Article

Cour d'appel Mons, 16/04/2012, R.D.C.-T.B.H., 2013/7, p. 650-655

Cour d'appel de Mons 16 avril 2012

SOCIETE ANONYME
Capital - Maintien - Assistance financière de la part de la société cible (art. 329 CS) - Descente de la dette prohibée (non) - Conformité à l'intérêt social
Une opération de descente de la dette prenant la forme de la souscription par une société cible d'un crédit garanti notamment par une mise en gage de son fonds de commerce, en vue de distribuer à la société qui a acquis ses parts sociales, un dividende régulièrement décrété permettant ainsi à cette société acquéreuse de rembourser le crédit à court terme qu'elle avait elle-même contracté pour réaliser cette acquisition, n'est pas prohibée par l'article 128ter des lois coordonnées sur les sociétés commerciales.
Une telle opération n'est par ailleurs pas nécessairement contraire à l'intérêt de la société cible.
NAAMLOZE VENNOOTSCHAP
Kapitaal - Instandhouding - Financiële bijstand vanwege de doelvennootschap (art. 329 W.Venn.) - Verboden “schuldverlaging” (nee) - Niet strijdig met het belang van de doelvennootschap
Een “schuldverlagingstransactie” (“debt push down”) in de vorm van het aangaan van een onder meer door een pand op de handelszaak gewaarborgde lening door een doelvennootschap om aan de vennootschap die haar aandelen verworven heeft een regelmatig vastgelegd dividend uit te keren, dat aan deze verwervende vennootschap toelaat de lening die ze zelf was aangegaan om deze verwerving te financieren op korte termijn terug te betalen, is niet verboden overeenkomstig artikel 128ter van de gecoördineerde wetten op de handelsvennootschappen.
Dit soort transactie is overigens niet noodzakelijk in strijd met het belang van de doelvennootschap.

SA Fortis Banque / I.V. et B.M.T.

Siég.: M. Levecque, J. Matagne et C. Knoops (conseillers)
Pl.: Mes S. Van Ommeslaghe, B. Castaigne et A. Gillain, V. Dusaucy

Vu, régulièrement produites, les pièces de la procédure prévue par la loi, notamment:

- la requête d'appel, déposée le 2 avril 2010 au greffe de la cour d'appel de Mons, dûment notifiée;

- la copie certifiée conforme des jugements entrepris, rendus contradictoirement par la 2ème chambre du tribunal de première instance de Charleroi (rôle général 04/1328/A),

* le 16 décembre 2009, signifié par exploit du 5 mars 2010;

* le 14 mai 2008, dont il n'est pas produit d'exploit de signification;

- les conclusions et dossiers des parties;

Les faits de la cause et les antécédents de la procédure

M. I. et son beau-frère, M. B., ont constitué ensemble, le 2 avril 1993, la SPRL Building Consulting and Management, ci-après BCM.

BCM était la propriétaire d'un immeuble de rapport situé à Marcinelle, (...), financé par un crédit consenti par la banque Bacob, et grevé d'une hypothèque en premier rang à son profit.

Après diverses tractations, auxquelles a participé activement la SA Générale de Banque, devenue Fortis Banque, qui a été rémunérée pour ses prestations dans ce cadre, BCM a acquis, par convention du 31 mars 1995, la totalité des parts sociales de la SPRL Entreprises René Robert Charles, active dans le secteur de la construction, pour la somme de 10.000.000 FB, soit 90.909 FB, à Mme Charles payés immédiatement et 9.909.091 FB à M. Charles, payables de la façon suivante:

- 5.909.091 FB au plus tard le 30 avril 1995;

- 1.000.000 FB le 30 juin 1995;

- 1.000.000 FB le 29 décembre 1995;

- 2.000.000 FB, majorés d'un intérêt de 7% l'an, le 30 septembre 1996.

Cette convention prévoit, au dernier alinéa de l'article 3, que M. I. et Mme B. s'engagent, par un acte sous seing privé y annexé, à cautionner solidairement et indivisiblement les engagements de BCM résultant de cette convention, ce qui a été fait.

La SA Générale de Banque a consenti à BCM, parallèlement, par convention du 4 avril 1995, un crédit de 6.000.000 FB par avance de fonds à terme déterminé, pour une durée de 6 mois maximum.

