Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 02/03/2011, R.D.C.-T.B.H., 2012/4, p. 378-384

Tribunal de commerce de Bruxelles 2 mars 2011

INSTITUTIONS ET INTERMÉDIAIRES FINANCIERS
Gestion de fortune et conseillers en placement - Convention - Conseil en placement
Gestion de portefeuille - Mandat du gestionnaire - Obligation de moyen - Information du client - Faute du gestionnaire - Conflit d'intérêts - Rupture du lien de causalité
La gestion de fortune est soumise aux aléas des marchés financiers de sorte que la convention de gestion engendre une obligation de moyen dans le chef du gestionnaire. Dans le cadre du contrôle marginal du comportement du gestionnaire et en tenant compte des circonstances de l'espèce, le fait de ne pas avoir atteint, près de neuf mois après la conclusion de la convention de gestion, le pourcentage de 25% de liquidités convenu lors des discussions précontractuelles n'apparaît pas comme étant manifestement déraisonnable.
En vertu de l'article 27, § 1er, 2, 3 et 4 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux secteurs financiers, telle que modifiée par l'arrêté royal du 27 avril 2007 visant à transposer la directive MiFID, les entreprises réglementées veillent à agir de manière honnête, équitable et professionnelle et à servir au mieux les intérêts des clients. Toutes les informations adressées à des clients ou à des clients potentiels doivent être 'correctes, claires et non trompeuses'. La notion de titres de créances et avoirs monétaires 'de premier ordre' non définie autrement dans le contrat de gestion de fortune est ambiguë et ne répond pas au prescrit légal.
Dans une période de grande incertitude des marchés financiers, le fait d'acquérir un titre dont le niveau de risque est plus élevé que celui que le client avait accepté de supporter constitue une faute qu'un gestionnaire professionnel normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances n'aurait pas commise.
Les entreprises d'investissement sont tenues de prendre des mesures organisationnelles et administratives adéquates pour empêcher que des conflits d'intérêts ne portent atteinte aux intérêts de leurs clients et, dans l'hypothèse où ces mesures ne suffisent pas à garantir, avec une certitude raisonnable, que le risque de porter atteinte aux intérêts des clients sera évité, elles en informent clairement ceux-ci. Lorsque la société qui émet la SICAV fait partie du même groupe que le gestionnaire de fortune, le risque de porter atteinte aux intérêts du client n'est pas exclu en cas d'acquisition de cette SICAV pour le compte du client, de sorte qu'elle est tenue d'en informer le client, cette information pouvant être implicite et figurer dans la convention de gestion de fortune.
Il y a rupture du lien de causalité entre la faute commise par le gestionnaire et le dommage subi par le client lorsque ce dernier, pendant la chute précipitée des indices boursiers et des marchés financiers et malgré son horizon de placement de plus de cinq ans, prend l'initiative de vendre tous les titres en portefeuille.


