Article

Cour de cassation, 20/12/2013, R.D.C.-T.B.H., 2014/3, p. 256-259

Cour de cassation 20 décembre 2013

CONCURRENCE
Droit belge de la concurrence - Procédure - Voie de recours - Cour d'appel - Dévolution - Généralité (compétence)
L'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire, relatif à l'effet dévolutif de l'appel, s'applique à un recours introduit sur le fondement de l'article 75 de la LPCE contre une décision du Conseil de la concurrence. La cour d'appel doit ainsi, lorsqu'elle en est requise par les parties, statuer sur tous les faits de la cause et dire s'ils constituent des pratiques restrictives. La saisine de la cour d'appel porte exclusivement sur les griefs et éléments pris en considération par l'auditeur dans son rapport motivé au cours de la procédure administrative au sein du Conseil de la concurrence, et ne s'étend pas aux griefs ou éléments qui n'ont pas été pris en considération par l'auditeur. En vertu de son pouvoir de pleine juridiction, la cour d'appel peut statuer sur un grief retenu par l'auditeur, mais rejeté par le Conseil de la concurrence, sans devoir annuler préalablement la décision attaquée. Toutefois, lorsque la pratique restrictive de concurrence revêt une dimension européenne, la cour d'appel ne dispose, à l'égard d'une décision du Conseil de la concurrence écartant une infraction aux articles 101 ou 102 TFUE que d'une compétence d'annulation.
MEDEDINGING
Belgisch mededingingsrecht - Procedure - Rechtsmiddelen - Hof van beroep - Devolutie - Algemeen (bevoegdheid)
Artikel 1068, eerste lid van het Gerechtelijk Wetboek, met betrekking tot de devolutieve werking van het beroep, is van toepassing op een beroep ingesteld op basis van artikel 75 van de WBEM tegen een beslissing van de Raad voor de Mededinging. Het hof van beroep moet dus, op verzoek van partijen, een uitspraak doen over alle feiten van de zaak en uitmaken of het gaat om mededingingsbeperkende praktijken. De aanhangigmaking bij het hof van beroep heeft enkel betrekking op de grieven en elementen die de auditeur in overweging heeft genomen in zijn gemotiveerd verslag tijdens de administratieve procedure voor de Raad voor de Mededinging, en niet op grieven of elementen die niet door de auditeur in overweging werden genomen. Op grond van zijn volle rechtsmacht, kan het hof van beroep een uitspraak doen over een door de auditeur weerhouden grief, die door de Raad voor de Mededinging werd verworpen, zonder eerst de betwiste beslissing te vernietigen. Als de restrictieve praktijk evenwel binnen het toepassingsgebied valt van de Europese mededingingsregels, heeft het hof van beroep enkel een annulatiebevoegdheid met betrekking tot een beslissing van de Raad voor de Mededinging die een grief inzake de artikelen 101 of 102 VWEU verwerpt.

Belgacom, Base Company et Mobistar

Siég.: Ch. Storck (président), P. Maffei et A. Fettweis (présidents de section), D. Batselé et M. Regout (conseillers)
MP: D. Vandermeersch (avocat général)
Pl.: Mes D. Van Liedekerke, K. Platteau, H. Gilliams, T. Baumé et A. Verheyden, W. Derijcke, K. Stas, Y. Van Gerven, A. Vallery
I. Les faits et la saisine de la Cour

1. A la suite d'une plainte déposée par la société anonyme Base, le Conseil de la concurrence a constaté par sa décision du 26 mai 2009 que Belgacom a enfreint les articles 3 de la loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006 et 82 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le Conseil a décidé que Belgacom a abusé de sa position dominante sur le segment de marché de la téléphonie mobile des clients professionnels ayant des exigences particulières et lui a infligé une amende de 66.300.000 EUR.

2. Belgacom, Base et Mobistar ont toutes trois introduit un recours principal contre cette décision devant la cour d'appel de Bruxelles. Base et Belgacom ont également formé des recours incidents. Mobistar est intervenue dans les recours des autres opérateurs.

Les causes ont été jointes par un arrêt du 15 septembre 2009.

Base et Mobistar demandent à la cour d'appel de réformer la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle considère comme non fondés certains griefs retenus par l'auditeur et ne se prononce pas sur d'autres griefs de Base et Mobistar contre Belgacom qui n'ont pas été retenus par l'auditeur.

(...)

III. La décision de la Cour
Sur la première question

12. Par la première question, la cour d'appel cherche à savoir si l'article 75 de la loi sur la protection de la concurrence économique doit être interprété en ce sens que l'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire s'applique sans aucune restriction au recours introduit contre une décision du Conseil de la concurrence et que, partant, la cour d'appel de Bruxelles doit, lorsqu'elle en est requise par les parties, statuer sur tous les faits de la cause et dire s'ils constituent ou non des pratiques restrictives de concurrence.