Ce crédit était garanti par

- l'immeuble appartenant à M. I. et Mme B., sis à Marcinelle, (...);

- la mise en gage des parts sociales de la SPRL Entreprises René Robert Charles;

- la caution solidaire et indivisible à concurrence de 6.000.000 FB de M. I. et Mme B.

En conséquence, ceux-ci, par acte du 7 avril 1995, se sont portés cautions solidaires et indivisibles, “tant entre eux qu'avec la SPRL BCM” de “toutes sommes généralement quelconques dont le débiteur principal (BCM) serait ou deviendrait redevable envers la Générale de Banque”, leur engagement ne pouvant excéder la somme en principal de 6.000.000 FB.

La SPRL Entreprises René Robert Charles avait, de longue date avant la cession, un crédit par avances de fonds en compte n° (…) de 1.000.000 FB, cautionné par M. et Mme Robert.

Après la cession, le 21 avril 1995, M. I. et Mme B. ont également cautionné ce crédit, qui était garanti en outre par la mise en gage du fonds de commerce de la SPRL Entreprises René Robert Charles.

Ce crédit a été réduit à 200.000 FB, dans le même temps que la SA Générale de Banque consentait, le 2 juillet 1996, à la SPRL Entreprises René Robert Charles, un crédit d'investissement de 6.000.000 FB (ou 148.736,11 EUR), devant servir “par première utilisation, à rembourser le crédit de 6.000.000 FB (…) accordé à la SPRL BCM échéant le 15 juillet 1996”, moyennant plusieurs sûretés (inscription hypothécaire en 3ème rang sur l'immeuble de M. I. et Mme B., majoration de 1.000.000 FB à 6.200.000 FB de leur cautionnement, mise en gage en 2ème rang du fonds de commerce exploité par la SPRL Entreprises René Robert Charles et cautionnement solidaire et indivisible de BCM, à concurrence de 6.000.000 FB). Il est stipulé que le compte au sein duquel ce crédit serait utilisé constituerait un compte distinct des autres comptes de la SPRL Entreprises René Robert Charles, en dérogation au règlement des ouvertures de crédit.

C'est ce crédit d'investissement consenti à la SPRL Entreprises René Robert Charles qui est au centre du litige.

BCM a signé un acte de cautionnement le 9 août 1996, pour toutes sommes dont la SPRL Entreprises René Robert Charles serait redevable envers la banque, à concurrence de 6.000.000 FB.

Le cautionnement pour toutes sommes dues par la SPRL Entreprises René Robert Charles de M. I. et Mme B. a, partant, été porté à 6.200.000 FB par acte du 5 juillet 1996 et une inscription hypothécaire a été prise sur leur immeuble pour la somme de 5.000.000 FB, en principal, outre les intérêts et 500.000 FB d'accessoires.

A la suite de la conclusion d'autres contrats de crédit, consentis à la SPRL Entreprises René Robert Charles, leur cautionnement “pour toutes sommes” a été porté, le 10 octobre 1996, à la somme de 6.928.000 FB, puis le 20 mai 2003, à celle de 330.000 EUR.

Le 24 mai 2003, ils écrivaient à la banque qu'ils s'engageaient irrévocablement à injecter une partie du produit de la vente, en cours, de l'immeuble dont ils étaient les propriétaires au Lido di Camaiore (minimum 250.000 EUR) dans la SPRL Entreprises René Robert Charles.

A la date à laquelle les crédits consentis à la SPRL Entreprises René Robert Charles ont été dénoncés, le 18 décembre 2003, ils s'élevaient à 738.286,41 EUR.

Le même jour, la banque a mis les cautions en demeure d'exécuter leur engagement,

- BCM, à concurrence de 148.736,11 EUR en principal;

- M. I. et Mme B., pour 330.000 EUR, en principal.

Aux termes de l'exploit de citation du 3 mai 2004, introductif de la première instance, la SA Fortis Banque demandait, partant, la condamnation solidaire de M. I. et de Mme B., par un jugement exécutoire par provision, même en cas de recours et sans caution, ni cantonnement, à lui payer la somme de 330.000 EUR, avec les intérêts moratoires au taux de 12,70% à dater du 18 décembre 2003, jusqu'à parfait paiement et ses dépens.

