Article

Cour constitutionnelle, 18/05/2011, R.D.C.-T.B.H., 2012/9, p. 882-888

Cour constitutionnelle 18 mai 2011

FAILLITE
Liquidation - Excusabilité du failli - Décharge de la sûreté personnelle - Situation du conjoint
L'article 82, 2ème alinéa de la loi du 8 août 1997 sur les faillites ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qui concerne le traitement différent du conjoint du failli et 1) d'une part le failli lui-même dont tous les biens sont réalisés et 2) d'autre part les autres personnes physiques qui se sont engagées à payer la dette du failli en fournissant une sûreté réelle ou en se constituant sûreté personnelle, qui ne bénéficient pas ou pas automatiquement d'une mesure de décharge.
Le failli se voit offrir par le mécanisme de l'excusabilité la possibilité d'échapper, en vertu de l'article 82, 1er alinéa de la loi du 8 août 1997, aux poursuites des créanciers. Cette faveur, qui profite au conjoint, n'a cependant ni pour portée ni pour but de remettre en cause la faillite ou les autres effets de celle-ci. Dès lors que le dessaisissement et la réalisation des biens du failli font partie de ces effets, le failli et son conjoint - que le patrimoine de celui-ci soit celui existant avant la déclaration d'excusabilité ou celui existant après - se trouvent, compte tenu de la qualité de commerçant du failli, dans des situations essentiellement différentes qui justifient la différence de traitement.
L'extension des effets de l'excusabilité au conjoint qui est personnellement obligé à la dette du failli a été instaurée parce que, en cas de communauté de biens, les revenus d'une nouvelle activité professionnelle du failli entrent dans le patrimoine commun. Les poursuites exercées sur les biens du conjoint - que ce soient ceux existant lors du jugement sur l'excusabilité ou ceux acquis ensuite - par les créanciers du failli pourraient atteindre les revenus procurés par la nouvelle activité de celui-ci, ce qui serait contraire à l'objectif poursuivi.
Un tel risque n'a pas à être envisagé en ce qui concerne les personnes, autres que le conjoint, qui ont fourni une sûreté réelle ou personnelle; ces personnes ont par ailleurs pu disposer, avant de fournir cette sûreté, d'une liberté d'appréciation dont ne dispose pas, dans la même mesure, le conjoint dont l'engagement est une condition de l'octroi d'un crédit demandé par son époux. Dès lors, la différence de traitement n'est pas dépourvue de justification.
FAILLISSEMENT
Vereffening - Verschoonbaarheid van de gefailleerde - Bevrijding van de persoonlijke zekerheidsteller - Positie van de echtgenoot
Artikel 82, 2de lid van de faillissementswet van 8 augustus 1997 schendt de artikelen 10 en 11 van de Grondwet niet in de mate dat er een verschillende behandeling bestaat tussen de echtgenoot van de gefailleerde en enerzijds de gefailleerde, wiens goederen ten gelde worden gemaakt en anderzijds de zekerheidsteller die niet of niet automatisch geniet van een bevrijdingsmaatregel.
Aan de gefailleerde wordt via het mechanisme van verschoonbaarheid de mogelijkheid geboden om, krachtens artikel 82, 1ste lid Faill.W., te ontsnappen aan vervolging door de schuldeisers. De gunst van de verschoonbaarheid die doorwerkt naar de echtgenoot, heeft echter niet tot strekking, noch tot doel het faillissement of de andere gevolgen ervan op losse schroeven te zetten. Aangezien de buitenbezitstelling en de tegeldemaking van de goederen van de gefailleerde deel uitmaken van die gevolgen, bevinden de gefailleerde en zijn echtgenoot zich - ongeacht of het vermogen van die laatste dat van vóór of ná de verschoonbaarverklaring is -, gelet op de hoedanigheid van handelaar van de gefailleerde in wezenlijk verschillende situaties die een verschil in behandeling verantwoorden.
De uitbreiding van de gevolgen van de verschoonbaarheid tot de echtgenoot die persoonlijk aansprakelijk is voor de schuld van de gefailleerde, werd ingevoerd omdat, in geval van gemeenschap van goederen, de inkomsten van de gefailleerde uit een nieuwe beroepsactiviteit in het gemeenschappelijke vermogen terechtkomen. Vervolgingen op de goederen van de echtgenoot - ongeacht of het gaat om de goederen die hij bezit op het ogenblik van het vonnis over de verschoonbaarheid, dan wel om de goederen die hij daarna heeft verworven -, ingesteld door de schuldeisers van de gefailleerde, zouden de inkomsten van de gefailleerde uit zijn nieuwe activiteiten kunnen raken, wat strijdig zou zijn met het nagestreefde doel.
Zulk een risico dient niet in aanmerking te worden genomen met betrekking tot de personen, andere dan de echtgenoot, die een zakelijke of persoonlijke zekerheid hebben verleend; die personen hebben overigens, alvorens die zekerheid te verlenen, over een beoordelingsvrijheid kunnen beschikken waarover de echtgenoot wiens verbintenis een voorwaarde is voor de toekenning van een door zijn echtgenoot aangevraagde lening niet in dezelfde mate beschikt. Het verschil in behandeling tussen de echtgenoot van de gefailleerde en de zekerheidstellers is bijgevolg verantwoord.

