Article

Cour constitutionnelle, 31/05/2012, R.D.C.-T.B.H., 2012/9, p. 889-893

Cour constitutionnelle 31 mai 2012

INTERDICTION PROFESSIONNELLE
Champ d'application
L'absence d'une disposition législative qui permette de faire bénéficier les faillis d'une éventuelle mesure de sursis lorsqu'une interdiction professionnelle est prononcée par le tribunal de commerce viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Les personnes visées à l'article 1erbis de l'arrêté royal bénéficient d'un traitement plus favorable que celles qui sont visées à l'article 3bis, § 2. L'interdiction prononcée par le juge pénal est une peine accessoire qui peut notamment faire l'objet d'une mesure de sursis à l'exécution de la peine, tandis que cette possibilité n'existe pas pour l'interdiction professionnelle de nature civile.
BEROEPSUITOEFENINGSVERBOD
Toepassingsgebied
De ontstentenis van een wetsbepaling die het mogelijk maakt dat de gefailleerden een eventuele maatregel van uitstel genieten wanneer een beroepsverbod wordt uitgesproken door de rechtbank van koophandel, schendt de artikelen 10 en 11 van de Grondwet. De in artikel 1bis van het koninklijk besluit beoogde personen genieten een gunstigere behandeling dan diegenen die in artikel 3bis, § 2 worden beoogd, aangezien het door de strafrechter uitgesproken verbod een bijkomende straf is die het voorwerp kan uitmaken van een maatregel tot uitstel van de tenuitvoerlegging van de straf, terwijl deze mogelijkheid niet is voorzien voor het burgerrechtelijk beroepsverbod.

Procureur du Roi / C.G. et C.P.

Siég.: R. Henneuse et M. Bossuyt (présidents), E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et F. Daoût (juges)
Pl.: Me S. Depré
Aff.: n° 2012/070

En cause: la question préjudicielle concernant l'article 3bis, § 2 et 3 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités, posée par le tribunal de commerce de Liège.

La Cour constitutionnelle, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant:

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par jugement du 6 juin 2011 en cause du procureur du Roi contre C.G. et C.P., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 14 juin 2011, le tribunal de commerce de Liège a posé la question préjudicielle suivante:

“L'article 3bis, § 2 et § 3 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités, prévoyant la possibilité pour un tribunal de commerce de prononcer une interdiction professionnelle ne pouvant excéder 10 ans maximum viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où le failli cité devant le tribunal de commerce se voit appliquer un régime différent du failli cité devant le tribunal correctionnel, malgré la loi du 28 avril 2011 [lire: 2009], et pour lequel le tribunal correctionnel peut prononcer une mesure d'interdiction professionnelle sur pied de l'article 1erbis du même arrêté royal n° 22 particulièrement en ce que le failli cité devant le tribunal de commerce ne peut pas bénéficier du sursis?”

Le conseil des ministres a introduit un mémoire.

A l'audience publique du 8 mai 2012:

- a comparu Me S. Depré, avocat au barreau de Bruxelles, pour le conseil des ministres;

- les juges-rapporteurs F. Daoût et A. Alen ont fait rapport;

- l'avocat précité a été entendu;

- l'affaire a été mise en délibéré.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

Le procureur du Roi près le tribunal de première instance de Liège demande au juge a quo de prononcer une interdiction professionnelle à l'encontre des défendeurs, en application de l'article 3bis, § 2 et 3 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités.

Compte tenu des arrêts de la Cour nos 119/2006 et 144/2007 qui avaient déclaré la disposition contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, le législateur est intervenu par une loi du 28 avril 2009 en vue de supprimer la durée minimum de trois ans de l'interdiction professionnelle permettant ainsi aux tribunaux de commerce de prendre en compte l'existence de circonstances atténuantes pour imposer une interdiction de moins de trois ans de la même manière que le juge pénal peut accorder un sursis ou prendre en compte des circonstances atténuantes.

D'après le juge a quo, la loi de réparation laisse subsister une différence de traitement dans la mesure où le juge pénal peut accorder le sursis, ce que ne peut pas faire, à son estime, le tribunal de commerce.