La SPRL Entreprises René Robert Charles et la SPRL BCM ont été déclarées en faillite par jugement du tribunal de commerce de Dinant du 27 avril 2004.

Les demandes de décharge introduites par les cautions, Mme B. et M. I. ont été déclarées non fondée pour la première et irrecevable pour le second, par jugements de ce tribunal du 20 novembre 2007.

La SA Fortis Banque a réduit sa demande à l'égard de Mme B. à la somme en principal de 171.740,63 EUR après que M. I. ait fait l'objet d'une condamnation pour faux et usage de faux par la 6ème chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Charleroi, pour avoir imité la signature de son épouse, sur l'engagement de caution solidaire et indivisible consenti le 20 mai 2003, portant son engagement antérieur de 171.740,63 EUR à 330.000 EUR.

Par un premier jugement rendu le 14 mai 2008, le premier juge a rouvert les débats aux fins que les parties l'informent plus amplement sur la destination des fonds faisant l'objet du crédit consenti le 2 juillet 1996 à la SPRL Entreprises René Robert Charles, dont il a été dit à l'époque où il l'a été souscrit qu'il était destiné au “remboursement crédit de 6.000.000 FB ouvert auprès de la Générale de Banque à la SPRL Building Consulting Management”, la SA Fortis Banque étant invitée à produire l'historique du compte relatif au crédit de 6.000.000 FB accordé le 4 avril 1995 à la SPRL Building Consulting Management.

Aux termes du jugement qu'il a rendu le 16 décembre 2009, le premier juge a dit que:

- la créance que possédait la SA Fortis Banque sur la SPRL Building Consulting Management, avait pour origine le cautionnement consenti le 9 août 1996 par cette société en garantie des engagements de SPRL Entreprises René Robert Charles, pris dans le cadre du crédit qu'elle avait souscrit le 2 juillet 1996, grâce auquel le crédit du 4 avril 1995 avait dû être logiquement remboursé;

- l'opération de rachat des actions de la SPRL Entreprises René Robert Charles par la SPRL Building Consulting Management était une façade derrière laquelle se dissimulait le financement par la première du rachat de ses propres actions, en violation des dispositions de l'article 128ter des lois coordonnées sur les sociétés commerciales;

- les actes “à caractère financier” liant les parties trouvaient leur origine dans cette opération nulle et étaient partant, aussi nuls.

Il a, dès lors, dit la demande recevable, mais non fondée, en a débouté la SA Fortis Banque et l'a condamnée aux dépens des défendeurs, liquidés à 7.000 EUR pour M. I. et 5.000 EUR pour Mme B.

La recevabilité de l'appel et la procédure devant la cour

Régulier en la forme et interjeté dans le délai légal, l'appel est recevable.

Le fondement de l'appel

L'appelante fait grief au premier juge d'avoir fait une application inexacte tant en fait qu'en droit de l'article 128ter, § 1er des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, devenu l'article 329 du Code des sociétés, libellé comme suit, au moment des faits:

“Une société à responsabilité limitée ne peut avancer des fonds, ni accorder des prêts, ni donner des sûretés en vue de l'acquisition de ses parts par un tiers ou en vue de l'acquisition ou de la souscription par un tiers de certificats se rapportant à ses parts.”

Les intimés ont opposé à la demande une exception tirée de l'illicéité, et partant, de la nullité, de l'ensemble de l'opération de financement basée, disent-ils, sur la violation de la prohibition de l'assistance financière par une société à l'acquisition de ses propres actions par un tiers avec, par voie de conséquence, la nullité des actes de cautionnement qui en sont l'accessoire.

En vertu de l'article 1131 du Code civil, “L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet.”

Pour apprécier l'éventuelle cause illicite du crédit litigieux, consenti le 2 juillet 1996 par la banque à la SPRL Entreprises René Robert Charles, il s'impose de vérifier si l'utilisation qui a été faite des fonds prêtés contrevient à la règle, d'ordre public, de l'article 329 du Code des sociétés, sanctionnée pénalement, qui doit s'interpréter restrictivement, dans le respect de la ratio legis qui est de protéger l'intégrité du capital social, en évitant le déplacement du risque d'insolvabilité de l'acquéreur vers la société “cible”.