SA Fortis Banque / V.B.

Siég.: R. Henneuse et M. Bossuyt (présidents), E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J. Spreutels et F. Daoût (juges)
Pl.: Mes F. Blampain et X. Born et E. Jacubowitz
Aff.: n° 87/2011

En cause: la question préjudicielle relative à l'article 82, 2ème alinéa de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, posée par le tribunal de première instance de Charleroi.

La Cour constitutionnelle, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant:

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par jugement du 17 juin 2010 en cause de la SA 'Fortis Banque' contre V.B., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 juillet 2010, le tribunal de première instance de Charleroi a posé la question préjudicielle suivante:

“Les dispositions de l'article 82, 2ème alinéa de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, telles qu'en vigueur depuis le 28 août 2008, interprétées en ce sens que l'excusabilité du failli libère automatiquement le conjoint du failli des engagements solidaires que ce conjoint a contractés avec le failli sans distinguer entre le patrimoine du conjoint existant avant le jugement d'excusabilité et celui constitué après le jugement d'excusabilité, violent-elles les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elles créent une discrimination entre:

a) d'une part le failli, qui a été dessaisi de ses biens par le jugement déclaratif de faillite et dont les biens ont été réalisés par le curateur et d'autre part son conjoint dont le patrimoine propre est exclu de la masse faillie et qui échappe aux poursuites des créanciers alors qu'il en constitue le gage général en application des articles 7 et 8 de la loi hypothécaire;

b) d'une part le conjoint du failli et d'autre part les autres personnes physiques qui se sont engagées à payer la dette du failli en fournissant une sûreté réelle ou en se constituant sûreté personnelle, la décharge n'étant pas prévue dans le premier cas et la décharge ne pouvant, dans le second cas, être octroyée qu'aux conditions et suivant les formes prévues par les articles 72bis et 72ter de la loi sur les faillites et dans le respect de la procédure prescrite par l'article 80 de la loi sur les faillites, le créancier étant dûment appelé et entendu?”

Des mémoires ont été introduits par:

- la SA 'Fortis Banque', dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, Montagne-du-Parc 3;

- V.B.;

- le conseil des ministres.

La SA 'Fortis Banque' et le conseil des ministres ont introduit des mémoires en réponse.

A l'audience publique du 17 février 2011:

- ont comparu:

° Me F. Blampain, avocat au barreau de Charleroi, pour la SA 'Fortis Banque';

° Me X. Born, avocat au barreau de Charleroi, pour V.B.;

° Me E. Jacubowitz, avocat au barreau de Bruxelles, pour le conseil des ministres;

- les juges-rapporteurs J. Spreutels et E. De Groot ont fait rapport;

- les avocats précités ont été entendus;

- l'affaire a été mise en délibéré.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

La SA 'Fortis Banque' a consenti aux époux M.-B. un crédit pour les besoins de l'exploitation commerciale de monsieur M. Le crédit fut garanti par un gage sur fonds de commerce. Monsieur M. ayant été déclaré en faillite par jugement du 12 novembre 2007, la banque mit madame B. en demeure, le 7 décembre 2007, de rembourser une somme de 686.657,93 EUR. Madame B. fit savoir qu'elle invoquerait l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites du 8 août 1997 dès que son époux aurait introduit sa requête en excusabilité, ce qu'il fit le 13 janvier 2009. Il fut déclaré excusable par arrêt de la cour d'appel de Mons le 20 octobre 2009.

La banque a assigné madame B. devant le juge a quo pour l'entendre condamner au paiement des sommes qu'elle lui réclame.

La défenderesse fait valoir que les termes de l'article 82, 2ème alinéa, précité ne souffrent aucune discussion et qu'elle est donc libérée de toute obligation à l'égard de la banque.

