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Actualité : Cour de justice de l'Union européenne, 23/10/2014, R.D.C.-T.B.H., 2015/1, p. 131-132

Cour de justice de l'Union européenne 23 octobre 2014

flyLAL AS / Starptautiska lidosta Riga VAS et Air Baltic AS

Affaire: C-302/13
DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN ET INTERNATIONAL
Compétence et exécution - Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 sur la compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale - Article 1er, 1. - Article 22, 2. - Article 31 - Article 34, 1. - Article 35, 1.


EUROPEES EN INTERNATIONAAL GERECHTELIJK RECHT
Bevoegdheid en executie - Verordening (EG) nr. 44/2001 van 22 december 2000 - Artikel 1, 1. - Artikel 22, 2. - Artikel 31 - Artikel 34, 1. - Artikel 35, 1.


Dans un arrêt du 23 octobre 2014, en répondant aux questions préjudicielles posées par une juridiction lettone, la Cour de justice a précisé la portée de plusieurs dispositions du règlement Bruxelles I, à savoir: article 1er, 1., (notion de matière civile et commerciale), article 22, 2., (compétence exclusive en matière des décisions des organes des sociétés et des personnes morales) et 34, 1., (interdiction de reconnaitre des décisions contraires à l'ordre public de l'Etat requis).

L'arrêt de la Cour a pour toile de fond un litige entre d'une part, flyLAL, une compagnie aérienne lituanienne en liquidation, et, d'autre part, deux sociétés de droit letton, l'une d'elles - Starptautisk lidosta Rga (SLR) - gestionnaire de l'aéroport de Riga (Lettonie) et l'autre - Air Baltic - une compagnie aérienne. Par une action introduite devant les juridictions lituaniennes, flyLAL cherchait à obtenir la réparation du préjudice résultant, d'une part, de l'abus de position dominante par Air Baltic sur le marché des vols au départ ou à destination de l'aéroport de Vilnius (Lituanie) et, d'autre part, d'une entente anticoncurentielle entre les sociétés lettonnes co-défenderesses. Dans ce cadre, les juridictions lituaniennes ont prononcé, à la demande de flyLAL, des mesures provisoires, à savoir une mise sous séquestre des biens meubles et/ou immeubles et des droits de propriété d'Air Baltic et de SLR à concurrence d'un montant correspondant à plus de 58 millions d'euros. Les juridictions lettones, saisies en première instance par flyLAL, ont décidé d'accorder la reconnaissance et l'exécution en Lettonie à la décision lituanienne ordonnant les mesures provisoires. Les sociétés lettonnes défenderesses au fond ont contesté la reconnaissance et l'exécution de ces mesures en soulevant un certain nombre d'arguments qui, de l'avis de la juridiction connaissant de l'affaire en cassation, ont nécessité une interprétation, par la Cour de justice, de plusieurs dispositions du Règlement Bruxelles I.

Premièrement, les défenderesses ont soutenu que l'affaire au fond ne relevait pas du champ d'application du Règlement Bruxelles I, dans la mesure où elle se rapporterait à des taxes aéroportuaires fixées par les règles étatiques. Partant, les juridictions lituaniennes, saisies au fond, n'auraient pas de compétence internationale pour ordonner des mesures provisoires dans cette affaire. La société demanderesse considérait, en revanche, que le litige était de nature civile, car l'action qu'elle avait introduite visait à obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de la violation des articles 101 et 102 TFUE.

La Cour a répondu aux doutes soulevés par les arguments des sociétés lettones défenderesses en confirmant, tout d'abord, que le recours principal de flyLAL avait pour objet la réparation du préjudice lié à une prétendue infraction au droit de la concurrence et qu'un tel recours était de nature civile et commerciale, au sens de l'article 1, 1. du Règlement Bruxelles I. La Cour a également précisé que si, selon la jurisprudence, le contrôle et la surveillance de l'espace aérien étaient des activités relevant par essence de la puissance publique, la mise à disposition d'installations aéroportuaires moyennant le paiement d'une redevance constituaient bien une activité économique. Partant, les rapports juridiques concernant l'utilisation de telles installations relevaient bien de la matière civile et commerciale, indépendamment du fait que la société gestionnaire de ces installations était détenue à 100% par l'Etat.

Deuxièmement, les défenderesses ont soutenu que, à supposer que l'action au fond rentrait dans le champ d'application du Règlement Bruxelles I, elle devait être considérée comme relevant du champ d'application de l'article 22, 2., de ce règlement qui désigne, comme exclusivement compétentes en matière de validité des décisions des organes des sociétés ou des personnes morales, les juridictions du siège de ces sociétés ou personnes morales. En effet, par son action, la demanderesse contesterait la décision des organes de SLR portant réduction des taxes aéroportuaires. Ce seraient donc les juridictions lettones qui auraient dû être saisies de l'action au fond et la violation de leur compétence exclusive empêcherait la reconnaissance et l'exécution de la décision lituanienne ordonnant les mesures provisoires, conformément à l'article 35, 1., du Règlement Bruxelles I.

A cet égard, la Cour a rappelé que la compétence exclusive visée à l'article 22, 2., du Règlement Bruxelles I, s'appliquait aux litiges dans lesquels une partie conteste la validité d'une décision d'un organe d'une société au regard du droit des sociétés applicable ou des dispositions statutaires concernant fonctionnement de ses organes. Dès lors que l'action au fond au principal concernait la réparation du préjudice résultant d'une violation des règles du droit de la concurrence, elle n'était pas couverte par cette disposition.

Troisièmement, enfin, les défenderesses ont soutenu que la reconnaissance et l'exécution de la décision lituanienne serait contraire à l'ordre public de l'Etat requis, au sens de l'article 34, 1., du Règlement Bruxelles I, (en l'espèce Lettonie), dans la mesure où, d'une part, la somme réclamée au titre de mesures provisoires et conservatoires était très importante, sans que ladite décision donne des explications sur le mode de calcul de cette somme, et, d'autre part, la demanderesse étant en liquidation, en cas de rejet de l'action au fond, les défenderesses n'auraient aucun moyen de récupérer les pertes qu'elles risquaient de subir du fait de l'application des mesures provisoires et conservatoires.

A cet égard, la Cour a rappelé d'emblée que, si les Etats membres restent, en principe, libres de déterminer le contenu de la notion d'ordre public, il lui revenait de contrôler les limites dans le cadre desquelles le juge national peut avoir recours à cette notion pour refuser la reconnaissance d'une décision émanant d'un autre Etat membre. Elle a également rappelé, notamment, le principe selon lequel le juge de l'Etat requis n'était pas autorisé à contrôler l'exactitude des appréciations de droit ou de fait qui ont été portées par le juge de l'Etat d'origine. La Cour a considéré, ensuite, d'une part, que les doutes relatifs à l'insuffisance de la motivation du montant qui devait faire objet de séquestre ordonné par les juridictions lituaniennes n'étaient pas justifiés, dans la mesure où il était possible de suivre le cheminement du raisonnement ayant conduit à la détermination de ce montant et où les parties avaient disposé de la possibilité d'exercer un recours contre cette décision. Elle en a déduit que la décision lituanienne était conforme au principe du procès équitable et ne saurait donc être considérée comme contraire à l'ordre public. D'autre part, la Cour a considéré que l'invocation d'éventuelles conséquences économiques graves de mesures conservatoires ne saurait non plus justifier l'application de la clause de l'ordre public prévue à l'article 34, 1., du Règlement Bruxelles I.