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Cachez cette pension (complémentaire) que je ne saurais voir, R.D.C.-T.B.H., 2012/3, p. 278-283

ASSURANCES
Contrat d'assurance terrestre - Assurance de personnes - Géneralités - Assurance groupe - Régime matrimonial - Caractère commun - Application des articles 127 et 128 loi sur le contrat d'assurrance terrestre - Discrimination
En vertu de l'article 97 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, le chapitre II “Des contrats d'assurance sur la vie” du titre III de cette loi, dont font partie les articles 127 et 128 en cause, s'applique à “tous les contrats d'assurance de personnes dans lesquels la survenance de l'événement assuré ne dépend que de la durée de la vie humaine”. Une assurance groupe est un tel contrat d'assurance de personnes.
Même si les primes de l'assurance groupe sont payées par l'employeur et ne sont pas retenues sur la rémunération, elles constituent un avantage que reçoit le travailleur du chef de son contrat de travail. Les cotisations payées par l'employeur font partie de la rémunération au sens de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs et constituent des avantages évaluables en argent payés en contrepartie du travail effectué dans le cadre du contrat de travail.
Les prestations de cette assurance peuvent donc être considérées comme des revenus d'activités professionnelles, lesquels sont communs, en vertu de l'article 1405, 1° du Code civil.
Dans l'interprétation selon laquelle, lorsque deux conjoints sont mariés sous le régime de la communauté de biens, le capital de l'assurance groupe obligatoire que souscrit l'employeur de l'un d'eux au bénéfice de son travailleur en vue de financer une pension complémentaire payée lorsque l'affilié atteint un âge déterminé, est considéré comme un bien propre, les articles 127 et 128 de la loi sur le contrat d'assurance terrestre violent les articles 10 et 11 de la Constitution.
VERZEKERINGEN
Landverzekeringsovereenkomst - Persoonsverzekering - Algemeen - Groepsverzekering - Huwelijksvermogensstelsel - Gemeenschappelijk karakter - Toepassing van artikelen 127 en 128 wet landverzekeringsovereenkomst - Discriminatie
Luidens artikel 97 wet landverzekeringsovereenkomst van 25 juni 1992 is hoofdstuk II “Levensverzekeringsovereenkomsten” van titel III van die wet, waarvan de artikelen 127 en 128 deel uitmaken, van toepassing op “alle persoonsverzekeringen waarbij het zich voordoen van het verzekerd voorval alleen afhankelijk is van de menselijke levensduur”. Een groepsverzekering is een dergelijke persoonsverzekering.
Zelfs al worden de premies van de groepsverzekering door de werkgever betaald, en niet op het loon ingehouden, zijn ze een voordeel dat de werknemer uit hoofde van zijn arbeidsovereenkomst verkrijgt. De door de werkgever betaalde bijdragen maken deel uit van het loon in de zin van de wet van 12 april 1965 betreffende de bescherming van het loon der werknemers en zijn in geld waardeerbare voordelen die worden betaald als tegenprestatie voor de in het kader van de arbeidsovereenkomst verrichte arbeid.
De prestaties van een dergelijke verzekering kunnen derhalve als inkomsten uit beroepsbezigheden worden beschouwd, die luidens artikel 1405, 1° BW gemeenschappelijk zijn.
In de interpretatie volgens welke, wanneer twee echtgenoten gehuwd zijn onder een stelsel van gemeenschap van goederen, het kapitaal van de verplichte groepsverzekering die de werkgever van één van hen aangaat ten voordele van zijn werknemer ter financiering van een aanvullend pensioen dat wordt betaald bij het bereiken van een bepaalde leeftijd door de aangeslotene, als een eigen goed wordt beschouwd, schenden de artikelen 127 en 128 wet landverzekeringsovereenkomst de artikelen 10 en 11 van de Grondwet.
Cachez cette pension (complémentaire) que je ne saurais voir
Claude Devoet [1]
Portée de l'arrêt

L'arrêt de la Cour constitutionnelle ci-dessus n'est pas tant important par son dispositif que par sa motivation.