Celle-ci fait valoir que la ratio legis de cette disposition n'est pas de permettre la mise à l'abri des biens propres que le conjoint codébiteur solidaire a acquis avant la faillite et que le créancier a considérés comme faisant partie de son gage général en application des articles 7 et 8 de la loi hypothécaire. Elle tient pour discriminatoire le traitement du conjoint par rapport au failli lui-même et surtout par rapport aux autres personnes physiques qui ont constitué une sûreté réelle ou qui se sont constituées sûreté personnelle en faveur du failli.

Jugeant qu'en l'espèce, il existe une situation présentant un caractère discriminatoire dont la justification n'est pas acquise dans l'état actuel des choses, le tribunal fait droit à la demande formulée à titre subsidiaire par la demanderesse qui sollicite que soit posée à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle reproduite plus haut.

III. En droit
- A -

A.1.1. La SA 'Fortis Banque' rappelle les faits de l'espèce en indiquant que, lors de l'octroi du crédit en cause, madame B. possédait la moitié de la nue-propriété d'un immeuble dont elle avait hérité de son père et devint ensuite seule propriétaire de cet immeuble; cet immeuble a été protégé par l'article 98 de la loi sur les faillites et a donc échappé aux poursuites, à l'inverse des biens dépendant du patrimoine propre de monsieur M. et du patrimoine commun des époux.

Elle rappelle que les dettes contractées conjointement ou solidairement par les époux sont communes (art. 1408 C.civ.) et que le paiement des dettes communes peut être poursuivi tant sur le patrimoine propre de chacun des époux que sur le patrimoine commun, sauf en ce qui concerne les dettes professionnelles d'un seul des époux qui ne peuvent pas être poursuivies sur le patrimoine propre de l'époux non contractant (art. 1414 du même code).

Dans son mémoire en réponse, la SA 'Fortis Banque' ajoute que l'article 82, 2ème alinéa n'est pas applicable au conjoint du failli déclaré excusable lorsque ce conjoint est co-crédité avec le failli, l'un et l'autre étant en effet crédités à titre principal et titulaires d'engagements propres, même si ces engagements sont solidaires. Se référant à des études doctrinales, elle fait valoir qu'en visant le conjoint obligé 'à la dette de son époux', l'article 82, 2ème alinéa se réfère à l'époux qui s'est engagé en qualité de tiers garant et non à l'époux qui est concerné par la dette.

A.1.2. Madame B. rappelle les faits de l'espèce en indiquant qu'il est certain que la banque tente de récupérer le montant de sa créance sur le bien propre dont elle a hérité de son père à une date postérieure à celle à laquelle la banque consentit le crédit qui est à l'origine du litige. Elle ajoute que la décision relative à l'excusabilité de son mari est postérieure à l'assignation dont elle a fait l'objet, le 7 mars 2008.

Elle se réfère à l'arrêt n° 5/2010 du 4 février 2010 qui, concernant une espèce proche de celle en cause ici, porte sur une distinction entre la personne qui s'est constituée sûreté personnelle du failli et le conjoint, contre lequel le créancier entamait des poursuites et qui n'était pas, contrairement à la caution, à l'abri d'une procédure d'exécution. Elle indique que la banque a cherché à obtenir et faire exécuter un jugement contre elle avant que ne soit prononcée l'excusabilité de son mari; c'est cette procédure qui est censurée par l'arrêt précité. Elle insiste sur le fait que si la 'ratio legis' de l'article 80 sur l'excusabilité du failli est bien de permettre à celui-ci de se réinsérer dans la vie des affaires, la motivation de l'article 82, 2ème alinéa ne peut pas lui être assimilée: le législateur a voulu éviter que les créanciers qui se heurtent au principe du dessaisissement du failli ne se rabattent sur les biens de l'épouse de celui-ci, commune en biens avec lui: cela priverait de toute efficacité la déclaration d'excusabilité, comme le relève l'arrêt n° 78/2004 du 12 mai 2004. La loi du 18 juillet 2008, qui étend à l'ex-conjoint du failli le bénéfice de l'excusabilité, entend, indépendamment de toute idée de réinsertion professionnelle du failli puisque celui-ci était divorcé de son conjoint parfois depuis très longtemps, protéger de façon distincte le patrimoine de l'ex-conjoint, sachant que cet ex-conjoint est devenu totalement étranger aux soucis de réinsertion professionnelle du failli. L'article 82, 2ème alinéa ne prévoit d'exception ni pour le cas où la dette n'a pas été contractée à des fins professionnelles, ni pour le cas où les conjoints viendraient à se séparer.

