Tribunal de commerce de Bruxelles 24 octobre 2013
INTERMÉDIAIRES COMMERCIAUX
Concession exclusive de vente - Résiliation - Tribunal compétent - Indemnisation
1. Lorsque le concédant défendeur est une société ayant son siège aux Etats-Unis et que, dans la citation introductive d'instance, le demandeur fonde ses demandes sur une concession de vente exclusive produisant notamment ses effets en Belgique, le tribunal est compétent conformément à l'article 4 de la loi du 27 juillet 1961.
2. En l'absence de choix des parties, le contrat de concession exclusive de vente est régi par la loi de la résidence habituelle du concessionnaire.
3. Le préavis doit permettre au concessionnaire de retrouver une source de revenus nets équivalents à celle qu'il a perdue moyennant, le cas échéant, reconversion totale ou partielle de ses activités. Pour l'appréciation du préavis raisonnable, la jurisprudence se fonde généralement les critères suivants: la durée de la concession, l'étendue du territoire concédé, la part occupée par la concession dans les activités du concessionnaire et la notoriété et le degré de substituabilité des produits.
|
HANDELSTUSSENPERSONEN
Concessie - Exclusieve verkoopconcessie - Beëindiging - Bevoegdheid - Vergoeding
1. Wanneer de concessiegever-verweerder een vennootschap met zetel in de Verenigde Staten is en de eiser zijn vorderingen in de inleidende dagvaarding steunt op een exclusieve verkoopconcessie met onder meer uitwerking in België, is de rechtbank bevoegd op basis van artikel 4 van de wet van 27 juli 1961.
2. Bij gebrek aan een rechtskeuze door de partijen wordt de exclusieve verkoopconcessie beheerst door het recht van de gewone verblijfplaats van de concessiehouder.
3. De opzegging moet de concessiehouder in staat stellen een bron van inkomsten te vinden die netto equivalent is aan diegene die hij verloren heeft door, in voorkomend geval, de gehele of gedeeltelijke omzetting van zijn activiteiten. Bij de beoordeling van een redelijke opzeggingstermijn baseert de rechtspraak zich in het algemeen op volgende criteria: de duurtijd van de concessie, de omvang van het in concessie gegeven grondgebied, het aandeel van de concessie binnen de activiteiten van de concessiehouder en de bekendheid en mate van vervangbaarheid van de producten.
|
Euro-Pak 2000 / International Paper Company, division Space Kraft
Siég.: A. De Vriendt (juge), A. De Moor et B. Van de Putte (juges consulaires) |
Pl.: Mes M. Wagemans et de Montigny loco F. Roose, S. Vanneste |
Affaire: A/12/04626 |
Vu la citation introductive d'instance du 17 février 2012,
Vu les conclusions et les dossiers des parties,
Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
Entendu les parties à l'audience publique du 12 septembre 2013.
1. | Objet de l'action |
L'action mue par la demanderesse tend à entendre condamner la défenderesse au paiement:
- d'une indemnité compensatoire de préavis de 624.085,64 EUR;
- d'une indemnité de clientèle de 374.451,39 EUR,
en raison de la résiliation unilatérale, en date du 1er décembre 2010, de la concession de vente exclusive liant les parties.
La demanderesse postule également la capitalisation des intérêts échus entre le 17 février 2010, date de la citation, et la date du dépôt de ses conclusions (soit le 5 avril 2013), afin que ceux-ci soient incorporés au capital et produisent à leur tour des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil.
A titre subsidiaire, la demanderesse sollicite la désignation d'un expert ayant pour mission, après avoir entendu les parties, pris connaissance de leurs dossiers et s'être entouré de tous renseignements utiles, de déterminer le bénéfice semi-brut (soit le bénéfice brut diminué des frais compressibles en relation avec la concession) réalisé par ses ventes au cours de l'année 2011.
La demanderesse requiert encore qu'il lui soit donné acte des réserves qu'elle formule quant aux réclamations introduites par des clients hollandais, allemands et anglais, non réglées à ce jour.
Elle postule enfin la condamnation de la défenderesse aux dépens de l'instance et demande que le jugement soit déclaré exécutoire par provision, nonobstant tout recours et sans caution.
2. | Antécédents de la cause |
Les antécédents de la cause peuvent être résumés comme suit:
1. La défenderesse est une société américaine active dans le secteur de la production et de la distribution de papiers d'emballage.
