Nécessité n'a pas de loi? L'état de nécessité dans la jurisprudence commerciale et son actualité
TABLE DES MATIERES
I. L'état de nécessité § 1. Histoire de la notion
§ 2. Définition de l'état de nécessité
§ 3. Effets de l'état de nécessité A. La justification de la faute aquilienne
B. La justification de la méconnaissance d'une obligation contractuelle
C. La justification de la transgression de la loi
II. Conditions d'existence § 1. La situation de crise
§ 2. L'alternative inéluctable
§ 3. L''utilité sociale' de l'acte nécessaire
III. La place de l'état de nécessité dans la jurisprudence commerciale § 1. L'évolution du rôle du juge commercial
§ 2. Les 'nécessités' économiques dans la jurisprudence récente
“Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise.”
Jean Monnet (1888-1979) [2]
Introduction |
1.“La nécessité ne connaît pas de loi”, écrivait Saint Augustin [3]; elle est, disait Thalès “la chose la plus forte puisqu'il n'y a rien dont elle ne vienne à bout” [4].
La nécessité dont il est question dans la présente étude n'est pas celle du langage courant au sein duquel la nécessité revêt le caractère de ce qui est 'indispensable', ce qui est “exigé pour que quelque chose se produise, réussisse” [5].
En droit civil, l'acte nécessaire fait davantage appel à l'indulgence du droit. Il y est défini comme l'acte dommageable qui a pour but d'empêcher la réalisation d'un préjudice plus grave et qui s'en trouverait, de facto, justifié [6].
La présente contribution constate toutefois que la justification de la nécessité ne se limite pas à la règle interdisant de causer un dommage à autrui. Nous verrons que la théorie de l'état de nécessité est susceptible de concerner toute règle de droit. C'est qu'en réalité, l'état de nécessité se situe en quelque sorte 'hors du droit', et apparaît davantage comme une exception à son application. La théorie consacre ainsi le fait que toute règle est susceptible de comporter, dans certaines circonstances, des inconvénients tels qu'on puisse songer à l'écarter.
L'évolution de notre société, les chocs exogènes qu'elle subit, ses périodes de crise, font en effet partie de ces circonstances dans lesquelles l'application automatique de la loi, qui prétend nier ces bouleversements, peut devenir un principe sauvage aux effets injustes.
L'analyse de la théorie juridique de l'état de nécessité se justifie d'autant plus dans la période de crise économique que nous connaissons aujourd'hui.
Ainsi, dans le cadre de la présente étude, nous nous attacherons tout d'abord à décrire la théorie de l'état de nécessité (section I de la présente étude), pour examiner ensuite l'application qui en est faite au sein de la jurisprudence commerciale (section II), et l'intégrer enfin dans une réflexion plus large quant à la fonction que la juridiction commerciale est aujourd'hui amenée à endosser (section III).
I. | L'état de nécessité |
§ 1. | Histoire de la notion |
2.Apparue pendant la période romaine [7], la notion d'état de nécessité a été diffusée par les canonistes [8] et a été consacrée également par l'ancien droit germanique [9].
3.Ni l'ancien Code pénal français de 1810, ni le Code pénal belge actuel ne contiennent de disposition générale relative à la 'nécessité', qui n'est visée qu'à propos de quelques infractions particulières [10].
Toutefois, par une interprétation extensive des articles 327 à 329 de l'ancien Code pénal [11], la doctrine criminaliste française a élaboré une théorie générale des causes de justification applicable à l'ensemble des infractions et tendant à légitimer tous les actes qui, en raison des circonstances, n'apparaissent pas comme étant socialement nuisibles [12]. Cette théorie fut ensuite ratifiée par la jurisprudence [13].
En Belgique, la lacune du code a souvent amené les juridictions à prendre appui sur d'autres concepts pénaux pour régler la situation de nécessité [14].
Nous devons à Paul Foriers d'avoir, en 1951, donné son autonomie à ce qu'il qualifie de “concept de droit exceptionnel […] d'allure générale objective, où la personnalité de l'agent, au contraire de la contrainte irrésistible, reste 'accessoire' […]” [15].
Le silence du législateur belge n'a ainsi pas empêché nos criminalistes d'assigner à l'état de nécessité sa place exacte parmi les “causes qui détruisent la criminalité de l'action” et neutralisent ainsi l'élément légal de l'infraction [16]. Les tribunaux ont suivi la doctrine dans cette voie [17].
4.L'influence de cette solution pénale est considérable en droit civil. Elle peut surtout être constatée au sein de la liste des faits justificatifs qui sont admis par les juridictions civiles pour exclure la responsabilité des auteurs qui peuvent s'en prévaloir. Les juridictions civiles ont, en effet, largement repris à leur compte les catégories élaborées par les tribunaux répressifs [18].
Mais, si la reconnaissance de l'état de nécessité en droit civil s'est ainsi construite à partir du droit pénal, elle n'implique pas nécessairement une transposition de toutes les solutions du droit pénal. C'est le cas lorsque l'action en responsabilité civile est fondée sur un fait pénalement incriminé [19]. Toutefois, hormis ces hypothèses, un consensus s'est peu à peu manifesté en faveur d'un particularisme de l'état de nécessité en droit civil, non seulement quant à sa définition (§ 2), mais également quant à ses effets (§ 3) et aux conditions de son existence (section II de la présente étude).
§ 2. | Définition de l'état de nécessité |
5.Par son arrêt du 15 mai 1930, la Cour de cassation a consacré pour la première fois [20] la notion juridique de la nécessité en matière civile.
L'espèce était la suivante: les bateaux Mathilde et Le Lys, qui naviguaient sur l'Escaut devant la commune de Doel, se sont trouvés dans une position telle qu'il s'imposait au capitaine du bateau Le Lys de poursuivre sa route et au capitaine du Mathilde de s'écarter de cette route. Ce dernier, qui avait à son bord de nombreux passagers, a néanmoins décidé de passer devant Le Lys, le plaçant dans l'impossibilité d'éviter une collision avec le Mathilde autrement qu'en effectuant une marche arrière. Cette manoeuvre a eu pour effet de faire buter Le Lys contre un embarcadère appartenant à la commune de Doel. La commune était-elle fondée à réclamer au commandant du bateau Le Lys l'indemnisation du dommage causé par la détérioration de son embarcadère, sur base de l'article 1382 du Code civil?
Par cet arrêt, considéré comme étant l'arrêt de principe en la matière, la Cour de cassation a dit pour droit “[…] que la faute prévue par l'article 1382 du Code civil […] ne peut exister que si elle est l'oeuvre d'une volonté libre, en sorte qu'elle est exclue si le fait dommageable est le résultat d'une cause étrangère, cas fortuit ou force majeure, qui ne peut être imputée à l'auteur du dommage; […] qu'en écartant, après avoir statué de la sorte, la responsabilité du capitaine, l'arrêt a fait une exacte application des règles sur la matière; que, notamment, il ne verse dans aucune contradiction en admettant, d'une part, qu'il a pu y avoir faute de la part du capitaine à méconnaître les droits de propriété et de jouissance de la commune et en décidant, d'autre part, que cette atteinte ne pouvait, en effet, être retenue à charge de l'auteur que pour autant qu'elle pût lui être imputée, ce que les circonstances relevées par l'arrêt ne permettaient pas […]” [21].
Dans ses conclusions, l'avocat général Gesché s'était exprimé dans les termes suivants: “Un homme, par une conjoncture qu'il n'avait en rien contribué à provoquer, qui s'était produite par la faute d'un tiers a été acculé à cette alternative: faire un mouvement par lequel il s'exposerait grandement à faire périr plusieurs personnes, ou faire un autre mouvement par lequel il sauverait sûrement la vie de ces personnes, mais détruirait ou endommagerait presque infailliblement un ouvrage appartenant à autrui. […] il ne peut pas être demandé raison à cet homme du dommage qui est finalement résulté de sa façon d'agir […] parce que cette façon d'agir lui a été indéclinablement imposée par un concours de circonstances[…]” [22].
Ayant analysé les faits de la cause sous l'angle de l'état de nécessité, l'avocat général a néanmoins conclu à l'existence de la force majeure. La Cour de cassation est arrivée à la même solution, assimilant ainsi l'état de nécessité à la force majeure et au cas fortuit. Si cette assimilation nous paraît regrettable [23], cette première application a néanmoins permis à la doctrine de construire une définition de l'état de nécessité.
6.Selon H. De Page,“il y a état de nécessité lorsque le préjudice causé résulte d'un acte indispensable pour écarter un dommage dont l'auteur du fait ou des tiers, sont directement menacés”. Il faut, dit-il, que l'acte soit indispensable, “c'est-à-dire qu'il y ait impossibilité d'écarter, d'une autre manière, le péril imminent” [24].
Cette définition appelle deux critiques. Elle semble tout d'abord confondre le 'nécessaire' et l''indispensable'. Or la nécessité dont il est ici question n'est pas absolue. Ce qui est véritablement inéluctable c'est l'alternative à laquelle est confronté l'agent. Selon le civiliste français J. Aboaf, “[i]l faut qu'il ne se présente à lui que deux seules situations possibles entre lesquelles il soit forcé de choisir: ou bien causer un dommage, ou bien laisser se réaliser une menace grave” [25].
Quant à l'exigence de l''imminence' du danger, celle-ci n'est pas partagée par l'ensemble de la doctrine [26]. En effet, à partir du moment où il est établi que l'alternative est bien inéluctable, il n'importe plus que le péril ait été soudain ou imminent. Si l'imminence du danger et son imprévisibilité ne doivent pas être retenues comme conditions d'existence de l'état de nécessité, elles permettront au juge d'apprécier la situation de fait. Le juge fera ainsi intervenir ces éléments pour apprécier si, précisément, aucun autre moyen que la commission du dommage ne pouvait être mis en oeuvre et si, par conséquent, l'agent n'est pas en faute pour n'avoir pas pris toutes les précautions possibles [27].
Il est dès lors possible d'énoncer que se trouve en état de nécessité celui pour qui la seule façon d'éviter un mal grave est de causer un autre mal de gravité moindre [28].
§ 3. | Effets de l'état de nécessité |
7.L'acte nécessaire se rapporte à la force des circonstances qui peut pousser un sujet de droit à accomplir un acte contraire à la loi (au sens large), mais 'nécessaire' à la sauvegarde d'un intérêt légitime. Si cet intérêt apparaît comme étant supérieur à celui que l'acte a ainsi sacrifié, cet acte perd son caractère 'fautif' [29].
La doctrine [30] place l'état de nécessité parmi les 'faits justificatifs' qui permettent de faire la distinction entre les actes qui ne sont fautifs 'qu'en apparence' et les actes qui le sont réellement. En justifiant l'acte de l'agent, le fait justificatif lui ôte son aspect fautif.
L'état de nécessité peut ainsi être invoqué dans le cadre de la responsabilité civile, qu'il s'agisse de la violation d'une obligation contractuelle, d'un délit civil, ou encore de la violation d'une obligation légale.