13. Aux termes de l'article 75, alinéa 1er, de la loi sur la protection de la concurrence économique, les décisions du Conseil de la concurrence et de son président ainsi que les décisions tacites d'admissibilité de concentrations par l'écoulement des délais visés aux articles 58 et 59 peuvent faire l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Bruxelles, sauf lorsque le Conseil de la concurrence statue en application de l'article 79.

L'alinéa 2 de cet article dispose que la cour d'appel statue avec un pouvoir de pleine juridiction sur les pratiques restrictives supposées et, le cas échéant, sur les sanctions imposées ainsi que sur l'admissibilité des concentrations et qu'elle peut prendre en considération les développements survenus depuis la décision attaquée du Conseil.

En vertu de l'alinéa 3, la cour d'appel peut imposer des amendes et des astreintes selon les dispositions visées à la Section 8 du Chapitre IV.

14. Suivant l'article 11, § 1er, de la loi sur la protection de la concurrence économique, le Conseil de la concurrence est une juridiction administrative qui a la compétence de décision et les autres pouvoirs que cette loi lui confère.

Il exerce, sur le plan organique, son pouvoir juridictionnel en toute indépendance.

Les décisions qu'il rend en matière de pratiques restrictives de la concurrence sont de nature juridictionnelle.

15. Les travaux préparatoires de l'article 75 de la loi sur la protection de la concurrence économique précisent que la cour d'appel, saisie du recours prévu à cette disposition, peut substituer entièrement son appréciation à celle du Conseil de la concurrence et peut non seulement annuler mais aussi réformer la décision faisant l'objet de l'appel et rendre une décision remplaçant la décision attaquée.

Le pouvoir de pleine juridiction dont elle est investie implique que, dans la mesure de sa saisine, la cour d'appel statue, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel au sens de l'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire, sur toutes les questions de droit et de fait de la cause telle qu'elle a été examinée par le Conseil de la concurrence.

16. La saisine de la cour d'appel est limitée aux griefs ou éléments pris en considération dans le rapport motivé de l'auditeur et examinés par le Conseil de la concurrence.

En vertu des articles 45, § 4, et 48, § 4, de la loi sur la protection de la concurrence économique, le Conseil de la concurrence ne peut statuer que sur les griefs qui sont pris en considération dans le rapport motivé de l'auditeur et sur la base des seuls éléments pris en considération dans ce rapport.

La cour d'appel n'a pas la qualité d'une autorité de concurrence. Elle est une instance de recours judiciaire qui doit examiner si les éléments pris en considération par l'auditeur constituent une pratique restrictive de concurrence et si les griefs qu'il a formulés sont établis.

Elle ne peut, dès lors, statuer sur des griefs ou éléments sur lesquels le Conseil de la concurrence ne s'est pas prononcé.

Les développements survenus depuis la décision attaquée du Conseil de la concurrence, que la cour d'appel peut prendre en considération suivant l'article 75, alinéa 2, précité, n'ont d'autre but que d'éclairer les griefs et éléments sur lesquels le Conseil de la concurrence s'est prononcé.

17. L'article 76, § 2, alinéa 8, de la loi sur la protection de la concurrence économique dispose que la cour d'appel peut demander à l'auditorat près le Conseil de la concurrence de procéder à une instruction et de lui communiquer son rapport et que, dans ce cas, l'auditorat dispose des pouvoirs d'instruction prévus à l'article 44 composant la Section 1ère du Chapitre IV.

Il ressort cependant de l'économie de la loi sur la protection de la concurrence économique que le rapport établi en ce cas par l'auditorat n'équivaut pas à un rapport complémentaire au sens de l'article 48, § 4 et 6, et ne peut contenir de nouveaux griefs.

En vertu de l'article 45, § 4, alinéa 1er, de la loi sur la protection de la concurrence économique, un rapport motivé est déposé au Conseil de la concurrence, comprenant le rapport d'instruction, les griefs et une proposition de décision.

En revanche, la cour d'appel ne reçoit communication que d'un rapport d'instruction en vertu de l'article 76, § 2, alinéa 8, précité.

En outre, l'article 76, § 2, alinéa 8, ne renvoie pas à l'article 48, § 4.

Il en résulte que la cour d'appel ne peut demander une instruction à l'auditorat à propos de griefs ou d'éléments nouveaux.

18. Il convient de répondre à la première question que l'article 75 de la loi sur la protection de la concurrence économique doit être interprété en ce sens que l'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire s'applique à un recours introduit contre une décision définitive du Conseil de la concurrence et que la cour d'appel doit, si elle en est requise par les parties, statuer sur tous les faits de la cause et dire s'ils constituent des pratiques restrictives, mais dans la mesure seulement où le Conseil de la concurrence a statué et dans le cadre des seuls griefs et éléments pris en considération par l'auditeur dans son rapport motivé et examinés par ce conseil.