Le juge a quo relève que la Cour a encore rendu un arrêt n° 148/2010 sur un cas similaire portant sur une question de droit social relative à l'application des articles 30, 31 et 47 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale. Dès lors qu'un cas similaire n'est par définition pas identique, il estime qu'il y a lieu de poser à la Cour la question préjudicielle dont elle est saisie en l'espèce.

III. En droit
- A -

A.1. Dans son mémoire, le conseil des ministres soutient que la disposition en cause ne peut être appréciée qu'en perspective avec l'article 3bis, § 4 du même texte qui a fait l'objet d'une modification récente par l'adoption de la loi du 28 avril 2009 en vue de se conformer aux arrêts de la Cour nos 119/2006 et 144/2007. Dans ces arrêts, la Cour a constaté l'existence d'une différence de traitement discriminatoire entre la personne qui se voit infliger une interdiction professionnelle par le juge pénal en application de l'article 1erbis de l'arrêté royal et celle qui se voit infliger la même interdiction par le juge consulaire en application de l'article 3bis, § 2.

Le conseil des ministres constate que dans les arrêts précités, la Cour a eu l'occasion de se prononcer sur la comparabilité de la situation des faillis visés par les articles 1er, littera g) et 1erbis de l'arrêté royal n° 22 avec la situation de ceux visés par l'article 3bis du même arrêté.

A.2. D'après le conseil des ministres, la différence de traitement que la Cour est appelée à examiner en l'espèce concerne les faillis visés aux articles 1er, littera g) et 1erbis, et, d'autre part, ceux visés à l'article 3bis, § 2 et 3, et ne trouve pas sa source dans la disposition en cause mais plutôt dans l'article 1er de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation et, plus particulièrement, en son article 8, qui limite son champ d'application aux peines prévues aux articles 1er et 7 du Code pénal à l'exclusion des interdictions civiles prononcées par le tribunal de commerce.

A.3. Pour le surplus, d'après le conseil des ministres, la différence de traitement dénoncée serait parfaitement proportionnée à l'objectif du législateur.

L'interdiction professionnelle prononcée par le tribunal de commerce est, en effet, liée à l'incompétence de la personne interdite et vise à protéger le tiers tandis que l'interdiction professionnelle prononcée par le juge pénal ne le sera pas obligatoirement en raison de l'incompétence du failli mais également au titre de mesure sanctionnatrice. Or, il existerait un lien évident entre le principe du sursis consacré par la loi du 29 juin 1964 et le caractère sanctionnateur de la peine qui est assortie d'un sursis.

- B -

B.1. La Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 3bis, § 2 et 3 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 “relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités” en ce que le failli cité devant le tribunal de commerce ne peut pas bénéficier du sursis tandis que tel peut être le cas pour le failli cité devant le tribunal correctionnel en application de l'article 1erbis du même arrêté royal.

B.2.1. L'article 3bis, § 2 et 3 en cause dispose:

“§ 2. Sans préjudice aux dispositions interdisant à un failli non réhabilité d'exercer certaines professions ou activités, le tribunal de commerce qui a déclaré la faillite, ou si celle-ci a été déclarée à l'étranger, le tribunal de commerce de Bruxelles, peut, s'il est établi qu'une faute grave et caractérisée du failli a contribué à la faillite, interdire, par un jugement motivé, à ce failli d'exercer, personnellement ou par interposition de personne, toute activité commerciale.

§ 3. En outre, pour les personnes assimilées au failli en vertu du § 1er, le tribunal de commerce qui a déclaré la faillite de la société commerciale ou, si celle-ci a été déclarée à l'étranger, le tribunal de commerce de Bruxelles, peut, s'il est établi qu'une faute grave et caractérisée de l'une de ces personnes a contribué à la faillite, interdire, par un jugement motivé, à cette personne d'exercer personnellement ou par interposition de personne, toutes fonctions d'administrateur, de gérant ou de commissaire dans une société commerciale ou à forme commerciale, toutes fonctions conférant le pouvoir d'engager de telles sociétés ainsi que toutes fonctions de préposé à la gestion d'un établissement belge, prévue par l'article 198, 2ème alinéa des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, coordonnées le 30 novembre 1935.”