A. La justification de la faute aquilienne |
8.L'acte nécessaire peut se présenter sous la forme d'un acte dommageable, d'un délit civil au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil. Tel est le cas lorsque “un homme cause un dommage à autrui parce que cet acte est pour lui le seul moyen d'éviter un préjudice grave […]” [31].
Suivant la jurisprudence de la Cour de cassation, la faute aquilienne doit être appréciée “suivant le critère d'une personne normalement soigneuse et prudente, placée dans les mêmes conditions” [32]. L'existence d'une faute pourra être déduite de la moindre différence entre ces comportements [33].
Ainsi, si de l'appréciation du comportement de l'homme normalement prudent et raisonnable placé dans les mêmes circonstances d'espèce, il résulte que cet homme aurait pris des précautions qui lui auraient permis de se soustraire à l'alternative inéluctable autrement qu'en se rendant responsable d'un dommage, il faudra conclure à l'existence d'une faute. Si, au contraire, l'on arrive à la conclusion que le 'bonus ac diligens pater familias' aurait, dans la même situation, agit comme l'auteur du fait dommageable, il faudra en déduire que ce dernier, n'ayant méconnu aucune norme générale de prudence, n'a commis aucune faute [34].
B. La justification de la méconnaissance d'une obligation contractuelle |
9.L'état de nécessité peut aussi venir excuser la transgression par un débiteur de ses engagements contractuels.
En pareille hypothèse, il existe toutefois un engagement antérieur pris par le débiteur envers son créancier, de sorte que, si la faute aquilienne doit s'apprécier selon le critère de l'homme normalement prudent et diligent, le lien contractuel implique, quant à lui, un engagement plus précis et circonscrit.
La théorie de l'état de nécessité est-elle applicable en présence d'un tel engagement? Nous verrons ci-dessous que la jurisprudence répond par l'affirmative et que la question dépendra finalement, pour chaque cas d'espèce, de “la confrontation de deux paramètres essentiels: la proportionnalité des intérêts en présence et leur titularité” [35].
C. La justification de la transgression de la loi |
10.La méconnaissance d'une disposition légale est par définition une faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil. La Cour de cassation a en effet affirmé à plusieurs reprises que “[l]a transgression matérielle d'une disposition légale ou réglementaire constitue en soi une faute qui entraîne la responsabilité civile de l'auteur” [36].
Se peut-il alors que l'état de nécessité, à l'origine de la violation par l'agent d'une disposition légale, soit de nature à ôter tout caractère fautif à ce comportement?
Répondre à cette question par l'affirmative impliquerait que la violation d'une loi ne constitue pas nécessairement en soi une faute. Telle est bien la portée des arrêts de la Cour de cassation du 13 mai 1982 [37] et du 26 juin 1998 qui énoncent que la violation des obligations légales et réglementaires constitue une faute “sous réserve de l'existence d'une erreur invincible ou d'une autre cause de justification” [38].
L'état de nécessité ne justifiera donc pas uniquement le dommage, mais bien toute exception à l'observation d'une règle de droit [39]. En effet, comme l'énonce R. Pallard, “[t]oute règle juridique, quel que soit son objet, à quelle branche du droit qu'elle appartienne, est susceptible de comporter dans certains cas particuliers des inconvénients tels qu'on puisse songer à lui apporter une exception” [40].
D. L'effet probatoire |
11.Si l'existence de la faute aquilienne peut se déduire de la simple différence avec le comportement de l'homme normalement prudent et diligent, nous pouvons nous demander s'il est encore utile de faire appel à la théorie des 'faits justificatifs' pour écarter la responsabilité de celui dont le comportement a été inspiré par la 'nécessité'?
Une réponse positive s'impose. En effet, le concept de fait justificatif, qui exclut la faute, présente une grande utilité lorsqu'il s'agit de prouver les conditions d'application des articles 1382 et 1383 du Code civil.
En vertu des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, c'est à la victime, demanderesse en responsabilité, qu'il appartient d'établir que le défendeur a bien commis une faute en relation causale avec le dommage. La preuve (négative) par le défendeur qu'il n'a méconnu aucune norme générale de prudence étant difficile à rapporter [41], ce dernier pourra plus aisément établir qu'il n'a commis aucune faute en apportant la preuve (positive) de l'existence de l''état de nécessité', c'est-à-dire de l'alternative inéluctable à laquelle il était confronté et qui l'a contraint à réaliser le dommage. Si le juge conclut à l'existence d'une telle alternative indépendante de la volonté de l'agent ainsi qu'à son caractère inéluctable, il devra alors nécessairement en déduire l'absence de faute. Le fait justificatif apparaît ainsi comme le négatif de la faute et, s'il n'ajoute aucun élément à la définition de la faute civile, il présente néanmoins une utilité pratique non négligeable en matière de preuve [42].
La preuve de l'existence de l'état de nécessité prend également tout son sens s'agissant de la transgression d'une obligation contractuelle ou légale déterminée, celle-ci n'autorisant pas le passage par le critère de l'homme honnête et diligent [43].
§ 4. | Autonomie de la notion |
12.Nous avons vu que, dans son arrêt du 15 mai 1930, la Cour de cassation a admis l'état de nécessité comme fait justificatif de la faute civile par assimilation au cas fortuit et à la force majeure [44]. Ainsi l'avocat général Gesché, après avoir analysé minutieusement les faits de la cause sous l'angle de l'état de nécessité, a néanmoins conclu à l'existence de la force majeure: “[l]es choses se sont passées exactement comme si le batelier qui conduisait le Mathilde avait poussé le navire du défendeur contre l'embarcadère de la commune de Doel” [45].
Cette assimilation est regrettable [46]. Il convient, en effet, de distinguer selon que le dommage a été causé, non pas par le comportement du défendeur à l'action en responsabilité, mais par une cause indépendante de ce dernier (tel un cas fortuit, un cas de force majeure), auquel cas le dommage est dû à une 'cause étrangère'. Lorsque le dommage résulte, au contraire, directement de l'acte du défendeur, seul un 'fait justificatif' (tel que l'état de nécessité, la légitime défense, l'ordre de l'autorité légitime) pourra venir supprimer le caractère fautif de cet acte [47].
Ainsi, sur le plan théorique, nous pourrions considérer que l'examen de la force majeure s'effectue plutôt au niveau du lien de causalité: ce n'est pas le comportement de l'agent qui est à l'origine du dommage, mais bien la cause étrangère. A l'inverse, l'état de nécessité s'applique au niveau de l'appréciation de la faute: l'acte de l'agent ayant causé le dommage n'est pas fautif au vu des circonstances particulières [48].
13.Cette distinction permet d'expliquer pourquoi les conditions d'application des deux institutions sont différentes. La force majeure, événement imprévisible, irrésistible et indépendant de l'agent, exige “que la causalité entre le dommage et l'élément invoqué comme cause étrangère soit totale ” [49]. A l'inverse, l'état de nécessité ne prive pas l'agent de toute volonté, il lui laisse un choix. De sorte que, dès lors que l'agent a choisi entre deux maux, “comment le résultat d'un choix pourrait-il être qualifié d'événement imprévisible et irrésistible” [50]?
Cette différence explique que l'état de nécessité réponde à des conditions distinctes de celles de la force majeure et qui ne sont pas liées à un événement étranger, mais bien au fait de l'agent.
II. | Conditions d'existence |
14.La notion de nécessité fait dépendre le régime juridique d'un acte de son adéquation à un but, à une finalité. La nécessité présente ainsi un caractère téléologique [51].
L'état de nécessité confère dès lors, par hypothèse, un large pouvoir d'appréciation au juge qui décidera finalement dans quelles circonstances, et pour la sauvegarde de quel intérêt, il pourra être dérogé aux lois, aux obligations.
Ce fait justificatif n'est toutefois pas la panacée pour le débiteur malheureux ou l'auteur d'un dommage, pas plus qu'il ne peut constituer un instrument d'arbitraire entre les mains du juge. En effet, l'état de nécessité ne peut emporter une décision favorable que si un certain nombre de conditions, dégagées par la doctrine et par la jurisprudence, sont effectivement rencontrées.
15.A titre préliminaire, il y a lieu de relever le nombre très réduit de décisions ayant admis explicitement l'état de nécessité, les tribunaux préférant le plus souvent appréhender les faits sous des concepts autres, sans doute mieux connus et, en conséquence, plus aisés à mettre en oeuvre [52].
L'analyse qui suit dépasse, par voie de conséquence, la seule description des catégories juridiques appliquées par les décisions examinées, et repose plutôt sur une étude casuistique des situations dans lesquelles la pratique judiciaire reconnaît l'existence d'une alternative inéluctable pour l'obligé.
La présente section porte ainsi sur l'application des conditions pratiques de l'état de nécessité, telles qu'elles ont été dégagées par la doctrine et par le juge commercial depuis les années 1980, qu'il s'agisse de cas d'espèces dans lesquels ce concept juridique a été expressément admis, ou de décisions qui, bien que mobilisant d'autres concepts juridiques, dissimulent néanmoins le raisonnement de l'état de nécessité.
§ 1. | La situation de crise |
16.La première de ces conditions est l'existence d'un danger réel, actuel ou imminent, de nature à placer l'agent face à une alternative cruciale où le seul moyen pour lui d'éviter la réalisation de cette menace, est d'accomplir un acte dommageable.
Il doit s'agir d'un danger réel, et non pas imaginaire ou putatif [53]. La jurisprudence considère encore que ce danger doit être actuel, et ne peut résulter que d'un événement précis et momentané, contemporain de l'acte reproché à l'agent [54].
L'on enseigne également que l'agent ne peut avoir créé par son fait la situation qui le met en état de nécessité [55] et le péril dont il se prévaut [56].
§ 2. | L'alternative inéluctable |
17.L'état de nécessité suppose ensuite que l'agent se trouve dans une situation face à laquelle le seul moyen pour lui d'éviter un danger menaçant est d'accomplir un acte dommageable [57]. Cette condition d'unicité de moyen ne doit cependant pas être prise au pied de la lettre. Ce que l'on exige ici, ce n'est pas que l'acte nécessaire soit le seul moyen d'éviter le péril grave, mais plutôt le meilleur ou le moins mauvais eu égard à la situation à laquelle l'agent se trouve confronté [58].
18.L'état de nécessité se présente donc comme l'état de l'individu placé dans l'alternative de supporter un danger menaçant ou d'enfreindre quelque règle obligatoire [59].
Du fait qu'un choix subsiste, l'acte nécessaire est volontaire. L'alternative ne place pas nécessairement l'agent “dans une situation entraînant des conséquences irrésistibles et insurmontables, c'est-à-dire constitutive de force majeure, puisque l'on peut s'y soustraire et 'agir autrement'” [60].
Comme nous avons déjà eu l'occasion de le souligner, l'état de nécessité se distingue ainsi de la force majeure qui suppose une impossibilité d'exécution [61].
