cette solution doit être approuvée, indépendamment de toute clause contractuelle [9]. Elle est en effet conforme à l'objet même du mandat: accomplir les démarches utiles pour présenter le chèque au paiement.

3.Une banque chargée d'un « simple » mandat d'encaissement n'a pas davantage à vérifier la signature du tireur puisque sauf à être également la banque de ce dernier, elle ne dispose pas de son spécimen de signature [10].

Elle n'a pas davantage l'obligation de vérifier l'existence de la banque étrangère [11].

4.Dans l'espèce soumise à la cour, il était reproché à la banque de ne pas avoir informé son client qui lui remettait le chèque à l'encaissement des conséquences que pourraient avoir le changement de la monnaie de paiement sur la formule pré-imprimée ainsi que l'absence de contreseing spécifique de ce changement.

S'il peut être admis que le banquier chargé de l'encaissement est tenu à l'égard de son client d'un devoir d'information, celui-ci porte avant tout non pas sur l'instrument lui-même mais bien sur l'opération confiée au banquier: comment se déroule l'opération d'encaissement, à quel coût, quels sont les délais avant d'être payé, … ?

En l'espèce, le devoir éventuellement en cause apparaît d'ailleurs davantage être le devoir de mise en garde et non le devoir d'information. Il ne s'agissait pas en effet d'une simple transmission de données mais bien d'attirer l'attention du client sur les conséquences néfastes que pourrait avoir pour lui l'adoption d'un comportement déterminé.

En matière de chèque, ce devoir de mise en garde apparaît toutefois être ténu. Le chèque est en effet soumis à des règle strictes notamment quant à sa création et on peut supposer que tout utilisateur de chèque est parfaitement informé des conséquences que peut avoir le non-respect de ces règles, à savoir le refus de paiement [12].

Il a ainsi été jugé que le client qui remet à l'encaissement un chèque qu'il sait être sans provision, ne peut reprocher à la banque notamment de ne pas lui avoir dit [13].

5.L'arret ne contient pas d'elements en ce qui concerne l'exercice ou le non exercice, en l'espece de ce devoir.

Si le debat avait été porté sur ce terrain, il n'est pas sûr que la décision eût été différente.Le devoir de mise en garde suppose en effet que le comportement adopté soit susceptible de présenter un risque pour l'auteur de celui-ci [14].

Or, la Cour considère que c'est à tort - au regard du droit belge - que la banque tirée a refusé le paiement du cheque et que rien ne permet de croire que la législation de la banque tirée permette d'arriver à une autre conclusion et que, de plus, le tireur avait clairement indiqué sa volonté en ce qui concerne la monnaie de paiement puisqu'il l'avait mentionnée en toute lettre [15].Au regard du droit belge, le chèque présente à l'encaissement ne faisait donc apparaître aucun élement permettant de croire qu'en procédant de la sorte, le tireur prenait un quelconque risque.

6.A vrai dire, à la lecture de l'arrêt, il est permis de croire que la Cour s'est profondément interrogée sur le comportement du client qui avait présenté le chèque à l'encaissement.

En effet, il livre les véhicules dont le paiement devait être assuré par l'encaissement du chèque alors même qu'il est dubitatif quant à la qualité de celui-ci (puisqu'il le fait signer une deuxième fois) bien qu'il émane d'un de ses clients habituels. De surcroit, ayant appris que le chèque n'était pas payé par la banque tirée, il a déposé une plainte pour émission d'un chèque sans provision, ce qui apparaît incompatible avec le fait qu'il soutienne, à l'égard de la banque, pour engager sa responsabilité, qu'il avait la certitude d'obtenir le paiement de chèque au motif qu'il était provisionné.