FINANCIELE INSTELLINGEN EN TUSSENPERSONEN
Vermogensbeheerder en beleggingsadviseurs - Overeenkomst - Beleggingsadvies
Beheer van portefeuille - Lastgeving van de beheerder - Inspanningsverbintenis - Informatie van de cliënt - Fout van de vermogensbeheerder - Belangenconflict - Onderbreking causaal verband
Het vermogensbeheer is onderworpen aan de onvoorspelbaarheden van de financiële markten, reden waarom de overeenkomst van vermogensbeheer een inspanningsverbintenis instelt in hoofde van de vermogensbeheerder. In het kader van de marginale controle van de gedraging van de vermogensbeheerder en rekening houdende met de specifieke omstandigheden, lijkt het gegeven van, ongeveer negen maanden na het sluiten van de overeenkomst van vermogensbeheer, het tijdens de precontractuele onderhandelingen overeengekomen percentage van 25% liquiditeiten niet te hebben behaald, niet manifest onredelijk te zijn.
Krachtens artikel 27, § 1, 2, 3 en 4 van de wet van 2 augustus 2002 betreffende het toezicht op de financiële sector en de financiële diensten, zoals gewijzigd door het koninklijk besluit van 27 april 2007 tot omzetting van de MiFID-richtlijn, waken de gereglementeerde ondernemingen erover om op loyale, billijke en professionele wijze te handelen en om naar best vermogen de belangen van de cliënt te dienen. Alle aan cliënten of potentiële cliënten verstrekte informatie moet 'correct, duidelijk en niet misleidend' zijn. Het begrip schuldinstrumenten en monetaire titels 'van eerste orde', dat nergens anders in de overeenkomst van vermogensbeheer wordt gedefinieerd is dubbelzinnig en beantwoordt niet aan de wettelijke voorschriften.
In een periode van grote onzekerheid op de financiële markten, vormt het gegeven een titel te verwerven, waarvan het risiconiveau hoger ligt dan hetwelk de klant had aanvaard te dragen, een fout die een normaal voorzichtige en redelijke professionele vermogensbeheerder in dezelfde omstandigheden geplaatst niet zou hebben gemaakt.
De beleggingsondernemingen zijn ertoe gehouden om passende organisatorische en administratieve maatregelen te nemen om te voorkomen dat belangenconflicten de belangen van hun cliënteel zouden schaden, en, in de hypothese dat deze maatregelen niet zouden volstaan om met redelijke zekerheid te garanderen dat het risico om schade aan te brengen aan de belangen van het cliënteel zal worden voorkomen, lichten zij deze laatste hiervan in. Wanneer de onderneming die de BEVEK uitgeeft deel uitmaakt van dezelfde groep als de vermogensbeheerder, is het risico dat de belangen van de cliënt zouden worden geschaad niet uitgesloten in het geval van aankoop van deze BEVEK voor rekening van de cliënt, zodat zij ertoe gehouden is om de cliënt hierover in te lichten. Deze informatie kan impliciet zijn en kan worden vermeld in de overeenkomst van vermogensbeheer.
Er is sprake van een onderbreking van het causaal verband tussen de door de vermogensbeheerder gemaakte fout en de door de cliënt geleden schade, wanneer deze laatste, tijdens de sterke daling van de beursindexen en de financiële markten en niettegenstaande zijn beleggingshorizon van meer dan vijf jaar, de beslissing neemt om al de titels in zijn portefeuille te verkopen.

J.-M.S. et A.S. / SA Petercam

Siég.: Schetter (juge), Thays et Stichelbaut (juges consulaires)
Pl.: Mes R. Himpler et J. Verbist, S. Loosveld, J. Biart

(…)

Origine et objet de l'action

Invoquant différentes fautes prétendument commises par la SA Petercam, dans l'exécution de deux conventions de gestion de fortune discrétionnaire, conclues l'une avec monsieur J.-M.S. et l'autre avec sa fille, A.S., ces derniers réclament l'indemnisation par la défenderesse du préjudice lié à ces prétendues fautes;

Les demandeurs font ainsi grief à Petercam d'une part de n'avoir pas respecté le pourcentage convenu de 25% de liquidités que le portefeuille du premier demandeur aurait, selon eux, dû comprendre et d'autre part de n'avoir pas respecté le profil de placement défini et convenu dans la convention de gestion à savoir la 'gestion protégée', la composition de leur portefeuille ne répondant, selon eux, ni au profil de placement de la gestion protégée ni à la stratégie de placement convenue de sorte qu'il a subi des pertes importantes en lien causal avec les fautes énoncées ci-dessus, dommage dont ils réclament réparation;

Leur action tend donc:

A titre principal,

- à faire condamner Petercam à payer au premier demandeur la somme de 36.908,08 EUR, à majorer des intérêts, pour la perte liée au non-respect par elle de l'accord relatif au pourcentage de 25% de liquidités dans son portefeuille;

- à faire dire que la défenderesse aurait dû vendre les SICAV obligataires apportées en portefeuille soit: 'Petercam L Bonds Universalis' (ci-après Universalis), 'Petercam L Bonds Euro Quality' (Euro Quality) et 'Petercam L Bonds Higher Yield' (Higher Yield), les éléments de la gestion protégée n'étant prétendument plus réunis dès la prise en gestion discrétionnaire;

- à faire condamner Petercam à payer, à titre d'indemnisation, au premier demandeur la somme de 266.191,16 EUR et à la seconde demanderesse la somme de 22.140,54 EUR, ces montants à majorer des intérêts, à titre de réparation pour la perte liée aux prétendues fautes et carences de gestion commises par la défenderesse dans le cadre de la 'gestion protégée' convenue;

- à faire condamner la défenderesse aux dépens liquidés à 14.256,56 EUR;

A titre subsidiaire, à faire

- dire que la défenderesse aurait dû vendre les SICAV litigieuses dès la prise en gestion discrétionnaire du portefeuille de chacun des demandeurs;

- dire que les prétendues fautes et carences commises par la défenderesse, dans le cadre de la gestion protégée, sont la cause des pertes et du manque à gagner subis par les demandeurs à partir de la prise en gestion discrétionnaire, qu'ils doivent être dédommagés de ce chef et que leur dommage correspond à ces pertes et audit manque à gagner;

- désigner un réviseur d'entreprises comme expert judiciaire qui aurait notamment pour mission d'évaluer et de quantifier le dommage que chaque demandeur a encouru en raison des pertes engendrées par le maintien des SICAV susmentionnées dans leurs portefeuilles.