19.La jurisprudence a appliqué la force majeure en matière de bouleversement de l'économie contractuelle, libérant ainsi le débiteur contractuel dans des cas où l'exécution de ses obligations ne se heurtait, en fait à aucune impossibilité, mais présentait seulement un caractère dangereux ou anormalement onéreux pour celui-ci.
Ainsi, un jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 9 mars 1981 a-t-il appliqué la force majeure (assouplie) à un contrat d'approvisionnement en produits pétroliers [62]. Les faits peuvent être résumés comme suit. En 1979, les grandes sociétés pétrolières auprès desquelles un grossiste s'approvisionnait depuis plusieurs années, ont sensiblement limité leurs approvisionnements. Le grossiste s'est rapidement trouvé dans l'impossibilité de s'approvisionner sur le marché intérieur belge. Il est cependant parvenu à acheter des quantités réduites de carburant sur le marché de Rotterdam mais au prix fort. Le grossiste a alors proposé à son cocontractant, une société de distribution, de lui facturer ce carburant à un prix de deux francs supérieur à celui qu'il avait antérieurement pratiqué. Le distributeur a refusé, exigeant une application stricte du contrat. Appelé à statuer sur le litige, le tribunal de commerce a énoncé que les conditions d'application de la force majeure devaient s'interpréter de manière souple.
Ainsi, après avoir souligné que “pour être constitutif de force majeure, un événement doit être normalement imprévisible et entraîner pour le débiteur une impossibilité absolue d'exécution”, le tribunal a néanmoins déclaré que “l'on ne [pouvait] raisonnablement, ni humainement, exiger que le débiteur se ruine pour satisfaire son obligation de procurer au créancier l'avantage qu'il devait normalement retirer du contrat, alors que celui-ci impose seulement d'exercer une certaine diligence en vue d'atteindre ce résultat”. Le tribunal de commerce a, en conséquence, débouté la demanderesse.
20.La force majeure n'était probablement pas l'institution juridique la plus appropriée pour résoudre ce cas d'espèce. Plutôt que de chercher à introduire une certaine théorie de l'imprévision, dont on connaît l'accueil mitigé que lui réserve l'ordre judiciaire [63], au prix d'une distorsion et d'une dilution du concept de force majeure [64], ce cas d'espèce aurait pu être aisément traduit dans les termes de l'état de nécessité [65]. Le débiteur se trouvait effectivement confronté à une alternative inéluctable: respecter le contrat d'approvisionnement, à peine de devoir vendre à perte et de se ruiner, ou méconnaître cette convention pour sauver son entreprise.
21.Dans certains cas, les juridictions ont réservé un accueil plus franc au concept d'état de nécessité et à l'existence de l'alternative qu'il suppose. Tel est le cas d'un jugement du tribunal du travail de Charleroi du 10 février 1986 [66].
Les faits étaient les suivants. Le 11 février 1980, les entreprises du 'triangle carolorégien' ont conclu une convention collective de travail, prévoyant le paiement de certaines gratifications en faveur de leur personnel. A la suite de graves difficultés financières résultant de la conjoncture économique mondiale de l'acier 'très défavorable', la SA Cockerill-Sambre, qui avait entretemps absorbé ces entreprises, a refusé d'honorer ces engagements. Assignée en justice par certains de ses employés pour inexécution de la convention, la société a repoussé avec succès leur demande. Le tribunal du travail a, en effet, décidé que “lorsqu'une entreprise se trouve devant le choix, soit de réduire la rémunération de son personnel, soit de licencier un nombre plus grand de travailleurs, voire de fermer l'entreprise, que l'actionnaire majoritaire (l'Etat) se trouve dans l'obligation de s'aligner sur la politique économique du gouvernement, il faut admettre que cette entreprise se trouve, dans les circonstances concrètes de la cause, en ne payant pas les gratifications prévues par la convention collective, dans un état de nécessité assimilé à un cas fortuit ou à la force majeure” [67].
En déboutant les demandeurs sur le fondement de l'état de nécessité, le tribunal du travail a ainsi admis que la violation d'une convention collective, dont la société Cockerill-Sambre reconnaissait par ailleurs les effets juridiques, était un acte nécessaire présentant des inconvénients moindres que d'autres mesures, pourtant obligatoires, mais dont les effets auraient été bien plus dommageables pour l'entreprise et pour ses employés.
22.Nous avons vu plus haut que, dans l'état de nécessité, l'une des branches de l'alternative pouvait consister en la violation d'une obligation légale, qui s'en trouverait, de la sorte, justifiée.
La cour d'appel de Liège a, dans un arrêt du 26 octobre 2001 [68], exprimé ce principe en des termes clairs. Dans cette affaire, la cour devait statuer sur la responsabilité des dirigeants d'une ASBL qui n'avaient pas payé le précompte professionnel, en violation de l'article 270 du Code des impôts sur les revenus [69].
Rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la violation des obligations légales et réglementaires constitue une faute, sous réserve de l'existence d'une cause de justification [70], la cour d'appel a relevé que “rien ne permet en l'espèce de douter de ce que la transgression matérielle de l'obligation de retenue de précompte ait été consciente et ne soit pas intervenue sous la contrainte, en telle sorte qu'il convient d'examiner l'existence d'une cause exonératoire de responsabilité”. Pour la cour, il convenait d'examiner si “des motifs de droit (par exemple la priorité d'autres obligations légales) et/ou de fait (insuffisance des fonds) élisifs de leur responsabilité légale ne permettait pas [aux administrateurs] de faire face à leur obligation légale de retenue et de versement du précompte, en temps voulu ou par la suite” [71]. Et la cour de poursuivre: “la simple constatation matérielle du non-versement des précomptes ne suffit pas à fonder l'action en responsabilité aquilienne, sous peine de transformer en quelque sorte aveuglément et automatiquement le redevable du précompte qu'est l'administrateur, en débiteur de l'impôt et de faire tout aussi aveuglément fi des contingences et aléas de la gestion d'une ASBL. Qu'il n'en reste pas moins que la preuve des causes d'exonération à apporter par [les dirigeants] est stricte et passe par un examen minutieux des comptes et liquidités de l'ASBL au jour le jour et doit dépendre du contexte dans lequel les dettes fiscales sont nées” [72].
23.Dans une espèce similaire, un arrêt de la cour d'appel de Liège du 24 octobre 2003 [73] a fait application de l'état de nécessité pour exclure la responsabilité des administrateurs provisoires d'une société qui n'avaient pas payé le précompte professionnel.
La cour d'appel a constaté qu'en l'espèce, “ladite transgression n'a pas été commise librement mais bien sous la pression des circonstances de la cause […] qui ont empêché les administrateurs provisoires de se soumettre à l'obligation légale de paiement et qui résulte de ce que l'administration a elle-même résumé par la phrase 'la situation des sociétés était catastrophique'” [74]. Et l'on retrouve, dans cet arrêt trace de l'existence de l'alternative inéluctable qui caractérise l'état de nécessité puisqu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que “il n'y avait pas possibilité d'écarter d'une autre manière le péril imminent constitué par une cessation brutale des activités débouchant sur une fermeture d'entreprise sans espoir” [75].
Ainsi, s'il est évident que le non-paiement des créanciers institutionnels, parmi lesquels figure le fisc, constitue une transgression susceptible d'engager la responsabilité des administrateurs provisoires, la cour d'appel a constaté que “tel n'est pas le cas dans le contexte économique et social très particulier de la présente affaire” [76].
Dans cet arrêt, la cour d'appel a reconnu expressément l'existence d'un état de nécessité dans lequel la société était placée, mais elle a, à nouveau, assimilé cette situation à un cas fortuit ou à une cause de force majeure [77]. Il aurait été plus convaincant de constater que la violation de l'article 270 du Code des impôts sur les revenus était une faute que l'état de nécessité venait excuser [78].
24.Notons qu'à l'inverse, si la juridiction constate que l'alternative à laquelle se trouvait confronté l'agent n'était pas inéluctable et que celui-ci disposait en réalité d'un autre moyen, cette fois licite, pour déjouer le danger menaçant, elle conclura à la responsabilité de ce dernier.
Ainsi, un arrêt de la cour d'appel d'Anvers du 30 janvier 2003 [79] a retenu la responsabilité civile des administrateurs d'une société qui n'avaient pas veillé à ce que celle-ci remplisse ses obligations fiscales, et notamment le paiement du précompte professionnel. La cour d'appel a souligné que: (i) le défaut de paiement s'étendait sur une longue période (presque 20 mois) durant laquelle la société a poursuivi ses activités et a procédé au paiement des salaires nets, de sorte qu'elle disposait manifestement de moyens; (ii) il n'existait pas de preuve établissant que le non-versement du précompte aurait été dû à des problèmes insurmontables de liquidité dans le chef de la société; et (iii) aucun arrangement n'a été recherché par les dirigeants avec le fisc à propos de la dette fiscale croissant de jour en jour.
La cour d'appel a, en conséquence, conclu que les dirigeants avaient commis une faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.
§ 3. | L''utilité sociale' de l'acte nécessaire |
25.Puisque la nécessité n'a de sens que par rapport à une fin, elle suppose la détermination de cette fin. Si ce but n'est pas exprimé, la notion n'a plus aucun contenu, elle se prête à toutes les interprétations possibles et peut, précisément, être utilisée 'à toutes fins' [80].
Ainsi, pour caractériser l'état de nécessité, il faut enfin que l'intérêt que le défendeur a voulu protéger ait une valeur sociale supérieure, ou à tout le moins égale, à l'intérêt sacrifié [81]. L'acte dommageable ou la transgression de la loi doit répondre de manière adéquate à l'importance réelle de l'intérêt à sauvegarder. Le choix de l'agent entre l'intérêt qu'il a sacrifié et celui qu'il a voulu sauver doit être objectivement justifié.
La question de l'état de nécessité se ramène donc, en définitive, à celle de l'appréciation juridique d'un conflit d'intérêts [82]. Comme le souligne H. De Hoon, dans l'état de nécessité, “il surgit un conflit d'intérêts juridiques inconciliables entre eux dans lequel la survivance de l'un est subordonné à l'anéantissement de l'autre. Celui qui est engagé dans le conflit, ou bien s'abstiendra et par là même observera la prescription impérative de la loi, ou bien interviendra activement et par ce fait empiétera sur la sphère juridique d'un tiers. En prenant ce dernier parti, il ne pourra être justifié que si par son intervention les exigences de la vie sociale sont satisfaites” [83].