Sa division « Space Kraft » produit des emballages industriels, dont des conteneurs en carton pourvus d'une poche souple d'une contenance moyenne de 1.000 litres.
La division « Space Kraft » a été créée en 1988 par la société américaine MacMillan Bloedel Limited. Après avoir été reprise en 1999 par la société américaine Weyerhaeuser Company, elle a été rachetée en 2008 par la défenderesse.
2. Les parties sont en désaccord quant à la date de début des relations contractuelles (1992 ou 1994) ayant lié la demanderesse à la division « Space Kraft » et quant à la qualification à donner à celles-ci.
Les parties ne s'entendent pas plus quant à l'étendue du territoire de prospection confié à la demanderesse.
Il n'en reste pas moins qu'aux dires même de la défenderesse, une relation directe a, en tout état de cause débuté entre la demanderesse et la société MacMillan Bloedel en 1994, soit bien avant la reprise de la division « Space Kraft » par la défenderesse.
Cette relation couvrait, à tout le moins le Benelux et la France (selon la défenderesse), sinon l'Europe (selon la demanderesse).
Cette relation n'a fait l'objet d'aucune convention écrite entre les parties.
3. Dans le cadre de la présente instance, la demanderesse se prévaut de l'existence d'une concession de vente exclusive entre les parties.
Elle soutient que la défenderesse a unilatéralement mis un terme à cette concession, en date du 1er décembre 2010, moyennant octroi d'un préavis de 4 mois venant à échéance le 1er avril 2011.
Arguant de l'insuffisance du préavis qui lui a été notifié, la demanderesse revendique le paiement d'une indemnité compensatoire de préavis en application de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée. La demanderesse sollicite également le paiement d'une indemnité de clientèle en vertu de cette même loi.
3. | Discussion |
1. | Quant au défaut de compétence territoriale du tribunal de céans |
1. La défenderesse conclut à l'irrecevabilité de l'action en raison du défaut de compétence territoriale du tribunal de céans.
La défenderesse fait en effet valoir que l'article 4 de la loi du 27 juillet 1961, sur lequel la demanderesse se fonde, est inapplicable en l'espèce dès lors que la concession dont cette dernière se prévaut, n'a pas produit ses effets en Belgique.
2. La demanderesse objecte qu'en l'espèce, elle vendait les produits de la défenderesse à des clients établis en Belgique et produit 4 factures à l'appui de ses allégations.
Elle estime par ailleurs que l'intégralité de ses ventes était conclue en Belgique dès lors que:
- ses offres étaient émises au départ de la Belgique;
- ses offres étaient acceptées en Belgique;
- la facturation se faisait au départ de la Belgique;
- le prix des marchandises était payé sur un compte ouvert auprès d'une banque belge.
3. Le tribunal rappelle que « la compétence territoriale doit être appréciée indépendamment du fond de l'affaire, à l'aide de ce qui est dit dans la citation » (cf. Comm. Bruxelles, 23 janvier 2008, R.W., 2008-2009, 161; cf. égal. P. Kileste et P. Hollander, « Examen de jurisprudence. La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée (juillet 2002 à décembre 2008) », R.D.C., 2009, p. 238).
Le tribunal constate que dans son exploit introductif d'instance, la demanderesse prétend avoir été concessionnaire exclusif des produits « Space Kraft » depuis l'année 1992, pour le Benelux et la France d'abord et pour l'Europe entière, ensuite.
Le tribunal relève également que la demanderesse sollicite le paiement des indemnité de préavis et indemnité de clientèle prévues par la loi du 27 juillet 1961, en raison de la rupture unilatérale, à l'initiative de la défenderesse, de son contrat.
Dès lors que la demanderesse fonde ses demandes sur une concession de vente exclusive produisant notamment ses effets en Belgique, le tribunal de céans est compétent pour en connaître conformément à l'article 4 de la loi précitée.
2. | Quant à l'application de la loi du 27 juillet 1961 à la relation contractuelle des parties |
1. Arguant de l'existence d'un contrat de concession de vente exclusive entre les parties, la demanderesse soutient que ses relations contractuelles avec la défenderesse sont régies par la loi du 27 juillet 1961.