A.1.3. Le conseil des ministres rappelle les faits de l'espèce, les normes en cause et celles qui y sont liées. Il considère que la question préjudicielle porte sur des catégories de personnes que l'on peut considérer comme comparables.

A.1.4. Dans son mémoire en réponse, il rejette l'argumentation développée par la SA 'Fortis Banque': il invoque un arrêt de la cour d'appel de Mons du 21 février 2008 et fait valoir que la loi n'instaure aucune distinction entre les conjoints suivant la nature des engagements pris aux côtés de l'époux failli. La doctrine qui est invoquée vise par ailleurs la situation du conjoint obligé solidairement, directement concerné par une dette contractée pour son propre compte, alors que la question préjudicielle porte sur un crédit de caisse destiné au fonctionnement du commerce du failli, le conjoint de celui-ci étant codébiteur solidaire.

Le conseil des ministres rappelle par ailleurs l'intention du législateur lorsqu'il a étendu les effets de l'excusabilité du failli à l'ex-conjoint par la loi du 18 juillet 2008, à savoir éviter que celui-ci se trouve dans une situation difficile face à des créanciers. Cet objectif peut en l'espèce aussi comprendre cette volonté de protéger le patrimoine du conjoint du failli, sans pour autant créer, vis-à-vis des créanciers, un régime déséquilibré. Le conjoint et l'ex-conjoint se trouvent dans des situations qui ne diffèrent pas de manière significative, l'un et l'autre n'ayant pas, en principe, la maîtrise des actes posés par le failli dans l'exercice de son activité professionnelle. De plus, dans la majorité des cas, le conjoint n'a pas d'autre choix, pour permettre l'octroi du crédit, que de s'engager solidairement, de sorte qu'il ne poursuit pas un intérêt propre en acceptant de s'engager aux côtés de son époux. Le législateur a donc eu la même 'approche sociale' dans le cas du conjoint et dans celui de l'ex-conjoint.

Quant à la distinction entre le conjoint et le failli

A.2.1. La SA 'Fortis Banque' estime que le caractère automatique de la libération du conjoint entraîne une première discrimination entre ce dernier et le failli lui-même, le droit à l'excusabilité de celui-ci étant soumis à l'appréciation du juge et les créanciers pouvant former tierce opposition, alors que la libération du conjoint est automatique, inconditionnelle et sans recours. Alors que le failli n'est excusé qu'après la réalisation de tous ses biens et de ceux de la communauté, le conjoint bénéficie, même s'il s'est personnellement engagé, d'une immunité totale et automatique sur ses biens propres, en plus du corollaire de la suspension des poursuites découlant de l'arrêt n° 5/2010 du 4 février 2010. A défaut de répartition des charges entre les différents patrimoines, la mesure n'est pas proportionnée à l'objectif de maintenir un équilibre entre les intérêts en présence et fait fi du point de vue légitime du créancier qui, en contractant avec les deux époux, a pu raisonnablement prendre en compte la globalité des patrimoines constituant son gage général en application de l'article 7 de la loi hypothécaire.

A.2.2. Madame B. conteste le caractère automatique des effets, sur le conjoint, de la libération du failli dès lors que celle du conjoint est subordonnée à l'excusabilité du failli.

Il n'est pas vrai que l'excusabilité du failli n'est décidée que quand tous ses biens et ceux de la communauté ont été réalisés: l'article 80, 5ème alinéa de la loi en cause prévoit en effet que six mois après la date du jugement déclaratif de faillite, le failli peut demander au tribunal de statuer sur son excusabilité, mais il est rare qu'un curateur ait pu réaliser tous les actifs dans les six mois suivant l'ouverture de la faillite.

Quant à la circonstance que le conjoint conserve son patrimoine antérieur intact, elle correspond à la volonté du législateur et à l'enseignement de l'arrêt n° 5/2010 précité; cette volonté a été confirmée par la loi du 18 juillet 2008 qui vise l'ex-conjoint, lequel n'a même plus rien de commun avec le failli. Ces dispositions répondent à un but social, alors que l'excusabilité du failli répond plutôt à un but économique, soit assurer sa réinsertion dans la vie des affaires. Il ne peut y avoir aucune discrimination entre des personnes dans des matières où le législateur a poursuivi des objectifs distincts.