26.La décision du tribunal du travail de Charleroi étudiée plus haut s'inscrit dans ce courant. Le tribunal a opéré une mise en balance entre, d'un côté, l'intérêt pour les demandeurs à ce que la convention collective soit respectée, et, d'un autre côté, les intérêts de la société à assurer sa survie économique. La juridiction du travail a posé le litige dans les termes suivants: si la société Cockerill-Sambre devait être condamnée à respecter ses engagements, il en résulterait pour elle et pour l'ensemble de son personnel, un préjudice plus grave que le préjudice financier subi par les demandeurs résultant de la violation de la convention. Le tribunal a ainsi souligné que “[l]a SA Cockerill-Sambre se trouvait devant un choix. Ou bien réduire les rémunérations de son personnel. Ou bien licencier un nombre plus grand de travailleurs. Ou bien, à la limite, fermer l'entreprise” [84]. Le juge a donc conclu que “[f]ace à des moyens économiques limités, la SA Cockerill-Sambre a opéré le choix le plus raisonnable. L'inexécution volontaire du paiement des gratifications résultait dudit état de nécessité” [85].
27.La même approche a été adoptée dans l'affaire qui a donné lieu au jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 9 mars 1981 précité [86]. Le tribunal de commerce a procédé à la mise en balance des intérêts en présence pour conclure que l'on ne pouvait, au prix de la faillite du grossiste, exiger le respect de la convention initiale.
28.De même, pour conclure à l'absence de faute dans le chef des administrateurs provisoires, l'arrêt de la cour d'appel du 24 octobre 2003 a opéré une mise en balance entre l'intérêt de la société, en tant qu'acteur économique et social qui emploie du personnel et contracte avec des fournisseurs, et l'intérêt du fisc à percevoir le précompte professionnel relatif à une période limitée dans le temps (en l'espèce, les vacances d'été). La cour d'appel de Liège a ainsi énoncé qu'“il ne peut donc être question dans leur chef d'un choix délibéré mais d'une nécessité, dans le but de maintenir l'attractivité de l'outil en vue d'une reprise, de payer, au-delà des critères de la loi hypothécaire, des dettes d'une particulière urgence (salaires et fournisseurs) sans qu'il soit possible, au vu des liquidités disponibles, de retenir en outre le précompte professionnel en dépit du privilège du fisc” [87]. De sorte que, dans cette mise en balance des intérêts en conflit, l'intérêt de la société l'a emporté sur l'intérêt du fisc, qui a été finalement sacrifié car estimé de moindre valeur [88].
29.L'appréciation de cette condition de l'état de nécessité peut se révéler extrêmement délicate, surtout lorsque les intérêts en présence ne sont pas de même nature.
Certains auteurs se sont néanmoins attachés à proposer des classifications selon les différents intérêts en conflit [89]. Ainsi P. Wéry établit-il, en matière contractuelle, une distinction selon que les intérêts en conflit sont équivalents, auquel cas l'intérêt du créancier devra l'emporter sur celui de son débiteur ou du tiers eu égard au contrat préexistant; ou que l'intérêt du créancier est inférieur à celui sauvegardé par l'acte du débiteur (qu'il s'agisse de l'intérêt d'un tiers ou du sien propre), auquel cas l'intérêt du créancier ne devrait s'effacer que si celui du créancier ou du tiers est 'manifestement prépondérant' [90].
Il va toutefois sans dire que si certaines hypothèses ne souffrent pas la moindre hésitation (telle que la préférence donnée à la vie sur les intérêts matériels), d'autres suscitent plus de difficultés et dépendent, finalement, de l'appréciation du juge. C'est vraisemblablement dans cette difficulté qu'il faut rechercher la cause du nombre réduit de décisions faisant expressément référence à l'état de nécessité.
Comme il apparaît dans la dernière section ci-dessous, cette réticence nous semble toutefois dépourvue de fondement, dans la mesure où l'application de l'état de nécessité s'inscrit dans une tendance globale qui peut être constatée depuis plusieurs années et en vertu de laquelle le juge commercial apprécie les réalités économiques et sociales en plus des seules conditions juridiques.
III. | La place de l'état de nécessité dans la jurisprudence commerciale |
§ 1. | L'évolution du rôle du juge commercial |
30.Depuis une trentaine d'années, le juge commercial est au centre d'un courant de réflexion sur la magistrature économique vers laquelle, selon certains, la juridiction commerciale devrait tendre [91].
Les propos tenus par l'ancien premier président de la Cour de cassation française, M. Guy Canivet, à cet égard, sont éclairants. Dans un entretien donné en 2004, celui-ci a mis en évidence le rôle économique des juges, qui doivent désormais “être capables d'intégrer l'analyse économique dans le raisonnement juridique et de prendre en compte les conséquences que leurs décisions provoquent dans les secteurs concernés” [92].
L'état de nécessité s'inscrit résolument dans cette évolution du rôle du juge. En effet, loin de régler de 'simples cas individuels', le juge est souvent confronté à une alternative délicate: “appliquer un juridisme 'pointilleux' et ignorer la réalité économique ou intégrer largement celle-ci au risque de déboucher sur un 'gouvernement des juges'” [93].
31.Face à cette alternative, la juridiction commerciale adopte une position intermédiaire et joue, en quelque sorte, le rôle d'une “médiation créatrice entre la loi et l'opportunité” [94]. Dans le cadre de bouleversements économiques et sociaux, elle peut et doit parfois tempérer les solutions iniques qu'une loi lui dicte afin d'éviter qu'un hiatus ne se crée entre la règle de droit et les nécessités économiques [95].
La jurisprudence commerciale apparaît ainsi comme le moyen d'“assurer un relais temporel entre le court terme de l'opportunité économique [96] et le long terme du prescrit légal” [97]. L'on attend désormais du juge qu'il participe à la réalisation de politiques déterminées et assure, à cette fin, le meilleur règlement des intérêts concernés [98].
32.C'est ainsi une méthode téléologique qui s'impose au juge commercial. Son rôle n'est pas de résoudre un litige dans les termes d'un syllogisme de pure logique juridique, mais bien de collaborer à la mise en oeuvre de finalités sociales et économiques: “parmi la multitude des qualifications légales qui s'offrent à lui, il doit faire un choix, qui n'est que rarement automatique et appliquer avec souplesse, selon les jugements de valeur que lui inspire la philosophie générale du système juridique en vigueur, des règles de droit […]” [99].
33.Prenons l'exemple de la faillite. En toute rigueur, l'ébranlement du crédit, couplé à la cessation des paiements persistants, devrait entraîner la faillite du commerçant [100].
Dans la pratique, l'application n'est pas aussi mécanique: des notions telles que 'l'intérêt général', la 'viabilité de l'entreprise', ainsi que des objectifs de politique économique et sociale peuvent l'emporter sur les seuls intérêts des créanciers. S'il entend trancher ces conflits, le juge commercial devra remédier au conflit d'intérêts antagonistes: “au droit égalitaire de la faillite, il verra se heurter le droit inégalitaire et protecteur du travail, à l'intérêt des créanciers, il verra se heurter l'intérêt de la région ou de l'Etat et à ceux-ci, l'égalité dans la concurrence” [101].
L'entreprise est, en effet, le lieu de rencontre de nombreux intérêts: l'intérêt général [102], l'intérêt social, l'intérêt de l'entrepreneur lorsqu'il est distinct de celui de la société, l'intérêt des actionnaires, des travailleurs et celui des collectivités régionales ou locales dans l'économie desquelles l'entreprise est intégrée [103].
C'est au juge qu'il appartiendra d'évaluer ces intérêts et de décider, en s'inspirant des finalités économiques et sociales qui président aux institutions dans lesquelles ils s'inscrivent, celui qui doit l'emporter [104].
34.Un autre indice de la modification du rôle du juge commercial est le recours, fréquent en situation de crise, aux magistratures présidentielles par la voie d'actions en référé.
Si l'appréciation de la condition d''urgence' a toujours été analysée comme attribuant un large pouvoir d'appréciation au juge [105], c'est désormais la notion de décision rendue 'au provisoire' qui fait l'objet d'une interprétation large. Ainsi admet-on que le président prenne des mesures définitives et dont les effets sont irréversibles, pour autant qu'ils ne soient pas irréparables [106]. De même, le principe selon lequel la notion de 'provisoire' interdirait au juge des référés d'analyser le fond du droit, est désormais tenu pour obsolète [107].
On enseigne actuellement que “le provisoire est moins une condition de la compétence du juge des référés qu'un effet limité de sa décision” [108]. La promptitude de son intervention, ainsi que la variété des mesures qu'il peut ordonner en les adaptant à chaque hypothèse [109] rendent le recours à la justice des référés extrêmement efficace, permettant dans certains cas de faire l'économie d'un procès au fond.
Le juge des référés ordonne, à l'instar de tout autre juge, les mesures qu'il juge appropriées aux circonstances de fait et de droit. Pour ce faire, le président du tribunal procède souvent à la mise en balance des droits et des intérêts des parties [110]. Sa décision, exécutoire d'office, est justifiée et inspirée par l'urgence de remédier à une situation de fait et par la nécessité d'aménager une situation d'attente entre les parties ou de prendre la mesure adéquate destinée à éviter un préjudice imminent et peut-être irréparable à l'une des parties.
L'on perçoit aisément l'intérêt du recours au juge des référés dans les matières économiques, au point que certains en sont venus à se demander si l'on ne pouvait y voir “une anticipation de la 'magistrature économique' que d'aucuns appellent de leurs voeux” [111].
35.Le recours à la théorie de l'abus de droit, fondée sur le principe de l'exécution de bonne foi des conventions, constitue également une illustration de cette fonction du juge. Il devient le seul arbitre, “l'autorité incontestable qui peut prendre en considération les réalités concrètes et changeantes et fixer les bornes à la liberté contractuelle” [112].
Dans les situations de bouleversement économique, un renversement saisissant s'opère: alors que l'article 1134 du Code civil fait du juge un 'serviteur' du contrat, le juge est désormais appelé à rétablir l'équilibre de l'économie du contrat [113].
En matière contractuelle, l'état de nécessité trouve d'ailleurs un certain fondement dans le 3ème alinéa de l'article 1134 du Code civil. L'état de nécessité et la théorie de l'abus de droit comportent, en effet, un facteur commun qui réside dans la notion de but, de finalité. Partant de l'idée qu'à tout droit correspond une finalité économique et sociale, il y aura abus toutes les fois où le titulaire du droit l'utilise dans un autre but (celui de nuire à autrui) [114].
L'abus de droit et l'état de nécessité méritent donc d'être rapprochés. Cependant, là où la théorie de l'abus vient limiter la portée des obligations contractuelles en tant qu'elles créent un droit individuel dans le chef du créancier, la théorie de la nécessité les affecte en tant qu'elles imposent des obligations [115].
§ 2. | Les 'nécessités' économiques dans la jurisprudence récente |
36.Dans le contexte actuel où les litiges soulèvent des problèmes que le législateur d'hier ne pouvait prévoir, où les lois d'opportunité multiplient les détails sans décrire les principes qui les inspirent, où la réalité de l'entreprise et la diversité des intérêts qui s'y rencontrent ont donné naissance à un 'intérêt général' économique et social, l'on perçoit l'importance pour le juge de dégager un droit juste, équitable, en d'autres termes, un droit vivant qui intègre ces nouvelles réalités, plutôt qu'une justice 'formulaire' inadaptée.