L'article 1erbis du même arrêté royal dispose:

“Lorsqu'il condamne une personne, même conditionnellement, comme auteur ou complice de l'une des infractions visées aux articles 489, 489bis, 489ter et 492bis du Code pénal, le juge décide également si la personne condamnée peut ou non exercer une activité commerciale, personnellement ou par interposition de personne.

Le juge détermine la durée de cette interdiction sans qu'elle puisse être inférieure à trois ans, ni supérieure à dix ans.”

B.2.2. Dans le rapport au Roi précédant l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934, l'objectif de l'arrêté est défini comme suit:

“Pour fortifier la confiance dans ces organismes [l'on vise les sociétés qui font appel à l'épargne de tiers], il convient d'interdire que leur administration, leur surveillance et leur gestion soient confiées à des personnes indignes, d'une improbité manifeste, ou à des personnes, tels les faillis, qui, s'étant montrés inhabiles à gérer leurs propres affaires, ne peuvent sans danger être appelés à gérer celles d'autrui.

[...]

Les condamnations énumérées à l'article 1er du projet ne sont prononcées que pour des faits incompatibles avec l'honnêteté la plus élémentaire ou pour des faits qui démontrent l'incapacité de leur auteur de gérer une affaire commerciale ou industrielle.

Les faits doivent déjà revêtir une certaine gravité, puisque l'interdiction ne s'applique que si la peine prononcée est une peine privative de liberté de trois mois au moins; mais il n'importe que la peine soit conditionnelle ou qu'elle soit prononcée sans sursis. D'une part, une condamnation à trois mois d'emprisonnement, même avec sursis, n'est jamais prononcée pour une faute minime; d'autre part, il serait injuste de faire dépendre l'interdiction d'une circonstance étrangère à la faute commise, par exemple d'une condamnation antérieure à une peine d'amende correctionnelle du chef d'une infraction à la police de roulage.

L'interdiction prend cours dès le jour où la décision est coulée en force de chose jugée; conformément au droit commun, la réhabilitation du condamné la fait cesser (art. 7 de la loi du 25 avril 1896).

Elle s'étend aussi, en vertu de l'article 2, à ceux qui, ayant été condamnés à l'étranger, viennent exercer leur activité en Belgique. [...]

En raison des motifs qui la justifient, l'interdiction doit être appliquée même à ceux qui ont été condamnés antérieurement à la mise en vigueur du présent arrêté. Au surplus, l'interdiction n'a pas, ici, le caractère d'une peine, mais d'une incapacité civile à laquelle l'article 2 du Code pénal est étranger [...]” (MB 27 octobre 1934, pp. 5.768-5.769).

B.2.3. La loi du 4 août 1978 de réorientation économique a étendu cet objectif originaire en vue de la “lutte contre les pourvoyeurs de main-d'oeuvre et d'une manière générale pour l'assainissement de la fonction commerciale” (Doc.parl. Sénat 1977-78, n° 415-1, p. 46).

Le législateur a, en outre, voulu “éliminer du circuit commercial ceux qui, comme administrateurs, gérants ou personnes ayant effectivement détenu ce pouvoir, ont commis une faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite de leur société. Ces dispositions complètent ainsi l'interdiction déjà contenue dans l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 à l'encontre des faillis non réhabilités” (Doc.parl. Sénat 1977-78, n° 415-1, p. 46).

A cet effet, l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 a été complété par un article 3bis, en vertu duquel le tribunal de commerce peut imposer une interdiction encore plus large, non liée à une incrimination pénale quelconque, aux faillis ou aux personnes assimilées ayant commis une faute grave et caractérisée qui a contribué à la faillite. Cette mesure vise des personnes qui n'ont pas été condamnées au pénal mais auxquelles est reprochée une faute civile.

B.3.1. D'après le conseil des ministres, la disposition en cause doit être lue à la lumière de l'article 3bis, § 4 du même arrêté royal, qui dispose:

“§ 4. La durée de cette interdiction est fixée par le tribunal. Elle ne peut excéder dix ans.”