A.2.3. Le conseil des ministres estime que la distinction repose sur un critère objectif. Il soutient qu'elle est justifiée au regard du but poursuivi par le législateur. Il se réfère à cet égard à l'arrêt n° 3/2008 du 17 janvier 2008 et à la loi du 18 juillet 2008 qui, dans une approche sociale, a modifié l'article 82 en cause pour étendre à l'ex-conjoint les effets de l'excusabilité du failli. En l'espèce, la question préjudicielle porte sur la situation du conjoint, de sorte que l'analyse du but du législateur, faite par l'arrêt précité, sur la base de la rédaction antérieure de l'article 82, reste pertinente. La motivation de cet arrêt permet de considérer que la loi poursuit un but légitime, tant lorsqu'elle instaure l'excusabilité du failli (art. 82, 1er al.) que lorsqu'elle en étend les effets au conjoint de celui-ci (art. 82, 2ème al.).

A.2.4. Le conseil des ministres fait aussi valoir que la différence de traitement n'emporte pas de conséquences manifestement disproportionnées au regard du but poursuivi par la loi dès lors que le failli est un commerçant exerçant une activité économique pour son propre compte et contractant dans ce cadre des dettes qui lui sont propres. En cas de faillite, il est dessaisi de l'administration de ses biens (art. 16 de la loi du 8 août 1997) dont la réalisation incombe au curateur. Les créanciers peuvent exercer leurs droits sur le patrimoine propre du failli et sur le patrimoine commun du failli et de son conjoint, tandis que l'article 98 de la loi protège le patrimoine propre au conjoint solidairement tenu. Cette différence de traitement entre le failli dont le patrimoine propre n'est pas à l'abri des créanciers et le conjoint est instituée non par la norme contrôlée, mais bien par l'article 98 précité. Dès avant la rédaction actuelle de l'article 82, 2ème alinéa, précité et l'extension des effets de l'excusabilité du failli à son conjoint, les créanciers de la masse ne disposaient pas d'un recours sur le patrimoine propre du failli (lire: du conjoint du failli), même dans l'hypothèse où le patrimoine commun avait été absorbé lors de la liquidation de la faillite. L'extension des effets de l'excusabilité au conjoint du failli par la nouvelle rédaction de l'article 82, 2ème alinéa de la loi du 8 août 1997 n'a fait qu'exclure cette possibilité de poursuites des créanciers de la masse sur le patrimoine commun. Il n'y a donc aucun changement pour le patrimoine propre du conjoint du failli. Dès lors, le siège de la différence de traitement et, le cas échéant, de la discrimination ne se trouve pas dans la norme contrôlée, mais bien dans l'article 98 précité. La question préjudicielle n'étant pas pertinente en ce qu'elle vise la différence de traitement entre le failli et son conjoint, elle n'appelle de réponse.

Au surplus, la ratio legis de la loi justifie la différence de traitement en cause puisque cette loi ne concerne que les personnes ayant la qualité de commerçant et que l'obligation propre de caution souscrite par le conjoint ne porte pas sur le paiement d'une dette propre. Il est donc raisonnablement justifié que le législateur ait prévu, compte tenu de cette situation, que le failli puisse engager dans son activité professionnelle ses biens propres et le patrimoine commun qu'il forme avec son conjoint et, qu'en revanche, ce dernier n'engage que le patrimoine commun à l'exclusion de ses biens propres. Ce faisant, cette différence rencontre l'objectif du législateur qui est de tenir compte de manière équilibrée des intérêts en présence lorsqu'il y a faillite et d'assurer un règlement humain qui prenne en considération la situation de toutes les parties en présence.

Enfin, comme l'indiquent les arrêts nos 69/2002 et 78/2004, c'est au contraire s'il ne prévoyait pas d'extension au conjoint du bénéfice des effets de l'excusabilité du failli que l'article 82, 2ème alinéa serait contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. La question préjudicielle appelle donc, à tout le moins, une réponse négative.

A.2.5. Dans son mémoire en réponse, la SA 'Fortis Banque' rappelle les règles contenues aux articles 1413 et 1414 du Code civil et estime que la référence faite par le conseil des ministres à l'article 98 de la loi sur les faillites n'est pas pertinente, cette disposition visant l'hypothèse d'une dette professionnelle contractée par le seul failli. Une application extensive de l'article 82, 2ème alinéa porte atteinte à l'objectif de maintenir en équilibre les intérêts en présence, en ne permettant pas de répartir la charge des dettes entre le patrimoine commun et les patrimoines propres existant au jour de la déclaration de faillite. Ainsi interprété, l'article 82, 2ème alinéa fait du conjoint un associé léonin et définitivement incapable au sens de l'article 1124 du Code civil: il participe aux profits mais est exclu des dettes; il peut s'engager à n'importe quoi vis-à-vis de n'importe qui, son patrimoine propre, même constitué avant la faillite, étant à l'abri.