Depuis la crise financière, la jurisprudence confirme ainsi l'actualité des raisonnements qui sous-tendent la théorie de l'état de nécessité. Nous avons ainsi examiné deux affaires récentes dans lesquelles le juge commercial a fait application d'un tel raisonnement.
37.L'ordonnance du 18 novembre 2008 rendue par la présidente du tribunal de commerce de Bruxelles, statuant en référé, dans le cadre de l'affaire Fortis se situe résolument dans ce courant [116].
Les faits peuvent être résumés comme suit. Le 13 octobre 2008, une centaine d'actionnaires de Fortis Holding, se sentant lésés par les opérations de cession des activités de la société, ont introduit une citation en référé visant à obtenir, entre autres mesures, la suspension de ces opérations, de même que la suspension de toute convention prise en exécution de ces décisions. Les demandeurs contestaient la régularité de ces décisions au motif que le conseil d'administration de Fortis n'avait pas autorité pour céder les filiales bancaires et d'assurances sans l'accord préalable de l'assemblée générale des actionnaires.
Par son ordonnance, la présidente du tribunal de commerce a énoncé que “c'est à tort que les demandeurs contestent la régularité de l'ensemble des décisions litigieuses en prétendant qu'elles ont été imposées de manière illégitime et illégale à Fortis par les autorités gouvernementales […] il importe pour s'en convaincre de tenter d'examiner à l'aune des circonstances extrêmement difficiles de chacune des opérations de cession d'actifs, le rôle potentiel de Fortis” [117].
L'ordonnance a ainsi constaté que la position de Fortis en matière de liquidité “ne lui laissait pas de marge de manoeuvre dans la mesure où, si elle n'acceptait pas la solution qui lui était proposée, le risque de discontinuité des activités bancaires devenait très important”. Elle souligne que Fortis était ainsi “confrontée à une situation dans laquelle elle ne disposait pas d'autre choix, eu égard aux circonstances; […] le conseil d'administration de Fortis a dû constater que, dans le contexte économique du moment, il n'était possible de sauvegarder les activités bancaires qu'en acceptant de les céder à des tiers solides intéressés” [118].
Face aux griefs des actionnaires, reprochant à Fortis d'avoir sacrifié leurs intérêts par rapport à l'intérêt des déposants, des épargnants et des employés du groupe Fortis, la présidente du tribunal de commerce a rappelé que “ce grief [devait] être confronté à l'hypothèse où le plan de sauvetage du pôle bancaire de Fortis n'aurait pas été mis en place comme il l'a été”.
Effectuant alors la mise en balance des intérêts en présence, l'ordonnance a constaté “qu'en cas de disparition probable de Fortis, la conséquence en aurait été l'anéantissement total et définitif de l'entièreté de leurs propres investissements; que pareille situation aurait eu également des effets incalculables sur les déposants et les épargnants, et par voie de conséquence sur l'économie belge tout entière” [119].
L'ordonnance a poursuivi, en affirmant “[q]u'il appartient dès lors au tribunal de céans […] de considérer prima facie que le préjudice qui résulterait de l'accueil de la moindre des demandes telles que formulées par les demandeurs serait inévitablement de nature à constituer un péril pour le sauvetage des activités de Fortis Banque dans les conditions de marché actuellement toujours difficiles, et par incident, pour la protection de ses épargnants et employés”.
En conséquence, l'ordonnance du 18 novembre 2008 a rejeté les demandes en suspension des opérations de cession.
38.En réponse à cette décision, les actionnaires ont introduit un recours devant la cour d'appel de Bruxelles. Cette dernière a ordonné, par son arrêt du 12 décembre 2008 [120], la suspension des opérations réalisées quelques mois plus tôt et a demandé de soumettre la ratification de ces opérations au vote des actionnaires.
La cour d'appel a néanmoins introduit une mesure de correction à sa décision en faisant injonction à BNP Paribas, de maintenir telles quelles les relations interbancaires qu'elle entretenait avec Fortis Banque [121]. Cette mesure correctrice démontre que la cour d'appel de Bruxelles a apprécié la situation économique de Fortis au cours de son délibéré et qu'elle ne s'est pas non plus limitée à une application mécanique des conséquences de son raisonnement en droit.
39.Par un arrêt du 19 février 2010, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles parce qu'il ne répondait pas “à cette défense circonstanciée par laquelle [la Société Fédérale de Participation et d'Investissement] soutenait que l'ensemble des demandes des [actionnaires] était, à défaut d'urgence, dépourvu de fondement en raison de la mise en péril de l'intérêt général” [122]. Selon P.-H. Conac, il est difficile de ne pas voir dans cet arrêt une approbation de l'argumentation du tribunal de commerce de Bruxelles selon lequel l'intérêt général devait conduire à rejeter la demande des actionnaires contestataires [123].
40.C'est la même approche que consacre un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 30 avril 2009 [124]. Si cette affaire ne fait pas expressément application de l'état de nécessité, elle mérite néanmoins d'être examinée en raison de la similarité qu'elle présente avec les affaires exposées ci-dessus.
Dans cette affaire, la cour devait se prononcer sur un litige opposant une société d'affacturage, la société A, et son assureur, la société B. Les risques de la société A étaient coassurés par B à concurrence de 76,1% et par C pour 23,9%.
En raison de la crise financière, en novembre 2008, la société B informait la société A de ce que les réassureurs se montraient réticents à maintenir la poursuite de la couverture pour la contrepartie d'un de ses clients, le groupe D. La société B sollicitait dès lors la résiliation de la police d'assurance. La société A a répondu que la résiliation anticipée de la police, à aussi bref délai, lui serait éminemment et gravement préjudiciable. Par courrier du 3 décembre 2008, la société B a considéré que ce refus était déraisonnable et a confirmé qu'elle ne couvrirait plus le risque de A au-delà du 31 décembre 2008.
La société A a alors fait citer B et C devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant en référé, réclamant la suspension des effets de la résiliation unilatérale par B de la police d'assurance.
Le président du tribunal de commerce a rejeté cette demande, au motif que la société A ne démontrait pas que la résiliation par B serait illicite ou manifestement abusive et que, en cas de sinistre, le maintien de la police causerait à B un préjudice plus grand, voire irréversible, que celui invoqué par A suite à la résiliation. Il s'agit bien des termes de l'état de nécessité.
En degré d'appel, la cour d'appel de Bruxelles, confrontant les deux préjudices éventuels et prenant en considération la situation de chaque partie, a statué en sens inverse. Elle a constaté que “l'impossibilité de réassurance n'est pas aussi certaine qu'alléguée par B. […] Une éventuelle faillite de B, en cas de survenance d'un sinistre, n'est que largement hypothétique dans la mesure où il n'est pas raisonnable de soutenir qu'elle serait abandonnée par sa maison mère, […], qui pourrait la soutenir financièrement. […] A cet égard, il convient de rappeler qu'en ces temps de crise financière, les états interviennent massivement, avec l'assentiment de la Commission européenne, pour recapitaliser les banques et les compagnies d'assurance en difficulté, et éviter ainsi un préjudice plus important encore aux entreprises et à l'emploi. On n'aperçoit pas pourquoi il n'en serait pas de même pour B et pour toutes les entreprises qui auraient sécurisé leurs transactions internationales en faisant appel à elle. […]En revanche, le risque encouru par A, en cas d'absence de couverture d'un accident de crédit, est immédiat et inévitable puisqu'elle sera contrainte d'indemniser les sociétés affiliées du groupe de A pour le non-paiement de leurs factures sur D” [125].
La cour d'appel de Bruxelles a, en conséquence, réformé l'ordonnance du président du tribunal de commerce.
41.Cette décision nous permet de souligner que si l'état de nécessité, de par son caractère téléologique, présente une certaine part d'indétermination, il s'assortit néanmoins de conditions.
Ainsi, aucun des deux juges n'a fait l'impasse sur l'examen de ces conditions, et plus particulièrement celles de l'existence d'une alternative inéluctable et de l'utilité sociale de l'acte nécessaire. Qu'un juge d'appel ait une appréciation différente de celle du juge de première instance n'est pas, en soi, le signe d'une faiblesse de la théorie. Il s'agit, au contraire, de l'essence même du système des voies de recours.
Cette affaire démontre également que l'existence de la crise économique ne suffit pas en elle-même pour invoquer utilement l'argument de l'état de nécessité, il faut encore que la partie qui invoque ce fait justificatif démontre concrètement l'existence pour elle d'une alternative inéluctable qui justifie qu'elle ait méconnu ses obligations afin de sauvegarder un intérêt plus important.
Conclusion |
42.En définitive, la question de l'état de nécessité, en tant que fait justificatif susceptible d'ôter son aspect fautif à un acte, s'inscrit dans une tendance générale réexaminant les pouvoirs du juge à l'égard des règles de droit.
L'état de nécessité est l'exception que l'obligé pourra apporter à la règle qui l'oblige parce qu'un but domine cette règle elle-même. Ce but, cette finalité, c'est la sauvegarde d'un intérêt. L'état de nécessité implique dès lors une comparaison entre, d'une part, l'intérêt sauvegardé par l'obligé et, d'autre part, l'intérêt sacrifié par la méconnaissance de ses obligations (légales, conventionnelles ou de prudence). C'est au juge qu'il appartient d'opérer la mise en balance de ces intérêts afin de déterminer celui qui, en définitive, doit l'emporter.
L'objet véritable des discussions relatives à l'état de nécessité n'est donc pas tant l'effet 'exonératoire' de responsabilité de telle ou telle situation de fait, mais bien la question des pouvoirs du juge à l'égard de la loi et du contrat. R. Savatier pose à cet égard la question suivante: “Les tribunaux n'excèdent-ils pas ici leur rôle? […] Si l'intérêt social justifie véritablement ces atteintes au droit établi, c'est au législateur à intervenir” [126].
Dans l'appréciation de l'état de nécessité, le juge dépasse les limites de sa fonction traditionnelle de jurisdictio, et exerce, en statuant d'après les nécessités, un pouvoir plus libre de décision. L'on mesure aisément les dangers de l'évolution: du juge bouche de la loi, serions-nous passés au gouvernement des juges? Où le juge puise-t-il son sentiment d'équilibre, de proportionnalité des intérêts en présence?
La réalité est qu'il ne relève pas du pouvoir de l'être humain d'édicter une règle qui ne connaîtrait jamais d'exception. Il faut accepter ce constat inévitable et reconnaître un caractère sui generis à la théorie de la nécessité. Ce n'est en effet qu'en définissant les critères et la méthode qui doivent être suivis par le juge, que l'on diminue l'insécurité juridique inhérente à la notion d'état de nécessité.