A titre plus subsidiaire encore, en ce qui concerne toujours les trois sicav litigieuses, les demandeurs sollicitent la désignation d'un réviseur d'entreprises comme expert judiciaire chargé notamment de dire si Petercam a respecté ou non ses obligations techniques, dans le cadre de la 'gestion protégée', de donner son avis sur le rating et la qualité des sicav 'L Bonds Universalis' et 'L Bonds Euro Quality', sur l'obligation pour elle de vendre ou non les 3 sicav litigieuses dès la prise en gestion discrétionnaire de leur portefeuille, et à tout le moins le 30 juin 2008, de décrire les fautes et carences commises par la défenderesse et d'évaluer et quantifier le dommage que chaque demandeur a encouru;

Enfin à titre infiniment subsidiaire à condamner la défenderesse au paiement de la somme de 36.908,08 EUR soit le dommage lié au prétendu non-respect du pourcentage de 25% de liquidités;

La défenderesse, après avoir requis l'écartement des débats des conclusions déposées pour les demandeurs le 8 septembre 2010, conteste avoir commis une faute quelconque et conclut au non-fondement de la demande dirigée contre elle, sollicitant pour le surplus la condamnation des demandeurs aux dépens qu'elle liquide à 7.000 EUR.

Procédure: demande d'écartement des conclusions

(…)

Discussion

3. Les demandeurs exposent qu'ils étaient titulaires, dans les livres de Petercam des comptes nos 877504-42 et 877698-42 dans lesquels étaient inscrits des avoirs qu'ils ont décidé de lui confier en gestion discrétionnaire, par convention signée l'une, le 22 janvier 2008, entre M. J.-M.S. et la défenderesse et l'autre, le 29 février 2008, entre Mme A.S. et la défenderesse;

Il avait été convenu que cette gestion serait exécutée par Petercam selon le profil d'investisseur choisi par eux à savoir une 'gestion protégée' impliquant une stratégie de placement “principalement en titres de créance et avoirs monétaires” à large répartition et 'principalement de premier ordre' ainsi qu'avec une limitation expresse en actions à un maximum de 10%;

L'horizon de placement avait par ailleurs été fixé à plus de 5 ans.

4. Il n'est pas contesté qu'au moment de la conclusion des conventions de gestion en 2008, le portefeuille de M. J.-M.S. se composait à concurrence de 95,8% de titres de trois sicav obligataires à savoir à 51,7% de Universalis, à 36,2% de Euro Quality et à 7,9% de Higher Yield, le reste (4,2%) restant investi en cash;

Le portefeuille de Mme A.S. pour sa part se composait à concurrence de 53,1% de titres de ces trois sicavs obligataires, à savoir Universalis (16,5%), Euro Quality (19,6%) et Higher Yield (17,1%), et de titres d'une sicav d'actions: 'Petercam Europe Dividende' (16,7%), le reste (30,2%) étant investi en cash.

5. En droit, il y a lieu de préciser que la nouvelle réglementation MiFID, entrée en vigueur en Belgique le 1er novembre 2007, essentiellement l'arrêté royal du 27 avril 2007 visant à transposer la directive européenne concernant les marchés d'instruments financiers (arrêté royal du 27 avril 2007) et l'arrêté royal du 3 juin 2007 portant les règles et modalités visant à transposer la directive concernant les marchés d'instruments financiers (arrêté royal MiFID du 3 juin 2007), s'applique aux relations contractuelles litigieuses.

1) Quant aux fautes reprochées à la défenderesse
1er grief: non-respect du pourcentage de liquidités de 25% prétendument convenu

6. Le premier demandeur reproche tout d'abord à la défenderesse de n'avoir pas respecté, dans son portefeuille, le pourcentage, prétendument convenu, de 25% de liquidités puisque la position en question n'a atteint qu'un maximum de 13,47% au 21 août 2008, pour retomber à 10,27%, en septembre 2008;

Pour établir cet accord entre parties, il invoque l'échange de mails qu'il a eu, le 11 septembre 2008, avec le gestionnaire de son portefeuille auquel il rappelle que lors des deux entretiens préalables de janvier 2008, “Il avait été convenu, j'ai toujours les notes de l'époque, que cette partie du portefeuille global atteindrait environ 25%”;

Ce gestionnaire se défend en répondant que:

“Si nous avions eu 25% de liquidités et 10% d'actions, nous aurions été plus mal à fin juin que ce que nous avons été.