Quant à la distinction entre le conjoint et les autres coobligés du failli

A.3.1. La SA 'Fortis Banque' estime que le caractère automatique de la libération du conjoint entraîne une seconde discrimination entre le conjoint du failli et les autres coobligés du failli, telles les cautions réelles ou personnelles, dont les biens, contrairement à ceux du conjoint, sont discutés par les créanciers. Ils ne sont pas déchargés par l'effet de l'excusabilité, sauf si le cautionnement a un caractère gratuit, lequel est d'interprétation stricte; dans ce cas, la décharge doit être demandée, est soumise à un débat contradictoire et à une décision du tribunal prenant en compte le caractère désintéressé du cautionnement et le caractère disproportionné de l'obligation par rapport aux revenus et au patrimoine de la caution.

Le sacrifice imposé au créancier n'est pas raisonnablement proportionné au but poursuivi.

A.3.2. Madame B. conteste la disproportion dénoncée par la banque. Ce débat remonte à l'adoption de l'article 82, 2ème alinéa de la loi en cause, laquelle fit couler beaucoup d'encre, notamment dans le sens dénoncé par la banque. Or, il convient d'avoir à l'esprit que l'engagement d'autres co­obligés à la dette du failli que son conjoint est d'ordre contractuel en ce sens que le contrat de cautionnement, ou l'affectation d'un bien en hypothèque, repose sur des bases volontaires, donc contractuelles, alors que très souvent, le conjoint qui s'est obligé en même temps que son époux dans le cadre de son exploitation commerciale a été en quelque sorte contraint de le faire pour que cet époux puisse bénéficier des crédits nécessaires au lancement ou à la poursuite de cette activité. Très souvent, l'existence d'un contrat de mariage de communauté implique que le banquier prêteur exige le consentement des deux époux pour octroyer un prêt ou un crédit. Ainsi, au moment où l'engagement des deux époux naît, le caractère purement consensuel de l'obligation souscrite par le conjoint fait souvent défaut, ce qui n'est pas le cas des cautions autres que les cautions à titre gratuit ou des affectants hypothécaires, que rien ne contraignait à s'engager dans les traces du failli.

A.3.3. Le conseil des ministres estime que la distinction repose sur un critère objectif, que les autres coobligés aient fourni une sûreté réelle ou une sûreté personnelle. Le but poursuivi par le législateur est un but légitime, pour les motifs indiqués en A.2.3. La différence de traitement n'emporte pas de conséquences manifestement disproportionnées au regard de cet objectif, dès lors que ce qui distingue le conjoint du failli des personnes qui se sont engagées à payer la dette de celui-ci en fournissant une sûreté réelle ou en se constituant sûreté personnelle sont les liens du mariage que le conjoint entretient avec le failli. Le conseil des ministres, se référant à cet égard à l'arrêt n° 3/2008 précité, fait valoir que les poursuites exercées sur les biens du conjoint par les créanciers du failli étant susceptibles d'atteindre les revenus procurés par la nouvelle activité de ce dernier, le failli ne pourrait reprendre ses activités commerciales ou industrielles dans l'intérêt combiné de la personne du failli, des créanciers, des travailleurs et de l'économie dans son ensemble. Il peut dès lors se justifier de manière objective et raisonnable que les effets de l'excusabilité ne soient pas étendus aux personnes, autres que le conjoint du failli, qui se sont engagées à payer la dette du failli en fournissant une sûreté réelle ou en se constituant sûreté personnelle. En effet, dans ces hypothèses, l'objectif de l'excusabilité ne saurait être menacé.

Dans son mémoire en réponse, le conseil des ministres ajoute que les tiers qui fournissent une sûreté réelle ou se constituent sûreté personnelle ont, lors de leur engagement, une liberté d'appréciation bien plus large que le conjoint qui est souvent contraint par les institutions financières à s'engager solidairement avec son époux auquel, sinon, le crédit serait refusé. La mesure n'a pas d'effets disproportionnés puisque la libération du conjoint dépend de l'excusabilité du failli et que les institutions bancaires restent libres de solliciter d'autres garanties.

La question préjudicielle appelle donc une réponse négative.