Cette dernière disposition est le résultat d'une modification introduite par la loi du 28 avril 2009 “modifiant l'article 3bis, § 4 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités” (MB 29 mai 2009), qui a supprimé les mots 'être inférieure à trois ans, ni'.

B.3.2. La modification intervenue a été justifiée dans les travaux préparatoires de la loi comme suit:

“La loi proprement dite sur les faillites n'est toutefois pas le seul domaine du droit de la faillite à propos duquel la Cour constitutionnelle a conclu à une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

Saisie d'une question préjudicielle posée par le tribunal de commerce de Namur, la Cour constitutionnelle a considéré que l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités est lui aussi contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution (C.const. 12 juillet 2006, n° 119/2006). La Cour constitutionnelle a confirmé cet arrêt dans un deuxième arrêt du 22 novembre 2007 (C.const. 22 novembre 2007, n° 144/2007).

La Cour a constaté l'existence d'une différence de traitement injustifiée entre la personne qui se voit infliger l'interdiction professionnelle en question par le juge pénal en vertu de l'article 1erbis de l'arrêté royal, et celle qui se voit frappée de la même interdiction par le juge consulaire en application de l'article 3bis, § 2.

Les articles 1er, 1erbis et 3bis, § 2 de l'arrêté royal n° 22 précité du 24 octobre 1934 définissent, en effet, les cas dans lesquels le juge compétent peut imposer une interdiction professionnelle.

L'article 1er énumère les infractions pour lesquelles le juge pénal peut assortir la condamnation d'une peine accessoire (voir à ce sujet Cass. 17 mai 2005, Pas. 2005, liv. 5-6, p. 1055, RW 2006-07 (sommaire), liv. 11, 477) consistant à interdire aux intéressés d'exercer, personnellement ou par interposition de personne, les fonctions d'administrateur, de commissaire ou de gérant dans une société par actions, une société privée à responsabilité limitée ou une société coopérative, de même que des fonctions conférant le pouvoir d'engager l'une de ces sociétés ou les fonctions de préposé à la gestion d'un établissement belge, prévu par l'article 198, § 6, 1er alinéa des lois sur les sociétés commerciales, coordonnées le 30 novembre 1935, ou la profession d'agent de change ou d'agent de change correspondant.

[...]

L'article 1erbis dispose que lorsque le juge condamne une personne, même conditionnellement, comme auteur ou complice de l'une des infractions visées aux articles 489, 489bis, 489ter et 492bis du Code pénal (délits de faillite et abus de biens sociaux), il décide également si la personne condamnée peut ou non exercer une activité commerciale, personnellement ou par interposition de personne. Les dispositions citées du Code pénal punissent, entre autres, “les commerçants en état de faillite au sens de l'article 2 de la loi sur les faillites” qui auront notamment commis, dans la gestion de leur commerce, les fautes décrites dans ces articles.

Comme pour l'article 1er, c'est le juge pénal qui détermine la durée de cette interdiction sans qu'elle puisse être inférieure à trois ans, ni supérieure à dix ans.

L'article 3bis, § 2 de l'arrêté royal dispose en revanche que le tribunal de commerce qui a déclaré la faillite (ou le tribunal de commerce de Bruxelles si la faillite a été déclarée à l'étranger) peut, s'il est établi qu'une faute grave et caractérisée du failli a contribué à la faillite, interdire, par un jugement motivé, à ce failli d'exercer, personnellement ou par interposition de personne, toute activité commerciale.

Le § 4 de la même disposition précise que la durée de cette interdiction est également fixée par le tribunal et ne peut être inférieure à trois ans ni excéder dix ans.

2. La différence de traitement

La Cour constitutionnelle ne considère pas comme une différence de traitement les différences de régimes entre l'article 1er et l'article 3bis, § 2 de l'arrêté royal n° 22.

