Cour de justice de l'Union européenne 1er décembre 2011
DROITS D'AUTEUR ET DROITS VOISINS
Droits d'auteur - Condition de la protection du droit d'auteur - Directive 93/98/CEE - Article 6 - Protection de photographies - Directive 2001/29/CE - Article 2 - Reproduction - Utilisation d'une photographie de portrait comme modèle pour établir un portrait-robot - Article 5, 3., sous d) - Exceptions et limitations s'agissant de citations - Article 5, 3., sous e) - Exceptions et limitations à des fins de sécurité publique - Article 5, 5
Une photographie de portrait est susceptible d'être protégée par le droit d'auteur, à condition qu'elle soit une création intellectuelle de l'auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie. Dès lors qu'il a été vérifié que la photographie de portrait en cause présente la qualité d'une oeuvre, la protection de celle-ci n'est pas inférieure à celle dont bénéficie toute autre oeuvre, y compris photographique.
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AUTEURSRECHTEN EN NABURIGE RECHTEN
Auteursrechten - Bescherminsgvoorwaarde auteursrecht - Richtlijn 93/98/EEG - Artikel 6 - Bescherming van foto's - Richtlijn 2001/29/EG - Artikel 2 - Reproductie - Gebruik van portretfoto als model voor montagefoto - Artikel 5, 3., sub d) - Uitzonderingen en beperkingen voor citeren - Artikel 5, 3., sub e) - Uitzonderingen en beperkingen voor doeleinden van openbare veiligheid - Artikel 5, 5
Een portretfoto komt voor auteursrechtelijke bescherming mits een dergelijke foto een intellectuele schepping van de auteur is die de persoonlijkheid van deze laatste weerspiegelt en tot uiting komt door de vrije creatieve keuzen van die auteur bij de totstandkoming van die foto. Wanneer is vastgesteld dat de betrokken portretfoto de hoedanigheid heeft van een werk, geniet dit een bescherming die niet geringer is dan die waarvoor ieder ander werk, een fotografisch werk daaronder begrepen, in aanmerking komt.
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Eva-Maria Painer / Standard VerlagsGmbH, Axel Springer AG, Süddeutsche Zeitung GmbH, Spiegel-Verlag Rudolf Augstein GmbH & Co KG, Verlag M. DuMont Schauberg Expedition der Kölnischen Zeitung GmbH & Co KG
Siég.: K. Lenaerts (président de chambre), J. Malenovsky (rapporteur), E. Juhász, G. Arestis et T. von Danwitz (juges) |
MP: V. Trstenjak (avocat général) |
Pl.: G. Zanger et M. Windhager, M. Russo (avocats); E. Riedl, N. Díaz Abad, G. Palmieri, S. Grünheid (en qualité d'agents) |
(…)
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 6, 1. du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), ainsi que de l'article 5, 3., sous d) et e), et 5. de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (JO L 167, p. 10).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Mme Painer, photographe indépendante, à cinq maisons de presse, à savoir Standard VerlagsGmbH (ci-après 'Standard'), Axel Springer AG (ci-après 'Axel Springer'), Süddeutsche Zeitung GmbH, Spiegel-Verlag Rudolf Augstein GmbH & Co KG et Verlag M. DuMont Schauberg Expedition der Kölnischen Zeitung GmbH & Co KG, au sujet de l'utilisation par ces dernières de photographies de Natascha K.
Le cadre juridique |
Le droit international |
3. L'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, figurant à l'annexe 1 C de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994, a été approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil du 22 décembre 1994 relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l'Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1).
4. L'article 9, 1. de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce dispose:
“Les Membres se conformeront aux articles 1er à 21 de la Convention de Berne [pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques (acte de Paris du 24 juillet 1971), dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979 (ci-après la 'convention de Berne')] et à l'annexe de ladite convention. Toutefois, les membres n'auront pas de droits ni d'obligations au titre du présent accord en ce qui concerne les droits conférés par l'article 6bis de ladite convention ou les droits qui en sont dérivés.”