André-Pierre André-Dumont

Avocat

Maître de conférences à l'UCL

[1] J. Van Ryn en J. Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, Bruxelles, Bruylant, 1988, p. 547, n° 682; E. Wymeersch, M. Dambre et K. Troch, « Overzicht van rechtspraak. Privaat bankrecht (1992-1998) », T.P.R., 1999, p. 1927, n° 209; O. Poelmans et D. Blommaert, « Chronique de jurisprudence en droit bancaire », D.A. O.R., 2003/66, p. 54, n° 34; K. Vanbist, note sous Gand, 13 mars 2006, D.A. O.R., 2008/85, p. 79, n° 5.
[2] J.-P. Buyle et M. Delierneux, obs. sous Bruxelles, 7 février 2000, R.D.C., 2001, p. 820; O. Poelmans et D. Blommaert, « Chronique de jurisprudence en droit bancaire », D.A. O.R., 2003/66, p. 54, n° 35.
[3] J.-P. Buyle et M. Delierneux, obs. sous Bruxelles, 7 février 2000, R.D.C., 2001, p. 820; O. Poelmans et D. Blommaert, « Chronique de jurisprudence en droit bancaire », D.A. O.R., 2003/66, p. 54, n° 37.
[4] Dans une telle hypothèse, si le chèque n'est finalement pas payé, la banque peut contrepasser l'écriture en vertu de la condition résolutoire contenue dans le « sauf bonne fin » (cf. J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, Bruxelles, Bruylant, 1988, p. 547, n° 683). Dans le cadre de ce « crédit direct », les fonds sont alors immédiatement disponibles pour le client.
[5] O. Poelmans, « Le chèque dans la jurisprudence au Luxembourg », D.A. O.R., 2011/98, p. 281, n° 17.
[6] Cette vérification implique que la banque tirée vérifie la suite ininterrompue des endossements (Cass., 15 mars 1984, Rev. Banq., 1984, p. 61; Anvers, 28 janvier 1992, R.D.C., 1993, p. 1004; Mons, 16 juin 1992, Rev. Banq., 1994/4, p. 238, note J.-F. Romain; Anvers, 4 novembre 1996, R.D.C., 1997, p. 752). Sauf circonstances exceptionnelles, il est difficile pour la banque tirée d'aller au-delà d'une vérification de l'apparente régularité des endossements.
[7] La cour a en effet constaté que la remise du chèque ne s'accompagnait d'aucun crédit sauf bonne fin. Dans cette hypothèse, il est vraisemblable que le chèque aurait alors été endossé, le cas échéant en y portant la mention « valeur en recouvrement » au bénéfice de la banque chargée par le client de l'encaissement du chèque (J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, Bruxelles, Bruylant, 1988, p. 547, n° 682).
[8] Cette solution n'est pas celle retenue en France. Tout comme en Belgique, il y est admis qu'il pèse sur la banque tirée une obligation de vérifier la régularité du titre et de détecter dans la mesure du possible, l'existence d'anomalies matérielles, telles du grattage, des surcharges, … La doctrine et la jurisprudence admettent néanmoins que, compte tenu de l'usage massif des chèques dans cet Etat, cette obligation pèse également sur le banquier qui encaisse le chèque en sorte qu'il existerait un partage de responsabilité entre les deux banques, le cas échéant défavorables au banquier encaisseur (voy. P. Bouteiller, « Service de dépôt de fonds, de domiciliation, d'encaissement et de recouvrement », Juris-Classeur Banque-Crédit-Bourse, fasc. 900, n° 10; Rev. droit bancaire et de la bourse, n° 73, 1999, p. 96). Cette solution qui est fondée sur l'existence de procédures de traitement de masse ou automatisées de présentation des chèques, n'est acceptable que si dans le cadre de ces procédures, les banques ont accepté de reporter sur la banque chargée de l'encaissement, une partie des opérations de vérification pesant sur les banques tirées. A défaut, le simple fait que des procédures automatisées soient mises en place ne permet pas de conclure à l'existence d'une obligation de vérification de la banque chargée de l'encaissement du chèque. Ces vérifications n'ont pour but que de déceler les anomalies apparentes. Aucun reproche ne peut être adressé à la banque chargée de l'encaissement des chèques dès lors « que les chèques litigieux ne présentaient aucun indice de falsification pouvant être décelé par un employé de banque normalement avisé » et que « ni l'ancienneté relative des relations avec le client, ni l'importance des opérations antérieurement inscrites au crédit ou au débit du compte ne devaient la conduire à s'interroger sur la cause d'encaissements d'un montant plus élevé, en s'immisçant de la sorte dans les affaires de son client » (Cass. comm., 30 janvier 1990, Rev. Banq., 1990, n° 505, p. 535).
[9] La cour relève qu'il existait en l'espèce une clause exonératoire de responsabilité à ce sujet. A bon droit, la cour constate la validité de cette clause. On rappellera en effet que les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité sont valables dès lors qu'elles ne permettent pas au débiteur de s'exonérer de son dol et qu'elles ne vident pas l'obligation de sa substance (sur ces clauses, voy. H. De Page (mis à jour par P. Van Ommeslaghe), Traité élémentaire de droit civil belge, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 1711-1722).
[10] Cette obligation est également reconnue de longue date en France. Voy. Cass. comm., 4 novembre 1976, J.C.P., 1977, n° 18750, note J. Stoufflet.
[11] Civ. Bruxelles, 21 février 1994, R.D.C., 1995, p. 1019, obs.
[12] Il semble résulter de l'arrêt qu'au regard du droit belge, le refus de paiement de la part de la banque était injustifié. S'agissant d'un chèque tiré sur une banque des Emirats arabes unis, il n'est cependant pas certain que saisi de cette problématique, un juge de cet état arrive, en fonction de son droit, à la même conclusion.
[13] Comm. Bruxelles, 22 novembre 2001, J.L.M.B., 2003, p. 980.
[14] J.-P. Buyle, « Les obligations d'information, de renseignement, de mise en garde et de conseil des professionnels de la finance », in Les obligations d'information, de renseignement, de mise en garde et de conseil, CUP, vol. 86, Bruxelles, Larcier, 2006, p. 168, n° 2.
[15] La loi belge prévoit qu'en cas de divergence entre le montant indiqué en chiffre et celui indiqué en lettre, cette dernière prime. Ne peut-on dès lors pas penser que la monnaie de paiement fait partie du montant à mentionner sur le chèque? A défaut, l'indication d'un simple chiffre dans le chèque, sans aucune indication de la monnaie de payement, ne permettrait en effet pas de considérer qu'il y ait un instrument de paiement « exécutable » alors même que toutes les conditions de validité du chèque seraient par ailleurs réunies.