Article

Cour d'appel Bruxelles (9e ch.), 22/11/2013, R.D.C.-T.B.H., 2014/9, p. 874-878

Cour d'appel de Bruxelles (9e ch.)22 novembre 2013

SOCIÉTÉS
SPRL - Gérants - Responsabilité des gérants - Faute aquilienne - Imputabilité - Notion - Sonnette d'alarme - Lien causal présumé
La violation d'une obligation légale qui s'impose à la société ne constitue pas une faute aquilienne imputable à ses gérants.
En dehors d'une situation de concours, il n'est pas nécessairement fautif, pour les gérants d'une société rencontrant des difficultés financières, de ne pas respecter l'égalité des créanciers et l'ordre des préférences qui seraient applicables en cas de concours.
En cas de non-respect de la procédure de sonnette d'alarme (art. 332 C. soc.), le lien de causalité entre l'absence de convocation de l'assemblée générale et le dommage subi par les tiers est présumé. Il s'agit d'une présomption simple que le gérant a la possibilité de renverser. La présomption est renversée s'il est établi que le dommage se serait produit même si la société avait été dissoute par l'assemblée générale qui aurait dû être convoquée, par exemple parce que ce dommage trouve son origine dans des événements antérieurs à la date à laquelle cette assemblée générale aurait dû se tenir.
VENNOOTSCHAPPEN
BVBA - Zaakvoerder - Aansprakelijkheid zaakvoerders - Aquiliaanse fout - Toerekenbaarheid - Begrip - Alarmbel - Vermoed causaal verband
De schending van een wettelijke verplichting die zich opdringt aan de vennootschap maakt geen aquiliaanse fout uit die toerekenbaar is aan haar zaakvoerders.
Buiten een situatie van samenloop is het niet noodzakelijk foutief voor zaakvoerders van een vennootschap in moeilijkheden om de gelijkheid van schuldeisers en de volgorde van voorrechten, die toepasselijk zouden zijn in geval van samenloop, niet te respecteren.
In geval van schending van de alarmbelprocedure (art. 332 W.Venn.), wordt het causaal verband tussen de niet-bijeenroeping van de algemene vergadering en de door derden geleden schade vermoed. Het gaat hierbij om een vermoeden dat door de zaakvoerder weerlegd kan worden. Het vermoeden wordt weerlegd wanneer wordt aangetoond dat de schade zich zou hebben voorgedaan, zelfs indien de vennootschap ontbonden zou zijn geweest door de algemene vergadering die bijeengeroepen diende te worden. Dit zal bijvoorbeeld het geval zijn wanneer de schade haar oorzaak vindt in gebeurtenissen voorafgaand aan de datum waarop deze algemene vergadering plaatsgevonden zou moeten hebben.

Etat belge, S.P.F. Finances / B.S. et F.P.

Siég.: H. Mackelbert, M.-Fr. Carlier et C. Heilporn (conseillers)
Pl.: Mes C. Druetz et J. Warzée
I. La décision entreprise

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 18 septembre 2008 par le tribunal de commerce de Nivelles.

Les parties ne produisent pas d'acte de signification de cette décision.

II. La procédure devant la cour

L'appel est formé par requête, déposée par l'Etat belge au greffe de la cour, le 23 octobre 2008.

La procédure est contradictoire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. La SPRL WE WORK WITH YOU exerce une activité de création de logiciels et de formation dans le domaine informatique.

Elle a pour gérants M. S. et Mme P.

2. WE WORK WITH YOU dépose tardivement les déclarations TVA du 4e trimestre de l'année 2001 et des 1er, 2e et 3e trimestres de l'année 2002. Elle omet également de payer la taxe due pour ces trimestres.

Le trésor décerne des contraintes exécutoires respectivement le 10 décembre 2004 pour la TVA du 4e trimestre de l'année 2001 et le 17 mars 2005 pour la TVA des 1er, 2e et 3e trimestres de l'année 2002.

Par ailleurs, l'administration de la TVA établit à charge de WE WORK WITH YOU un compte spécial pour la période du 31 janvier 2005 au 30 avril 2005, la société n'ayant pas respecté son obligation de payer la TVA pour cette période.

