Article

Cour d'appel Bruxelles, 23/09/2010, R.D.C.-T.B.H., 2012/4, p. 357-363

Cour d'appel de Bruxelles 23 septembre 2010

INSTITUTIONS ET INTERMÉDIAIRES FINANCIERS
Gestion de fortune et conseillers en placement - Conseil en placement - Notion - Formalisme contractuel - Charge de la preuve - Conflit d'intérêt
I. Les conseils donnés ponctuellement à un client, à la demande de celui-ci, par des préposés de l'agence bancaire en vue de souscription des SICAVS dont elle véhicule la distribution n'ont pas fait l'objet d'une rémunération spécifique et n'ont donc pu avoir pour effet de constituer un contrat de conseil en placement au sens de la loi du 6 avril 1995.
Le fait que ces conseils ont porté sur des produits financiers que la banque commercialise et sur lesquels la banque peut percevoir un courtage, n'emporte pas rémunération au sens de l'article 119 de la loi du 6 avril 1995.
II. C'est à la cliente qui est demanderesse dans une action en responsabilité qu'il appartient, conformément à l'article 1315 du Code civil et à l'article 870 du Code judiciaire, de démontrer que les conditions de la mise en cause de la responsabilité, pour défaut d'information suffisante, sont effectivement réunies.
III. La banque qui propose à ses clients de souscrire à des SICAVS dont elle serait le gestionnaire a le même intérêt que le souscripteur de sa SICAV puisque sa rémunération dépend de la performance de ce type de produit. En tout cas, face à un conflit d'intérêt, le devoir du banquier se limite à traiter ses clients de façon équitable et égale au sens de l'article 36, § 1er, 6° de la loi du 6 avril 1995.
FINANCIELE INSTELLINGEN EN TUSSENPERSONEN
Vermogensbeheerder en beleggingsadviseurs - Overeenkomst - Begrip - Beleggingsadvies - Contractformalisme - Bewijslast - Belangenconflict
I. De adviezen die de aangestelden van een bankagentschap op punctuele basis en op diens verzoek aan een cliënt verstrekken met het oog op de intekening op BEVEKs waarvan de bank zelf de verdeling verzorgt, hebben geen voorwerp uitgemaakt van een specifieke vergoeding en hebben dus niet tot gevolg kunnen hebben dat er een overeenkomst van beleggingsadvies in de zin van de wet van 6 april 1995 tot stand is gekomen.
De omstandigheid dat de adviezen financiële producten betreffen die de bank zelf commercialiseert en waarop de bank een commissie kan behalen, brengt nog geen vergoeding in de zin van artikel 119 van de wet van 6 april 1995 met zich mee.
II. Overeenkomstig artikel 1315 van het Burgerlijk Wetboek en artikel 870 van het Gerechtelijk Wetboek komt het aan de cliënt - die eiser is in een aansprakelijkheidsvordering - toe om aan te tonen dat de aansprakelijkheidsvoorwaarden wegens onvolledige informatieverstrekking daadwerkelijk vervuld zijn.
III. De bank die zijn cliënten voorstelt om in te tekenen op BEVEKs waarvan zijzelf de beheerder is, heeft hetzelfde belang als de intekenaar van deze BEVEK vermits de vergoeding van de bank afhangt van de prestaties van dit type product. Alleszins blijven de verplichtingen van de bankier die met een belangenconflict wordt geconfronteerd, beperkt tot het op een billijke en gelijke wijze behandelen van zijn cliënten, zulks in de zin van artikel 36, § 1, 6° van de wet van 6 april 1995.

SA ING / X

Siég: Collin (président de chambre), Ferrant et Ma (conseillers suppléants)
Pl.: Mes J.-P. Buyle et R. Hardy

(…)

2. Le cadre du contentieux opposant les parties

2.1. L'intimée X était cliente, depuis 1988, de la banque ING alors dénommée BBL (agence Anjou à Woluwe-St-Pierre) en y ayant ouvert un compte à vue (310-0234575-18) et un livret d'épargne (livret vert n° 310-4518808-52).

Son livret vert présentait, à la date du 22 janvier 1999, un solde créditeur de 22.923,85 EUR (924.746 FB). Elle y versa, le 5 juillet 1999, 88.363,43 EUR (3.564.572 FB), somme provenant de la liquidation de son régime matrimonial faisant suite à son divorce, le 28 janvier 2000, avec le sieur E.C., portant ainsi le solde créditeur de ce livret à 111.287,29 EUR (4.489.318 FB).

L'intimée X perçut également le 11 avril 2000, également dans le cadre de cette liquidation de son régime matrimonial, une somme de 90.234,53 EUR (3.640.052 FB) qui fut portée au crédit de son compte à vue.