[1] | Avocat Linklaters LLP. L'auteur remercie Xavier Taton, avocat au barreau de Bruxelles, pour son aide et ses précieux conseils dans la préparation de cet article. |
[2] | Après avoir quitté la Société des Nations en 1923, Jean Monnet a participé à la création d'une banque d'investissements américaine. Il s'en est éloigné après un échec dû à la crise boursière de 1929. Regrettant que les Américains aient si longtemps tardé à réformer leur système bancaire, il a observé dans ses Mémoires: “Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise.” (Mémoires, Paris, Fayard, 1976). |
[3] | Les soliloques de Saint Augustin, mis en vers françois, avec le latin, et une méditation sur le jugement dernier, Paris, Jean Couterot, 1616. |
[4] | D. De Laerte, Vie et doctrine des philosophes de l'Antiquité, Paris, Charpentier, 1847. |
[5] | Voy. 'Nécessaire', 2° et 3°, Le Petit Larousse, 2005. |
[6] | Voy. P. Wéry, “L'état de nécessité et l'élision de la faute aquilienne et de la faute contractuelle” (note sous Trib. trav. Charleroi 10 février 1986), RRD 1987, p. 109. |
[7] | Cicéron (106-43 av. J.-C.) a ainsi été le premier à édifier une véritable théorie de l'état de nécessité, consacrant en des termes clairs le conflit d'intérêts que suppose la nécessité (voy. P. Moriaud, De la justification du délit par l'état de nécessité, Genève, R. Burkhardt, 1889, p. 59 et J. Fabisch, Essai sur l'état de nécessité, Lyon, Legendre & Cie, 1903, p. 35). Il faudra toutefois attendre la législation de Justinien, le Corpus Iuris Civilis (529 ap. J.-C.), pour trouver des textes excusant ou justifiant les délits nécessaires (voy. e.g. C. ad legem Corneliam de sicariis, liv. IX, chap. XVI; L. I, D. de boni eorum, qui ante, etc., liv. XLVIII, chap. XXI; L. 3, § 7, D. de incendio, liv. XLVII, chap. IX). Le Corpus Iuris Civilis ne permet cependant pas de dégager une théorie générale de l'état de nécessité: il réglemente isolément des hypothèses particulières et omet, le plus souvent, d'expliquer sur quels principes s'appuient ces solutions, de sorte que les idées directrices que les auteurs étudiés ont pu tirer de ces textes ne prétendent pas au statut de principes juridiques absolus (voy. H. De Hoon, “De l'état de nécessité en droit pénal et civil”, Rev.dr.b.1911-20, pp. 42 et 43). |
[8] | D'après le Corpus Iuris Canonici (début XVIème siècle), l'état de nécessité est un état de choses dans lequel l'observation de la loi entraînerait un mal bien plus important que celui résultant de la transgression. Lorsque cet état survient, la loi disparaît: “La nécessité n'a pas de loi”; une nouvelle loi s'applique, celle de la nécessité; et, en ce sens, “quod non est licitum lege necessitas facit licitum” (“Ce qui n'est pas licite dans la loi le devient dans la nécessité”; Cap. 4, X, de Regulis iuris, V, XLI). De nombreux passages exigent que cette nécessité soit pressante ('urgens') et inévitable (voy. H. De Hoon, o.c., p. 44). |
[9] | La Constitution criminelle de Charles-Quint (1532) consacrait ainsi l'impunité de l'auteur d'un vol d'aliments 'nécessité par la faim'. Par la suite, une interprétation extensive du terme 'famine' ('hungersnot') a étendu l'impunité à l'ensemble des délits en situation de nécessité ((voy. P. Moriaud, o.c., pp. 83 à 85 et H. De Hoon, o.c., p. 46). |
[10] | Il s'agit notamment de l'art. R. 38-11° de l'ancien Code pénal français relatif à l'encombrement de la voie publique (justifiant l'auteur de cette contravention lorsqu'il n'a pas pu faire autrement); de l'art. R. 40-9° concernant l'abattage d'animaux domestiques (qui punit ceux qui ont tué ces animaux 'sans nécessité'); des art. 274 et 275 (abrogés par le 'nouveau' Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994) aux termes desquels le délit de mendicité se trouvait justifié lorsqu'il n'existait pas, dans la commune, de dépôt de mendicité (voy. H. Donnedieu De Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, Paris, Sirey, 1937, p. 220, n° 382). |
[11] | Ces dispositions ne concernaient que l'homicide et les blessures et ne reconnaissaient d'effet justificatif qu'à 'l'ordre de la loi', au 'commandement de l'autorité légitime' et à la légitime défense (G. Viney, “Les conditions de la responsabilité” in J. Ghestin (dir.), Traité de droit civil, 3ème éd., Paris, LGDJ, 2006, p. 558, n° 557). |
[12] | Voy. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, T. I, 3ème éd., nos 382 à 389. |
[13] | Sur les différents fondements utilisés par les tribunaux pour remédier aux lacunes de la loi, voy. J.-Y. Chevallier, “L'état de nécessité” in Mélanges en l'honneur du doyen Pierre Bouzat, Paris, Pedone, 1980, pp. 122 à 127 et les références (note n° 32). Voy. ainsi notamment Cass. crim. 6 janvier 1966, D. 1966, somm. 99, qui énonce que les juges du fond doivent obligatoirement apprécier la valeur du moyen de défense tiré de l'état de nécessité lorsque celui-ci est allégué devant eux. Aujourd'hui, le nouveau Code pénal français, entré en vigueur le 1er mars 1994, a ajouté l'état de nécessité parmi les 'causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité', entérinant ainsi les initiatives de la jurisprudence (art. 122-7 du Code pénal français). |
[14] | Ont ainsi été évoquées, non sans certaines contradictions, la légitime défense, nonobstant l'absence de toute agression (voy. Gand 2 mai 1901, Pas. 1901, II, p. 330), ou encore la contrainte de l'art. 71 du Code pénal, en dépit du fait que l'agent ait pu librement peser le pour et le contre avant d'agir (voy. Cass. 6 avril 1971, Pas. 1971, I, p. 720; Cass. 21 mars 1979, Pas. 1979, I, p. 862). |
[15] | P. Foriers, De l'état de nécessité en droit pénal, Bruxelles, Bruylant, 1951, n° 507. |
[16] | J.-J. Haus, Principes généraux du droit pénal belge, 3ème éd., 1879, p. 460. |
[17] | Cass. 6 avril 1971, Pas. 1971, I, p. 720; Cass. 8 octobre 1973, Pas. 1974, I, p. 139; Cass. 10 mai 1977, Pas. 1977, I, p. 916; Bruxelles 17 décembre 1986, JT 1987, p. 127. |
[18] | G. Viney, o.c., p. 560, n° 557. |
[19] | Le principe de la primauté du criminel sur le civil, et notamment le principe de l'autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil, devant être appliqué par les tribunaux. |
[20] | Depuis l'arrêt du 15 mai 1930, la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, fait application de ces principes. Voy. ainsi: Cass. 5 mars 1964, Pas. 1964, I, p. 725; Cass. 3 octobre 1966, Pas. 1967, I, p. 141; Cass. 9 janvier 1970, Pas. 1970, I, p. 394; Cass. 20 mars 1979, Pas. 1979, I, p. 842. |
[21] | Cass. 15 mai 1930, Pas. 1930, I, p. 228. Nous soulignons. |
[22] | Conclusions avant Cass. 15 mai 1930, précité, p. 224. Nous soulignons. |
[23] | Voy. infra p. 72. |
[24] | H. De Page, o.c., p. 1098, n° 1040. |
[25] | J. Aboaf, L'état de nécessité et la responsabilité délictuelle, Paris, LGDJ, 1942, p. 22. Voy. également en ce sens: P. Wéry, o.c., p. 109 et O. Caprasse, “La responsabilité des administrateurs provisoires d'une société en cas de violation d'une obligation légale” (note sous Liège 24 octobre 2003), D.A. O.R. 2004, p. 72. |
[26] | Voy. ainsi la doctrine française qui rejette expressément cette condition: G. Viney, o.c., p. 577, n° 568; J. Aboaf, o.c., p. 23; J.-Y. Chevallier, o.c., pp. 128 à 130. |
[27] | J. Aboaf, o.c., p. 24. |
[28] | En ce sens: J. Verhaegen, “L'acte de sauvetage inadéquat et ses conséquences pénales et civiles” (note sous Cass. (2ème ch.) 21 mars 1979), RCJB 1982, p. 144; P. Wéry, o.c., p. 109; H. De Hoon, o.c., p. 79. Et la doctrine française: R. Savatier, Traité de la responsabilité civile en droit français, T. I, 2ème éd., Paris, LGDJ, 1951, p. 123; J. Aboaf, o.c., p. 19; G. Viney, o.c., p. 577, n° 567. |
[29] | H. De Hoon, o.c., p. 79; L. Cornelis et P. Van Ommeslaghe, “Les faits justificatifs dans le droit belge de la responsabilité aquilienne” in Memoriam Jean Limpens, 1987, p. 279; P. Wéry, o.c., p. 109; M.-A. Delvaux, “Où l'on apprend que l'état de nécessité permet aux dirigeants de méconnaître en toute impunité les obligations sociales et fiscales pesant sur la société gérée” (note sous Liège 24 octobre 2003), JDSC, 7ème éd., 2005, pp. 177 et 178; O. Caprasse, o.c., p. 72; J. Verhaegen, o.c., p. 145; P. Moriaud, o.c., pp. 251 et s.; J. Aboaf, o.c., p. 28; R. Savatier, o.c., p. 123; H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile, T. I, 6ème éd., Paris, Monchrestien, 1965, p. 547, n° 488 et p. 556, n° 493; G. Viney, o.c., p. 578, n° 570. |
[30] | Voy. P. Wéry, o.c., p. 108; O. Caprasse, o.c., p. 71; L. Cornelis et P. Van Ommeslaghe, o.c., pp. 277 et s.; M.-A. Delvaux, o.c., p. 178; L. Cornelis, Principes du droit belge de la responsabilité contractuelle, Bruxelles, Bruylant, 1991, pp. 31 et s. |
[31] | J. Aboaf, o.c., p. 2. |
[32] | Cass. 5 juin 2003, RG C.01.0252.F, inédit. |
[33] | La faute civile doit donc faire l'objet d'une appréciation in abstracto (Cass. 5 juin 2003, RG C.01.0252.F., inédit), eu égard aux qualités, à l'expérience, aux 'défauts' d'un homme normalement prudent et raisonnable (L. Cornelis et P. Van Ommeslaghe, o.c., p. 269). Il s'agit là d'une différence importante que présente la faute civile par rapport à la faute pénale. Le juge pénal se livrera, en effet, à une appréciation in concreto de la faute pénale (P. Wéry, o.c., p. 111). Mais la faute civile n'est pas pour autant étrangère à tout élément subjectif. La jurisprudence admet, en effet, qu'aucune faute ne saurait être reconnue dans le chef du défendeur à défaut de la faculté de discernement (Cass. 30 mai 1969, Pas. 1969, I, p. 879). Or, la décision relative à la présence de pareille faculté reposera nécessairement sur un examen de la personnalité du défendeur. Il s'agit donc bien d'un élément subjectif (L. Cornelis et P. Van Ommeslaghe, o.c., p. 269). |
