Article

Cour de cassation, 04/10/2013, R.D.C.-T.B.H., 2014/1, p. 72-75

Cour de cassation 4 octobre 2013

ARBITRAGE
Exequatur
Seule la partie contre laquelle l'exécution a été demandée peut former une tierce opposition à la décision d'exequatur de la sentence arbitrale.
ARBITRAGE
Exequatur
Enkel de partij tegen wie tenuitvoerlegging werd gevraagd kan derdenverzet instellen tegen de beslissing tot tenuitvoerlegging van een arbitraal vonnis.

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Siég.: A. Fettweis (président de section), M. Regout, M. Lemal, M.-Cl. Ernotte et S. Geubel (conseillers)
MP: A. Henkes (avocat général)
Pl.: Mes P.A. Foriers et H. Geinger
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 26 juin 2012 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 9 septembre 2013, l'avocat général A. Henkes a déposé des conclusions au greffe.

Le conseiller M. Lemal a fait rapport et l'avocat général A. Henkes a été entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse présente quatre moyens dont le deuxième est libellé dans les termes suivants

Dispositions légales violées

Articles 17, 1025, 1033, 1122 et 1712, § 1er, du Code judiciaire.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt dit les appels des défendeurs recevables et fondés et met le jugement du premier juge à néant, sauf en ce qu'il a dit les demandes recevables et liquidé les dépens. Statuant à nouveau pour le surplus, il met à néant l'ordonnance prononcée par le tribunal de première instance de Bruxelles en date du 26 avril 2007 et déclare la demande d'exequatur de la sentence arbitrale du 8 octobre 2001 recevable mais non fondée. Enfin, il dit l'appel de la demanderesse recevable mais non fondé et la condamne aux dépens des deux instances.

Ces décisions sont fondées sur l'ensemble des motifs de l'arrêt tenus pour être ici expressément reproduits, et plus particulièrement sur les motifs suivants :

« 4. La tierce opposition [du défendeur] et l'intervention volontaire de la [défenderesse] sont recevables.

L'appel incident de [la demanderesse] n'est pas fondé sur ce point.

En effet, toute personne qui n'a point été dûment appelée ou n'est pas intervenue à la cause en la même qualité peut former tierce opposition à une décision qui préjudicie ses droits et qui a été rendue par une juridiction civile (art. 1122 C. jud.).

L'ordonnance qui accorde l'exequatur de la sentence arbitrale est rendue sur requête unilatérale; il s'ensuit que [les défendeurs] ne sont pas parties à cette cause.

Dans la mesure où [les défendeurs] ont des obligations envers l'OTAN - qui invoque l'immunité -, [ils] peuvent être préjudiciés par l'exequatur dans la mesure où ils risquent de devoir exécuter leurs obligations envers l'OTAN sans qu'aucune retenue ne soit acceptée et que, lorsqu'ils s'inclinent devant la saisie-arrêt-exécution, ils doivent verser les fonds entre les mains de l'huissier instrumentant intervenant au nom du créancier, [la demanderesse].

S'il est exact que 'l'exécutoire n'est pas l'exécution', toujours est-il que 'l'exécutoire' sert de fondement pour l'exécution, à savoir l'invitation par l'huissier de justice adressée [aux défendeurs] de vider leurs mains en celles de l'huissier.

Lorsqu'ils ne s'opposent pas à l'ordonnance du 26 avril 2007, [les défendeurs] risquent donc de devoir payer deux fois.

Une action peut être admise lorsqu'elle a été intentée, même à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d'un droit gravement menacé (art. 18 C. jud.).

La constatation que les droits des opposants peuvent être lésés leur fournit, outre la qualité, aussi l'intérêt pour agir (art. 17 et 18 C. jud.).

Cet intérêt est né et actuel, il est direct.

Le fait que le prétendu débiteur (l'OTAN) ait ou non contesté la mesure querellée n'est pas de nature à pouvoir restreindre les droits des tiers.