Celui-ci présentait, suite à cette opération, un solde créditeur de 91.552,90 EUR (3.693.235 FB).

2.2. Cherchant vraisemblablement à obtenir un rendement supérieur à celui que lui procurait alors son livret vert, l'intimée X, s'en ouvrit à plusieurs membres du personnel de l'agence Anjou d'ING (S.B. et D.V.). Ceux-ci lui proposèrent, début janvier 2000, d'investir ces rentrées provenant de la liquidation de son régime matrimonial:

- d'une part, dans trois SICAV commercialisées par ING composées essentiellement d'actions, étant: 5 parts BBL (L) Invest Computer Technologies CAP au cours de 1.482,77 USD la part, soit ensemble une contre-valeur hors frais de 7.200 EUR (frais compris de 7.269,39 EUR); 18 actions BBL (L) Invest European Telecom CAP au cours de 373,20 EUR la part, soit ensemble une contre-valeur hors frais de 6.717,60 EUR (frais compris de 6.72,82 EUR); 23 actions BBL(L)INVEST EUROPE SECT.ALLOCATION CAP au cours de 293,81 EUR la part, soit ensemble une contre-valeur hors frais de 6.757,63 EUR (frais compris de 6.823,24 EUR). Le livret vert de l'intimée X fut ainsi débité de ces montants le 7 janvier 2000;

- d'autre part, dans trois polices d'assurance vie BBL Life Fund sur la tête de chacun de ses enfants (conditions particulières modifiées le 28 janvier 2000 sur sa tête mais au bénéfice de ses trois enfants) moyennant paiement d'une prime unique de 500.000 FB pour chaque police. Celles-ci portaient qu'elles étaient investies à concurrence de 40% dans le fonds Belgium Equity, 40% dans le fonds Europe Equity et 20% dans le fonds Hi Tech Sector. Après un transfert du livret vert de l'intimée X sur son compte à vue, celui-ci fut débité le 6 janvier 2000 de ce montant de 1.500.000 FB.

Lorsque, en avril 2000, l'intimée X perçut le solde lui revenant sur la liquidation de son régime matrimonial, elle décida de souscrire, le 26 avril 2000, une quatrième police d'assurance vie BBL Live Fund au bénéfice de ses enfants moyennant paiement d'une prime unique de 1.000.000 anciens FB. Celle-ci était investie selon l'allocation suivante: 40% dans le fonds Europe Mix, 40% dans le fonds Sector Equity et 20% dans le fonds Hi Tech Sector Equity.

Le même jour, elle souscrivit encore une cinquième police d'assurance intitulée BBL Life Cycle, toujours au bénéfice de ses enfants moyennant également une prime unique de 1.000.000 FB.

Ces deux primes de 1.000.000 FB furent payées par le débit de son compte à vue.

Enfin, toujours le 26 avril 2000, l'intimée X fit l'acquisition, par le débit de son compte à vue, de:

- 44 parts BBL Patrimonial Euro Cap, chacune au cours de 564,17 EUR;

- pour un total hors frais de 24.823,48 EUR (25.064,49 EUR frais compris);

- 64 parts BBL (L) Invest Top 30 Euro, chacune au cours de 393,94 EUR pour un total hors frais de 25.212,16 EUR (25.064,49 EUR frais compris).

2.3. Suite à un entretien avec une dame d.M., préposée de l'appelante ING attachée à l'agence Anjou, l'intimée X donna le 30 octobre 2000 ordre à la banque de vendre au cours du jour 22 des 44 actions Patrimonial Euro Cap acquises le 26 avril 2000 et d'acheter avec le produit de cette vente 10 parts BBL Patrimonial Balanced. Les conditions de revente des actions Patrimonial et d'achat des parts BBL Patrimonial Balanced à ces dates ne sont pas connues de la cour, les bordereaux relatifs à ces opérations n'étant pas versés aux débats. D'après une note manuscrite figurant dans la farde IV du dossier de l'intimée X, les parts BBL Patrimonial Balanced auraient été acquises à 1.052,58 EUR l'unité.

Les 3 novembre et 1er décembre 2000, l'intimée X sollicita, suite à cet entretien du 30 octobre 2000, une modification de la ventilation des investissements dans les trois polices d'assurance BBL Life Fund au profit de ses enfants en faisant disparaître l'allocation High Tech Sector Equity afin que les investissements se fassent désormais pour moitié dans le fonds Europe Mix et, pour l'autre moitié, dans le fonds Sector Equity.