5. Aux termes de l'article 2, (1) de la convention de Berne:
“Les termes 'oeuvres littéraires et artistiques' comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode ou la forme d'expression, telles que: les livres, brochures et autres écrits; les conférences, allocutions, sermons et autres oeuvres de même nature; les oeuvres dramatiques ou dramatico-musicales; les oeuvres chorégraphiques et les pantomimes; les compositions musicales avec ou sans paroles; les oeuvres cinématographiques, auxquelles sont assimilées les oeuvres exprimées par un procédé analogue à la cinématographie; les oeuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie; les oeuvres photographiques, auxquelles sont assimilées les oeuvres exprimées par un procédé analogue à la photographie; les oeuvres des arts appliqués; les illustrations, les cartes géographiques; les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux sciences.”
6. L'article 10, (1) de la convention de Berne stipule:
“Sont licites les citations tirées d'une oeuvre, déjà rendue licitement accessible au public, à condition qu'elles soient conformes aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but à atteindre, y compris les citations d'articles de journaux et recueils périodiques sous forme de revues de presse.”
7. Selon l'article 12 de la convention de Berne:
“Les auteurs d'oeuvres littéraires ou artistiques jouissent du droit exclusif d'autoriser les adaptations, arrangements et autres transformations de leurs oeuvres.”
8. En vertu de l'article 37, (1), sous (c) de la convention de Berne:
“En cas de contestation sur l'interprétation des divers textes, le texte français fera foi.”
9. L'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a adopté à Genève, le 20 décembre 1996, le traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes ainsi que le traité de l'OMPI sur le droit d'auteur. Ces deux traités ont été approuvés au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil du 16 mars 2000 (JO L 89, p. 6).
10. Le traité de l'OMPI sur le droit d'auteur prévoit, à son article 1er, point 4, que les parties contractantes doivent se conformer aux articles 1er à 21 et à l'annexe de la convention de Berne.
Le droit de l'Union |
(…)
La directive 93/98/CEE |
15. La directive 93/98/CEE du Conseil du 29 octobre 1993 relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins (JO L 290, p. 9), énonce à son 17ème considérant:
“[...] la protection des photographies dans les Etats membres fait l'objet de différents régimes; [...] pour obtenir une harmonisation suffisante de la durée de protection des oeuvres photographiques, et notamment de celles qui, en raison de leur caractère artistique ou professionnel, ont une importance dans le cadre du marché intérieur, il est nécessaire de définir le niveau d'originalité requis dans la présente directive; [...] une oeuvre photographique au sens de la convention de Berne doit être considérée comme originale si elle est une création intellectuelle de l'auteur qui reflète sa personnalité, sans que d'autres critères, tels que la valeur ou la destination, ne soient pris en compte; [...] la protection des autres photographies doit pouvoir être régie par la législation nationale.”
16. L'article 1er, 1. de cette directive prévoit la protection par le droit d'auteur d'une oeuvre littéraire ou artistique, au sens de l'article 2 de la convention de Berne, durant toute la vie de l'auteur de cette oeuvre et pendant 70 ans après sa mort.
17. L'article 6 de ladite directive dispose:
“Les photographies qui sont originales en ce sens qu'elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées conformément à l'article 1er. Aucun autre critère ne s'applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de la protection. Les Etats membres peuvent prévoir la protection d'autres photographies.”
18. La directive 93/98 a été abrogée par la directive 2006/116/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative à la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins (JO L 372, p. 12), qui procède à sa codification et contient, en substance, les mêmes dispositions. La directive 2006/116 est entrée en vigueur le 16 janvier 2007.