Nous n'avons donc pas fait de manière 'robotisée' ce que nous avions convenu de faire ce qui est conforme à notre convention de gestion dans des marchés en constante évolution.”

M. J.-M.S. a par ailleurs fait état de cette proportion de liquidités comme ayant été convenue, dans la lettre qu'il a adressée à Petercam, le 27 octobre 2008, affirmation qui n'a pas davantage été contestée par cette dernière;

7. La défenderesse qui ne conteste pas que, lors des entretiens préalables à la conclusion du contrat de gestion discrétionnaire, signé le 22 janvier 2008, il a été discuté d'une telle proportion, conteste toutefois l'existence d'un accord impliquant pour elle l'obligation d'investir une proportion de 25% des avoirs en liquidités, pourcentage non convenu dans la convention;

Elle objecte en outre que ce grief ne saurait constituer une faute dans son chef dès lors que d'une part elle a été investie d'un pouvoir de gestion discrétionnaire et que si elle avait respecté le pourcentage de 25% de liquidités et 10% d'actions, le portefeuille aurait été plus mal à fin juin que ce qu'il n'a été;

Elle conteste enfin avoir fait au demandeur la proposition d'indemnisation dont le demandeur se prévaut et dont, au demeurant, aucun élément de preuve n'est fourni aux débats.

8. De l'échange de mails du 11 septembre 2008 il ressort qu'il a bien été question d'atteindre une proportion d'environ 25% de liquidités dans le portefeuille du demandeur;

Le terme 'environ', utilisé par M. J.-M.S. lui-même, indique que cette proportion constitue un objectif, d'ailleurs non autrement mentionné dans la convention de gestion comme l'est par contre la limitation des investissements en actions à 10%;

M. J.-M.S. n'a pas davantage réagi lorsqu'il a reçu le rapport relatif à l'état de son portefeuille, à fin juin 2008, alors que ce pourcentage était loin d'être atteint;

Il ressort en effet des éléments de la cause que la position en liquidités qui était, en janvier 2008, de 4,2% a été portée à 10,27%, en septembre 2008, après avoir atteint 13,47% en juin;

La défenderesse a estimé qu'il ne fallait pas faire de manière 'robotisée' ce qui avait été convenu et que si elle avait respecté à la lettre le pourcentage de 25% de liquidités et de 10% d'actions, le portefeuille aurait été plus mal à fin juin que ce qu'il n'a été;

Dans le cadre d'une convention de gestion de fortune discrétionnaire, le gestionnaire apprécie l'opportunité des opérations à effectuer et use de son pouvoir d'initiative en vue d'accomplir sa mission de la manière la plus conforme aux intérêts de son client;

La gestion de fortune est soumise aux aléas des marchés financiers de sorte que la convention de gestion discrétionnaire engendre une obligation de moyen dans le chef du gestionnaire il promet seulement d'agir au mieux en vue d'obtenir les bons résultats espérés, sans cependant les garantir;

Pour mettre en cause la responsabilité de la défenderesse, le demandeur doit prouver qu'elle a commis une faute que n'aurait pas commise un gestionnaire professionnel normalement prudent et diligent replacé dans les mêmes conditions;

Dans le cadre du contrôle marginal du comportement du gestionnaire et tenant compte des circonstances énoncées ci-dessus, la seule circonstance de n'avoir pas atteint, près de 9 mois seulement après la conclusion de la convention de gestion, le pourcentage de 25% dont il avait été question lors des discussions qui ont précédé la signature de ce contrat, n'apparaît pas comme étant manifestement déraisonnable de sorte que ce grief n'est pas fondé;

2ème grief: la prétendue inadéquation des sicav obligataires litigieuses au profil d'investisseur et à la stratégie de placement convenus

9. Les demandeurs font ensuite grief à Petercam de n'avoir respecté ni le profil de placement choisi ni la stratégie de placement convenue plus particulièrement d'avoir logé en portefeuille des titres qui dès le début de la prise en gestion discrétionnaire étaient prétendument incompatibles avec le type de gestion souscrit à savoir la 'gestion protégée' qui, selon les termes du tableau, signé par eux, en même temps que le contrat, prévoyait:

- un objectif de préservation du patrimoine et d'augmentation des revenus;

- une attitude prudente;

- un placement principalement dans des “titres de créance et avoirs monétaires”, 'principalement de premier ordre' et à large répartition;

Ils estiment qu'il s'agit là d'un profil d'investisseur très défensif dont la défenderesse n'a pas tenu compte, en maintenant dans leur portefeuille - ou à tout le moins en ne vendant pas au 30 juin 2008 - les sicav obligataires précisées ci-dessus dont le rating étaient, au cours de l'année 2008, selon les informations de la défenderesse elle-même, de A et A- pour les sicav Universalis et Eur Quality et de BB- pour la sicav Higher Yield de sorte que ces titres ne présentaient prétendument pas la qualité convenue de 'premier ordre';

Ils estiment en effet que les titres de 'premier ordre' sont ceux dont la notation ne peut être inférieure à AA- (rating de Standard & Poors);

Ils plaident par ailleurs que les trois sicav litigieuses qui étaient surpondérées en obligations du secteur financier (une moyenne de 60,68%), n'étaient pas suffisamment diversifiées et qu'elles ne répondaient donc pas à l'exigence de large répartition convenue de sorte qu'ils ont été particulièrement touchés par la crise mondiale qui a frappé ce secteur, à partir de 2008.

10. A l'appui de leur position, ils invoquent essentiellement l'avis d'un expert financier, non autrement identifié, qu'ils déclarent avoir consulté pour qu'il analyse la composition de leur portefeuille, les ratings de différentes grandes agences de notation dont Standard & Poors ainsi que la position attribuée au Service de Médiation Banques-Crédit-Placements et au Collège de Médiation.

11. Petercam objecte d'une part que bien avant que les demandeurs ne lui confient leur portefeuille respectif, les titres incriminés avaient déjà été achetés par M. J.-M.S. lui-même et qu'ils composaient plus de 90% de son portefeuille et 53% de celui de la demanderesse;

Elle soutient d'autre part avoir fait le choix, en mai 2008, suite au rebond des marchés après le sauvetage de Bear Stearns, de conserver une grande partie des avoirs des demandeurs dans ces sicav obligataires qui, selon elle, sont dotées d'un 'excellent rating moyen' pour les actifs sous-jacents, même surpondérés en titres financiers ce qui, selon elle, apparaissait à l'époque un choix 'juridiquement et économiquement justifié', dans le cadre d'une gestion discrétionnaire;

Elle considère que les demandeurs ne rapportent pas la preuve d'une faute de gestion laquelle doit s'apprécier dans le cadre d'un contrôle marginal de la bonne exécution de la seule obligation de moyen à laquelle elle est tenue;

Elle conteste par ailleurs la définition que donnent les demandeurs d'un titre de 'premier ordre' qui, selon elle, est un titre bénéficiant d'une note 'Investment Grade' à savoir ceux qui présentent un rating situé entre AAA et BBB- (selon l'échelle adoptée par S & P) et entre Aaa et Baa3 (chez Moody's);

Elle conteste à cet égard la valeur probante des éléments sur lesquels les demandeurs s'appuient et pour étayer sa propre position, elle invoque d'autres sources au nombre desquels figurent des publications d'opérateurs du monde financier (essentiellement des banques), l'avis d'un avocat spécialisé en droit financier, l'extrait d'un avis de l'ombudsman du Service de Médiation Banques-Crédit-Placements ainsi qu'un article qu'elle a rédigé sur ce sujet, avec la collaboration d'un expert en économie et finance, monsieur R. Gillet.

12. Le profil d'investisseur ('gestion protégée') choisi par les demandeurs a pour objectif, tel que précisé contractuellement (v. annexe à la convention de gestion) la préservation du patrimoine et l'augmentation des revenus “par des moyens qui n'exposent pas le capital à des risques inconsidérés” à savoir “principalement des titres de créance et avoirs monétaires” “principalement de premier ordre”;

Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, il s'agit certes d'un profil défensif mais pas très défensif; la 'gestion de revenus' étant le profil le plus défensif proposé par la défenderesse.