Selon la Cour, les personnes visées aux litterae a) à j) de l'article 1er de l'arrêté royal n° 22 sont des personnes qui ont commis des infractions réprimées par des dispositions pénales. A l'exception des personnes ayant commis les infractions prévues aux articles 489, 489bis et 489ter du Code pénal, cités dans la première partie du littera g), l'état de faillite n'est pas un des éléments constitutifs de ces infractions. Il s'agit donc de personnes qui se trouvent dans une situation essentiellement différente de celle de la personne visée par l'article 3bis, § 2 du même arrêté royal. Celle-ci est 'un failli non réhabilité', c'est-à-dire un commerçant qui, aux termes de l'article 2 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, a cessé ses paiements de manière persistante et dont le crédit se trouve ébranlé, qui est en état de faillite et qui a commis une faute grave et caractérisée, laquelle n'est toutefois pas nécessairement de nature pénale et a contribué à sa faillite. Les circonstances ne sont pas comparables, on ne peut dès lors pas non plus parler d'une différence de traitement.

En outre, selon la Cour, la portée de l'interdiction prévue par chacune de ces dispositions est différente: la personne visée à l'article 1er peut se voir interdire d'exercer, au sein d'une société commerciale, les fonctions énumérées par cet article 1er, ainsi que la profession d'agent de change ou d'agent de change correspondant; la personne visée à l'article 3bis, § 2, peut se voir interdire d'exercer, “personnellement ou par interposition de personne, toute activité commerciale”.

La Cour estime en revanche que les personnes visées par l'article 1erbis peuvent être comparées à celles qui sont visées à l'article 3bis, § 2 de l'arrêté royal n° 22.

L'article 1erbis, en effet, s'applique notamment à une personne condamnée, même conditionnellement, comme auteur ou complice de l'une des infractions visées aux articles 489, 489bis et 489ter du Code pénal. Ces dispositions punissent, entre autres, “les commerçants en état de faillite au sens de l'article 2 de la loi sur les faillites” qui auront notamment commis, dans la gestion de leur commerce, les fautes décrites dans ces articles.

Ces personnes sont comparables à celles qui sont visées par l'article 3bis, § 2, puisqu'elles sont, les unes comme les autres, des commerçants faillis qui ont commis des fautes dans l'exploitation de leur commerce et qui, pour ce motif, sont passibles d'une même mesure d'interdiction portant sur toute activité commerciale.

Selon la Cour, les personnes visées à l'article 1erbis bénéficient bel et bien d'un traitement plus favorable que celles que vise l'article 3bis, § 2.

En effet, l'interdiction prononcée par le juge pénal est une peine accessoire (Cass. 17 mai 2005, www.cass.be ) qui peut notamment faire l'objet d'une mesure de sursis à l'exécution de la peine. La Cour constate, en outre, que la durée de l'interdiction prononcée par le juge pénal pourrait être inférieure à trois ans s'il existe des circonstances atténuantes.

Au contraire, les personnes visées à l'article 3bis, § 2, ne peuvent bénéficier d'aucune mesure d'adoucissement de l'interdiction de la part du juge consulaire. La Cour l'explique comme suit:

“Selon la Cour, une telle différence de traitement n'est pas raisonnablement justifiée: elle aboutit à traiter les faillis dont les fautes de gestion sont censées être les plus graves, puisqu'elles constituent des infractions pénales, plus favorablement que les faillis qui n'ont pas commis de faute pénale” (C.const. 12 juillet 2006, n° 119/2006, B.5. et C.const. 22 novembre 2007, n° 144/2007, B.7.).

La Cour constitutionnelle dit pour droit:

“L'article 3bis, § 3 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les faillis visés par cette disposition législative, ne peuvent bénéficier d'aucune mesure d'adoucissement de l'interdiction.” (C.const. 12 juillet 2006, n° 119/2006).

“L'article 3bis, § 3 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les personnes assimilées au failli, visées par cette disposition législative, ne peuvent bénéficier d'aucune mesure d'adoucissement de l'interdiction” (C.const. 22 novembre 2007, n° 144/2007).