2.4. Par un courrier du 12 décembre 2000 adressé au sieur D., directeur de l'agence Anjou d'ING, l'intimée X fit part de son mécontentement suite à une perte encourue sur ses investissements de janvier et avril 2000 tels qu'ils lui avaient été conseillés par divers membres du personnel de cette agence. Elle évaluait alors cette perte à 1.300.000 anciens FB. Elle étayait ses griefs par le fait qu'elle avait été réticente à accepter les placements en actions qui lui avaient été proposés car elle ne voulait prendre aucun risque avec le capital provenant de la liquidation de son régime matrimonial qu'il convenait de gérer 'en bon père de famille'. Selon son affirmation, madame d.M. préposée de ING, aurait compris son désappointement en l'assurant toutefois qu'elle serait gagnante d'ici 4 à 5 ans. Cette situation qui ne lui permettait pas, en cas de besoin de liquidités, de compter sur les fonds placés, sauf à enregistrer une perte. C'est pourquoi elle aurait renoncé à l'achat d'un appartement qu'elle envisageait d'acquérir. En conclusion de ce constat d'une 'énorme perte', elle demandait au directeur de cette agence de lui faire part 'de ses sentiments'.

Le siège central de la banque répondit le 15 janvier 2001 à cette lettre de l'intimée X en lui faisant part qu'elle comprenait sa déception faisant suite à une mauvaise année boursière en faisant état que les placements choisis visent un placement à moyen et long terme et qu'il ne fallait donc pas s'arrêter à des fluctuations à court terme. Ce courrier invitait l'intimée X à se mettre en rapport avec sa préposée, madame B., conseillère en placement dans l'agence ING d'Anjou, qui restait à sa disposition pour tout renseignement complémentaire.

2.5. L'embellie boursière fut loin d'être au rendez-vous l'année 2001 suite à l'éclatement de la bulle des valeurs technologiques et encore moins en 2002 suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001.

Ainsi, au 15 février 2001, la valeur totale des parts de SICAV placées dans le compte titre de l'intimée X s'élevait à 56.342,48 EUR (2.272.850 anciens FB) pour descendre, le 11 octobre 2001, à 43.508,22 EUR (1.755.117 FB) - soit une perte sur ses investissements initiaux dans ces produits financiers de plus de 25.000 EUR.

Quant aux polices d'assurance BBL Life Fund, elles suivirent la même chute. C'est ainsi que les trois premières de ces polices souscrites en janvier 2000 moyennant chaque fois paiement d'une prime unique de 500.000 anciens FB (37.184,028 EUR au total) étaient valorisées au 31 décembre 2001, à 30.316,61 EUR.

2.6. La constatation de cette perte sur les investissements de l'intimée X amena son conseil à adresser le 8 mars 2002 (le 15 février 2002 selon la pièce 3 du dossier de l'intimée?) à l'appelante ING une lettre circonstanciée lui reprochant, en tant que conseiller en placement au sens de l'article 119 de la loi du 6 avril 1995 relative notamment aux intermédiaires financiers et conseillers en placement et de son arrêté d'exécution du 5 août 1991, l'absence d'une convention écrite fixant notamment les objectifs du client, la nature des instruments de placement et le type du risque qui y sont liés. Selon le conseil de l'intimée X, ce manquement l'autoriserait à mettre en cause la responsabilité de la banque dès lors que celle-ci ne pouvait ignorer qu'elle n'aurait jamais accepté les placements effectués si elle avait été correctement informée des risques inhérents à des placements effectués principalement en actions soumis, surtout en ce qui concerne des valeurs technologiques, à des fluctuations importantes. Ce courrier reprochait également à la banque d'avoir privilégié ses propres intérêts au détriment de ceux de l'intimée X en procédant exclusivement à l'acquisition de SICAV émises par ING. En conséquence, l'appelante ING était invitée à indemniser l'intimée X du préjudice qu'elle avait subi suite à ces manquements s'élevant, au minimum, à la différence entre la valeur actuelle de son portefeuille et le montant des fonds confiés à la banque, augmenté d'un taux de rendement correspondant à celui qu'elle aurait pu espérer si ses instructions de placement avaient été respectées, outre le préjudice indirect résultant du fait qu'elle aurait dû renoncer à l'achat d'un appartement suite aux placements hasardeux qui lui avaient été conseillés.