- B -

B.1.1. L'article 82, 2ème alinéa de la loi du 8 août 1997 sur les faillites dispose:

“Le conjoint du failli qui est personnellement obligé à la dette de son époux ou l'ex-conjoint qui est personnellement obligé à la dette de son époux contractée du temps du mariage est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité.”

B.1.2. La question préjudicielle porte sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de l'article 82, 2ème alinéa, précité, interprété comme libérant automatiquement le conjoint du failli excusé des engagements solidaires contractés par l'un et l'autre et sauvegardant ainsi le patrimoine du premier, que ce patrimoine soit constitué avant ou après le jugement d'excusabilité: le conjoint serait ainsi traité différemment, d'une part, du failli dont les biens ont été réalisés après qu'il en a été dessaisi par le jugement déclaratif de faillite et, d'autre part, des autres personnes physiques qui, s'étant engagées à payer les dettes du failli, ont fourni une sûreté réelle et ne peuvent obtenir de décharge ou une sûreté personnelle et ne peuvent obtenir de décharge que conformément aux articles 72bis, 72ter et 80 de la loi du 8 août 1997.

B.2. Il apparaît du dossier de la procédure antérieure que le failli excusé et son conjoint sont mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts et que l'engagement pris par le conjoint garantissait un crédit octroyé aux époux pour les besoins de l'exploitation commerciale du failli excusé. La Cour limite son examen à cette hypothèse.

B.3.1. Le conseil des ministres soutient que la question préjudicielle n'appelle pas de réponse en ce qu'elle porte sur la différence de traitement entre le failli et son conjoint; il fait valoir que la question serait dépourvue de pertinence dès lors que c'est en vertu de l'article 98 de la loi du 8 août 1997, qui n'est pas visé par la question préjudicielle et qui est antérieur à la disposition en cause, que le patrimoine propre du conjoint du failli, solidairement tenu avec celui-ci, est à l'abri des créanciers.

Quant à la partie demanderesse devant le juge a quo, elle soutient que l'article 82, 2ème alinéa n'est pas applicable au conjoint du failli déclaré excusable lorsque le conjoint a été, comme le failli, crédité à titre principal et est, de ce fait, titulaire d'un engagement qui lui est propre.

B.3.2. Il appartient au juge a quo de déterminer les dispositions qui sont applicables au litige dont il est saisi; les parties ne sont pas habilitées à mettre ce choix en cause devant la Cour. La Cour ne pourrait par ailleurs s'abstenir de répondre à la question qui lui est posée que si la réponse à cette question n'était manifestement pas utile pour la solution de ce litige.

B.3.3. Dès lors que la question préjudicielle se réfère à l'effet automatique de l'excusabilité du failli sur la situation du conjoint du failli qui est personnellement obligé à la dette de celui-ci et que cette question est réglée par la disposition que le juge a quo soumet au contrôle de la Cour, l'objection du conseil des ministres ne peut être accueillie.

Dès lors que la disposition en cause ne crée pas de distinction fondée sur la nature de l'engagement contracté par le conjoint et que le juge a quo ne se réfère pas à une situation dans laquelle ce conjoint se serait personnellement obligé à une dette autre que celle de son époux, visée par la disposition en cause, l'objection de la partie demanderesse devant le juge a quo ne peut davantage être accueillie.

B.4. La disposition en cause fait partie de la législation sur les faillites, qui vise essentiellement à réaliser un juste équilibre entre les intérêts du débiteur et ceux des créanciers.

La déclaration d'excusabilité constitue pour le failli une mesure de faveur qui lui permet de reprendre ses activités sur une base assainie et ceci, non seulement dans son intérêt, mais aussi dans celui de ses créanciers ou de certains d'entre eux qui peuvent avoir intérêt à ce que leur débiteur reprenne ses activités sur une telle base, le maintien d'une activité commerciale ou industrielle pouvant en outre servir l'intérêt général (Doc.parl. Chambre 1991-92, n° 631/1, pp. 35 et 36).

Jugeant que “la faculté de se redresser est [...] utopique si [le failli] doit conserver la charge du passif”, le législateur a estimé que “rien ne justifie que la défaillance du débiteur, conséquence de circonstances dont il est victime, l'empêche de reprendre d'autres activités” (Doc.parl. Chambre 1991-92, n° 631/13, p. 50).

Il ressort des travaux préparatoires que le législateur s'est soucié de “tenir compte, de manière équilibrée, des intérêts combinés de la personne du failli, des créanciers, des travailleurs et de l'économie dans son ensemble” et d'assurer un règlement humain qui respecte les droits de toutes les parties intéressées (Doc.parl. Chambre 1991-92, n° 631/13, p. 29).