La tierce opposition est recevable dès que la position de l'opposant peut être menacée par la décision critiquée (comp. Cass., 21 mars 2003). Tel qu'en l'espèce, un préjudice éventuel suffit.

Contrairement à ce que soutient [la demanderesse], les articles 1711 et 1712 du Code judiciaire ne constituent pas une 'lex specialis derogat legi generali'.

Ces articles règlent les recours (ordinaires) des parties à l'arbitrage.

Ces articles ne limitent pas les droits des tiers de former tierce opposition (recours extraordinaire). »

Griefs

1. Selon l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former.

2. Selon l'article 1025 du Code judiciaire, sauf dans les cas où il y est formellement dérogé par la loi, les procédures sur requête - c'est-à-dire sur requête unilatérale - sont réglées ainsi qu'il est dit au Titre V du Livre II du Code judiciaire, lequel comprend notamment l'article 1033 de ce code.

3. Selon l'article 1033 du Code judiciaire, toute personne qui n'est pas intervenue à la cause, en la même qualité, peut former opposition à la décision qui préjudicie à ses droits.

4. Selon l'article 1122, alinéa 1er, du Code judiciaire, toute personne qui n'a point été dûment appelée ou n'est pas intervenue à la cause en la même qualité peut former tierce opposition à la décision, même provisoire, qui préjudicie ses droits et qui a été rendue par une juridiction civile ou par une juridiction répressive en tant que celle-ci statue sur les intérêts civils.

4. Selon l'article 1710, § 1er, du Code judiciaire, la sentence arbitrale ne peut faire l'objet d'une exécution forcée qu'après avoir été revêtue de la formule exécutoire par le président du tribunal de première instance sur requête présentée par la partie intéressée, sans que la partie contre laquelle l'exécution est demandée puisse, en cet état de la procédure, prétendre présenter des observations.

Il résulte de cette disposition que l'exequatur d'une sentence arbitrale est accordé sur requête unilatérale.

5. Selon l'article 1712, § 1er, du Code judiciaire, la décision par laquelle la sentence a été revêtue de la formule exécutoire doit être signifiée par la partie qui l'a requise à l'autre partie. Elle est susceptible d'opposition devant le tribunal de première instance dans le délai d'un mois à partir de la signification.

6. Il résulte de ces dispositions que, par dérogation aux articles 1033 et 1122 du Code judiciaire, l'article 1712, § 1er, de ce code réserve à la partie à la procédure arbitrale contre qui la sentence arbitrale a été rendue la qualité requise pour former tierce opposition à l'encontre de l'ordonnance accordant l'exequatur de cette ordonnance.

7. Par les motifs reproduits en tête du moyen, l'arrêt décide que l'article 1712 du Code judiciaire ne constitue pas une lex specialis, de sorte que, conformément au droit commun des articles 17 et 1122 du Code judiciaire, tout tiers subissant un préjudice même éventuel de l'ordonnance accordant l'exequatur à une sentence arbitrale jouit de la qualité requise pour former tierce opposition contre celle-ci. Il déclare, par conséquent, recevables les tierces oppositions formées par les défendeurs contre l'ordonnance du 26 avril 2007.

8. En statuant ainsi, l'arrêt méconnaît la nature de l'opposition introduite contre une ordonnance accordant l'exequatur à une sentence arbitrale, qui constitue une action attitrée réservée aux parties à la procédure arbitrale (violation de toutes les dispositions visées en tête du moyen et spécialement de l'art. 1712, § 1er, du Code judiciaire).

III. La décision de la Cour
Sur le deuxième moyen

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par les défendeurs et déduite de ce que, dans le premier moyen, la demanderesse a admis que les dispositions dont la violation est invoquée sont applicables à la tierce opposition formée par les défendeurs:

La circonstance que, dans un moyen, le demandeur en cassation invoque la violation de dispositions légales particulières ne le prive pas du droit de soutenir, dans un moyen distinct, que ces dispositions n'étaient pas applicables au litige.