Après avoir accusé réception de ce courrier le 18 mars 2002, le service juridique du siège central de l'appelante ING répondit le 17 mai 2002 en refusant de réserver une suite favorable à la demande d'indemnisation de l'intimée X. La banque fit, notamment, valoir que “les conseils isolés donnés n'étaient jamais que des options qui ont été suggérées à la cliente, en tenant compte de son profil et des marchés à ce moment-là” et que “madame X était tout à fait libre de suivre ces conseils, d'agir en sens contraire ou de s'abstenir de toute action” et donc que “les conséquences des décisions finalement prises relèvent exclusivement de son choix”. Selon ce qu'écrivait la banque, l'intimée X avait été, lors des contacts qu'elle avait eus avec divers membres de son personnel de l'agence Madou (S.B. en janvier 2000, D.V. en avril 2000 et S.d.M. en octobre 2000), “informée sur les différents types de placement mais aussi sur la durée et les risques que ceux-ci comportaient” en ajoutant que le rôle de ces trois personnes “a consisté à veiller à utiliser au mieux les moyens dont ils disposaient pour la conseiller de la manière la plus adéquate” et que “ils ont eu le souci constant, dans le cadre des conseils occasionnels qu'ils ont donnés, de déterminer avec soin son profil et ses exigences en matière de rendement mais également en ce qui concerne son horizon de placement. Elle (l'intimée X) leur a à ce moment bien spécifié que l'horizon de placement était de 4 ans minimum”. La banque se prévalait surabondamment des mentions indiquées sur les bulletins de souscription, signés par l'intimée X lors de la passation de ses ordres d'achat de SICAV, mentionnant que “le donneur d'ordre déclare, en cas de souscription de SICAV avoir pris connaissance du dernier rapport périodique et des conditions d'émission spécifiées dans le prospectus mis à sa disposition. Ces documents sont remis sur simple demande. Pour les ordres accompagnés d'un conseil de la BBL, le client reconnaît avoir fourni à cette dernière toute information utile le concernant. Il reconnaît par ailleurs avoir reçu de manière compréhensible l'information lui permettant de prendre une décision bien réfléchie et en connaissance de cause. Il est conscient que tout investissement en instruments financiers comporte un risque”.

2.7. A la date du 24 avril 2002, le portefeuille constitué des SICAVS achetées par l'intimée X était valorisé à 44.742,63 EUR tandis que les cinq polices d'assurance vie souscrites par celle-ci étaient valorisées à un montant total de 68.107,18 EUR.

2.8. Le 12 août 2002, l'intimée X prit l'initiative de liquider les 4 polices BBL Life Fund et la police BBL Life Cycle, ce qui lui rapporta, déduction faite de l'indemnité de rachat de 2%, une somme globale de 58.451,35 EUR.

Elle revendit également toutes les SICAV acquises chez ING pour un montant total de 34.609,06 EUR (1.396.126 anciens FB), taxes et frais déduits.

Ces réalisations eurent lieu au moment où l'intimée X décida de faire l'acquisition d'un appartement à Watermael-Boitsfort à un prix de 176.000 EUR pour lequel elle contracta un crédit hypothécaire à la banque Dexia pour un montant de 104.115 EUR.

2.9. Les parties campant sur leurs positions (lettre du conseil de l'intimée X du 14 août 2002 et réponse de l'appelante ING du 2 septembre 2002), l'intimée X cita le 6 février 2003 l'appelante ING devant le premier juge afin d'obtenir sa condamnation à l'indemniser, pour les fautes commises engageant sa responsabilité tant contractuelle qu'extracontractuelle, pour un montant de 83.079,46 EUR (3.425.404 anciens FB) représentant le préjudice subi suite à la perte sur les investissements effectués sur les conseils de son banquier, outre 10.000 EUR à titre provisionnel résultant du préjudice complémentaire qu'elle aurait subi pour avoir dû emprunter un montant supérieur pour l'acquisition de son appartement à l'automne 2002.

A titre subsidiaire, elle demandait la désignation d'un expert judiciaire chargé de “déterminer quelle aurait été la valeur de son portefeuille, à la date de sa liquidation, si ses desiderata, consistant à acquérir des valeurs ne présentant aucun risque, ou à tout le moins le risque le plus réduit possible, avaient été suivis et déterminer également le préjudice direct et indirect (en tenant compte, notamment du fait qu'elle a dû emprunter un montant plus important pour l'acquisition de son appartement) subi du fait du non-respect de ses desiderata”.

Par ses conclusions déposées devant le premier juge, l'intimée X demandait, à titre principal, de dire pour droit que les conventions de vente de SICAV passées avec l'appelante ING étaient affectées de nullité et, à titre subsidiaire, que la responsabilité de l'appelante ING devait être retenue sur un plan extracontractuel. Elle fixait son dommage à un montant total, en principal, correspondant aux moins-values enregistrées majoré des frais d'acquisition et revente des produits financiers, outre un préjudice complémentaire pour lequel elle revendiquait un montant provisionnel de 11.803,45 EUR et encore 7.500 EUR pour couvrir les frais et honoraires de son conseil.