Tout en ne mettant pas en cause l'existence d'une relation contractuelle avec la demanderesse, la défenderesse soutient qu'il s'agit d'un contrat hybride, entre l'agence et la concession, dont le caractère exclusif n'est, de surcroît, pas établi.
La défenderesse considère que si la demanderesse et la société MacMillan Bloedel n'ont pas prévu, en 1994, de clause contractuelle relative au droit applicable, plusieurs éléments indiquent que le choix des parties s'est implicitement porté sur le droit de l'Etat du Tennessee.
Elle se réfère notamment à cet égard aux conditions générales figurant au verso de ses factures ainsi qu'aux projets de contrats ayant été échangés entre les parties dans le courant de l'année 2011 et prévoyant l'application du droit précité.
A titre subsidiaire, elle invoque les dispositions de la Convention de Rome, sans toutefois en tirer des conclusions concrètes quant au droit effectivement applicable.
2. Le tribunal signale qu'à défaut de convention liant la Belgique et les Etats-Unis en matière de loi applicable, il convient de se référer à la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé.
En vertu de l'article 98 dudit code, le droit applicable aux obligations contractuelles est déterminé par la Convention de Rome du 19 juin 1980.
En application des articles 3 et 4 de cette convention, le contrat est régi par la loi choisie par les parties et à défaut, par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits.
Aux termes de l'article 5, le contrat est présumé présenter les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion de la convention, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, son administration centrale.
3. Le tribunal rappelle que le choix des parties doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause.
En l'occurrence, il est manifeste au vu de la correspondance échangée entre la société MacMillan Bloedel et la demanderesse aux mois de mars, d'avril et de mai 1994 - que la défenderesse considère comme étant la base de la relation contractuelle des parties - que celles-ci n'ont opéré aucun choix à la conclusion du contrat.
Le tribunal constate par ailleurs que les éléments invoqués par la défenderesse à l'appui de l'existence d'un choix implicite ne revêtent pas le caractère certain requis par l'article 3 de la Convention de Rome dès lors que:
- il n'est pas démontré que ses conditions générales - non produites et largement postérieures à la conclusion du contrat - aient été d'application non seulement aux opérations de vente conclues entre les parties mais également au contrat de distribution (quelle qu'en soit la nature) les ayant liées;
- les projets de contrats échangés en 2011 n'ont débouché sur aucun accord entre les parties;
- ce choix ne peut être déduit du seul paiement de factures en dollars et de la stipulation de la livraison à Marietta (située au demeurant dans l'Etat de Géorgie).
4. A défaut de choix exprès ou suffisamment certain, le contrat est soumis à la loi du pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de sa conclusion, sa résidence habituelle.
Il est généralement admis que dans les contrats d'agence ou de concession, cette prestation est fournie par l'agent ou le distributeur (cf. N. Watté, « Le consentement dans le nouveau droit international privé communautaire des contrats », in Hommage à Jacques Heenen, pp. 600-601).
En l'espèce, il résulte des pièces déposées par les parties que la demanderesse avait déjà son siège à 1150 Bruxelles au début de ses activités de commercialisation des produits de la division « Space Kraft » (que ce soit en 1992, selon la thèse de cette dernière ou en 1994, selon la défenderesse), de sorte que ses relations contractuelles avec la société MacMillan Bloedel et avec la défenderesse ont été régies par le droit belge.
Dans le cadre de ce droit, il y a lieu de faire application de la loi du 27 juillet 1961, pour autant que (1) la convention liant les parties puisse être qualifiée de concession de vente au sens de son article 1er et que (2) ladite concession produise ses effets sur tout ou partie du territoire belge.
3. | Quant à la qualification de la relation contractuelle des parties |
1. La demanderesse expose qu'elle a été le concessionnaire exclusif des produits « Space Kraft » depuis l'année 1992, ayant débuté comme sous-distributeur de la société de droit hollandais Scholle Europe BV.
La demanderesse précise que des droits exclusifs lui ont tout d'abord été octroyés pour le Benelux et la France, le territoire concédé ayant été ultérieurement (soit au mois de mai 1994) élargi à l'Europe.
La défenderesse objecte que la demanderesse ne prouve pas l'existence de droits de distribution exclusifs depuis 1992. Elle situe le début de la relation contractuelle au printemps 1994.