Le capital constitue un chiffre abstrait, mentionné au passif du bilan, au-dessous duquel les actionnaires s'interdisent de ramener l'actif social net par des distributions qu'ils réaliseraient à leur propre profit. Cette institution joue un rôle de protection des tiers et consacre la prééminence des créanciers sur les actionnaires dans le cas où l'actif social net deviendrait inférieur au chiffre que représente le capital social, augmenté des réserves rendues indisponibles par la loi ou les statuts (Van Ommeslaghe, P., “Le maintien du capital”, Ann.dr.Louvain 1985, pp. 151 à 153).

L'interdiction d'assistance financière à l'achat d'actions propres ressortit aux restrictions imposées à la restitution du capital apporté et à la subordination du capital aux dettes en cas d'insolvabilité. L'octroi par une société d'un prêt qui sert à financer l'achat de ses actions, s'apparente, en effet, en cas d'irrécouvrabilité du prêt, à une forme de restitution de capital à l'actionnaire vendeur qui recouvre définitivement sa mise et, comme tel, porte atteinte à l'intégrité du patrimoine et en cas de faillite, porte atteinte à la priorité de rang des créanciers sur les actionnaires (Herinckx, Y., “Les financements d'acquisitions d'entreprises: descente de dettes et assistance financière” in La banque dans la vie de l'entreprise, sous la direction de M. J.-P. Buyle, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 2005, pp. 299 et 300).

Eu égard aux termes de cette disposition, de stricte interprétation, sont seules prohibées les opérations d'avances de fonds, de prêts et de sûretés en vue de l'acquisition par un tiers des titres concernés (Nelissen Grade, J.-M., “Le crédit bancaire et le droit des sociétés” in Le crédit aux entreprises, aux collectivités publiques et aux particuliers, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 2002, spéc. p. 394, n° 44).

La formulation relativement large de l'article 329 du Code des sociétés qui prohibe les prêts ou suretés “en vue de” l'acquisition des actions implique qu'il s'applique non seulement aux financements et sûretés concomitants à l'acquisition des actions, mais également aux refinancements ultérieurs, s'ils étaient prévus dès l'origine en vue de faciliter le financement de l'acquisition (Tilquin, T. et Prioux, R. “Management buy-outs et leveraged management buy-outs. Considérations de droit des sociétés et de droit fiscal”, Rev.banque 1989, p. 204, n° 33).

Le crédit consenti à BCM était certes un crédit à court terme (6 mois maximum).

Même si cet élément implique que BCM devait trouver rapidement une solution pour le rembourser, il ne s'en déduit pas nécessairement que, dès l'origine, il avait été convenu que ce crédit serait remboursé par des fonds en provenance de la SPRL Entreprises René Robert Charles.

Les documents produits ne permettent pas de l'établir, même si cette hypothèse apparaît la plus plausible, au regard de la suite des événements.

Le crédit d'investissement de 6.000.000 FB, intervenu le 2 juillet 1996 entre la banque et la SPRL Entreprises René Robert Charles indique certes, comme but, ce qui suit:

“remboursement crédit de 6.000.000 FB ouvert auprès de la GENERALE DE BANQUE à la SPRL BUILDING CONSULTING AND MANAGEMENT”.

L'usage fait des fonds par la SPRL Entreprises René Robert Charles, dont M. I. était le gérant, n'a pas été celui-là.

Si la banque a finalement obtenu le remboursement des sommes avancées à BCM, c'est de BCM et pas de la SPRL Entreprises René Robert Charles.

La somme de 6.000.000 FB, faisant l'objet de ce crédit, a en effet été utilisée par la SPRL Entreprises René Robert Charles, non pas pour rembourser le crédit consenti à son actionnaire BCM pour financer l'achat des actions, mais bien pour financer une distribution de dividendes, dont la légalité n'est pas en soi remise en cause, lesquels ont permis à BCM de rembourser l'avance qui lui avait été consentie pour acheter les actions de la SPRL Entreprises René Robert Charles.

La banque a donc effectivement été remboursée de ce crédit, grâce à la distribution de dividendes, rendue possible par le crédit litigieux.