3. La décision du premier juge

Après avoir considéré que les dispositions de la loi du 6 avril 1995 relative aux conseillers en placement ne trouvaient pas application en l'espèce en ce qu'“il s'agissait de conseils occasionnels donnés par des employés d'ING sans rémunération” et s'être livré, à l'appui de son expérience toute personnelle, à une critique de la politique commerciale des banques qualifiée 'd'agressive' confiée à “de jeunes collaborateurs commerciaux (conseillant) systématiquement des produits de banque”, le premier juge - tenant pour acquis que l'intimée X souhaitait un placement de bon père de famille sans le moindre risque et, par ailleurs, à court terme dès lors qu'elle envisageait l'achat prochain d'un appartement - considéra que le personnel de la banque avait commis une faute en ne lui conseillant pas des bons d'épargne et un recours à l'épargne pension. Il sanctionna ce comportement en condamnant l'appelante ING au paiement d'une somme fixée, en équité, à 10.000 EUR, non productrice d'intérêts, outre 7.500 EUR pour frais d'avocat, indépendamment de l'indemnité de procédure incluse dans les dépens mis entièrement à charge de l'appelante ING.

4. La position des parties devant la cour

4.1. L'appelante ING entend être déchargée de toute condamnation dès lors qu'elle conteste que sa responsabilité puisse être engagée, tant sur le plan contractuel qu'extracontractuel, envers l'intimée X, pour l'avoir orientée sur des produits d'investissement qu'elle distribuait, étant tantôt des parts de SICAV BBL Invest et Patrimonial, tantôt des polices d'assurances BBL Life Fund et BBL Life Cycle. Elle fait valoir que ces produits étaient, à l'époque, performants et que son personnel lui avait donné toutes les informations nécessaires, reprises dans ses bulletins d'information mis à la disposition de la clientèle, et qui correspondaient à l'horizon de placement de l'intimée X. La banque soutient que l'intimée X se serait déterminée en pleine connaissance de cause, étant libre de suivre les propositions d'investissement qui lui avaient été, à sa demande, prodiguées et qui étaient, dans le contexte de l'époque, raisonnables et appropriés.

Elle demande que les dépens des deux instances soient mis à charge de l'intimée, en ce compris l'indemnité de procédure d'appel qu'elle propose de fixer au montant de base de 3.000 EUR.

4.2. De son côté, l'intimée X maintient que l'appelante ING a manqué à son obligation d'information et de conseil que lui impose l'article 36 de la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés financiers, au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placement - tel qu'il était applicable à l'époque - de même qu'à son devoir d'étude, d'assistance et de conseil pesant sur tout intermédiaire de produits d'assurance.

Elle forme un appel incident en demandant à la cour de condamner l'appelante ING à lui payer, à titre de dommages et intérêts en raison des fautes commises par la banque engageant sa responsabilité aquilienne, les sommes qu'elle a investies sur ses conseils en achat de SICAV de capitalisation durant le premier semestre 2000 - soit 81.236,67 EUR plus les frais de souscription et taxes s'élevant à 686,01 EUR - ainsi que dans les cinq polices d'assurance vie BBL Life Fund et BBL Life Cycle - soit au total 86.762,73 EUR plus 2.601,47 EUR de frais de souscription - sous déduction des montants perçus lors de la liquidation de ces produits mais à majorer des intérêts compensatoires - à un taux non précisé - depuis ses décaissements.

Elle postule également la condamnation de l'appelante ING à lui payer, à titre provisionnel, une indemnité de 11.803,45 EUR qui correspondrait au montant des intérêts payés de 2002 à 2006 qu'elle aurait supportés sur un emprunt hypothécaire d'un montant bien plus important que celui qu'elle aurait dû souscrire s'il n'y avait eu la chute de la valeur des produits d'investissement qu'elle avait acquis dans le courant du premier semestre 2000.

Elle demande enfin qu'il lui soit alloué l'indemnité de procédure d'appel de base de 3.000 EUR couvrant ses frais d'avocat.

5. La position de la cour
5.1. Sur l'existence d'une convention de conseil en placement qui aurait existé entre parties

La loi du 6 avril 1995 relative au statut des entreprises d'investissement et leur contrôle, aux intermédiaires financiers et conseillers en placement - intitulée désormais loi relative au statut et au contrôle des entreprises d'investissement - dispose en son article 119 qu'il faut entendre par conseillers en placement les personnes qui, à titre professionnel, principal ou accessoires, prestent ou offrent de prester au public, moyennant rémunération, des services de conseil en matière de placement, portant sur un ou plusieurs instruments financiers.

En l'espèce, les conseils donnés ponctuellement à l'intimée X, à la demande de celle-ci, par des préposés de l'agence ING Anjou en vue de la souscription des SICAVS dont elle véhicule la distribution n'ont pas fait l'objet d'une rémunération spécifique et n'ont donc pu avoir pour effet de constituer un contrat de conseil en placement au sens de cette loi (M. Flamée et P. Tilquin, “Gestion de fortune et conseil en placement”, Rev.banque 1991, p. 561, n° 60).