13. En ce qui concerne la définition de titre de 'premier ordre', le contrat ne donne aucune indication sur ce qu'il faut entendre par là et les parties ne s'accordent pas sur la portée à donner à cette notion;

La directive 2004/39/CE concernant les marchés d'instruments financiers (ci-après, la directive MiFID) et la directive 2006/73/CE portant mesures d'exécution de la directive MiFID, imposent aux entreprises réglementées plusieurs obligations en matière d'information du client et ce à différents stades de la relation avec ce dernier;

En vertu des articles 27, § 1er de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers (ci-après, la loi du 2 août 2002), telle que modifiée par l'arrêté royal du 27 avril 2007 visant à transposer la directive MiFID, les entreprises réglementées lorsqu'elles fournissent à des clients des services d'investissement, veillent de manière générale à agir de manière honnête, équitable et professionnelle qui serve au mieux les intérêts desdits clients;

Les § 2, 3 et 4 du même article disposent que toutes les informations adressées par l'entreprise réglementée à des clients ou des clients potentiels soient 'correctes claires et non trompeuses' et requièrent que des informations appropriées soient communiquées sous une forme compréhensible, notamment sur les instruments financiers et les stratégies d'investissement ainsi que les risques inhérents à celui-ci;

Plus particulièrement l'article 20 de l'arrêté royal du 3 juin 2007 portant les règles et modalités visant à transposer la directive MiFID (arrêté royal MiFID) impose au gestionnaire de fortune d'établir une convention écrite prévoyant notamment une stratégie d'investissement définie en accord avec le client de détail et de lui fournir des informations sur les types d'instruments financiers susceptibles d'être incorporés dans le portefeuille en gestion et sur les types de transactions susceptibles d'être effectuées sur ces instruments.

14. En l'espèce, la notion de 'premier ordre' pour qualifier les titres de créances et avoirs monétaires susceptibles d'être incorporés dans le portefeuille des demandeurs n'est pas définie par le contrat et est ambiguë; les parties produisent d'ailleurs chacune des références qui indiquent qu'il s'agit d'une notion dont la portée est sujette à des interprétations différentes entre autres selon qu'elle se confond ou non avec celle de 'Investment grade';

La mention de cette notion dans le contrat, sans autre définition, ne répond donc pas au prescrit de l'article 27 précité de la loi du 2 août 2002 qui impose à l'entreprise réglementée de fournir des informations claires à ses clients de sorte que la défenderesse a manqué à l'obligation d'information qui pesait sur elle.

15. Par contre, la circonstance que les portefeuilles apportés en gestion discrétionnaire à la défenderesse comprenaient les sicav Universalis et Eur Quality dont le rating annoncé par la défenderesse était de respectivement A et A- (v. les fiches trimestrielles relatives à ces sicav pour l'année 2008) et que, après avoir vendu en novembre et décembre 2008, l'ensemble de leurs titres dans les 3 sicav, monsieur J.-M.S. a racheté des sicav Universalis, en avril 2009, indiquent que ces deux sicav correspondaient au profil défensif choisi par les demandeurs ce d'autant plus que leur profil d'investissement avait été fixé à plus de 5 ans;

Les demandeurs ne rapportent pas le moindre élément de nature à étayer leur affirmation selon laquelle la CBFA aurait exigé que les fiches mensuelles et trimestrielles de Petercam soient modifiées et la mise en cause de la notation susmentionnée par un expert financier que les demandeurs affirment avoir consulté, mais dont ils n'indiquent pas l'identité, ne saurait être retenue à défaut de toute valeur probante.

16. Les demandeurs reprochent encore la surpondération en titres du secteur financier des sicav litigieuses et font partant grief à la défenderesse de n'avoir pas respecté la convention de gestion qui prévoyait, pour le profil convenu, une large diversification.

17. Sans contester cette surpondération, la défenderesse objecte toutefois que ces sicav investissent dans des centaines de titres obligataires d'émetteurs différents issus de plusieurs secteurs (finance, industrie, télécoms, services collectifs, énergie, ...) ce qu'elle démontre par ses pièces nos 28 à 30 relatives à la composition de ces SICAV;

En outre et comme elle le précise, les titres financiers ont toujours été considérés, avant la crise financière, comme des placements de bon père de famille;

Enfin les demandeurs connaissaient ces titres puisqu'ils les ont eux-mêmes achetés plusieurs années auparavant, avant de confier leur portefeuille en gestion à la défenderesse;

Le choix de cette dernière de conserver une grande partie de ces sicav (de distribution) qui ont toujours procédé au paiement de dividendes, ne paraît pas dans le contexte de turbulence financière de l'époque, un choix déraisonnable, M. J.-M.S. ayant d'ailleurs racheté lui-même des sicav Universalis, en avril 2009 pour près de 200.000 EUR.