La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen

Aux termes de l'article 1710, § 1er, du Code judiciaire, applicable au litige, la sentence arbitrale ne peut faire l'objet d'une exécution forcée qu'après avoir été revêtue de la formule exécutoire par le président du tribunal de première instance, sur requête présentée par la partie intéressée, sans que la partie contre laquelle l'exécution est demandée puisse, en cet état de la procédure, prétendre présenter des observations.

Suivant l'article 1712, § 1er, de ce code, applicable au litige, la décision par laquelle la sentence a été revêtue de la formule exécutoire doit être signifiée par la partie qui l'a requise à l'autre partie et est susceptible d'opposition devant le tribunal de première instance dans le délai d'un mois à partir de cette signification.

Il suit de ces dispositions que, par dérogation aux articles 1033 et 1122 du Code judiciaire, seule la partie contre laquelle l'exécution a été demandée peut former une tierce opposition à la décision d'exequatur de la sentence arbitrale.

L'arrêt constate que la sentence arbitrale a été rendue en cause de la demanderesse et de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, que la demanderesse a demandé l'exequatur de cette sentence au président du tribunal de première instance de Bruxelles, que ladite sentence a été rendue exécutoire par ordonnance du 26 avril 2007, que la demanderesse a fait procéder à l'exécution forcée de cette sentence par le biais de saisies-arrêts-exécution pratiquées entre les mains des défendeurs et que ceux-ci ont formé tierce opposition à l'ordonnance du 26 avril 2007.

L'arrêt, qui considère qu'en vertu de l'article 1122 du Code judiciaire, les défendeurs, qui ne sont pas partie à la procédure arbitrale, ont qualité pour former une tierce opposition à l'ordonnance accordant l'exequatur de la sentence arbitrale, ne justifie pas légalement sa décision de déclarer recevables les tierces oppositions des défendeurs.

Le moyen est fondé.

Sur les autres griefs

Il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en ce qu'il déclare recevables les appels des défendeurs;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.

(...)


Conclusion / Conclusie
Conclusions de l'avocat général Henkes
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 26 juin 2012 par la cour d'appel de Bruxelles (2011/AR/558).

Rapporteur: M. le conseiller M. Lemal.

II. Examens des moyens
A. Présentation

1. A l'appui de son pourvoi, la demanderesse invoque quatre moyens.

Le troisième moyen est fondé et la cassation de la décision attaquée est, sous réserve de la recevabilité des appels des défendeurs, totale, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

2. En substance, ce moyen fait valoir que:

« 6. Par les motifs reproduits en tête du moyen, l'arrêt attaqué décide qu'en vertu de la primauté des normes du droit international sur les normes du droit interne, les dispositions conventionnelles précitées doivent prévaloir sur l'article 1710 du Code judiciaire. Il en déduit que la formule exécutoire ne peut être apposée sur la sentence arbitrale du 26 avril 2007 car ceci constituerait une mesure d'exécution illégale, contraire à l'immunité d'exécution de l'OTAN. Il ajoute que les motifs de refus de l'exequatur prévus à l'article 1710, § 3, du Code judiciaire ne sont applicables qu'au recours de la partie contre laquelle l'exécution est demandée (soit l'OTAN) et non aux recours exercés par les tiers (soit les défendeurs).

7. Ce faisant, l'arrêt attaqué:

a) qualifie illégalement de mesure d'exécution la simple apposition de la formule exécutoire sur une sentence arbitrale (violation de l'art. 1710 C. jud., spécialement son § 1er);

b) décide illégalement que les tiers autres que la partie contre laquelle l'exécution est demandée peuvent invoquer des motifs de refus de l'exequatur autres que ceux visés à l'article 1710, § 3, du Code judiciaire (violation de l'art. 1710 C. jud., spécialement son § 3);

c) décide illégalement que l'immunité d'exécution de l'OTAN s'oppose à l'apposition de la formule exécutoire sur une sentence arbitrale rendue à charge de l'OTAN (violation des art. II, V et VI de la Convention d'Ottawa et de l'art. X, § 2, du Protocole de Paris, ainsi que, en tant que de besoin, de leurs lois d'approbation);

d) en l'absence de toute contradiction en l'espèce entre les normes du droit international conventionnel et les normes du droit interne, puisque les dispositions précitées de la Convention d'Ottawa et du Protocole de Paris ne s'opposent pas à l'apposition de la formule exécutoire sur une sentence arbitrale rendue à charge de l'OTAN, fait une fausse application du principe général du droit relatif à la primauté des normes de droit international conventionnel dotées d'un effet direct sur les normes du droit interne (violation dudit principe général du droit). »