A la lumière de l'exécution donnée par la SPRL Entreprises René Robert Charles au contrat de crédit litigieux, et de la façon dont elle a utilisé les fonds, ainsi que du remboursement du crédit initial par BCM, il n'est pas douteux que, nonobstant les termes apparemment clairs de la clause susdite, l'intention des parties a été de donner à celle-ci une portée différente et que ce n'est que par un raccourci malencontreux de l'opération mise en place qu'il a été stipulé que le but du crédit était le remboursement du crédit de 6.000.000 FB - ouvert auprès de la banque à BCM.

Il résulte des comptes annuels relatifs à l'exercice du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1996, dûment approuvés, qu'une somme de 6.000.000 FB, a été prélevée sur les capitaux propres et a servi à rémunérer le capital. Cette somme a été inscrite en code 75 à l'actif du bilan de BCM, pour l'exercice du 1er avril 1996 au 31 mars 1997.

Contrairement à ce qu'a soutenu Mme B., le bilan de la SPRL René Robert Charles lui a été communiqué: ce document figure en pièce 2 de la sous-farde 4 du dossier de l'appelante et est mentionné à l'inventaire annexé à ses conclusions et à ses conclusions de synthèse.

Dès lors qu'il est acquis que le but voulu par les parties n'est pas réellement celui qu'elles ont indiqué au contrat, la foi due aux actes n'interdit pas de l'interpréter pour tenir compte de leur volonté réelle.

L'article 329 du Code des sociétés ne s'oppose, ni à la mise en gage des actions acquises, pour garantir le financement d'une acquisition d'actions (Gand 10 janvier 2008, TRV, 2008/4, pp. 307-311; “L'assistance financière: vers une autorisation conditionnelle”, obs. sous un résumé du même arrêt, IDSC, 11ème éd., 2009, Livre 16, p. 253, n° 680), ni à l'octroi de sûretés pour un emprunt visant à financer une distribution de dividendes, même lorsque ceci a lieu dans le cadre d'une acquisition d'actions et en vue de faciliter celle-ci (Herinckx, Y., o.c., p. 298).

Il ne s'oppose pas non plus à la conclusion d'un emprunt, en vue de financer la distribution d'un dividende, dans les mesures des bénéfices distribuables, l'article 329 interdisant à la société acquise d'octroyer un prêt en tant que prêteur, mais ne l'empêchant pas de conclure un emprunt en tant qu'emprunteur (Hellemans, F. et Tas, R., “De financiering door de NV van een verkrijging van haar aandelen door derden - de management by out” in De NV in de praktijk, p. 29).

Le fait que la distribution de dividendes a permis à BCM de rembourser son crédit est sans incidence sur la validité de l'opération de crédit.

Surabondamment, M. I., qui était le gérant des deux sociétés et était donc parfaitement au courant de l'opération, actée aux bilans de l'une et de l'autre, soutient à tort que le “scénario présenté par la Fortis Banque” est invraisemblable.

La cour ne peut déduire de la tardiveté de l'approbation des comptes de BCM et de la SPRL René Robert Charles, aucune conséquence à cet égard.

Le “scénario” correspond au contraire parfaitement à l'opération, telle qu'elle a été actée dans les bilans et est conforme à l'intérêt des vendeurs des actions d'éviter la taxation des éventuelles plus-values que pouvait faire apparaître la cession et des acquéreurs de faire redescendre, au terme d'un an après la cession, la plus grande partie de la dette au niveau de l'entreprise, en lui faisant supporter un endettement plus élevé qu'auparavant, les intérêts du financement étant fiscalement déductibles des bénéfices d'exploitation, le dividende distribué étant exonéré de précompte.

La distribution d'un dividende, financé par un emprunt, est une façon simple et conforme à l'article 329 du Code des sociétés de réaliser une descente de dettes. Un nouvel emprunt est pris au niveau de la société et son actionnaire rembourse à l'aide du dividende reçu le crédit qu'il avait contracté pour financer le prix d'achat des actions. Lorsque le nouvel actionnaire est une société belge, le dividende peut bénéficier d'une exonération de précompte mobilier si, comme en l'espèce, il détient une participation d'au moins 20% pendant au moins un an (Herinckx, o.c., p. 308).

L'impôt sur le résultat s'est élevé à la somme de 90.000 FB, pour un bénéfice courant avant impôt de 4.049.530 FB.