Elle conteste par ailleurs que la demanderesse ait bénéficié d'une quelconque exclusivité et que cette exclusivité ait, de surcroît, couvert toute l'Europe.
En ce qui concerne la qualification à donner au contrat, elle insiste sur le caractère hybride de la mission confiée à la demanderesse, celle-ci s'apparentant notamment à de l'agence.
2. La loi du 27 juillet 1961 définit le contrat de concession comme étant « toute convention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre, en leur propre nom et pour leur propre compte, des produits qu'il fabrique ou distribue ».
Le tribunal constate tout d'abord que la demanderesse se prévaut à tort d'un contrat de concession à partir de l'année 1992; la demanderesse reconnaît en effet elle-même être intervenue, dans un premier temps en tant que sous-distributeur de la société Scholle Europe BV et n'avoir donc pas eu de lien contractuel direct avec la société MacMillan Bloedel, aux droits de laquelle la défenderesse vient.
Le tribunal relève par ailleurs au vu des dossiers des parties:
- qu'en date du 25 mars 1994, la société MacMillan Bloedel a fait une offre de collaboration à la demanderesse, en tant que « distributeur » ou agent;
- que quoique la société MacMillan Bloedel se soit réjouie de pouvoir compter sur la demanderesse en tant qu'intermédiaire principal en Europe, cette offre était limitée aux territoires du Benelux et de la France;
- que la notion de « distributeur » telle que visée par la société MacMillan Bloedel est assimilable à celle de « concessionnaire » en droit belge dès lors que la défenderesse proposait de vendre des boîtes à la demanderesse afin que celle-ci les revende dans son territoire de vente (« we will be happy to sell boxes direct that you would markup and resale in your sales territory »);
- que par téléfax du 5 avril 1994, la demanderesse a confirmé l'existence de ses droits de distribution exclusifs sur les territoires de la France et du Benelux ainsi que concernant le client allemand Hamester, en spécifiant que son intervention s'effectuerait en tant que concessionnaire, courtier ou agent, selon le cas;
- que dans le même courrier, la demanderesse a proposé ses services à la société MacMillan Bloedel afin de reprendre la coordination des ventes de cette dernière en Europe;
- que par courrier du 14 avril 1995, la société MacMillan Bloedel a arrêté la durée de la collaboration des parties à un an (soit jusqu'au 1er avril 1995), renouvelable d'année en année, le contrat pouvant être résilié moyennant octroi d'un préavis de 4 mois;
- qu'en date du 13 mai 1994, les parties sont convenues du maintien par la demanderesse d'un entrepôt pour les produits « Space Kraft » à destination des clients du Benelux et de la France, pour lesquels celle-ci interviendrait en tant que concessionnaire (« In this case, you will act as a distributor »);
- que cet entrepôt était également susceptible d'approvisionner les autres intermédiaires de la société MacMillan Bloedel en Europe (« should they desire to purchase boxes from Euro-Pak »);
- que la société MacMillan Bloedel était toutefois disposée à effectuer des livraisons directes de gros volumes de marchandises à certains clients moyennant paiement à la demanderesse d'une commission de 5%;
- que la société MacMillan Bloedel envisageait à cette époque de transférer le territoire de l'Allemagne à la demanderesse.
Il ressort de ce qui précède que si entre le mois de mars et le mois de mai 1994, la fonction occupée par la demanderesse n'était pas clairement définie, les parties ont finalement opté pour un contrat de concession de vente, l'intervention de MacMillan Bloedel en tant que cocontractant et fournisseur direct de la clientèle n'étant envisagée que de façon accessoire.
Le tribunal constate à cet égard que le mail du 13 mai 1994 de la société MacMillan Bloedel prévoyait les conditions de paiement des marchandises, ce qui démontre que la demanderesse a bien acquis les produits concédés en vue de leur revente.
Les achats de produits - inconciliables avec l'existence d'un contrat d'agence - résultent également de la pièce 5 du dossier de la demanderesse ainsi que de ses bilans relatifs aux années 2010 et 2011.
L'existence d'une concession de vente est dès lors confirmée par l'exécution qui a été donnée au contrat.
En ce qui concerne l'exclusivité alléguée par la demanderesse, le tribunal remarque que si elle peut difficilement être mise en doute en ce qui concerne les territoires de la France et du Benelux - (cf. l'e-mail du 7 septembre 2010 de monsieur Mark Jones) -, elle n'est pas établie à suffisance pour l'Europe.