Le fait que ces conseils ont porté sur des produits financiers que l'appelante ING commercialise et sur lesquels la banque peut percevoir un courtage, n'emporte pas rémunération au sens de la disposition précitée.

C'est dès lors à tort que l'intimée X soutenait devant le premier juge que la convention conclue avec ING portant sur des conseils en placement était nulle, par application de l'article 8, § 2 de l'arrêté royal du 5 août 1991 relatif à la gestion de fortune et au conseil en placement pris en exécution de la loi du 4 décembre 1990 relative aux opérations financières et aux marchés financiers, tel qu'il était en vigueur à l'époque des faits, qui imposait, à peine de nullité, la rédaction d'une convention écrite (Bruxelles 28 mai 2009, Dr.banc.fin. 2010, II, p. 107).

Le jugement entrepris doit dès lors être confirmé en ce qu'il a reconnu que les parties n'étaient pas liées par une convention de conseil en placement dès lors que les préposés de la banque ING avaient donné à l'intimée X des conseils occasionnels sans être rémunérés pour ceux-ci.

5.2. Sur le dol dont le personnel de l'agence Anjou d'ING se serait rendu coupable envers l'intimée X en l'amenant à effectuer les placements litigieux

L'intimée X avait soutenu devant le premier juge que les opérations litigieuses de placement qu'elle effectua seraient nulles pour vice de consentement compte tenu de la réticence dolosive dont se serait rendu coupable le personnel de l'agence Anjou de l'appelante ING en ne l'informant pas des risques inhérents à ces instruments d'investissement qu'elle ne voulait pas courir.

Ce moyen n'est plus expressément repris en degré d'appel.

Cette réticence dolosive dans le chef des préposés de l'appelante ING n'est pas démontrée. Quant à une nullité des opérations litigieuses pour erreur substantielle dans le chef de l'intimée X, elle n'est pas invoquée.

L'appelante ING fait observer à cet égard qu'elle est intervenue uniquement comme distributeur des parts de SICAV et de produits d'assurance branche 23 et qu'elle n'est donc pas elle-même partie aux conventions de placement litigieuses conclues avec des entités juridiques, faisant certes partie de son groupe, mais qui n'ont pas été appelées à la cause.

La demande porte uniquement sur l'octroi de dommages et intérêts pour manquement de l'appelante ING à son devoir général de prudence, de diligence et de bonne foi dans la phase précontractuelle des opérations de placement litigieuses.

5.3. Sur les manquements du personnel de l'agence ING à leurs obligations d'information et de conseil concernant les instruments de placements proposés à l'intimée

Même si l'appelante ING ne peut être considérée comme conseiller en placement au sens de l'article 119 de la loi du 6 avril 1995 susmentionnée, son personnel était tenu, lors de ses conseils ponctuels donnés à l'intimée X qui l'ont déterminée à investir dans les SICAV dont la banque s'occupait de la distribution, de respecter le code de bonne conduite dont fait état l'article 36, § 1er de cette loi, repris depuis lors par la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier - lequel dispose que, dans leurs opérations sur instruments financiers, les intermédiaires veilleront notamment:

“2°) à assurer au mieux les intérêts du client, avec la compétence, le soin, la diligence qui s'imposent, compte tenu du degré de connaissance de ces clients;

3°) à servir au mieux les intérêts de leurs clients avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent, compte tenu du degré de connaissance professionnelle de ces clients;

(…)

4°) à recueillir d'une manière appropriée auprès des clients qu'ils conseillent, toute information utile concernant la situation financière de leurs clients, leur expérience en matière d'investissement et leurs objectifs de placement qui raisonnablement sont significatifs pour pouvoir réaliser au mieux leurs engagements vis-à-vis de leurs clients en ce qui concerne les services demandés;

5°) à faire les démarches raisonnables pour fournir, dans un délai raisonnable, aux clients qu'ils conseillent, dans une langue compréhensible, toute information qui leur permet de prendre une décision réfléchie et en connaissance de cause. (...);

6°) d'éviter tout conflit d'intérêt possible, ou s'il est évitable, à veiller à ce que les clients soient traités de façon équitable et égale (...). Ils ne pourront pas placer de façon inéquitable leurs propres intérêts devant ceux de leurs clients (…).”

Selon l'appelante ING, ces dispositions ne trouveraient pas à s'appliquer en l'espèce en l'absence de conseils donnés. Mais il est constant que les préposés de l'appelante ING ont effectivement orienté l'intimée X dans le choix des SICAV - ce qui est plus qu'une information et constitue bien un conseil ainsi qu'elle l'a reconnu par son courrier du 17 mai 2002 adressé au conseil de l'intimée X.