Bien entendu, la Cour décide que les articles 127 et 128 de la loi du 25 juin 1992 sont contraires aux principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination s'ils sont interprétés comme qualifiant de bien propre le capital d'une assurance groupe dont sera appelé à bénéficier l'affilié à l'assurance de groupe au moment de sa retraite.

Pourtant, on peut considérer que ce dispositif est sans portée réelle, dans la mesure où il était évident que ces dispositions ne sont pas applicables à l'assurance groupe [2].

Il suffit d'ailleurs de se référer au texte de l'article 127. Il concerne “l'assurance contractée par un époux commun en biens au profit de l'autre ou à son profit”. Il figure dans une section VI intitulée “Assurances entre époux communs en biens”.

Une assurance de groupe n'est rien de tout cela et les époux ne sont aucunement partie à ce contrat. Le preneur d'assurance (organisateur) est, selon, un fonds de sécurité d'existence ou autre institution à caractère sectoriel, un employeur ou une collectivité d'employeurs pour des travailleurs salariés, une société pour ses dirigeants. L'époux affilié n'en est en principe que le tiers bénéficiaire en vertu de la stipulation pour autrui que contient le règlement de pension. Il en est ainsi même pour le contrat qui prévoirait des contributions personnelles à retenir sur les rémunérations de l'affilié. Ce n'est jamais pourtant ce dernier qui sera débiteur de la prime d'assurance.

Que le règlement de pension concède parfois (mais pas toujours et certainement pas dans le cas des assurances de groupe sectorielles), dans la limite permise par la loi, certaines prérogatives à l'affilié sur l'assurance, surtout en cas de 'sortie' (fin de la relation entre l'organisateur et l'affilié), ne fait pas de ce dernier le cocontractant de l'assureur.

Ces éléments font que le législateur reste libre de mettre en place, en dehors des articles 127 et 128, par ailleurs inapplicables à l'assurance groupe, un statut matrimonial de celle-ci qui aurait entre autres la vertu de s'appliquer aussi à toutes les formes de pension complémentaire, et non pas seulement à celles constituées par assurance vie.

Application des articles 1405, 1. et 1401, 4. du Code civil

Pour peu que l'on reconnaisse cette réalité que l'assurance de groupe n'est qu'une forme de constitution d'une pension complémentaire parmi les autres, il doit lui être appliqué, tout simplement, les règles prévues par le Code civil en matière de pensions.

Les pensions qui sont payées alors que le retraité est marié sous un régime de communauté sont, à l'évidence, communes en vertu de l'article 1405, 1., qui vise notamment tous revenus tenant lieu de revenus d'activité professionnelle. Il importe peu à cet égard que les prestations de pensions aient été constituées par des versements à charge de la communauté ou proviennent de cotisations payées avant le mariage. De la même manière, les rentes et capitaux de pensions qui seront exigibles après la dissolution du régime seront propres, même si la communauté avait participé à leur constitution en supportant les contributions personnelles retenues sur les rémunérations de l'affilié. Le moment de l'acquisition du droit est sans incidence, seulement celui du paiement.

Lorsque la communauté vient à être dissoute alors que les prestations de retraite ne sont pas encore exigibles, l'article 1401, 4. du Code civil prévoit qu'“est propre au conjoint bénéficiaire, sans qu'il y ait lieu à récompense, et quel que soit le moment de l'acquisition: (…) 4. le droit aux pensions, rentes viagères et allocations de même nature”. Cette disposition est l'exact pendant de l'article 1405, 1. quand le droit ne s'est pas encore concrétisé par le paiement d'une prestation de pension. Le moment de l'acquisition du droit est ici aussi sans incidence, ce que confirme le texte même de la disposition. Ainsi, ce n'est pas parce que le droit est propre à l'affilié que la prestation ne sera pas commune, et cela, quel que soit le patrimoine qui a supporté les contributions personnelles, s'il y en a.