19. Néanmoins, le litige au principal demeure régi, compte tenu de la date des faits, par la directive 93/98.
La directive 2001/29 |
20. Les 6ème, 9ème, 21ème, 31ème, 32ème et 44ème considérants de la directive 2001/29 sont rédigés comme suit:
“(6) En l'absence d'harmonisation à l'échelle communautaire, les processus législatifs au niveau national, dans lesquels plusieurs Etats membres se sont déjà engagés pour répondre aux défis technologiques, pourraient entraîner des disparités sensibles en matière de protection et, partant, des restrictions à la libre circulation des services et des marchandises qui comportent des éléments relevant de la propriété intellectuelle ou se fondent sur de tels éléments, ce qui provoquerait une nouvelle fragmentation du marché intérieur et des incohérences d'ordre législatif. L'incidence de ces disparités législatives et de cette insécurité juridique se fera plus sensible avec le développement de la société de l'information, qui a déjà considérablement renforcé l'exploitation transfrontalière de la propriété intellectuelle. Ce développement est appelé à se poursuivre. Des disparités et une insécurité juridiques importantes en matière de protection sont susceptibles d'entraver la réalisation d'économies d'échelle pour les nouveaux produits et services protégés par le droit d'auteur et les droits voisins.
[...]
(9) Toute harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l'intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.
[...]
(21) La présente directive doit définir le champ des actes couverts par le droit de reproduction en ce qui concerne les différents bénéficiaires, et ce conformément à l'acquis communautaire. Il convient de donner à ces actes une définition large pour assurer la sécurité juridique au sein du marché intérieur.
[...]
(31) Il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d'intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu'entre celles-ci et les utilisateurs d'objets protégés. [...]
(32) La présente directive contient une liste exhaustive des exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public. Certaines exceptions ou limitations ne s'appliquent qu'au droit de reproduction, s'il y a lieu. La liste tient dûment compte de la diversité des traditions juridiques des Etats membres tout en visant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. Les Etats membres appliquent ces exceptions et limitations de manière cohérente et la question sera examinée lors d'un futur réexamen des dispositions de mise en oeuvre.
[...]
(44) Lorsque les exceptions et les limitations prévues par la présente directive sont appliquées, ce doit être dans le respect des obligations internationales. Ces exceptions et limitations ne sauraient être appliquées d'une manière qui cause un préjudice aux intérêts légitimes du titulaire de droits ou qui porte atteinte à l'exploitation normale de son oeuvre ou autre objet. Lorsque les Etats membres prévoient de telles exceptions ou limitations, il y a lieu, en particulier, de tenir dûment compte de l'incidence économique accrue que celles-ci sont susceptibles d'avoir dans le cadre du nouvel environnement électronique. En conséquence, il pourrait être nécessaire de restreindre davantage encore la portée de certaines exceptions ou limitations en ce qui concerne certaines utilisations nouvelles d'oeuvres protégées par le droit d'auteur ou d'autres objets protégés.”
21. L'article 1er, 1. de cette directive énonce:
“La présente directive porte sur la protection juridique du droit d'auteur et des droits voisins dans le cadre du marché intérieur, avec une importance particulière accordée à la société de l'information.”
22. L'article 2 de ladite directive, relatif au droit de reproduction, dispose:
“Les Etats membres prévoient le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie:
a) pour les auteurs, de leurs oeuvres;
[...]”
23. Aux termes de l'article 3, 1. de la même directive:
“Les Etats membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs oeuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs oeuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement.”
24. L'article 5 de la directive 2001/29, intitulé 'Exceptions et limitations', énonce à son point 3., sous d) et e):
“Les Etats membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants:
[...]
d) lorsqu'il s'agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu'elles concernent une oeuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s'avère impossible, la source, y compris le nom de l'auteur, soit indiquée et qu'elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi;
e) lorsqu'il s'agit d'une utilisation à des fins de sécurité publique ou pour assurer le bon déroulement de procédures administratives, parlementaires ou judiciaires, ou pour assurer une couverture adéquate desdites procédures;
[...]”
25. L'article 5, 5. de ladite directive dispose:
“Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.”
Le droit national |
26. Les dispositions susmentionnées de la directive 2001/29 ont été transposées dans l'ordre juridique autrichien par la loi fédérale sur le droit d'auteur sur les oeuvres littéraires et artistiques et droits voisins (Bundesgesetz über das Urheberrecht an Werken der Literatur und der Kunst und über verwandte Schutzrechte, Urheberrechtsgesetz).