S'il est indéniable que les activités de la demanderesse sont sorties du cadre des territoires qui lui avaient été initialement concédés, il n'est pas démontré qu'elle ait bénéficié d'une réelle exclusivité à cet égard.
3. La loi du 27 juillet 1961 n'a vocation à s'appliquer que pour autant que la concession de vente exclusive produise ses effets en Belgique.
En l'espèce, la défenderesse conteste que tel ait été le cas.
Il résulte cependant tant du territoire concédé que des factures déposées par la demanderesse que celle-ci était censée procéder et a procédé à des ventes sur le territoire belge.
La demanderesse se prévaut dès lors à bon droit des dispositions de la loi précitée.
4. | Quant à la résiliation du contrat de concession ayant lié les parties |
1. Les parties sont en litige quant à la portée à conférer à l'e-mail que la défenderesse a adressé à la demanderesse en date du 1er décembre 2010.
Selon la demanderesse, la défenderesse a unilatéralement résilié la convention de concession exclusive liant les parties moyennant octroi d'un préavis de 4 mois.
La défenderesse prétend pour sa part avoir eu l' « intention de mettre fin à la relation telle qu'en vigueur » mais qu'il ne s'agissait « en aucun cas d'une résiliation effective du contrat ».
Elle expose avoir voulu mettre en place un cadre contractuel et précis définissant de façon transparente les obligations des parties. Elle se réfère à cet égard aux projets de convention ayant été échangés entre les parties et aux négociations ayant perduré jusqu'au mois de janvier 2012, pendant lesquelles le contrat aurait encore été exécuté.
2. Le tribunal constate que les positions respectives des parties ne sont contraires qu'en apparence.
En effet, quelle que soit la volonté exprimée par la défenderesse de poursuivre sa coopération avec la demanderesse, son e-mail du 1er décembre 2010 traduisait indubitablement son souhait de mettre fin à la relation existante.
Par ce courriel, la défenderesse a mis un terme à la concession de vente exclusive à durée indéterminée (vu le nombre de renouvellements consentis) dont bénéficiait la demanderesse pour redéfinir les nouvelles bases de leur collaboration.
Il y a donc eu résiliation effective du contrat en cours dès lors que la défenderesse n'envisageait le maintien de relations commerciales avec la demanderesse que sous une autre forme.
La circonstance que les parties aient entamé des négociations et aient poursuivi l'exécution du contrat initial dans l'attente de la conclusion d'un nouvel accord est sans incidence sur le fait que la défenderesse a clairement manifesté la volonté d'en finir avec la situation existante à partir du mois d'avril 2011 et qu'elle a octroyé un préavis de 4 mois à la demanderesse à cet effet.
Le tribunal relève que dès le 2 mai 2011, la demanderesse a attiré l'attention de la défenderesse sur l'insuffisance du préavis qui lui avait notifié et a fait valoir ses droits au paiement d'une indemnité de préavis égale à 20 mois de bénéfice semi-brut et à une indemnité de clientèle égale à un an de bénéfice brut, pour le cas où aucun accord n'interviendrait quant à la poursuite de leurs relations.
Il en résulte que la demanderesse n'entendait pas renoncer à se prévaloir des conséquences de la résiliation de son contrat au cas où ses négociations avec la défenderesse n'aboutiraient pas.
5. | Quant à l'indemnité de préavis réclamée par la demanderesse |
1. Sur la base des critères habituellement retenus par la jurisprudence (durée de la concession, étendue du territoire, part de la concession dans les activités du concessionnaire, notoriété des produits concédés, évolution du chiffre d'affaires, ...), la demanderesse évalue le préavis qui aurait dû lui être notifié à 24 mois.
Eu égard au préavis de 4 mois qui lui a été octroyé par la défenderesse, elle sollicite la condamnation de cette dernière au paiement d'une indemnité de préavis égale à 20 mois de bénéfice semi-brut.
2. La défenderesse insiste sur le caractère territorialement limité de la loi du 27 juillet 1961 et fait valoir que celle-ci ne saurait en tout état de cause s'appliquer qu'à la partie belge de la concession dévolue à la demanderesse.
La défenderesse signale par ailleurs que le contrat a été exécuté jusqu'au mois de janvier 2012.
