Cour d'appel de Liège 23 mai 2011
CONCESSION
Concession de vente exclusive - Eléments déterminants - Acte équipollent à rupture - Conséquences
La concession de vente exclusive implique l'existence d'une relation permanente à caractère organique structuré.
Le concédant qui implante une filiale en Belgique se rend coupable d'un acte équipollent à rupture puisqu'il évince son propre distributeur et entreprend de la sorte d'exploiter lui-même le réseau de distribution constitué par celui-ci.
|
CONCESSIE
Concessie van alleenverkoop - Determinerende bestanddelen - Handelingen die met beëindiging gelijk staan - Gevolgen
De concessie van alleenverkoop veronderstelt het bestaan van een permanente verhouding van organisch gestructureerde aard.
De concessiegever die een filiaal inplant in België maakt zich schuldig aan een handeling die met beëindiging gelijk staat omdat hij zijn eigen distributeur verdringt en zich voorneemt zelf het distributienetwerk uit te baten dat de distributeur had opgebouwd.
|
Orapi / Alittex
Siég.: M. Ligot (président), A. Manka et Th. Lambert (conseillers) |
Le 9 avril 2010, la SA de droit français Orapi interjette appel des deux jugements rendus les 2 avril et 26 novembre 2009 par le tribunal de commerce de Liège dans le cadre de l'action introduite par la SPRL Alittex par citation du 11 avril 2008 en vue d'obtenir sa condamnation au paiement de diverses indemnités par application de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée.
Le premier jugement rejette l'exception d'incompétence territoriale soulevée par Orapi, en réalité il s'agissait d'un déclinatoire de juridiction, dit la loi belge applicable et dit pour droit “que les parties ont été liées par un contrat de concession exclusive de vente depuis décembre 2002 jusqu'à septembre 2007 (et que) Alittex est en droit de réclamer une indemnité compensatoire de préavis et une indemnité pour plus-value notable de clientèle, à l'exclusion d'une indemnité complémentaire pour frais”.
Le second jugement fixe la durée du préavis raisonnable auquel Alittex aurait pu prétendre à neuf mois et condamne Orapi au paiement d'une indemnité compensatoire de préavis et d'une indemnité complémentaire pour plus-value notable de clientèle qui totalisent ensemble 113.497,47 EUR avec les intérêts au taux légal depuis le 26 octobre 2007 et les dépens liquidés à 5.376,27 EUR.
(...)
Par conclusions du 15 septembre 2010, Alittex a formé un appel incident à l'encontre des deux jugements; en fait, cet appel ne vise que le second jugement puisqu'il porte sur l'indemnité compensatoire de préavis qui doit, selon elle, être calculée sur base d'une période de dix-huit mois.
(...)
L'exposé des antécédents du litige et de l'objet des demandes peut être emprunté aux premiers juges.
Il suffit de rappeler
- qu'Orapi fabrique et commercialise des produits consommables techniques nécessaires à l'entretien, la maintenance du matériel et des machines, le procès de fabrication, l'hygiène et la décontamination dans tous les secteurs d'activité: industrie, transports, collectivités et services;
- qu'Alittex a commencé à vendre des produits Orapi en 1999;
- qu'en 2004 elle a développé une activité dans le domaine de l'éclairage qui a pris de plus en plus d'importance à partir de 2005;
- que les relations ont pris fin entre Orapi et Alittex en 2007 lorsque la seconde a constaté que la première s'adressait à sa clientèle en lui demandant de s'adresser directement à elle pour l'exécution de nouvelles commandes.
La première question qui doit être tranchée est celle de savoir si les parties étaient bien liées par un contrat de concession exclusive de vente.
(...)
Au terme d'une analyse complète et minutieuse des faits de la cause que la cour s'approprie (jugement du 2 avril 2009, pts. 3.2. et 3.3., pp. 4, 5 et 6), le tribunal de commerce a décidé à bon droit que les parties ont été liées par un contrat de concession de vente soumis à la loi du 27 juillet 1961, dont il n'est pas démontré qu'il ait débuté avant fin décembre 2002, et non 1999, ne s'étendant qu'au territoire de la Wallonie et limité au marché du 'gros'.
En l'espèce, il y a bien eu un cadre structuré et Orapi a bien demandé à Alittex de mettre en place une organisation de vente pour la Wallonie, ce qui a été fait, et pour la Flandre, ce qui n'a pas été concrétisé et en contrepartie de cette organisation, Alittex s'est vu reconnaître le droit exclusif d'approvisionner les revendeurs professionnels à l'exception de deux d'entre eux, conventionnellement réservés à Orapi.
(...)
Il y avait donc bien un cadre structuré constitué pour la Wallonie et inabouti pour les Flandres et une concession de vente exclusive à durée indéterminée au sens de la loi du 27 juillet 1961.