Le bilan de BCM pour l'exercice couvrant la période du 1er avril 1996 au 31 mars 1997, et les chiffres de l'exercice précédent, révèlent que l'avance de fonds consentie à BCM, le 4 avril 1995, qui était reprise en code 42, a été remboursée durant cet exercice.

Les opérations de descente de dettes, et le soutien qu'une société peut apporter au financement de sa propre acquisition, doivent être examinées sous l'angle de l'intérêt social de la société, en premier lieu laissé à l'appréciation des administrateurs. L'intérêt des actionnaires en est une composante essentielle (Herinckx, Y., o.c., pp. 279 et 280).

S'il est en soi légitime pour une société de réduire ses fonds propres pour les transférer à ses actionnaires, notamment par la distribution de dividendes, l'usage abusif de ce droit peut être sanctionné.

Les intimés ne produisent cependant aucun élément pertinent, relativement à l'état des comptes de la SPRL Entreprises René Robert Charles, et à ses besoins raisonnables prévisibles de trésorerie, qui permette de considérer que l'opération de descente de dettes mise en oeuvre avec la collaboration de la banque, au moment où elle a été conçue et réalisée, privait, compte tenu des charges de l'endettement (intérêts et remboursements) qu'elle générait, la SPRL Entreprises René Robert Charles des moyens financiers nécessaires au financement normal de ses activités, et que le risque qu'elle ne puisse faire face au service de cette dette nouvelle était élevé.

Le fait que la SPRL Entreprises René Robert Charles, qui n'assumait lorsque le crédit de 6.000.000 FB lui a été consenti, aucune autre charge financière importante, est devenue insolvable et a été déclarée en faillite, en avril 2004, est à lui seul insuffisant pour démontrer que la souscription de ce crédit n'était pas raisonnable, au regard des moyens financiers dont elle disposait et des prévisions de développement des activités.

La cour doit constater que les parties, notamment les intimés, n'ont fourni aucune explication sur l'historique des deux sociétés et les causes de la faillite, autre que le rapport d'installation des commissaires au sursis de la SPRL Entreprises René Robert Charles, qui font état, notamment, de comptes courants débiteurs de BCM, à concurrence de 203.820,51 EUR en suite d'une avance de 284.356,53 EUR à BCM durant l'année qui a précédé le concordat (...) et de M. I., pour 36.023,13 EUR.

Les comptes annuels relatifs à l'exercice du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1996 de la SPRL Entreprises René Robert Charles révèlent en tous cas que l'activité était alors bénéficiaire, le bénéfice à affecter après impôt s'élevant à 275.683 FB, et que, nonobstant la distribution de dividendes, les capitaux propres s'élevaient à 5.989.425 EUR, en ce compris des réserves pour 3.077.309 EUR, dont 256.993 EUR de réserves disponibles et un bénéfice reporté de 712.116 FB.

Il se déduit de l'ensemble de ces considérations que c'est à tort que le premier juge a statué comme il l'a fait et que la demande de la banque est fondée, les montants réclamés n'étant en soi pas sujets à contestation.

Les intimés qui succombent, seront condamnés aux dépens des deux instances, l'indemnité de procédure étant fixée à l'indemnité de base, nonobstant la complexité du litige, les principes mis en jeu étant bien connus de l'appelante, professionnelle du crédit, qui dispose, en son sein, de services juridiques.

Le premier juge ayant vidé sa saisine le 16 décembre 2009, les indemnités de procédure afférentes à la première instance ne seront pas indexées.

Par ces motifs,

La cour,

Statuant contradictoirement, dans les limites de sa saisine,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire,

Reçoit l'appel,

Le dit fondé,

Met à néant le jugement du 16 décembre 2009 entrepris,

Réformant,

Dit la demande fondée,

Condamne solidairement et indivisiblement les intimés à exécuter leurs engagements de cautions à l'égard de l'appelante,

- M. I., à concurrence de la somme en principal de 330.000 EUR;

- Mme B., à concurrence de la somme en principal de 171.740,63 EUR,

avec les intérêts conventionnels au taux de 12,70% l'an, à partir du 18 décembre 2003 jusqu'à parfait paiement;

Les condamne solidairement aux dépens des deux instances, liquidés à la somme de 15.180,50 EUR (294,50 + 7.000 + 186 + 7.700).

(...)