[34] | L. Cornelis et P. Van Ommeslaghe, ibid., p. 271 et les références (note n° 25). |
[35] | P. Wéry, o.c., p. 115. |
[36] | Cass. 10 avril 1970, Pas. 1970, I, p. 682; Cass. 22 septembre 1988, Pas. 1989, I, p. 83; Cass. 3 octobre 1994, JT, p. 26. |
[37] | Cass. 13 mai 1982, JT 1982, p. 772, RCJB 1984, p. 10, note R.O. Dalcq, “Unité ou dualité des notions de faute et d'illégalité”. |
[38] | Cass. 26 juin 1998, RCJB 2001, pp. 21 et s. et note B. Dubuisson, “Faute, illégalité et erreur d'interprétation en droit de la responsabilité civile”. Voy. également les arrêts des 3 octobre 1994 et 22 septembre 1988, précités. |
[39] | Sur cette question voy. pour la doctrine belge: M.-A. Delvaux, o.c., p. 177; O. Caprasse, o.c., pp. 71 et s.; L. Cornelis et P. Van Ommeslaghe, o.c., p. 274. Et pour la doctrine française: J. Aboaf, o.c., p. 24 et P. Lallement, L'état de nécessité en matière civile, Paris, Les Presses universitaires de France, 1922, n° 64. |
[40] | R. Pallard, o.c., p. 14. |
[41] | Voy. M. Storme, De bewijslast in het Belgisch privaatsrecht, Gent, E.Story-Scientia, 1962, pp. 109 et s. |
[42] | L. Cornelis et P. Van Ommeslaghe, o.c., p. 272. |
[43] | Voy. O. Caprasse, o.c., p. 71. Contra: L. Cornelis, o.c., pp. 31 et s. |
[44] | Cass. 15 mai 1930, Pas. 1930, I, p. 228. |
[45] | Conclusions avant Cass. 15 mai 1930, Pas. 1930, I, p. 223. Nous soulignons. |
[46] | En ce sens: H. De Page, o.c., p. 1098, n° 1040; M.-A. Delvaux, o.c., pp. 178 et 179; P. Wéry, o.c., pp. 121 et 122; A. Vanheuverzwijn, “Force majeure et responsabilité aquilienne”, Bull.ass. 1967, pp. 974 et 977; J.-L. Fagnart et M. Deneve, “Chronique de jurisprudence. La responsabilité civile (1976-1984)”, JT 1986, p. 300; G. Viney, o.c., p. 666. Contra: L. Cornelis et P. Van Ommeslaghe qui assimilent les faits justificatifs aux causes étrangères, mais considèrent néanmoins que ces dernières ont pour effet, non pas de rompre le lien causal entre la faute et le dommage, mais bien d'annihiler la faute dans le chef de l'agent (o.c., p. 267); et la doctrine française: R. Pallard, o.c., pp. 261 et s.; H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité, T. I, p. 555, n° 492 et la note n° 5; P. Antonmattei, Contribution à l'étude de la force majeure, Paris, LGDJ, 1992, pp. 104 et 105. |
[47] | J. Limpens, R.M. Kruithof et A. Meinertzhagen-Limpens, “Liability for one's own act” in International Encyclopedia of comparative law, vol. XI, ch. 2, p. 81, n° 165. |
[48] | Voy. en ce sens P. Wéry, o.c., p. 121. |
[49] | H. De Page, Traité, T. II, p. 1097, n° 1036bis. Nous soulignons. Voy. également Liège 23 février 1961, RGAR 1961, n° 6.684 (“En vertu de la théorie de l'équivalence des conditions, le cas fortuit n'exclut pas la faute lorsque les deux éléments ont concouru à la réalisation du dommage. Le rapport de causalité entre la force majeure et le dommage doit être complet et total pour que la responsabilité disparaisse (…)”); Cass. 6 mars 1934, Pas. 1934, I, p. 207; Cass. 5 octobre 1953, JT 1954, p. 148. |
[50] | J. Pelissier, Faits justificatifs et action civile, D. 1963, Chron., p. 121, cité par P. Antonmattei, o.c., p. 104. |
[51] | Cicéron disait déjà: “Vous ne trouverez aucune action nécessaire, que par une cause que nous appelons accessoire.” (De Inventione, liv. II, chap. LVII). |
[52] | P. Wéry, o.c., p. 121. |
[53] | Voy. ainsi: Liège 24 octobre 2003, FJF 2005, liv. 5, p. 407, JDSC, 7ème éd., 2005, p. 176 et la note de M.-A. Delvaux, D.A. O.R. 2005, p. 66 et la note de O. Caprasse; pour un exemple français: Montpellier 27 novembre 1945, Gaz.Pal. 1946, I, p. 62, cité par G. Viney, “Les conditions (…)”, o.c., p. 577, n° 568; et en matière pénale: Bruxelles (11ème ch.) 17 décembre 1986, JT 1987, p. 127. |
[54] | Voy. notamment: dans l'arrêt de la cour d'appel de Liège du 24 octobre 2003, examiné ci-dessous, les motifs suivants:“le péril imminent constitué par une cessation brutale des activités débouchant sur une fermeture d'entreprise sans espoir”, “le risque de fermeture était réel” (JDSC, 7ème éd., 2005, p. 175); en matière pénale: Corr. Anvers 3 mai 1991, JT 1993, p. 296:“la notion d'état de nécessité implique qu'il y ait danger actuel certain et sérieux, à l'égard d'un bien ou d'un intérêt protégé par le droit; il ne suffit certainement pas d'évoquer un péril imaginaire, possible ou lointain pour pouvoir se réclamer d'un 'état de nécessité' au sens de l'article 71 du Code pénal”. |
[55] | Voy. les termes de l'arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 1930: “que le capitaine a été forcé d'agir comme il l'a fait […]; qu'il n'a commis aucune faute contre les règles de la prudence ou de l'art nautique […]” ( Pas. 1930, I, p. 228) et les conclusions de l'avocat général: “[…] un homme par une conjoncture qu'il n'avait en rien contribué à créé […] a été acculé à cette alternative” (p. 225). En matière commerciale, une conjoncture économique défavorable est souvent mise en lumière par le juge. Voy. ainsi les termes du jugement du tribunal du travail de Charleroi du 10 février 1986 examiné ci-dessous qui constate que “[l]a conjoncture économique mondiale de l'acier avait été, ces dernières années très défavorable” (Trib.trav. Charleroi 10 février 1986, RRD 1987, p. 157). Voy. également les termes de la décision de la cour d'appel de Liège du 24 octobre 2003 examinée ci-dessous, en ce qu'elle constate que s'il est évident que le non-paiement du fisc constitue une transgression susceptible d'engager la responsabilité des administrateurs provisoires, “tel n'est pas le cas dans le contexte économique et social très particulier de la présente affaire” (Liège 24 octobre 2003, JDSC, 7ème éd., 2005, p. 176). |
[56] | Voy., en matière pénale, Cass. (2ème ch.) 13 novembre 2001, Pas. 2001, II, p. 1848:“l'état de nécessité ne saurait être admis lorsque l'auteur s'est mis sciemment et sans y être contraint, dans une situation débouchant de manière prévisible sur un conflit d'intérêts; qu'en pareil cas, le respect du devoir sanctionné pénalement impose que l'auteur ne se place pas dans cette situation”. |
[57] | J. Aboaf, o.c., p. 24. |
[58] | Voy. en ce sens: R. Pallard, o.c., p. 229; G. Viney, “Les conditions (…)”, o.c., p. 577, n° 569; en matière pénale: J.-Y. Chevallier, o.c., p. 132 et les références (note n° 48). |
[59] | P. Lallement, o.c., n° 64. |
[60] | J. Aboaf, o.c., p. 142. |
[61] | Voy. Cass. 23 février 1967, Pas. 1967, I, p. 782: “En matière d'exécution de conventions, la force majeure suppose un obstacle insurmontable; ne constitue pas, dès lors, la force majeure la circonstance qui ne rend pas l'exécution du contrat absolument impossible, mais la rend seulement plus difficile ou plus onéreuse.” |
[62] | Comm. Bruxelles 9 mars 1981, JCB 1982, pp. 165 à 170. |
[63] | Cass. 21 juin 1991, Pas. 1991, I, p. 926; Cass. 7 février 1994, Pas. 1994, I, p. 150; Cass. 14 avril 1994, Pas. 1994, I, p. 365; Cass. 21 janvier 1999, Pas. 1999, I, p. 35; Cass. 16 juin 2000, Pas. 2000, I, p. 374; Cass. 20 avril 2006, Pas. 2006, I, p. 884; Cass. 14 octobre 2010, RG C.09.0608.F, inédit. Sur cette question voy. D. Philippe, “Le point sur … l'imprévision”, JT 2007, pp. 738 à 741. |
[64] | La Cour de cassation, suivie en ce sens par les juges du fond, rappelle d'ailleurs fréquemment la distinction entre la force majeure et l'imprévision. Voy. Cass. 23 février 1967, Pas. 1967, I, p. 782; Cass. 10 avril 1979, Pas. 1979, I, p. 950; Bruxelles 22 juin 1984, JT 1986, p. 164 (“La circonstance qu'il soit devenu plus onéreux de faire face aux obligations ressortit à l'imprévision et non à la force majeure libératoire de la prestation prévue”); Mons 10 avril 1989, Rev.not.b. 1989, p. 53; Bruxelles 27 janvier 2011, RG 2004/AR/1114, inédit. |
[65] | Voy. en ce sens P. Wéry, o.c., p. 123. |
[66] | Trib.trav. Charleroi 10 février 1986, RRD 1987, p. 155. |
[67] | Trib.trav. Charleroi 10 février 1986, RRD 1987, p. 155. Nous soulignons. |
[68] | Liège 26 octobre 2001, disponible sur le site www.monkey.be . |
[69] | Il convient de souligner l'importance de cette jurisprudence eu égard la loi-programme du 20 juillet 2006 (MB 28 juillet 2006) qui a considérablement aggravé les risques encourus par les dirigeants chargés de la gestion journalière, en les rendant solidairement responsables, sous certaines conditions, du paiement du précompte professionnel et de la TVA non payée par la société. |
[70] | Voy. supra, n° 10. |
[71] | Nous soulignons. |
[72] | Nous soulignons. |
[73] | Liège 24 octobre 2003, JDSC, 7ème éd., 2005, p. 174, D.A. O.R. 2004, p. 66. |
[74] | Nous soulignons. |
[75] | Nous soulignons. |
[76] | Liège 24 octobre 2003, JDSC, 7ème éd., 2005, p. 176. Notons qu'en l'espèce, c'est la responsabilité des administrateurs provisoires qui était en cause. La situation aurait peut-être été différente s'agissant des dirigeants de la société puisque la cour aurait pu leur reprocher éventuellement d'avoir été à l'origine de l'état de nécessité (voy. supra, n° 16). La cour d'appel prend, en outre, la peine de souligner que la période de non-retenue des précomptes dura un laps de temps très réduit, au cours d'une période de vacances. |
