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Actualité : Cour de cassation, 29/11/2012, R.D.C.-T.B.H., 2013/3, p. 210-211

Cour de cassation 29 novembre 2012

DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN ET INTERNATIONAL
Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 - Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale - Article 5, 3. du réglement (CE) n° 44/2001 - Compétence en matière délictuelle - Atteinte à la propriété industrielle
EUROPEES EN INTERNATIONAAL GERECHTELIJK RECHT
Verordening (EG) nr. 44/2000 van 22 december 2000 - Bevoegdheid, erkenning en tenuitvoerlegging van beslissingen in burgerlijke en handelszaken - Artikel 5, 3. van de verordening nr. 44/2001 - Bevoegdheid i.v.m. buitencontractuele aansprakelijkheid - Inbreuk aan de intellectuele eigendom

FC Port e.a. / Sporting Exchange e.a.

Aff.: C.10.0094.F

Dans un arrêt du 29 novembre 2012, la Cour de cassation a partiellement annulé l'arrêt de la cour d'appel de Liège du 30 juin 2009 concernant un litige qui oppose trois clubs de foot (FC Porto, PSV et Juventus) et trois joueurs à plusieurs sites Internet qui proposent des paris sportifs en ligne. Ce litige concerne l'utilisation sans autorisation, dans le cadre des paris en ligne, du nom, du nom commercial, des marques (communautaires, internationales et Benelux) ou encore de l'image des clubs et des personnes physiques demanderesses. Etant donné qu'aucune des sociétés défenderesses n'a son siège en Belgique, il appartenait aux juridictions belges de se pencher d'emblée sur la question de leur compétence internationale pour connaître de l'affaire. C'est principalement cet aspect du litige qui sera présenté ci-dessous.

La cour d'appel de Liège s'est déclarée incompétente pour connaître de la plupart des demandes. Tout d'abord, elle a constaté qu'aucune des sociétés défenderesses n'a été attraite devant son juge naturel, c'est-à-dire le juge du lieu de son siège. La compétence des juridictions belges ne pouvait donc pas être fondée sur l'article 2 du Règlement Bruxelles I.

Ensuite, elle a examiné sa compétence sur la base de l'article 5, 3. du Règlement Bruxelles I. Les demanderesses ont en effet soutenu, en invoquant l'arrêt de la Cour de justice du 7 mars 1995, C-68/93, Shevill, d'une part, que la Belgique est un des lieux de réalisation du dommage qu'elles ont subi et, d'autre part, que dans le cadre de leur action elles demandaient la réparation du seul dommage subi en Belgique.

La cour d'appel de Liège a admis que les sites litigieux des défenderesses sont accessibles au public belge et que des paris sur ces sites sont enregistrés en Belgique. Toutefois, tout en écartant l'applicabilité de la jurisprudence Shevill dans les cas des atteintes aux droits de personnalité et droits intellectuels commises au moyen de l'Internet, elle a estimé que les données propres à ces sites ne fondaient pas l'existence d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et la Belgique. à cet égard, elle a notamment relevé qu'aucun des sites en cause n'est hébergé en Belgique et ne vise en particulier le public belge, dans la mesure où ils n'ont pas d'extensions '.be' propres à la Belgique, que tous ces sites sont disponibles en plusieurs langues sans que s'y retrouvent systématiquement les deux langues les plus usitées en Belgique, qu'ils proposent des paris sur les matchs belges au même titre que sur les championnats étrangers, que les sociétés exploitant ces sites n'ont entrepris aucune démarche particulière démontrant une réelle politique de marketing à l'égard du public belge et que 'du point de vue des chiffres', le nombre de paris pris par le public belge sur ces sites est tout à fait marginal par rapport au nombre total de paris enregistrés. La cour d'appel a également tenu compte du fait qu'aucune des demanderesses n'est domiciliée en Belgique et n'y a une attache particulière. Elle a relevé que le fait qu'elles soient plus ou moins connues en Belgique ne suffisait pas pour considérer qu'elles y jouissent d'une réputation. En se fondant sur ces éléments, qui relèvent tous de la méthode dite de 'focalisation' [1], la cour d'appel a exclu la compétence internationale des juridictions belges sur la base de l'article 5, 3. du Règlement Bruxelles I.

Enfin, il est intéressant de préciser que la cour d'appel a reconnu sa compétence internationale pour connaître de la demande de l'un des clubs de foot, PSV NV, fondée sur la violation de sa marque Benelux mais a exclu cette compétence pour connaître des demandes de deux autres clubs, fondées sur les marques communautaire et internationale. Elle a considéré à cet égard, que la protection de ces marques s'étend à l'espace de l'Union européenne et que donc un litige concernant ces marques ne présente pas un lien particulièrement étroit avec la Belgique.

Les demanderesses ont introduit un pourvoi contre cet arrêt en faisant valoir, dans un premier moyen composé des deux branches, d'une part, la violation de l'article 5, 3. du Règlement Bruxelles I et, d'autre part, la violation des articles 93, 5. et 94, 2. du règlement (CE) 40/94 sur la marque communautaire.

La Cour de cassation a accueilli ce moyen en sa première branche et a constaté qu'il n'y avait pas lieu de se prononcer sur le deuxième. Elle s'est fondée sur l'interprétation donnée à l'article 5, 3. du Règlement Bruxelles I par la Cour de justice dans l'arrêt du 25 octobre 2011, C-509/09 et C-161/10, e-Date Advertising, adaptant les règles établies par la jurisprudence Shevill au contexte de l'Internet. Elle a retenu, notamment, qu'il ressortait de cet arrêt que, en cas d'atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet, la personne qui s'estime lésée a la faculté de saisir d'une action en responsabilité les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l'a été, si elle demande à ses juridictions de connaître du seul dommage cause sur le territoire de l'Etat membre de la juridiction saisie. à la méthode dite de focalisation, la Cour de cassation substitue donc le critère de l'accessibilité du site Internet.

[1] Voy. not. à ce propos V. Pironon, “Dits et non-dits sur la méthode de la focalisation dans le contentieux - contractuel et délictuel - du commerce électronique”, JDI, 2011/4, pp. 915 et s.