Si la distribution de produits d'assurance (en l'espèce les produits de la branche 23 BBL Life Fund) échappe effectivement à la loi du 6 avril 1995 susmentionnée, il reste que l'intermédiaire d'assurance est, comme tout professionnel auquel s'adresse un profane pour conclure un contrat, soumis à un devoir général d'information et même de conseil sous peine d'engager sa responsabilité professionnelle (M. Fontaine, Droit des assurances, Larcier, 2006, n° 338; M. Grégoire, “Bancassurfinance. Devoirs d'information” in Bancassurfinance, Coll. droit ULB, Bruylant, 2005, n° 5).

Contrairement à ce que plaide l'intimée X s'appuyant sur quelques décisions étrangères, c'est au créancier du devoir d'information qu'il incombe de prouver qu'il n'aurait pas bénéficié de toutes les informations requises avant de contracter et non au débiteur de cette obligation de prouver qu'il a bien donné toutes les informations utiles pour permettre à son client de se décider en pleine connaissance de cause (X. Dieux et J. De Cuyper, “Questions de responsabilité civile en matière de bancassurfinance” in Bancassurfinance, o.c., p. 187, n° 6; J.-F. Van Drooghenbroeck et D. Schuermans, “Le devoir de conseil et d'information de l'intermédiaire d'assurances” in La responsabilité liée à l'information et le conseil. Questions d'actualité, FUSL, 2000, p. 46, n° 38).

L'intimée X perd de vue que c'est elle qui est demanderesse dans une action en responsabilité et qu'il lui appartient, conformément à l'article 1315 du Code civil et à l'article 870 du Code judiciaire, de démontrer que les conditions de la mise en cause de la responsabilité de la banque, pour défaut d'information suffisante, sont effectivement réunies.

Il convient d'ajouter que l'obligation de la banque d'informer son client a pour corollaire que ce dernier a un devoir de faire part de son incompréhension à l'opération à laquelle il souscrit et que, s'il subsiste des ambiguïtés dans son esprit, il doit poser les questions pertinentes à son banquier (Liège 22 novembre 2007, Dr.banc.fin. 2009, V, p. 290).

La cour constate que l'intimée X se plaint d'un défaut d'information mais s'abstient de préciser les informations qui ne lui auraient pas été fournies correctement.

Les doléances de l'intimée X à ce propos se heurtent à la formule reprise sur chaque bulletin de souscription des SICAVS achetées mentionnant, près de sa signature, qu'elle a bien pris connaissance des derniers rapports périodiques de ces instruments financiers et qu'elle a reçu, de façon claire et compréhensible, l'information lui permettant de prendre une décision bien réfléchie et en pleine connaissance de cause en étant, par ailleurs consciente du fait que tout investissement en produits financiers comporte un risque.

Les fiches techniques relatives aux SICAVS achetées par l'intimée X, reprises dans des brochures établies par l'appelante ING et mises à la disposition de sa clientèle (annexes au courrier du 17 mai 2002 de l'appelante ING au conseil de l'intimée X) indiquent très clairement que toutes ces SICAVS ont un horizon de placement de minimum trois ans et comportent un risque d'au moins 3 sur une échelle allant de 1 (risque le plus faible) à 5 (risque le plus élevé). Pour la SICAV BBL (L) Invest European Telecom, le risque est même porté à 5, soit le maximum.

L'intimée X a démontré qu'elle était bien consciente de la nature des produits qu'elle a souscrits et des risques inhérents à ceux-ci, tant pour les SICAVS que pour les produits d'assurance vie de la branche 23 dont le rendement est lié à l'évolution des marchés financiers sans garantie de récupération du capital investi, puisque, entre octobre et décembre 2000, elle opéra plusieurs ajustements pour sécuriser davantage ses investissements.

En ce qu'elle se fonde sur un défaut d'information de l'appelante ING sur la nature des produits de placement qu'elle a souscrits auprès d'elle et les risques inhérents à ces placements, la demande de l'appelante X n'est pas fondée.

Elle ne peut davantage se prévaloir de ce que l'appelante ING aurait privilégié ses intérêts aux siens en se mettant ainsi dans un conflit d'intérêt au motif qu'elle lui vendait ses propres produits. La banque qui propose à ses clients de souscrire à des SICAVS dont elle serait le gestionnaire a le même intérêt que le souscripteur de sa SICAV puisque sa rémunération dépend de la performance de ce type de produit (Bruxelles 28 mai 2009, Dr.banc.fin., 2010/11, 107). Rien n'établit en tout cas que l'intimée X n'aurait pas été traitée de façon équitable et égale au sens de l'article 36, 1°, 6° de la loi du 6 avril 1995 et que l'appelante ING aurait préféré ses propres intérêts en sacrifiant ceux de l'intimée X pour une commission de gestion ou un courtage.