Le litige au principal et les questions préjudicielles |
27. Mme Painer travaille depuis de nombreuses années comme photographe indépendante et photographie, notamment, des enfants dans des écoles maternelles et dans des garderies. Dans le cadre de cette activité, elle a pris plusieurs photographies de Natascha K. en concevant l'arrière-plan, en décidant de la position et de l'expression du visage, en maniant l'appareil photo et en développant ces photographies (ci-après les 'photographies litigieuses').
28. Mme Painer identifie de son nom, depuis plus de 17 ans, les photographies qu'elle réalise. Cette identification s'est effectuée de façons diverses et variées à travers les années, au moyen d'autocollants et/ou de gaufrures sur les pochettes et les passe-partout. Ces indications ont toujours précisé son nom et son adresse professionnelle.
29. Mme Painer a vendu les photographies qu'elle avait réalisées, mais sans conférer à des tiers des droits sur ces photographies et sans consentir à la publication de ces images. Le prix exigé pour des photographies correspondait uniquement au prix des tirages de celles-ci.
30. Après que Natascha K., alors âgée de 10 ans, a été enlevée en 1998, les autorités de sécurité compétentes ont lancé un avis de recherche, dans le cadre duquel les photographies litigieuses ont été utilisées.
31. Les défenderesses au principal sont des éditeurs de presse. Seule Standard a son siège à Vienne (Autriche). Les autres défenderesses au principal ont leur siège en Allemagne.
32. Standard publie le quotidien Der Standard qui est distribué en Autriche. Süddeutsche Zeitung GmbH publie le quotidien Süddeutsche Zeitung, qui est distribué en Autriche et en Allemagne. Spiegel-Verlag Rudolf Augstein GmbH & Co KG publie un hebdomadaire en Allemagne, Der Spiegel, qui paraît également en Autriche. Verlag M. DuMont Schauberg Expedition der Kölnischen Zeitung GmbH & Co KG édite le quotidien Express, qui est uniquement publié en Allemagne. Axel Springer publie le quotidien Bild, dont l'édition nationale n'est pas distribuée en Autriche. L'édition munichoise de ce journal, en revanche, paraît également en Autriche. Axel Springer publie, par ailleurs, un autre quotidien, Die Welt, qui est, lui aussi, distribué en Autriche et exploite également des sites d'information sur Internet.
33. En 2006, Natascha K. réussit à échapper à son ravisseur.
34. A la suite de la fuite de Natascha K., et avant sa première apparition publique, les défenderesses au principal ont publié les photographies litigieuses dans les journaux et sur les sites Internet susmentionnés, sans, toutefois, indiquer le nom de l'auteur de ces photographies ou avec l'indication d'un nom autre que celui de Mme Painer en tant qu'auteur.
35. La couverture médiatique dans les différents journaux et sur les sites Internet différait quant aux photographies litigieuses sélectionnées et au texte qui les accompagnait. Les défenderesses au principal déclarent avoir reçu les photographies litigieuses d'une agence de presse sans que le nom de Mme Painer ait été mentionné ou avec l'indication d'un nom différent de celui de Mme Painer en tant qu'auteur.
36. Plusieurs de ces journaux ont, en outre, publié un portrait, élaboré par traitement informatique à partir d'une des photographies litigieuses, qui, tant qu'il n'existait pas de photographie récente de Natascha K. jusqu'à sa première apparition publique, représentait le visage supposé de Natascha K. (ci-après le 'portrait-robot litigieux').
37. Par assignation devant le Handelsgericht Wien, le 10 avril 2007, Mme Painer a demandé de constater que les défenderesses au principal devaient cesser immédiatement de reproduire et/ou de distribuer, sans son consentement et sans indication de son nom en tant qu'auteur, les photographies litigieuses ainsi que le portrait-robot litigieux.
38. Mme Painer a en outre demandé de condamner les défenderesses au principal à une reddition des comptes, à un versement d'une rémunération appropriée et à une indemnisation du préjudice subi.
39. En même temps, Mme Painer a introduit une procédure de référé qui a déjà été tranchée en dernière instance par un arrêt du 26 août 2009 de l'Oberster Gerichtshof (Cour Suprême).
40. Ainsi qu'il ressort de la décision de renvoi, l'Oberster Gerichtshof a jugé, en application des dispositions nationales applicables, que les défenderesses au principal n'avaient pas besoin du consentement de Mme Painer pour publier le portrait-robot litigieux.