3. Par jugement du 13 juillet 2005, le tribunal de commerce de Namur déclare la faillite de WE WORK WITH YOU. Me Cassart est désigné en qualité de curateur.

Par jugement du 18 janvier 2007, le tribunal de commerce de Namur déclare closes, par liquidation, les opérations de la faillite de WE WORK WITH YOU.

La répartition des actifs dans le cadre de la liquidation de la faillite ne permet pas d'apurer la dette de WE WORK WITH YOU à l'égard de l'administration de la TVA.

4. Les 9 et 14 mars 2007, l'Etat belge fait citer respectivement Mme P. et M. S. devant le tribunal de commerce de Nivelles en paiement de la somme de 9.852,67 EUR, majorée des intérêts judiciaires.

Par le jugement entrepris, le tribunal de commerce déboute l'Etat belge de sa demande et le condamne aux dépens des défendeurs liquidés pour eux à la somme de 900 EUR.

En appel, l'Etat belge réitère sa demande qu'il chiffre à 10.074,54 EUR, à augmenter des intérêts judiciaires jusqu'à complet paiement.

Mme P. et M. S. concluent au non-fondement de l'appel.

IV. Discussion

5. L'Etat belge met en cause la responsabilité de Mme P. et M. S. sur la base de trois fondements distincts: (i) la responsabilité aquilienne en vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil; (ii) l'infraction d'abus de confiance incriminée par l'article 491 du Code pénal et (iii) le manquement à l'article 332 du Code des sociétés instaurant une procédure de sonnette d'alarme en cas de pertes sociales importantes.

I. Sur la responsabilité aquilienne (art. 1382 et 1383 C. civ.) de Mme P. et de M. S.
a) Sur le retard de dépôt des déclarations trimestrielles et sur le non-paiement de la TVA
1) Thèse de l'Etat belge

6. La responsabilité aquilienne des gérants d'une société peut être engagée lorsqu'ils violent une obligation déterminée qui leur est imposée par la loi ou lorsqu'ils enfreignent la norme générale de comportement prudent et diligent dont le respect peut être attendu de tout mandataire social.

L'Etat belge soulève qu'en l'espèce, le dépôt tardif des déclarations trimestrielles constitue une infraction au Code de la TVA.

Il en va de même du défaut de WE WORK WITH YOU de s'acquitter de la TVA.

Selon l'Etat belge, ces manquements constituent, en outre, une violation de l'article 97.7 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur (en vigueur au moment où les faits ont été commis, actuellement art. 4, 2°, de la loi du 6 avril 2010 concernant le règlement de certaines procédures dans le cadre de la LPMC).

L'Etat belge impute également à Mme P. et M. S. un manquement au devoir de prudence incombant à tout gérant de société, en ce que WE WORK WITH YOU ne s'est pas acquittée de la TVA relative aux trimestres susvisés. D'après l'Etat belge, ce défaut de paiement est de nature à aggraver le passif de la société et est une manière d'octroyer à celle-ci un crédit artificiel au détriment des missions d'intérêt général assurées par l'Etat belge. L'Etat belge ajoute que tolérer pareils défauts de paiement constitue une discrimination à l'égard des contribuables qui s'acquittent de l'impôt. L'Etat belge estime en outre qu'admettre pareil comportement dans le chef des administrateurs de société créerait un effet d'engouement auprès d'autres dirigeants d'entreprise.

2) Décision de la cour

6. Dans la présente cause, il convient d'appliquer le droit commun de la responsabilité.

En effet, les faits sont antérieurs à l'entrée en vigueur de l'article 93undeciesC du Code de la TVA instaurant un régime spécial de responsabilité des dirigeants de société en cas de manquement de la personne morale à son obligation de payer la taxe.

7. L'article 61 du Code des sociétés établit que les organes de sociétés « ne contractent aucune responsabilité personnelle relative aux engagements de la société ».

La violation de la loi constitue une faute aquilienne mais uniquement dans le chef du destinataire de la loi. Toutes les obligations légales d'une société ne constituent pas une obligation légale de ses gérants en leur nom propre.