3. Ces griefs reposent sur la considération clé que « l'apposition de la formule exécutoire sur une sentence arbitrale constitue une condition préalable à son exécution. Elle ne constitue cependant pas, en tant que telle, une mesure de contrainte contraire à l'immunité d'exécution dont jouissent l'OTAN et ses quartiers généraux interalliés ».

B. Discussion

4. C'est à bon escient que la demanderesse, dans les développements de ce moyen, rappelle que la meilleure doctrine enseigne que l'exequatur constitue uniquement un préalable à l'exécution et non une mesure d'exécution proprement dite.

Se sont ainsi prononcés en ce sens, M. le doyen G. de Leval, Traité des saisies. Règles générales, Liège, Faculté de droit de Liège, 1988, n° 244, 2, pp. 490 et s., avec les références y citées ; les professeurs F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, 3e édition, Bruxelles, Larcier, 2005, n° 10.14, p. 430; P. Moreau, « De l'exequatur et des causes de préférence », Act. dr., 1995, pp. 395 et s., sp. pp. 398 et 403; C. Tubeuf, « L'efficacité internationale des décisions dans l'espace judiciaire européen », R.D.C., 2001, p. 605; J. Verhoeven, « Immunités et exequatur », J.T., 1994, p. 792; M.-L. Niboyet et G. de Gouffre de la Pradelle, Droit international privé, n° 549.

La Cour de cassation de France, dans des conditions légales similaires, en a explicitement décidé de même dans son arrêt du 11 juin 1991 (Cass. fr. (ch. civ. 1), 11 juin 1991, Bull., 1991, n° 193, p. 127; comp. Cass., 29 mars 1973, Pas. et Bull., 1973, I, 725).

5. L'arrêt attaqué constate que la sentence arbitrale a été rendue en cause de la demanderesse et de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, que la demanderesse a demandé l'exequatur de cette sentence au président du tribunal de première instance de Bruxelles, que ladite sentence a été rendue exécutoire par ordonnance du 26 avril 2007, que la demanderesse a fait procéder à l'exécution forcée de cette sentence par le biais de saisies-arrêts-exécution pratiquées entre les mains des défendeurs et que les défendeurs ont formé tierce opposition à l'ordonnance du 26 avril 2007.

6. L'arrêt attaqué, qui considère que « l'immunité d'exécution prévue à l'article 6 de la Convention d'Ottawa [...] prévaut [...] sur les articles 1710, alinéa 1er et alinéa 2, du Code judiciaire » et que « l'immunité d'exécution [de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord] a pour effet que toute mesure d'exécution est illégale en ce compris tout jugement ou ordonnance qui rend exécutoire la sentence arbitrale », ne justifie pas légalement sa décision de mettre à néant l'ordonnance du 26 avril 2007 et de déclarer la demande d'exequatur de la sentence arbitrale du 8 octobre 2001 non fondée.

III. Conclusion

Cassation de l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il déclare recevable les appels des défendeurs.

Conclusions de l'avocat général Henkes
Observations / Noot

Voy. dans le même sens G. de Leval, Traité des saisies. Règles générales, Liège, Faculté de droit de Liège, 1988, n° 246, C, 2 et la note n° 2175, pp. 500 et s.; comp. également, à propos de la qualité d'un tiers pour agir en annulation d'une sentence arbitrale, Cass., 29 janvier 1993, R.C.J.B., 1994, p. 647, note J. Van Compernolle.