41. Selon cette juridiction, la photographie litigieuse, qui avait servi de modèle lors de la réalisation du portrait-robot litigieux, était, certes, une oeuvre photographique protégée par le droit d'auteur. Toutefois, la réalisation et la publication du portrait-robot litigieux constituaient non pas une adaptation, qui aurait requis le consentement de Mme Painer en tant qu'auteur de l'oeuvre photographique, mais une libre utilisation, qui était possible sans son consentement.
42. En effet, la qualification d'adaptation ou de libre utilisation dépendrait de l'activité créatrice s'exprimant dans le modèle initial. Plus le niveau d'activité créatrice est élevé, moins une libre utilisation du modèle est envisageable. S'agissant de photographies de portrait, telles que la photographie litigieuse, le créateur n'a que des possibilités réduites de création artistique originale. Pour cette raison, la portée de la protection conférée par le droit d'auteur à cette photographie est restreinte. En outre, le portrait-robot litigieux établi sur la base de cette photographie constituait une oeuvre nouvelle, autonome et elle-même protégée par un droit d'auteur.
43. C'est dans ces conditions que le Handelsgericht Wien a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
“1) Convient-il d'interpréter l'article 6, 1. du [règlement n° 44/2001], en ce sens que le fait que les demandes introduites à l'encontre de plusieurs défendeurs en raison d'atteintes au droit d'auteur matériellement identiques reposent sur des bases juridiques qui diffèrent selon les pays, mais dont le contenu est en substance identique - comme c'est le cas dans tous les Etats européens en ce qui concerne le droit d'obtenir la cessation du comportement en cause indépendamment de toute faute du défendeur, le droit à une rémunération appropriée au titre des actes portant atteinte au droit d'auteur et le droit à dommages et intérêts au titre de l'utilisation illégale de l'oeuvre - ne fait pas obstacle à l'application dudit article et dès lors à ce que ces demandes soient instruites et jugées en même temps?
2) a) Eu égard à l'article 5, 5. de la directive 2001/29 [...], convient-il d'interpréter l'article 5, 3., sous d) de cette même directive en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à son application que l'article de presse citant une oeuvre ou un autre objet protégé ne soit pas une oeuvre littéraire protégée par un droit d'auteur?
b) Eu égard à l'article 5, 5. de la directive 2001/29, convient-il d'interpréter l'article 5, 3., sous d) de cette même directive en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à son application que le nom de l'auteur ou de l'artiste interprète de l'oeuvre ou autre objet protégé cité ne soit pas indiqué?
3) a) Eu égard à l'article 5, 5. de la directive 2001/29, convient-il d'interpréter l'article 5, 3., sous e) de cette même directive en ce sens que l'application dudit article dans l'intérêt de la justice pénale dans le cadre de la sécurité publique requiert un appel concret, actuel et exprès des autorités de sécurité à publier la photographie, c'est-à-dire que la photographie doit être publiée à des fins d'enquête à l'initiative des autorités, et que l'atteinte au droit d'auteur est constituée si tel n'est pas le cas?
b) En cas de réponse négative à la question [sous a)] ci-dessus: des médias peuvent-ils se prévaloir de l'article 5, 3., sous e) de la directive 2001/29 également dans le cas où ils décident de leur propre initiative, sans avis de recherche des autorités, si des photographies sont publiées 'dans l'intérêt de la sécurité publique'?
c) En cas de réponse positive à la question [sous b)] ci-dessus: dans ce cas, suffit-il que des médias affirment a posteriori que des photographies aient été publiées à des fins d'enquête ou est-il en tout état de cause nécessaire qu'un appel concret ait été adressé aux lecteurs, leur demandant de contribuer à élucider une infraction pénale et que cet appel ait été directement associé à la publication de la photographie?