Nous n'ignorons pas que la doctrine et la jurisprudence majoritaires à ce jour refusent l'application de cette disposition du Code civil aux pensions complémentaires. Nous avons démontré dans une publication à laquelle nous renvoyons [3], qu'aucun argument solide ne vient justifier l'écartement de cette disposition, droit commun de toutes les pensions légales, statutaires et conventionnelles. Mais dans l'arrêt commenté, la Cour constitutionnelle ne daigne pas même la prendre en considération.

Pourtant, à l'époque de la réforme des régimes matrimoniaux, la jurisprudence publiée faisait très largement application de ses principes [4].

Ainsi, un arrêt de la cour d'appel de Mons du 17 mai 1978 [5] a jugé que la rente ou le capital obtenu d'une assurance de groupe forme un complément de la pension légale et doit donc, en ce qui concerne sa classification dans la catégorie des biens propres ou communs, suivre le sort réservé aux pensions attachées à la personne de l'époux bénéficiaire. L'assurance de groupe a pour fonction essentielle de procurer des rentes complémentaires aux pensions de retraite ou de survie et de couvrir ainsi largement les risques de décès prématuré et de vieillesse des appointés. Il était déjà admis avant la réforme des régimes matrimoniaux que, nonobstant les termes de l'article 1401, 1. ancien du Code civil, les droits attachés en propre à la personne des époux, notamment les pensions diverses, constituaient des meubles restant propres à leur titulaire. En vertu de l'article 1401, 4. nouveau, la pension de retraite ou le capital créé par l'assurance de groupe souscrite avant ou pendant le mariage prend place parmi les meubles de nature personnelle qui restent propres à leur titulaire et ce, sans que le bénéficiaire doive récompense à la communauté. La même solution est en effet traditionnellement admise pour les pensions des fonctionnaires, employés et ouvriers et ce, sans que l'époux bénéficiaire doive une récompense à la communauté. Les buts sociaux poursuivis par l'institution de l'assurance de groupe ne seraient pas atteints si le bénéficiaire voyait ses droits à une retraite complémentaire amputés par l'application des règles sur la réduction, le rapport ou les récompenses.

La théorie de la 'valeur patrimoniale'

C'est une autre conception qui, à notre époque, a les faveurs [6]. Le contrat d'assurance vie, quand il comporte une épargne et ne se limite pas à l'assurance d'un risque de décès, doit être traité comme une épargne ordinaire. Ce qui est épargné par les époux pendant la communauté fait partie de la masse commune à partager au moment de la dissolution de la communauté par le divorce. La valeur de rachat du contrat à ce moment ne serait rien d'autre qu'une épargne présente à se répartir.

Cette doctrine a été développée à partir de l'arrêt de la Cour d'arbitrage n° 54/99 du 26 mai 1999 à propos de l'assurance vie individuelle [7]. Encore la Cour critiquait-elle surtout les articles 127 et 128 de la loi du 25 juin 1992 en ce qu'ils avaient pris la place des articles 1400, 7. et 1405 du Code civil. En vertu de ces dispositions combinées, le capital d'une assurance vie individuelle souscrit, comme en l'occurrence, par un époux commun en biens pendant l'existence de la communauté, primes payées par celle-ci, et perçu encore durant l'existence de cette communauté devait nécessairement être commun, sans qu'il faille pour cela assimiler l'assurance vie à une épargne ordinaire.

Personne ne semble avoir aperçu les conséquences fiscales de la théorie de la valeur patrimoniale, sauf bien sûr, l'administration elle-même. Par sa circulaire n° 16 du 31 juillet 2006, elle faisait savoir qu'elle se ralliait volontiers à cette théorie, qui lui permet désormais d'imposer à chaque fois aux droits de succession la moitié de la valeur de rachat du contrat en cas de décès du conjoint commun en biens du souscripteur, alors qu'aucune prestation n'est encore certainement due au conjoint survivant (condition suspensive). La situation inverse (décès de l'affilié avant son conjoint) aurait au contraire, dans le cas d'affiliés salariés, l'effet exonératoire de l'article 8, 6ème alinéa du Code des droits de succession.