[77] | Voy. notamment les termes suivants: “Attendu que l'état de nécessité résultant de cette situation constitue une cause d'exonération assimilée au cas fortuit et à la force majeure (Cass. 15 mai 1930, Pas. 1930, I, p. 223)” (Liège 24 octobre 2003, D.A. O.R. 2004, p. 67). |
[78] | Voy. en ce sens M.-A. Delvaux, o.c., p. 179. |
[79] | Anvers 30 janvier 2003, JDSC, 7ème éd., 2005, p. 180. |
[80] | R. Pallard, o.c., p. 109. |
[81] | H. De Hoon, o.c., p. 79; L. Cornelis et P. Van Ommeslaghe, o.c. et les références (note n° 71); P. Wéry, o.c., p. 109; M.-A. Delvaux, o.c., pp. 177 et 178; J. Verhaegen, o.c., p. 145; P. Moriaud, o.c., pp. 251 et s.; J. Aboaf, o.c., p. 28; R. Savatier, o.c., p. 123; H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile, T. I, 6ème éd., Paris, Monchrestien, 1965, p. 547, n° 488 et p. 556, n° 493 (cité ci-après H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité, T. I); G. Viney, “Les conditions (…)”, o.c., p. 578, n° 570. |
[82] | P. Moriaud, o.c., p. 251. |
[83] | H. De Hoon, o.c., p. 79. |
[84] | Trib.trav. Charleroi 10 février 1986, RRD 1987, p. 158. |
[85] | Trib.trav. Charleroi 10 février 1986, RRD 1987, p. 158. Nous soulignons. |
[86] | Comm. Bruxelles 9 mars 1981, JCB 1982, p. 164. Voy. supra, n° 19. |
[87] | Liège 24 octobre 2003, JDSC, 7ème éd., 2005, p. 175. |
[88] | M.-A. Delvaux, o.c., p. 178. Voy. également, dans l'arrêt, les motifs suivants:“le péril imminent constitué par une cessation brutale des activités débouchant sur une fermeture d'entreprise sans espoir”; “le risque de fermeture était réel”. |
[89] | R. Savatier s'est ainsi attaché à établir une classification des différents cas de nécessité en fonction des intérêts en conflit (R. Savatier, o.c., p. 123). |
[90] | P. Wéry, o.c., p. 117. |
[91] | Voy. A. Jacquemin et B. Remiche (dirs.), Les magistratures économiques et la crise, Bruxelles, CRISP, 1984. |
[92] | G. Canivet, Les Echos, 1er mars 2004, cité par M.-A. Frison-Roche et S. Bonfils, Les grandes questions du droit économique. Introduction et documents, Paris, Presses universitaires de France, 2005, p. 14. |
[93] | A. Jacquemin et B. Remiche (dirs.), “Le pouvoir judiciaire. Entre l'opportunité et la légalité économiques”, o.c., p. 7. |
[94] | P. Martens, “Les tribunaux de commerce et la crise. Entre le déni de justice et l'excès de pouvoir” in A. Jacquemin et B. Remiche (dirs.), ibid., p. 149. |
[95] | P. Martens, ibid., p. 149. |
[96] | L'on sait aujourd'hui que la démarche qui consiste à multiplier les mesures d'opportunité et les lois de crises est illusoire. La loi n'a pas vocation à tout régir. Nous pouvons ainsi citer à titre d'exemple la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises (MB 9 février 2009). Les parlementaires ont d'ailleurs souligné que: “Le droit des procédures collectives subit, dans la plupart des Etats européens, une évolution rapide, tant sous l'inuence des instruments juridiques internationaux, […], que sous l'inuence des mutations du modèle économique. Cela implique d'offrir une plus grande variété de réponses aux crises que connaissent les entreprises” (Doc.parl. Chambre, sess. extr. 2007, n° 0160/001). Voy. également la loi du 2 juin 2010 visant à compléter les mesures de redressement applicables aux entreprises relevant du secteur bancaire et financier (MB 14 juin 2010). Cette loi, inspirée par les mouvements de grogne qu'a suscités l'intervention de l'Etat pour secourir Fortis, vise à fournir les outils nécessaires pour, en cas de crise, faciliter l'intervention rapide des pouvoirs publics tout en protégeant l'Etat contre une série de contestations pouvant émaner, notamment, des actionnaires. |
[97] | A. Jacquemin et B. Remiche (dirs.), ibid., p. 16. Nous soulignons. |
[98] | F. Ost, “Entre jeu et providence. Le juge des relations économiques” in A. Jacquemin et B. Remiche (dirs.), o.c., p. 71. |
[99] | E. Cerexhe, B. Haubert et J. Regnier, Principes généraux et fondements du droit: le phénomène institutionnel, juridictionnel et normatif, Namur, Presses universitaires, 1977, p. 409. Nous soulignons. |
[100] | Art. 2 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites (MB 28 octobre 1997). |
[101] | P. Martens, o.c., p. 166. |
[102] | Sur la doctrine selon laquelle la juridiction commerciale ne peut se soucier de l'intérêt général (au motif qu'il serait une norme pour le législateur mais pas pour le juge) et les raisons qui justifient son rejet, voy. P. Martens, o.c., pp. 151 à 154. |
[103] | J. Mertens de Wilmar, “Le juge et le droit économique”, JT 1976, p. 717. Voy. également T. Tilquin et V. Simonart, Traité des sociétés, T. I, Diegem, Kluwer, 1996, p. 817. |
[104] | Voy. en matière de faillite les termes employés par le tribunal de commerce de Nivelles dans son jugement du 19 décembre 1974: “attendu que la faillite de la société citée doit normalement entraîner le licenciement de tous les travailleurs qui y sont occupés; (…) que l'intérêt des travailleurs commande que le fonctionnement de l'entreprise leur assure le maintien de l'emploi et de la sécurité; (…) que l'intérêt économique commande qu'une entreprise rentable ne voit pas son activité arrêtée brusquement pour le seul motif qu'elle est mal gérée; (…) qu'il est également de l'intérêt général des créanciers de l'entreprise que l'exploitation commerciale de cette dernière assure des rentrées de nature à apurer les dettes; (…) que la demande du curateur tendant à la continuation provisoire des activités commerciales (…) est justifiée et qu'il convient d'y faire droit” (JT 1975, p. 428). |
[105] | J. Englebert, “Le référé judiciaire: principes et questions de procédures” in Le référé judicaire, Ed. Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles, 2003, pp. 6 et 12. |
[106] | Voy. J. Englebert, “Le référé judiciaire...”, p. 62. |
[107] | Cass. 9 septembre 1982, Pas. 1983, I, p. 48. |
[108] | G. de Leval, “L'examen du fond des affaires par le juge des référés”, JT 1982, p. 423. |
[109] | Voy. M. Horsmans, “Le juge des référés et le droit des sociétés”, Rev.prat.soc. 1969, p. 47. |
[110] | Pour une étude approfondie de la balance des intérêts dans le cadre du référé, voy. X. Taton, “La balance des intérêts ou l'incertitude traditionnelle du référé” in J. Englebert (dir.), Questions de droit judiciaire inspirées de l'affaire 'Fortis', Bruxelles, Larcier, pp. 155 à 176. Voy. également en ce sens G. Closset-Marchal, La compétence en droit judiciaire privé, Précis de la Faculté de Droit de l'Université catholique de Louvain, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 257, n° 367. |
[111] | J. Van Rijn et P. Van Ommeslaghe, “Examen de jurisprudence. Les sociétés commerciales (1966-1971)”, RCJB 1973, p. 413. |
[112] | L. Aynès, “Crise économique et rapports de droit privé” in Droit de la crise: crise du droit? Les incidences de la crise économique sur l'évolution du système juridique, Vème Journées René Savatier, Paris, Presses universitaires de France, 1997, p. 68. |
[113] | Sur cette question, voy. J.-F. Romain, “Le principe de la convention-loi (portée et limites): réflexions au sujet d'un nouveau paradigme contractuel” in Les obligations contractuelles, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 2000, pp. 117 et s. |
[114] | Voy. sur ce point P.-A. Foriers, “Observations sur le thème de l'abus de droit en matière de contractuelle” (note sous Cass. 30 janvier 1992), RCJB 1994, p. 215 et J. Van Zuylen, “Fautes, bonne foi et abus de droit: convergences et divergences”, Ann.dr.Louvain, 2011, pp. 288 et s. Voy. pour la doctrine française: P. Voirin, De l'imprévision dans les rapports de droit privé, Nancy, Vagner, 1922, p. 114. Le contrôle de l'abus par le juge prendra alors la forme d'un contrôle des motifs pour lesquels le droit est exercé; et le sens du mot 'motif' s'est traduit, dans la jurisprudence par l'admission, simultanée ou alternative de deux critères: l'intention (de nuire) et l'utilité (matérielle, économique ou morale). Voy. R. Pallard, o.c., pp. 93 à 96. |
[115] | R. Pallard, ibid., p. 14. |
[116] | Comm. Bruxelles (réf.) 18 novembre 2008, RDC-TBH 2008, 902 et s., DBF 2008, pp. 387 et s. |
[117] | Comm. Bruxelles (réf.) 18 novembre 2008, précité. Nous soulignons. |
[118] | Comm. Bruxelles (réf.) 18 novembre 2008, précité. Nous soulignons. |
[119] | Comm. Bruxelles (réf.) 18 novembre 2008, précité. Nous soulignons. |
[120] | Bruxelles 12 décembre 2008, JLMB 2009, pp. 388 et s. et la note de C. Brüls, “L''intérêt social' de Fortis? Une histoire à suivre”, DBF 2008, pp. 399 et s., JT 2009, pp. 62 et s. |
[121] | Voy. dans l'arrêt les termes suivants: “[…] Pendant cette période de 'gel', la SA BNP Paribas est tenue de maintenir telles quelles ses relations interbancaires qu'elle entretient avec Fortis Banque, sur la base des conditions de marché et suivant le principe 'at arm's length'” (Bruxelles 2 décembre 2008, JLMB 2009, p. 388). |
[122] | Cass. 19 février 2010, RG C.09.0118.F. |
[123] | P.-H. Conac, “Victoire à la Pyrrhus pour l'Etat belge dans l'affaire Fortis ”, Rev.prat.soc. 2011, p. 371. |
[124] | Bruxelles 30 avril 2009, RDC-TBH 2010, 525-531. |
[125] | Bruxelles 30 avril 2009, précité. |
[126] | R. Savatier, o.c., n° 107. |