B.5. Par son arrêt n° 69/2002 du 28 mars 2002, la Cour avait jugé que l'article 82 de la loi sur les faillites, tel qu'il était d'application avant son remplacement par l'article 29 de la loi du 4 septembre 2002 “modifiant la loi du 8 août 1997 sur les faillites, le Code judiciaire et le Code des sociétés”, était incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permettait en aucune manière à un juge de libérer de ses obligations le conjoint du failli déclaré excusable.

B.6.1. A la suite de cet arrêt, le législateur, par la loi du 4 septembre 2002, a inséré, à l'article 82 de la loi sur les faillites, un 2ème alinéa selon lequel le conjoint du failli, 'qui s'est personnellement obligé' à la dette du failli, est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité.

B.6.2. La Cour a jugé cette disposition incompatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination, en ce que le conjoint qui est, en vertu d'une disposition fiscale, obligé à une dette d'impôt du failli, ne peut être libéré, par la déclaration d'excusabilité, de l'obligation de payer cette dette (arrêt n° 78/2004 du 12 mai 2004 et arrêt n° 6/2005 du 12 janvier 2005). Afin de remédier à cette situation, l'article 82, 2ème alinéa de la loi sur les faillites, tel qu'il a été remplacé par l'article 2 de la loi du 2 février 2005 modifiant l'article 82, 2ème alinéa de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, a précisé que le conjoint du failli qui est personnellement obligé à la dette de ce dernier, est libéré de cette obligation par l'effet de l'excusabilité.

B.7. L'article 82, 2ème alinéa libère de ses obligations le conjoint et l'ex-conjoint du failli excusé qui est personnellement obligé à la dette du failli.

La Cour doit examiner si cette mesure a des effets discriminatoires à l'égard du failli excusé et des personnes qui se sont engagées à honorer les dettes du failli en constituant une sûreté réelle ou personnelle.

Pour ce faire, il convient de tenir compte, d'une part, des objectifs économiques et sociaux de la mesure litigieuse et, d'autre part, des principes, applicables en la matière, du droit patrimonial civil, en vertu desquels “les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites” (art. 1134, 1er al. C.civ.) et “quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir ses engagements sur tous ses biens mobiliers ou immobiliers, présents et à venir” (art. 7 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851).

B.8. Le failli se voit offrir, par le mécanisme de l'excusabilité, la possibilité d'échapper, en vertu de l'article 82, 1er alinéa de la loi du 8 août 1997, aux poursuites des créanciers. Cette faveur, qui profite au conjoint en vertu de la disposition en cause, n'a cependant ni pour portée ni pour but de remettre en cause la faillite ou les autres effets de celle-ci. Dès lors que le dessaisissement et la réalisation des biens du failli font partie de ces effets, le failli et son conjoint - que le patrimoine de celui-ci soit celui existant avant la déclaration d'excusabilité ou celui existant après - se trouvent, compte tenu de la qualité de commerçant du failli, dans des situations essentiellement différentes qui justifient le premier aspect de la différence de traitement exposée en B.1.2.

B.9. L'extension des effets de l'excusabilité au conjoint qui est personnellement obligé à la dette du failli a été instaurée non pour éviter une discrimination sur le plan de la solidarité née du mariage, mais parce que, en cas de communauté de biens, les revenus d'une nouvelle activité professionnelle du failli entrent dans le patrimoine commun (art. 1405, 1er al. 1 C.civ.). Les poursuites exercées sur les biens du conjoint - que ce soient ceux existant lors du jugement sur l'excusabilité ou ceux acquis ensuite - par les créanciers du failli pourraient atteindre les revenus procurés par la nouvelle activité de celui-ci, ce qui serait contraire à l'objectif poursuivi.

Un tel risque n'a pas à être envisagé en ce qui concerne les personnes, autres que le conjoint, qui ont fourni une sûreté réelle ou personnelle; ces personnes ont par ailleurs pu disposer, avant de fournir cette sûreté, d'une liberté d'appréciation dont ne dispose pas, dans la même mesure, le conjoint dont l'engagement est une condition de l'octroi d'un crédit demandé par son époux. Dès lors, la différence de traitement, en son second aspect évoqué en B.1.2., n'est pas dépourvue de justification.

B.10. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs,

LA COUR

dit pour droit:

L'article 82, 2ème alinéa de la loi du 8 août 1997 sur les faillites ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

(…)