C'est toujours à bon droit que les premiers juges ont décidé qu'en entreprenant la prospection directe de la clientèle spécifiquement réservée à Alittex en septembre 2007 - soit au moment même où coïncidence, Orapi implante une filiale en Belgique -, celle-ci s'était rendue coupable d'un acte équipollent à rupture puisqu'elle évince son propre distributeur et entreprend de la sorte d'exploiter elle-même le réseau de distribution constitué par celui-ci en Wallonie.
Alittex était donc bien fondée à réclamer la condamnation d'Orapi au paiement d'une indemnité compensatoire de préavis.
“Le préavis raisonnable qu'il soit donné par le concédant ou par le concessionnaire, est celui qui est d'une durée suffisante pour permettre à la partie à laquelle il est notifié de rétablir sa situation; il s'agit donc du temps raisonnable nécessaire à la partie qui subit la résiliation pour se procurer une source de revenus équivalente.
Dans le cas du concessionnaire, cette notion a correspondu tout un temps à l'idée du remplacement de la concession perdue par une concession lui procurant des résultats équivalents et a évolué vers la substitution du terme 'situation' à celui de concession. Ainsi la durée du préavis correspond dans le dernier état de la jurisprudence au temps nécessaire au concessionnaire pour se procurer des revenus nets équivalents à ceux qu'il a perdus, quitte à reconvertir totalement ou partiellement ses activités” (M. et S. Willemart et J.-P. Hordies, o.c., TPDC, T. 2, 2ème éd., n° 1093; J.-P. Fierens, A. Mottet Haugaard, T. Faelli et S. Griess, “Chronique de jurisprudence. La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation des concessions de vente à durée indéterminée (1997-2007)”, Les dossiers du JT, n° 70, n° 58, pp. 56 et s.).
En l'espèce, même si ainsi que l'ont décidé à bon droit les premiers juges, il ne peut être question de pénaliser le concessionnaire pour avoir à partir de 2004 diversifié son activité en développant un nouveau secteur à savoir celui de l'éclairage, activité non concurrentielle au secteur d'activités de Orapi, il reste qu'il doit être tenu compte du fait que les activités de Alittex dans le domaine de l'éclairage en progression constante lui donnaient la possibilité de se recycler et de 'retomber sur ses pieds' (L. Du Jardin, “Concession de vente exclusive: comment éviter les conflits de la résiliation?”, CJ 2004, p. 186) sans grande difficulté et ce d'autant qu'elle n'a jamais dû réaliser aucun investissement significatif en vue de la vente des produits Orapi.
Sur base de ces éléments et des autres pris en considération par les premiers juges, soit la durée de la concession (quatre ans et neuf mois), la part de la concession dans les activités du concessionnaire (qui passe de 15,97% en 2005 à 15,89% en 2006 et à 8,31% pour les 9 premiers mois de l'année 2007 - v. le tableau non discuté quant aux chiffres d'affaires dont il est fait état établi par le tribunal de commerce dans son jugement du 26 novembre 2009, p. 3), de l'étendue territoriale de la concession (la Wallonie) et de la haute technicité des produits, la durée du préavis dont Alittex aurait dû bénéficier peut être fixée à six mois.
L'indemnité compensatoire de préavis doit être calculée sur base du bénéfice semi-brut moyen, soit du bénéfice brut diminué des frais généraux compressibles, dont le concessionnaire aurait bénéficié si l'exploitation de la concession s'était poursuivie pendant la période de préavis raisonnable dont il a été privé.
Le bénéfice semi-brut moyen doit être établi sur base de la période d'activités qui est le reflet le plus fidèle de la valeur économique de la concession soit en l'espèce sur base des années 2005 et 2006 qui sont les plus représentatives de la valeur de la concession puisque les neuf premiers mois de 2007 révèlent une chute du chiffre d'affaires qui peut être imputée au litige qui est né entre les parties en septembre et qui s'est concrétisé par la perte et l'annulation d'un certain nombre de commandes.
(...)
C'est à bon droit et par de judicieux motifs auxquels la cour se réfère que le tribunal a décidé dans son jugement du 2 avril 2009 que les conditions justifiant l'octroi d'une indemnité de clientèle à Orapi étaient réunies dans le cas d'espèce.
Il faut rappeler que le réseau de distribution qu'Orapi s'est approprié a été constitué par Alittex et que dès le 14 janvier 2005, Orapi reconnaissait que la prospection de la clientèle des revendeurs grossistes avait été réalisée en Wallonie à 99%. Il s'agissait de l'oeuvre d'Alittex dont Orapi s'est emparée 'à la hussarde' à partir du mois de septembre 2007 pour le développer et le faire prospérer par l'intermédiaire de la filiale qu'elle a implantée sur le marché belge à la même époque.
L'évaluation faite par le tribunal de commerce qui fixe la valeur de la clientèle dont Orapi s'est emparée à un an du bénéfice brut est cependant excessive. L'estimation de cette indemnité à neuf mois de bénéfice brut calculé sur la base des années de référence 2005 et 2006 apparaît plus adéquate en sorte qu'il revient à Alittex pour ce chef de demander (62.795 EUR: 12 x 9 soit) 47.096,25 EUR.
(...)