Elle met enfin en doute les éléments et critères invoqués par la demanderesse pour la détermination du préavis lui revenant.
3. Le tribunal rappelle que le préavis doit permettre au concessionnaire de retrouver une source de revenus nets équivalente à celle qu'il a perdue moyennant, le cas échéant, reconversion totale ou partielle de ses activités (cf. Cass., 10 février 2005, R.D.C., 2005, p. 924).
Pour l'appréciation du préavis raisonnable, la jurisprudence se fonde généralement sur les critères suivants:
- la durée de la concession: les relations entre la demanderesse et la société MacMillan Bloedel ayant débuté en 1994, la concession avait une ancienneté de ± 17 ans lors de sa résiliation. Certes, ce critère ne peut justifier à lui seul l'octroi d'un long préavis. Certains auteurs soulignent toutefois à juste titre qu'il ne saurait être écarté dès lors qu'il constitue le principal, voire l'unique élément pris en considération par certaines législations particulières (agence, contrat de travail, ...) en cas de résiliation unilatérale du contrat;
- l'étendue du territoire concédé: la demanderesse bénéficiait d'une exclusivité dans le Benelux et en France. Le tribunal rappelle que si selon une jurisprudence bien ancrée, la loi du 27 juillet 1961 n'a pas vocation à s'appliquer à une situation étrangère au territoire belge (cf. P. Kileste et P. Hollander, o.c., p. 233), cette restriction ne vaut que pour le calcul des indemnités dues au concessionnaire évincé et non pour l'appréciation du délai de préavis devant lui être octroyé. En tout état de cause, la concession couvrait un territoire très étendu;
- la part occupée par la concession dans les activités du concessionnaire: il résulte du bilan de la demanderesse relatif à l'année 2010 qu'à la date de notification du renon, la concession représentait 67% de son chiffre d'affaires. La défenderesse soutient que cette information est insuffisante étant donné qu'elle ne vise que la dernière année de la concession. Le tribunal remarque que si la concession a manifestement été moins rentable en 2009, les chiffres de l'année 2010 sont similaires à ceux réalisés en 2008 et bien inférieurs à ceux des années 2006, 2007 et 2011. L'année 2010 ne livre donc pas une image exagérément optimiste de la place prise par la concession dans l'ensemble des activités de la demanderesse;
- la notoriété et le degré de substituabilité des produits: selon la défenderesse, il existe toute une gamme de produits concurrents aux produits concédés alors que d'après la demanderesse, la marque Space Kraft bénéficie d'une grande notoriété et a peu de concurrents sur le marché des conteneurs en carton. Le tribunal remarque qu'à l'appui de sa thèse, la défenderesse dépose de la documentation concernant quelques entreprises offrant des solutions d'emballage alternatives - mais non identiques - à ses conteneurs. Sur la base de ces informations, il peut être conclu à une substituabilité moyenne des produits concédés.
La défenderesse rappelle par ailleurs que le juge peut tenir compte d'éléments postérieurs à la notification du préavis et souligne que dès le mois de février 2012, la demanderesse est devenue - via la SPRL Europak - concessionnaire exclusive des produits « Paper IBC » commercialisés par la division « Tripak » de la société taïwanaise Jiing Shin Enterprise Co. Ltd.
La demanderesse objecte que cette concession n'a effectivement débuté qu'au mois d'août 2012, soit vingt mois après la notification de la résiliation de la concession « Space Kraft » et qu'elle n'a pas encore généré de réelle activité pour la SPRL Europak.
Le tribunal constate que la thèse de la demanderesse est accréditée par le bilan de cette dernière société relatif à la période allant du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012, lequel révèle la réalisation d'un chiffre d'affaires de 45.108 EUR, totalement marginal par rapport aux ventes de produits « Space Kraft » effectuées en 2010 (707.938,75 EUR) et en 2011 (926.500,25 EUR).
Eu égard aux éléments relevés ci-dessus, et particulièrement au territoire très étendu couvert par la concession et à la part importante occupée par celle-ci dans les activités de la demanderesse, il y a lieu de fixer le délai de préavis auquel celle-ci pouvait prétendre à dix-huit mois.