Sur la deuxième question

19. En cas de réponse négative à la première question, la cour d'appel souhaite savoir si son pouvoir de pleine juridiction doit être entendu en ce sens qu'elle ne peut pas statuer sur les griefs ou éléments qui n'ont pas été pris en considération par l'auditeur dans son rapport final ou qu'elle ne peut statuer sur ceux-ci qu'à la condition qu'elle ait préalablement constaté que la décision de l'auditeur procède d'une erreur manifeste d'appréciation.

20. Compte tenu de la réponse à la première question, il convient de répondre à la deuxième question que le pouvoir de pleine juridiction de la cour d'appel doit être entendu en ce sens qu'elle ne peut pas statuer sur des griefs ou éléments qui n'ont pas été pris en considération par l'auditeur dans son rapport motivé et son éventuel rapport complémentaire.

Sur la troisième question

21. En cas de réponse négative à la première question, la cour d'appel souhaite savoir si son pouvoir de pleine juridiction doit être entendu en ce sens qu'elle ne peut statuer sur les griefs retenus par l'auditeur mais rejetés par le Conseil de la concurrence qu'à la condition d'avoir préalablement annulé la décision attaquée dans le cadre d'un recours objectif et pour autant que la nouvelle décision ne nécessite aucune marge d'appréciation.

22. Dans la mesure précisée en réponse à la première question, l'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire s'applique au recours introduit contre une décision définitive du Conseil de la concurrence.

Il en découle que la cour d'appel peut, en règle, statuer sur un grief pris en considération par l'auditeur mais rejeté par le Conseil de la concurrence sans devoir préalablement annuler la décision attaquée dans le cadre d'un recours objectif et même si la décision nouvelle nécessite une marge d'appréciation.

23. Toutefois, dès que le grief rejeté par le Conseil de la concurrence vise à faire constater une pratique restrictive de concurrence revêtant une dimension européenne, les dispositions du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne, devenus les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, doivent être prises en considération.

En vertu de l'article 35 de ce règlement, les Etats membres désignent l'autorité ou les autorités de concurrence compétentes pour appliquer les articles 101 et 102 du Traité de telle sorte que les dispositions de ce règlement soient effectivement respectées.

La cour d'appel n'est pas une autorité de concurrence au sens de l'article 35 du règlement n° 1/2003.

Elle ne peut, dès lors, pas sanctionner elle-même une pratique restrictive contraire aux articles 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne sur la base d'un grief rejeté par le Conseil de la concurrence. Elle ne dispose, à l'égard d'une décision du Conseil de la concurrence écartant une pratique restrictive de concurrence au sens des articles 101 ou 102 de ce traité, que d'une compétence d'annulation.

24. Il convient de répondre à la troisième question que le pouvoir de pleine juridiction de la cour d'appel doit être entendu en ce sens que cette cour peut, en règle, statuer sur un grief pris en considération par l'auditeur mais rejeté par le Conseil de la concurrence sans devoir annuler préalablement la décision attaquée dans le cadre d'un recours objectif et même si la décision nouvelle nécessite une marge d'appréciation, mais que, dès que la pratique supposée revêt une dimension européenne, la cour d'appel ne dispose à l'égard d'une décision du Conseil de la concurrence écartant une infraction aux articles 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que d'une compétence d'annulation.

Sur les dépens

25. La procédure n'entraîne pas de dépens taxables devant la Cour.

Par ces motifs,

La Cour

Dit pour droit que

Quant à la première question

L'article 75 de la loi sur la protection de la concurrence économique doit être interprété en ce sens que l'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire s'applique à un recours introduit contre une décision définitive du Conseil de la concurrence et que la cour d'appel doit, si elle en est requise par les parties, statuer sur tous les faits de la cause et dire s'ils constituent des pratiques restrictives, mais dans la mesure seulement où le Conseil de la concurrence a statué et dans le cadre des seuls griefs et éléments pris en considération par l'auditeur dans son rapport motivé et examinés par ce conseil.

Quant à la deuxième question

Le pouvoir de pleine juridiction de la cour d'appel doit être entendu en ce sens qu'elle ne peut pas statuer sur des griefs ou éléments qui n'ont pas été pris en considération par l'auditeur dans son rapport motivé et son éventuel rapport complémentaire.

Quant à la troisième question

Le pouvoir de pleine juridiction de la cour d'appel doit être entendu en ce sens que cette cour peut, en règle, statuer sur un grief pris en considération par l'auditeur mais rejeté par le Conseil de la concurrence sans devoir annuler préalablement la décision attaquée dans le cadre d'un recours objectif et même si la décision nouvelle nécessite une marge d'appréciation, mais que, dès que la pratique supposée revêt une dimension européenne, la cour d'appel ne dispose à l'égard d'une décision du Conseil de la concurrence écartant une infraction aux articles 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que d'une compétence d'annulation.

(...)


Note / Noot

Voyez l'article de E. de Lophem dans ce numéro, p. 236.