Les obligations contenues dans le Code TVA de déposer les déclarations trimestrielles et de payer la taxe due n'incombent qu'à l'assujetti, à savoir, en l'espèce, la société WE WORK WITH YOU. Il en va de même de l'interdiction générale, inscrite à l'article 97.7 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, de violer les dispositions légales et réglementaires relatives à l'application de la taxe sur la valeur ajoutée.

Dès lors, ces obligations ne reposent pas personnellement sur les gérants de WE WORK WITH YOU. La violation des dispositions légales susvisées du Code TVA ou de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur ne constituent pas, en soi, une faute engageant la responsabilité aquilienne de Mme P. et de M. S. en leur qualité de gérants de WE WORK WITH YOU (Bruxelles, 11 mai 2011, F.J.F., 2013, 247; Antwerpen, 18 mai 2010, F.J.F., 2011, 134; P. Malherbe, « L'organe social et la dette fiscale impayée », Rev. prat. soc., 2013, pp. 82 et 83; J. Goffin et G. De Sauvage, « La responsabilité civile des dirigeants de société en matière fiscale », R.G.C.F., 2008, p. 362; M. Ernotte, « L'action en responsabilité de l'Etat belge contre les anciens dirigeants d'une société commerciale après la clôture de sa faillite », J.D.S.C., 2008, pp. 201, 202 et 203; M. Delvaux, « Quand l'Etat tente de récupérer l'impôt dû par une société directement auprès de ses administrateurs », J.D.S.C., 2007, p. 84).

Leur responsabilité ne pourrait être retenue à cet égard que s'il est établi qu'ils ont manqué à leur devoir général de prudence et de diligence. Dans cette optique, leur comportement doit être apprécié par rapport au comportement d'un gérant normal et prudent placé dans les mêmes circonstances.

8. En l'espèce, il n'est pas contesté que WE WORK WITH YOU devait faire face à des difficultés financières.

Cette constatation se déduit des bilans produits devant la cour, de même que de la faillite qui a, en définitive, été déclarée.

Face aux difficultés financières de la société, un gérant normalement prudent et diligent doit distinguer les créanciers qu'il souhaite satisfaire immédiatement de ceux dont il envisage de différer le paiement de la créance. A cet égard, dans l'intérêt de la société, il peut parer au plus pressé et rien ne l'oblige de payer d'abord les dettes d'impôts de la société avant les autres dettes (voir P. Malherbe, « L'organe social et la dette fiscale impayée », Rev. prat. soc., 2013, pp. 91 et 93).

Hors situation de concours, le débiteur n'est pas tenu de payer ses dettes en respectant l'égalité des créanciers et l'ordre de leur privilège. Tous les créanciers subissent de la même manière la gestion de leur débiteur mais ont individuellement la possibilité de poursuivre celui-ci en vue du paiement de leur créance à cet égard, prévaut la règle « le premier arrivé, est le premier servi ». En matière de TVA, le fisc dispose, dans l'intérêt général, d'un avantage par rapport aux autres créanciers puisqu'il a la possibilité de se décerner un titre exécutoire par une contrainte (art. 85 C.T.V.A.).

Dans la présente cause, WE WORK WITH YOU s'est acquittée de l'ensemble de ses dettes de TVA hormis la taxe due pour 4 trimestres répartis sur 2001 et 2002 ainsi que pour la période du 31 janvier 2005 au 30 avril 2005 précédant de peu la déclaration de la faillite. Il n'est donc pas question de non-paiement systématique de la taxe malgré les difficultés financières de la société. Il convient également d'observer que WE WORK WITH YOU a effectué, entre 2002 et 2005, des paiements pour un total de 10.377,29 EUR (cf. pièce 1 du dossier de l'Etat belge), mais que cette somme a été imputée prioritairement sur les amendes et les intérêts ne permettant pas un apurement total de la créance en principal de TVA.

L'administration TVA n'a décerné une contrainte pour le dernier trimestre 2001 qu'en décembre 2004 et pour les 3 trimestres de 2002 qu'en mars 2005, soit 4 mois avant la faillite, prononcée en juillet 2005.