18. En ce qui concerne les considérations émises par les demandeurs sur les mauvaises performances des sicav en question, notamment par rapport à l'indice de référence, celles-ci procèdent d'une analyse a posteriori qui ne saurait être prise en considération dans l'appréciation de la faute reprochée à la défenderesse qui doit par ailleurs être marginale.

19. Pour ce qui est des sicav Higher Yield (à haut rendement), au rating B (selon ce que déclare la défenderesse), ces titres ne sont clairement pas des titres 'Invesment Grade' mais bien 'Speculative Grade'; ces titres présentent une plus grande volatilité et des risques plus grands d'insolvabilité; ils ne trouvent donc pas en principe leur place dans un portefeuille défensif;

La défenderesse objecte toutefois que selon les termes mêmes du contrat qui prévoient des placements 'principalement de premier ordre', elle n'était pas contractuellement tenue de placer les avoirs des demandeurs uniquement en liquidités et titres de 'premier ordre' de sorte qu'un portefeuille composé à 80% de liquidités et de sicav obligataires au rating de A ou A- correspond, selon elle, à la stratégie de placement convenue.

20. L'utilisation du mot 'principalement' dans le contrat n'exclut en effet pas le placement dans des titres qui ne sont pas de 'premier ordre' de sorte que la présence dans le portefeuille des demandeurs des sicav Higher Yield n'est pas, en soi, contraire au profil et à la stratégie de placement convenus, ce d'autant que ces sicav avaient été apportées par eux dans le portefeuille confié en gestion à la défenderesse.

21. Cette dernière ne justifie en revanche pas pourquoi elle a vendu, dans le portefeuille du premier demandeur, une première fois, le 28 janvier 2008, des Eur Quality et une seconde fois, le 23 avril 2008, des Universalis pour faire l'acquisition, à ces mêmes dates, dans une période déjà de grande insécurité sur les marchés financiers (sauvetage de la banque Bear Stearns) de Higher Yield, sicav dont le niveau de risque est plus élevé que celui que le demandeur avait accepté de supporter, ce que la défenderesse n'ignorait pas;

Le portefeuille de M. J.-M.S. comportait, au moment de la prise en gestion par la défenderesse, une proportion limitée (± 8%) de ces sicav pour passer, après l'achat incriminé, à une proportion de ± 18% soit une augmentation de près de deux fois et demi et ce, dans une période qui invitait pourtant à la prudence;

Dans ces conditions, l'acquisition dans cette proportion des titres litigieux n'est manifestement pas raisonnable au regard du profil de gestion protégée adopté par le demandeur;

Il s'agit d'une faute qu'un gestionnaire professionnel normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances, n'aurait pas commise.

Le prétendu conflit d'intérêt

22. Les demandeurs qui invoquent l'existence d'un conflit d'intérêt, reprochent aussi à Petercam d'avoir, nonobstant la chute continue des cours, prétendument privilégié ses propres intérêts en gardant les sicav litigieuses lesquelles sont émises par une société du groupe Petercam;

Ils prétendent en effet que si la défenderesse avait vendu les trois sicav litigieuses, il y aurait eu un manque de liquidités dans celles-ci et une possible suspension des cours à l'instar de la sicav 'Moneta-liquidity' pour laquelle Petercam a été amenée à indemniser tous ses clients;

Petercam qui objecte qu'elle n'est pas l'émettrice de ces sicav qu'elle ne fait que promouvoir, conteste l'existence de tout conflit d'intérêt; elle précise à cet égard que non seulement la convention de gestion discrétionnaire l'autorise expressément à investir dans des sicav gérées par Petercam Luxembourg (point 4 e) mais que M. J.-M.S. avait lui-même constitué son portefeuille des sicav en question.

23. Tant l'article 62, § 2 de la loi du 6 avril 1995 relative au statut et au contrôle des entreprises d'investissement que l'arrêté royal MiFID (art. 79 et s.) prévoient essentiellement sur ce point que les entreprises d'investissement sont tenues de prendre des mesures organisationnelles et administratives adéquates pour empêcher que des conflits d'intérêts ne portent atteinte aux intérêts de leurs clients et dans l'hypothèse où ces mesures “ne suffisent pas à garantir, avec une certitude raisonnable que le risque de porter atteinte aux intérêts des clients sera éviter, l'établissement informe clairement ceux-ci”.