5.4. Sur les prétendus conseils d'investissement inappropriés donnés par l'appelante ING à l'intimée X en ce qu'ils auraient comporté des risques excessifs et n'auraient pas répondu à ses desiderata et lui ayant causé une perte importante

Il est vrai qu'un conseil, même donné isolément sans rémunération spécifique, par un banquier à un de ses clients, d'initiative ou à la demande de celui-ci, reste soumis aux règles de la responsabilité civile aquilienne (Anvers 16 septembre 1997, RDC 1998, p. 834 et note J.-P. Buyle et M. Delierneux).

Pour mettre en cause la responsabilité de l'appelante ING, l'intimée X doit établir que les préposés de l'appelante ING ont commis une faute lors des conseils d'achat des SICAVS et BBL Life Fund que n'aurait pas commise un intermédiaire en instruments financiers et produits d'assurance normalement prudent et diligent placé dans de mêmes circonstances.

L'appréciation d'une telle faute ne peut être opérée a posteriori et doit se faire de façon marginale. La seule constatation que l'investissement conseillé s'est avéré déficitaire ne suffit pas pour engager la responsabilité de la banque (J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, T. IV, 2ème éd., n° 693; F. Flamée et P. Tilquin, “La gestion de fortune et le conseil en placement”, Rev.banque 1991, p. 561, n° 85; M.D. Weinberger, “Gestion de fortune et conseil en investissement”, Pratiques du droit, n° 37, Kluwer, n° 223 et réf. citées).

Rien ne permet d'établir que les conseils ponctuellement donnés par les préposés de l'appelante ING en dehors de toute convention de conseil en placement étaient objectivement mauvais ou manifestement déraisonnables au moment où ils furent donnés.

Certes, il s'agissait chaque fois de SICAVS investies en actions (mixtes en actions et obligations en ce qui concerne les BBL Patrimonial Balanced achetées en octobre 2000) et de produits d'assurance de la branche 23 dont le capital n'était pas garanti puisque dépendant des valeurs boursières sous-jacentes.

L'intimée X, qui fut l'épouse d'un banquier, ne peut raisonnablement soutenir qu'elle ignorait les risques attachés à des investissements en actions dont le cours dépend de la conjoncture des marchés financiers et de l'économie en général et dont l'horizon de placement n'est jamais à court terme. Comme il vient d'être exposé, elle avait été suffisamment informée par l'appelante ING à propos de ses investissements.

Par ailleurs, elle ne prouve pas qu'elle aurait signalé au personnel de l'appelante ING qu'elle refusait de prendre le risque d'investir directement ou indirectement en actions et qu'elle comptait récupérer à court terme l'argent investi pour acquérir un appartement. Si tel était le cas, il lui suffisait de laisser sur son livret vert le capital qui s'y trouvait en janvier 1999 et d'y placer l'argent en provenance de la liquidation de son régime matrimonial.

L'appelante ING fait observer, sans être contredite, que lorsqu'ils furent souscrits, les placements litigieux se situaient en période d'euphorie boursière et que rien ne laissait prévoir les crashs boursiers de printemps 2000 (bulle technologique) et de l'automne 2001.

Par ailleurs, il faut constater que les investissements en actions présentaient un caractère suffisamment diversifié tant sur le plan sectoriel que géographique.

Tout donne à penser que l'intimée X a cherché à obtenir un bien meilleur rendement que l'intérêt que générait le placement d'un capital sur un livret d'épargne et qu'elle fut alléchée par la perspective d'une poursuite haussière des marchés financiers.

L'intimée X a précipité sa perte financière en prenant l'initiative, dès l'été 2002 de liquider tous ses placements alors que les marchés financiers étaient à la veille de se redresser. L'appelante ING lui avait pourtant rappelé, par son courrier du 15 janvier 2001, que “les placements choisis visaient un horizon à moyen et long terme, c'est-à-dire de 3 à 5 ans et que des fluctuations à court terme sont toujours possibles”.

Il n'est dès lors pas établi que le dommage subi par l'intimée X résultant des pertes encourues sur ses placements est imputable à des conseils qui lui auraient été donnés de façon fautive. Celle-ci doit assumer les risques qu'elle a pris en pleine connaissance de cause.

Il convient, en conséquence, de réformer la décision entreprise et de décharger l'appelante ING de toute condamnation à une quelconque indemnisation.

(…)

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant contradictoirement,

(…)

Reçoit les appels,

Dit seul fondé l'appel principal,

Met à néant le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a reçu la demande.

(…)