Dans ces circonstances, il n'est pas démontré que le défaut de paiement de la TVA par WE WORK WITH YOU constitue une faute dans le chef de ses gérants, Mme P. et M. S.

9. Quant au dépôt tardif des déclarations TVA pour le 4e trimestre de l'année 2001 et les 1er, 2e et 3e trimestres de l'année 2002, le lien de causalité entre l'éventuelle faute des gérants et le dommage de l'Etat belge n'est pas établi.

En effet, eu égard à ses difficultés de trésorerie, il n'est pas établi que WE WORK WITH YOU aurait davantage payé les taxes dues pour ces trimestres si ses gérants avaient déposé les déclarations y afférentes dans le délai imparti par le Code de la TVA pour ce faire.

b) Sur l'absence de libération du capital

10. Il n'est pas contesté que le capital de WE WORK WITH YOU n'avait, au jour de la faillite, pas été libéré à concurrence de 4.958 EUR.

L'Etat belge met en cause la responsabilité des gérants pour cette absence de libération.

Toutefois, il n'est pas démontré que, si les gérants avaient procédé aux appels de fonds, d'une part, ceux-ci auraient été effectivement libérés par les associés et, d'autre part, ils auraient servi à payer la TVA restée en souffrance.

A défaut de preuve du lien de causalité entre la faute invoquée et le dommage, la responsabilité de Mme P. et M. S. ne peut dès lors être retenue sur cette base.

II. Sur l'abus de confiance (art. 491 C. pén.)

11. Lorsque l'administrateur commet une infraction pénale dans le cadre de l'exécution de son mandat, cette faute oblige cet administrateur à réparer le préjudice qui en résulte.

L'article 491 du Code pénal dispose: « Quiconque aura frauduleusement soit détourné, soit dissipé au préjudice d'autrui, des effets, deniers, marchandises, billets, quittances, écrits de toute nature contenant ou opérant obligation ou décharge et qui lui avaient été remis à la condition de les rendre ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de vingt-six euros à cinq cents euros. »

A tort, l'Etat belge soutient que l'assujetti qui porte une somme au compte de ses clients à titre de TVA, ne peut la percevoir qu'à la condition légale de la remettre à l'Etat belge.

En effet, le Code de la TVA impose seulement à l'assujetti de déclarer périodiquement les opérations soumises à la taxe. La taxation ne s'exerce pas séparément sur chaque opération mais intervient après déduction de la TVA payée en amont par l'assujetti pendant la période couverte par la déclaration. Seul l'éventuel solde débiteur à l'issue de la déclaration périodique constitue la taxe due au trésor.

Dès lors, l'assujetti peut disposer à titre de propriétaire de la somme perçue à titre de TVA auprès de ses clients. Cette somme se confond dans l'ensemble de son patrimoine et elle ne lui a pas été remise avec l'affectation spéciale d'être restituée à l'Etat belge.

Il s'en déduit que l'administrateur de société ne commet pas d'abus de confiance en disposant de cette somme à d'autres besoins de la société que le versement de la taxe (Bruxelles, 11 mai 2011, F.J.F., 2013, 247; T. Afschrift et V.-A. de Brauwere, Manuel de droit pénal financier, Kluwer, 2001, nos 116 et 118).

La responsabilité des gérants de WE WORK WITH YOU ne peut être retenue sur le fondement de l'abus de confiance.

De même, c'est à tort que l'Etat belge qualifie d'aide publique le non-paiement de la taxe due par l'assujetti. Ce n'est pas parce que l'Etat belge voit sa créance impayée dans des circonstances indépendantes de sa volonté qu'il faut en déduire qu'il pose un acte contraire au droit de la concurrence européenne.

C'est également sans pertinence - et notamment pour le même motif que celui relatif à l'application de l'article 491 du Code pénal - que l'Etat belge compare la perception de la TVA facturée à des clients avec la réception par un huissier de justice, un avocat ou un agent de change de sommes pour le compte d'un tiers.