24. En l'espèce, la société qui a émis les sicav litigieuses est une société distincte de la défenderesse ce qui indique que des mesures organisationnelles et administratives ont été prises afin de répondre au souci du législateur;

Toutefois ces deux sociétés font partie du même groupe de sorte que le risque de porter atteinte aux intérêts des clients n'est pas exclu;

La défenderesse était partant tenue, en vertu de l'article 80 de l'arrêté royal MiFID d'en informer les demandeurs;

Cette information est donnée de manière implicite dans la convention de gestion discrétionnaire (point 4), sous la forme d'une autorisation donnée à Petercam de faire des opérations concernant des organismes de placement collectif gérés par Petercam, sans que cette dernière n'attire spécifiquement l'attention de ses clients sur l'existence du conflit d'intérêt ce qui ne répond pas aux exigences de l'article 11, § 1er de l'arrêté royal MiFID.

25. Toutefois les demandeurs ne pouvaient ignorer que les sicav en cause étaient des produits 'maison' puisque que M. J.-M.S. les avait acquis lui-même, entre 2002 et 2005, avant de mettre son portefeuille en gestion auprès de la défenderesse;

Par ailleurs, le grief formulé par les demandeurs d'avoir, nonobstant la chute continue des cours, prétendument privilégié ses propres intérêts en gardant les sicav litigieuses, n'est pas autrement étayé;

Enfin compte tenu de l'horizon de placement à plus de 5 ans, la décision de conserver les titres en cause, dans le contexte de fortes dégradations des marchés financiers, apparaît raisonnable;

Ce grief ne saurait partant être retenu.

La prétendue apathie de la défenderesse reprochée par la demanderesse

26. La demanderesse reproche une apathie totale de la défenderesse dans la gestion de son portefeuille, aucune opération n'ayant été effectuée par cette dernière.

27. Dans un marché en baisse, il est toutefois admis que “le principe de bonne gestion (à moyen ou à long terme) impose de ne pas vendre à la hâte mais d'attendre patiemment une remontée des marchés (traduction) (S. Delaey, De contractuele verhouding inzake portefeuillebeheer: op de wip tussen MiFID en privaatrecht, Intersentia, p. 222), ce qui est en outre parfaitement conforme à un horizon de placement à plus de 5 ans de sorte que la décision de patienter et de ne pas vendre ne peut être considérée comme fautive.

En effet, la vente réalise la perte alors que dans une perspective à long terme, les marchés financiers peuvent se redresser et les moins-values peuvent se résorber;

Le grief de la demanderesse n'est partant pas fondé.

2) Quant au dommage

28. Pour ce qui est de la réparation du dommage lié aux autres fautes retenues à charge de la défenderesse, M. J.-M.S. réclame le paiement de la somme de 266.191,16 EUR et subsidiairement la désignation d'un expert judiciaire chargé de donner son avis sur ce dommage;

La défenderesse objecte que le demandeur dont l'horizon d'investissement était à long terme (plus de 5 ans) a, par la vente de l'ensemble de ses titres dans les trois sicav en question, provoqué lui-même le caractère irréparable des pertes subies par lui portefeuille de sorte;

Elle précise par ailleurs que ces titres ont, depuis mars 2009, enregistré des hausses;

Le demandeur justifie la réalisation de ces titres comme constituant des mesures de sauvegarde que la défenderesse aurait déjà dû prendre dès le premier jour de la prise en gestion et à tout le moins le 30 juin 2008.

28. Il est toutefois communément admis que, dans une situation de crise comme celle qui a secoué les marchés financiers en 2008 et 2009, la meilleure attitude est d'attendre la hausse des titres en s'abstenant précisément de toute transaction;

C'est précisément pendant la chute précipitée des indices boursiers et des marchés financiers et malgré son horizon de placement à plus de 5 ans, que le demandeur a, quelques mois seulement après avoir confié son portefeuille en gestion à la défenderesse, pris la décision de vendre tous les titres qu'il détenait dans les sicav en question, réalisant ainsi ses pertes de manière irrémédiable;

Ce faisant le demandeur est à l'origine des pertes importantes que son portefeuille a subi;

Il y a donc, entre les fautes commises par la défenderesse et le dommage, rupture du lien de causalité de sorte que la demande en indemnisation du dommage n'est pas fondée.

Par ces motifs, LE TRIBUNAL,

(…)

Statuant contradictoirement,

Déclare l'action des demandeurs non fondée et les en déboute;

(…)