4) Eu égard, en particulier, à l'article 1er du premier protocole additionnel du 20 mars 1952, à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales [signée à Rome le 4 novembre 1950] ainsi qu'à l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, convient-il d'interpréter les dispositions combinées des articles 1er, 1. et 5, 5. de la directive 2001/29 et de l'article 12 de la convention de Berne [...] en ce sens que le droit d'auteur confère à des oeuvres photographiques et/ou à des photographies, en particulier des photographies de portrait, une protection 'moindre', voire nulle, du fait que, en ce qui concerne la 'photographie réaliste', celles-ci offrent des possibilités de création artistique trop réduites?”
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle |
(…) il y a lieu de considérer que la quatrième question est recevable.
Sur les questions préjudicielles |
Sur la première question |
(…)
Sur la quatrième question |
85. La quatrième question, qu'il convient de traiter en deuxième lieu, a été posée par la juridiction de renvoi en vue d'apprécier le bien-fondé de la position selon laquelle les défenderesses au principal n'avaient pas besoin du consentement de Mme Painer pour publier le portrait-robot litigieux élaboré à partir d'une photographie de portrait, car la portée de la protection conférée à une telle photographie était restreinte, voire nulle, en raison des possibilités de création réduites que ladite photographie permettait.
86. Dès lors, il convient de comprendre la question de la juridiction de renvoi comme visant à savoir, en substance, si l'article 6 de la directive 93/98 doit être interprété en ce sens qu'une photographie de portrait est susceptible, en vertu de cette disposition, d'être protégée par le droit d'auteur et, dans l'affirmative, si, en raison des possibilités de création artistique prétendument trop réduites que de telles photographies peuvent offrir, cette protection, notamment en ce qui concerne le régime de la reproduction de l'oeuvre prévu à l'article 2, sous a) de la directive 2001/29, est inférieure à celle dont bénéficient d'autres oeuvres, notamment photographiques.
87. S'agissant, en premier lieu, de la question de savoir si les photographies réalistes, notamment les photographies de portrait, bénéficient de la protection du droit d'auteur en vertu de l'article 6 de la directive 93/98, il importe de relever que la Cour a déjà jugé, dans l'arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C-5/08, Rec., p. I-6569, point 35), que le droit d'auteur n'est susceptible de s'appliquer que par rapport à un objet, telle une photographie, qui est original en ce sens qu'il est une création intellectuelle propre à son auteur.
88. Ainsi qu'il résulte du 17ème considérant de la directive 93/98, une création intellectuelle est propre à son auteur lorsqu'elle reflète la personnalité de celui-ci.
89. Or, tel est le cas si l'auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l'oeuvre en effectuant des choix libres et créatifs (voir, a contrario, arrêt du 4 octobre 2011, C-403/08 et C-429/08, Football Association Premier League e.a., non encore publié au Recueil, point 98).
90. S'agissant d'une photographie de portrait, il y a lieu de relever que l'auteur pourra effectuer ses choix libres et créatifs de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation.
91. Au stade de la phase préparatoire, l'auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l'éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l'angle de prise de vue ou encore l'atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l'auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu'il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l'emploi de logiciels.
92. A travers ces différents choix, l'auteur d'une photographie de portrait est ainsi en mesure d'imprimer sa 'touche personnelle' à l'oeuvre créée.
93. Par conséquent, s'agissant d'une photographie de portrait, la marge dont dispose l'auteur pour exercer ses capacités créatives ne sera pas nécessairement réduite, voire inexistante.
94. Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu de considérer qu'une photographie de portrait est susceptible, en vertu de l'article 6 de la directive 93/98, d'être protégée par le droit d'auteur à condition, ce qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier dans chaque cas d'espèce, qu'une telle photographie soit une création intellectuelle de l'auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie.
95. S'agissant, en second lieu, de la question de savoir si une telle protection est inférieure à celle dont bénéficient d'autres oeuvres, notamment les autres oeuvres photographiques, il convient d'emblée de relever que l'auteur d'une oeuvre protégée bénéficie notamment, en vertu de l'article 2, sous a) de la directive 2001/29, du droit exclusif d'en autoriser ou d'en interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie.
96. A cet égard, la Cour a jugé que la protection conférée par cette disposition doit avoir une portée large (voir arrêt Infopaq International, précité, point 43).