III. Sur le non-respect de la procédure de sonnette d'alarme (art. 332 C. soc.)

12. L'article 332 du Code des sociétés dispose: « Sauf dispositions plus rigoureuses des statuts, si, par suite de perte, l'actif net est réduit à un montant inférieur à la moitié du capital social, l'assemblée générale doit être réunie dans un délai n'excédant pas deux mois à dater du moment où la perte a été constatée ou aurait dû l'être en vertu des obligations légales ou statutaires, en vue de délibérer et de statuer, le cas échéant, dans les formes prescrites pour la modification des statuts, de la dissolution éventuelle de la société et éventuellement d'autres mesures annoncées dans l'ordre du jour.

L'organe de gestion justifie ses propositions dans un rapport spécial tenu à la disposition des associés au siège de la société quinze jours avant l'assemblée générale. Si l'organe de gestion propose la poursuite des activités, il expose dans son rapport les mesures qu'il compte adopter en vue de redresser la situation financière de la société. Ce rapport est annoncé dans l'ordre du jour. Une copie de ce rapport est transmise conformément à l'article 269.

Les mêmes règles sont observées si, par suite de perte, l'actif net est réduit à un montant inférieur au quart du capital social mais, en ce cas, la dissolution aura lieu si elle est approuvée par le quart des voix émises à l'assemblée.

Lorsque l'assemblée générale n'a pas été convoquée conformément au présent article, le dommage subi par les tiers est, sauf preuve contraire, présumé résulter de cette absence de convocation.

[…]. »

Sur la base de cette disposition, l'Etat belge recherche la responsabilité de Mme P. et de M. S. pour ne pas avoir, en leur qualité de gérants de WE WORK WITH YOU, convoqué l'assemblée générale alors que les comptes annuels de l'exercice 2002 font état de fonds propres négatifs.

L'Etat belge réclame le dommage constitué par le non-recouvrement de la TVA, des intérêts, des amendes et des frais à charge de WE WORK WITH YOU, soit la somme totale de 10.074,54 EUR.

Mme P. et M. S. ne contestent pas avoir, malgré les pertes sociales constatées dans les comptes annuels de 2002, omis de convoquer l'assemblée générale conformément à l'article 332 du Code des sociétés.

13. L'article 322, alinéa 4, du Code des sociétés dispose: « Lorsque l'assemblée générale n'a pas été convoquée conformément au présent article, le dommage subi par les tiers est, sauf preuve contraire, présumé résulter de cette absence de convocation. ». Le lien de causalité entre l'absence de convocation de l'assemblée générale et le dommage subi par les tiers est donc présumé. Il s'agit d'une présomption réfragable, le gérant ayant la possibilité de la renverser.

Le dommage du tiers peut être constitué par l'irrécouvrabilité de sa créance sur la société.

En instituant la présomption de lien de causalité, le législateur part du principe que si la dissolution avait été décidée suite à la constatation des pertes sociales, les tiers n'auraient pas perdu leur créance. La présomption est dès lors renversée s'il est établi que le passif se serait constitué même si la société avait été dissoute par l'assemblée générale qui aurait dû être convoquée, par exemple par la preuve que ce passif trouve son origine dans des événements antérieurs (Trav. prép., Chambre, sess. 1982-1983, Rapport, 210/9, pp. 65 et 66; S. De Schrijver, « Art. 633 C. Soc. », in X, Commentaire systématique du nouveau Code des sociétés, Kluwer, 2007, n° 66; M. Delvaux, « La responsabilité des fondateurs, associés, administrateurs et gérants des SA, SPRL et SCRL », in X, Guide juridique de l'entreprise. Traité théorique et pratique, Kluwer, 2006, Livre 24 bis 2, p. 81).

A juste titre, Mme P. et M. S. invoquent que l'exigibilité de la TVA due pour le 4e trimestre de l'année 2001 et les 1er, 2e et 3e trimestres de l'année 2002 est antérieure à l'assemblée générale qui aurait dû être convoquée suite à l'établissement des comptes annuels de l'année 2002. Ces dettes auraient tout de même existé si cette assemblée générale avait décidé de dissoudre la société.