Il convient cependant de déduire de ce délai les quatre mois de préavis octroyés par la défenderesse (venant à échéance le 1er avril 2011) ainsi que les sept mois ultérieurs pendant lesquels le contrat de concession s'est manifestement poursuivi au grand avantage de la demanderesse, eu égard aux chiffres obtenus.
Il en résulte que la demanderesse peut prétendre à l'indemnisation des sept mois de préavis dont elle n'a pas bénéficié.
4. La demanderesse estime que l'indemnité compensatoire de préavis lui revenant doit être évaluée sur la base de son bénéfice semi-brut de l'année 2011.
La défenderesse déplore le caractère unilatéral des informations fournies par la demanderesse quant au bénéfice réalisé et objecte par ailleurs que celui-ci doit être déterminé en tenant compte des 36 mois d'exploitation précédant la rupture.
Le tribunal rappelle pour sa part qu'eu égard au champ d'application territorial de la loi du 27 juillet 1961, « seules les activités menées en Belgique rentrent en ligne de compte dans le cadre de la détermination des indemnités dues » au concessionnaire évincé (cf. Liège, 4 mai 2006, J.L.M.B., 2007, p. 491).
Le tribunal constate que les pièces produites par la demanderesse n'opèrent aucune ventilation entre les chiffres belges de la concession et les autres.
Au vu de la contestation soulevée par la défenderesse et eu égard à la nécessité d'évaluer le plus précisément possible la valeur réelle de la concession au moment de sa résiliation, il y a lieu de désigner un expert aux fins décrites dans le dispositif du présent jugement.
6. | Quant à l'indemnité de clientèle revendiquée par la demanderesse |
1. La demanderesse réclame le paiement d'une indemnité de clientèle égale à un an de bénéfice semi-brut.
Elle souligne qu'eu égard au peu de résultats engrangés par la société Scholle, elle a été virtuellement le premier distributeur des produits « Space Kraft » sur le territoire concédé.
Elle estime par ailleurs que compte tenu de la faible substituabilité de ces produits, la clientèle développée est restée acquise à la défenderesse.
La défenderesse répond que la demanderesse ne prouve pas qu'elle remplit les trois conditions visées à l'article 3 de la loi du 27 juillet 1961 pour prétendre au paiement d'une indemnité de clientèle.
2. Le tribunal remarque que par e-mail du 14 septembre 1994, la société MacMillan Bloedel a félicité la demanderesse pour avoir fait plus de chiffre en 4 mois que son prédécesseur en un an.
Le tribunal constate par ailleurs que, bien que les ventes aient effectivement chuté en 2009, la demanderesse a distribué les produits « Space Kraft » durant 18 ans (si on se réfère à la fin effective de la concession).
Il est peu plausible que la concession ait eu une telle longévité si la demanderesse n'avait pas accru la clientèle des produits concédés, par le développement de la clientèle existante ou l'apport de nouveaux clients.
Le tribunal relève à cet égard que l'année 2011 s'est soldée par un résultat en nette hausse et comparable à ceux des années 2006 et 2007 où la concession a manifestement atteint son point culminant.
Il peut par ailleurs être présumé que la clientèle est restée acquise à la défenderesse dès lors que:
- certains clients de la demanderesse ont directement pris contact avec la défenderesse après la rupture de la concession;
- les produits offerts en vente par la défenderesse sont peu substituables par des produits identiques;
- il ne ressort pas des chiffres réalisés par la SPRL Europak entre la fin de la concession et la fin juin 2012 qu'elle aurait repris la clientèle de la demanderesse.
3. En ce qui concerne le quantum de l'indemnité demandée, le tribunal estime qu'il y a lieu de désigner un expert, vu - notamment - l'absence d'informations concernant l'apport de clientèle effectivement réalisé en Belgique.
Afin de ne pas compromettre le bon avancement de la présente cause, il convient d'autoriser l'exécution provisoire du jugement en ce qui concerne cette mesure, comme le préconise la demanderesse.
7. | Quant aux réserves formulées par la demanderesse |
La demanderesse sollicite qu'il lui soit donné acte de ses réserves concernant des réclamations introduites par des clients concernant la qualité des emballages fournis par la défenderesse.
La défenderesse critique le manque d'information concrète à cet égard.
La cause n'étant manifestement pas en état en ce qui concerne ce chef de demande, il y a lieu de la renvoyer au rôle.