3. Portée des arrêts

Bien qu'un arrêt rendu par la Cour sur une question préjudicielle n'ait pas de validité erga omnes, il ne faut certainement pas non plus considérer qu'il ne s'applique qu'aux parties en cause. Un tel arrêt a au contraire une 'autorité relative renforcée', c'est-à-dire que tous les tribunaux qui interviendront dans la même affaire devront s'y conformer, alors que dans des affaires comparables, tous les ressorts, à l'exception des juridictions suprêmes, devront choisir soit de s'en tenir à l'interprétation de la Cour, soit de poser une nouvelle question préjudicielle.

Les gouvernements concernés ont aussi la possibilité d'introduire un recours en annulation dans les six mois du prononcé de l'arrêt.

4. Proposition de modification de la loi

Cette autorité relative renforcée est certainement présente dans les arrêts en question, puisque la Cour constitutionnelle postule clairement et sans ambiguïté l'inégalité de traitement, sans formuler la moindre réserve.

Dans un souci de bonne législation, il convient dès lors d'adopter une loi dans les plus brefs délais pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée de cette disposition.

C'est pourquoi il est proposé de supprimer la durée minimale de l'interdiction professionnelle que le tribunal de commerce doit prononcer.

Celui-ci pourra ainsi arguer de circonstances atténuantes pour imposer une interdiction professionnelle de moins de trois ans, de la même manière que le juge pénal peut accorder un sursis ou admettre des circonstances atténuantes.

L'article 3bis, § 4 de l'arrêté royal n° 22 est adapté en ce sens” (Doc.parl. Sénat 2007-08, n° 4-787/1, pp. 2 à 7).

B.4. Il ressort des travaux préparatoires qui viennent d'être cités que le législateur a entendu donner suite aux arrêts de la Cour n° 119/2006 du 12 juillet 2006 et n° 144/2007 du 22 novembre 2007, en permettant au tribunal de commerce de tenir compte de circonstances atténuantes dans le chef du failli ou des personnes assimilées, pour éventuellement adoucir la sanction que constitue l'interdiction professionnelle pouvant être prononcée à leur égard. Ainsi la durée minimale de trois ans de l'interdiction professionnelle a-t-elle été supprimée.

Comme le relève le juge a quo, les personnes concernées ne peuvent, en revanche, bénéficier d'une mesure de sursis, laquelle ne peut être ordonnée que par une juridiction pénale.

B.5. Le sursis à l'exécution des peines, prévu à l'article 8 de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation, a pour objectif de réduire les inconvénients inhérents à l'exécution des peines et de ne pas compromettre la réinsertion du condamné.

B.6.1. Les personnes visées à l'article 1erbis de l'arrêté royal bénéficient d'un traitement plus favorable que celles qui sont visées à l'article 3bis, § 2. L'interdiction prononcée par le juge pénal est, en effet, une peine accessoire (Cass. 17 mai 2005, Pas. 2005, n° 282) qui peut notamment faire l'objet d'une mesure de sursis à l'exécution de la peine.

Une telle différence de traitement n'est pas raisonnablement justifiée: elle aboutit à traiter les faillis dont les fautes de gestion sont censées être les plus graves, puisqu'elles constituent des infractions pénales, plus favorablement que les faillis qui n'ont pas commis de faute pénale.

B.6.2. Cette différence de traitement ne trouve toutefois pas son origine dans la disposition en cause, mais dans l'absence de disposition qui permettrait aux faillis ayant fait l'objet d'une interdiction professionnelle de nature civile, prononcée par le tribunal de commerce, de bénéficier d'une mesure de sursis. En effet, lorsque la loi du 29 juin 1964 n'est pas applicable, il appartient au législateur de déterminer les conditions auxquelles un sursis peut être ordonné et de fixer les conditions et la procédure de sa révocation.

Par ces motifs,

LA COUR

dit pour droit:

- L'article 3bis, § 2 et 3 de l'arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 relatif à l'interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d'exercer certaines fonctions, professions ou activités ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

- L'absence d'une disposition législative qui permette de faire bénéficier les faillis d'une éventuelle mesure de sursis lorsqu'une interdiction professionnelle est prononcée par le tribunal de commerce viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

(…)