La présomption de lien de causalité est donc renversée en ce qui concerne le dommage découlant du non-paiement de ces taxes. Ce dommage ne peut, en conséquence, être imputé à Mme P. et M. S. sur la base de l'article 332 du Code des sociétés.

En revanche, les sommes dues en vertu du compte spécial ouvert pour la période du 31 janvier 2005 au 30 avril 2005 sont postérieures à l'assemblée générale qui aurait dû être convoquée. La présomption de lien de causalité n'est pas renversée à l'égard de ce passif.

De plus, il résulte de la comparaison des pièces 13 et 20 du dossier de l'Etat belge qu'au 31 décembre 2003, le total du passif était de 11.949 EUR, alors qu'à la date de la faillite, il était de 17.771,90 EUR. La poursuite d'activité a donc généré une augmentation du passif qui aurait pu être évitée si une assemblée générale avait été convoquée.

Cette dette se décompose comme suit (pièce 19 de l'Etat belge):

- taxe due: 2.273,04 EUR;

- intérêts: 102,88 EUR;

- amende: 227 EUR.

En ce qui concerne les intérêts moratoires, contrairement à ce que soutiennent Mme P. et M. S., leur non-recouvrement est bien compris dans le dommage de l'Etat belge.

Quant à l'amende, elle revêt le caractère d'une sanction répressive à l'encontre de WE WORK WITH YOU. Elle ne peut donc faire partie du dommage dont la réparation est poursuivie à charge de ses dirigeants (Liège, 24 avril 2009, J.D.S.C., 2010, 96; M. Delvaux, « Les responsabilités des fondateurs, associés, administrateurs et gérants des SA, SPRL et SCRL », in X, Guide juridique de l'entreprise. Traité théorique et pratique, Kluwer, Livre 24 ter 3, p. 37; M. Ernotte, « L'action en responsabilité de l'Etat belge contre les anciens dirigeants d'une société commerciale après la clôture de sa faillite », J.D.S.C., 2008, p. 205). Vainement, l'Etat belge invoque-t-il à cet égard l'article 808 du Code judiciaire, cet article traitant de la recevabilité des demandes additionnelles et non de leur fondement.

Il résulte de ce qui précède que, sur la base de l'article 332 du Code des sociétés, la responsabilité de Mme P. et de M. S. est engagée à l'égard de l'Etat belge pour les montants suivants:

- TVA due: 2.273,04 EUR

- intérêts: 102,88 EUR

- total: 2.375,92 EUR

IV. Sur les dépens

14. Le fondement - l'article 332 du Code des sociétés - qui aboutit à la condamnation de Mme P. et de M. S. est invoqué par l'Etat belge pour la première fois devant la cour.

Il n'y a donc pas lieu de reformer le jugement entrepris en ce qui concerne les dépens.

Quant aux dépens de l'appel, la cour fait application de la faculté de les compenser, chaque partie succombant partiellement dans ses prétentions (art. 1017, al. 4, C. jud.). Il s'ensuit qu'il convient d'appliquer l'indemnité de procédure réduite au montant de base applicable si l'Etat belge avait limité sa demande aux montants qui lui sont alloués aux termes du présent arrêt.

V. Dispositif

Pour ces motifs, la cour,

1. Reçoit l'appel et le dit partiellement fondé dans la mesure précisée ci-après.

2. Réforme le jugement entrepris excepté en ce qu'il statue sur les dépens;

Statuant à nouveau,

Reçoit la demande de l'Etat belge,

Condamne solidairement Mme P. et M. S. à payer à l'Etat belge la somme de 2.375,92 EUR à augmenter des intérêts moratoires au taux légal sur le montant principal de 2.273,04 EUR à dater de la citation jusqu'à complet paiement,

Déboute l'Etat belge du surplus de sa demande.

3. Compense les dépens de l'appel dans la mesure suivante:

Condamne solidairement Mme P. et M. S. à payer à l'Etat belge une indemnité de procédure de 440 EUR;

Délaisse à Mme P. et M. S. leurs propres dépens de l'appel.

(…)