Par ces motifs, le tribunal
Statuant contradictoirement,
Déclare la demande recevable et fondée dans la mesure suivante:
Condamne la défenderesse au paiement à la demanderesse d'une indemnité compensatoire de préavis égale à 7 mois de bénéfice semi-brut (soit le bénéfice brut sous déduction des frais compressibles), calculée sur la moyenne des bénéfices semi-bruts obtenus par la concession en raison de ses ventes à des clients situés sur le territoire belge durant les dernières 3 années précédant sa résiliation, soit les années 2008, 2009 et 2010;
Avant de statuer sur le surplus de la demande,
- désigne, avant dire droit, monsieur Michel Bikar, ayant ses bureaux à 1150 Bruxelles, avenue des Dames Blanches 139, en qualité d'expert ayant pour mission:
- de déterminer, en relation avec les ventes effectuées par la demanderesse à des clients situés sur le territoire belge, le bénéfice brut annuel moyen, les frais compressibles et le bénéfice semi-brut annuel moyen de la concession pour les années 2008, 2009 et 2010;
- de déterminer si et dans quelle mesure, il y a eu un accroissement ou un développement de la clientèle belge des produits « Space Kraft » dans le cadre de la concession entre les années 1994 et 2010;
- dit que l'expert donnera connaissance de ses constatations au tribunal, aux parties et à leurs conseils, conformément à l'article 976 du Code judiciaire, et sera tenu d'acter leurs questions et observations relevantes et d'y répondre;
- dit que l'expert, après avoir, comme de droit, tenté la conciliation des parties et à défaut d'y parvenir, dressera ses constatations dans un rapport écrit, motivé et signé en faisant précéder sa signature de la formule de serment reprise à l'article 978 du Code judiciaire et déposera ce rapport au greffe du tribunal pour le 15 avril 2014 au plus tard (sauf prorogation de ce délai par le tribunal, à demander le cas échéant par l'expert avant ladite échéance) et pour le cas où le rapport ne serait pas déposé dans le temps imparti, fixe d'ores et déjà la cause sur pied des articles 973, § 2 et 974, § 1er, du Code judiciaire à notre audience du 24 avril 2014 à 09.00 hrs (chambre du conseil);
- dit que l'expert dispose d'un délai de 8 jours à dater de la notification de la présente décision par le greffier pour refuser sa mission s'il le souhaite, en motivant dûment sa décision;
- dit que le tribunal renonce à la réunion d'installation visée à l'article 972, § 2, du Code judiciaire, sauf avis contraire des parties dans le mois de la notification du présent jugement;
- dit que:
° l'expert déterminera dans les 15 jours de la notification du présent jugement les lieu, jour et heure de la réunion d'installation de l'expertise et ce, par courrier recommandé aux parties et par courrier ordinaire au tribunal et à leurs conseils;
° l'expert déterminera, au cours de l'expertise, s'il est nécessaire de faire appel à des conseils techniques;
° l'expert déterminera le coût global de l'expertise ou à tout le moins, le mode de calcul de ses frais et honoraires et des éventuels conseillers techniques;
° l'expert déterminera le délai dans lequel les parties devront leur faire parvenir leurs remarques concernant son rapport préliminaire;
- dit pour droit:
° qu'il appartient à la partie demanderesse de constituer au greffe, dans le respect de la loi, la provision destinée à couvrir les frais et honoraires de l'expert;
° que la somme de 3.025 EUR TVAC sera versée par la demanderesse sur le compte n° 679-2008801-28 avec la mention « RG A/12/04626 - Expert Bikar » dans les 20 jours suivant la date du prononcé du présent jugement, à titre de provision;
° que 50% de la provision sera libérable à la première demande de l'expert;
- invite la demanderesse à transmettre à l'expert la preuve du versement de la provision;
- charge du contrôle de l'expertise la chambre ayant rendu le présent jugement ou son président seul;
- accorde l'exécution provisoire quant à la mesure d'expertise;
- renvoie la cause au rôle pour le surplus;
- réserve les dépens.
(…)
L'application de l'article 4 de la loi du 27 juillet 1961 (actuel art. X.39 du Code de droit économique) était en l'espèce possible parce que le concédant défendeur avait son domicile aux Etats-Unis. Lorsque le défendeur est domicilié dans l'Union européenne, comp. la solution consacrée par l'arrêt Corman-Collins, supra p. 83.