97. En outre, il y a lieu de constater qu'aucun élément dans la directive 2001/29 ou dans une autre directive applicable en la matière ne permet de considérer que l'étendue d'une telle protection serait tributaire d'éventuelles différences dans les possibilités de création artistiques, lors de la réalisation de diverses catégories d'oeuvres.
98. Dès lors, s'agissant d'une photographie de portrait, la protection conférée par l'article 2, sous a) de la directive 2001/29 ne saurait être inférieure à celle dont bénéficient d'autres oeuvres, y compris les autres oeuvres photographiques.
99. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l'article 6 de la directive 93/98 doit être interprété en ce sens qu'une photographie de portrait est susceptible, en vertu de cette disposition, d'être protégée par le droit d'auteur, à condition, ce qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier dans chaque cas d'espèce, qu'elle soit une création intellectuelle de l'auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie. Dès lors qu'il a été vérifié que la photographie de portrait en cause présente la qualité d'une oeuvre, la protection de celle-ci n'est pas inférieure à celle dont bénéficie toute autre oeuvre, y compris photographique.
Sur la troisième question |
(…)
Sur la deuxième question |
(…)
Par ces motifs, LA COUR (3ème chambre) dit pour droit:
1) L'article 6, 1. du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que le seul fait que des demandes introduites à l'encontre de plusieurs défendeurs, en raison d'atteintes au droit d'auteur matériellement identiques, reposent sur des bases juridiques nationales qui diffèrent selon les Etats membres ne s'oppose pas à l'application de cette disposition. Il incombe à la juridiction nationale, au regard de tous les éléments du dossier, d'apprécier l'existence d'un risque de décisions inconciliables si les demandes étaient jugées séparément.
2) L'article 6 de la directive 93/98/CEE du Conseil du 29 octobre 1993 relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins, doit être interprété en ce sens qu'une photographie de portrait est susceptible, en vertu de cette disposition, d'être protégée par le droit d'auteur, à condition, ce qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier dans chaque cas d'espèce, qu'elle soit une création intellectuelle de l'auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie. Dès lors qu'il a été vérifié que la photographie de portrait en cause présente la qualité d'une oeuvre, la protection de celle-ci n'est pas inférieure à celle dont bénéficie toute autre oeuvre, y compris photographique.
3) L'article 5, 3., sous e) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, lu à la lumière de l'article 5, 5. de cette directive, doit être interprété en ce sens qu'un media, tel qu'un éditeur de presse, ne peut pas utiliser, de sa propre initiative, une oeuvre protégée par le droit d'auteur en invoquant un objectif de sécurité publique. Toutefois, il ne saurait être exclu qu'il puisse contribuer ponctuellement à la réalisation d'un tel objectif en publiant une photographie d'une personne recherchée. Il doit être exigé que cette initiative, d'une part, s'insère dans le contexte d'une décision prise ou d'une action menée par les autorités nationales compétentes et visant à assurer la sécurité publique et, d'autre part, soit prise en accord et en coordination avec lesdites autorités, afin d'éviter le risque d'aller à l'encontre des mesures prises par ces dernières, sans qu'un appel concret, actuel et exprès, émanant des autorités de sécurité, à publier à des fins d'enquête une photographie soit pour autant nécessaire.
4) L'article 5, 3., sous d) de la directive 2001/29, lu à la lumière de l'article 5, 5. de cette directive, doit être interprété en ce sens que le fait qu'un article de presse citant une oeuvre ou un autre objet protégé n'est pas une oeuvre littéraire protégée par le droit d'auteur ne fait pas obstacle à l'application de cette disposition.
5) L'article 5, 3., sous d) de la directive 2001/29, lu à la lumière de l'article 5, 5. de cette directive, doit être interprété en ce sens que son application est subordonnée à l'obligation que la source, y compris le nom de l'auteur ou de l'artiste interprète, de l'oeuvre ou de l'autre objet protégé cités soit indiquée. Toutefois, si, en application de l'article 5, 3., sous e) de la directive 2001/29, ce nom n'a pas été indiqué, ladite obligation doit être considérée comme respectée si seule la source est indiquée.