Il n'est pas étonnant alors que des fiscalistes, dont la raison d'être n'est pas de faire le bonheur de l'administration, se soient insurgés contre cette théorie nouvelle [8]. Ils ont obtenu l'oreille du service des décisions anticipées en matière fiscale (décision n° 800.279 du 26 mai 2009) [9].

Le service a préféré faire application à l'assurance individuelle du principe que retenait la réforme des régimes matrimoniaux de 1976 dans l'article 1400, 7. du Code civil. Au lieu d'être commune, la valeur de rachat d'un contrat non dénoué est propre au titulaire de l'assurance, mais moyennant récompense pour les primes versées par le patrimoine commun. Cela fait tout de même une différence de taille du point de vue fiscal. L'article 1400, 7. permet, dans la plupart des cas, d'échapper à l'imposition de la valeur de rachat par application de l'article 16 du Code des droits de succession, selon lequel “pour la perception du droit de succession en ligne directe descendante ou entre époux ayant des enfants ou descendants communs, il est fait abstraction des reprises et des récompenses qui se rattachent soit à la communauté ayant existé entre le défunt et un conjoint dont il a, à son décès, des enfants ou descendants en vie, soit à la communauté ayant existé entre les ascendants du défunt”. On conviendra que cette situation est certainement très fréquente.

Il se comprend que l'administration n'ait pas apprécié la position de son service des décisions anticipées. De ce fait, on risque bien de voir désormais cette valeur de rachat de l'assurance groupe soumise pour moitié à l'impôt successoral, alors que personne n'y songeait jusqu'à présent. La position prise par la Cour constitutionnelle dans l'arrêt commenté va prodigieusement aider l'administration fiscale dans ses entreprises [10].

Extension de la théorie de la valeur patrimoniale à l'assurance groupe

La Cour constitutionnelle n'a pas hésité à étendre à l'assurance de groupe sa décision du 26 mai 1999 relative à l'assurance individuelle.

Pourtant, la Cour de cassation avait mis en garde contre l'extension de la théorie de la valeur patrimoniale de l'assurance individuelle à l'assurance groupe. Dans son arrêt du 24 janvier 2011 [11], elle a estimé que le juge ne peut étendre par analogie la violation constatée par la Cour constitutionnelle à une autre question juridique que celle sur laquelle celle-ci s'est prononcée, quand bien même elle aurait trait à la même disposition législative. Ainsi, les juges d'appel qui constatent que la contestation entre les parties concerne les avantages acquis en relation avec une assurance de groupe, qui concerne une assurance spécifique qui a la fonction de pension complémentaire, qui présente un caractère plus collectif que l'assurance individuelle, étendent dès lors la violation constatée par la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 26 mai 1999, à une question dont l'objet n'est pas identique à celui de la question sur laquelle la Cour constitutionnelle s'est prononcée, et violent de ce fait les articles 26, § 2, 2 ° et 28 de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle.

Nous persistons à croire que les arguments que la Cour Constitutionnelle invoque pour fonder l'application de la théorie de la valeur patrimoniale à l'assurance de groupe ne sont pas convaincants.

Application des articles 127 et 128 à l'assurance groupe?

Pour déclarer applicables à l'assurance groupe les articles 127 et 128 de la loi du 25 juin 1992, la Cour relève que “En vertu de l'article 97 de la loi précitée du 25 juin 1992, le chapitre II 'Des contrats d'assurance sur la vie' du titre III de cette loi, dont font partie les articles 127 et 128 en cause, s'applique à 'tous les contrats d'assurance de personnes dans lesquels la survenance de l'événement assuré ne dépend que de la durée de la vie humaine'. Une assurance-groupe est un tel contrat d'assurance de personnes.”

Il résulte pourtant du texte même de l'article 127 que son application à l'assurance groupe n'est pas envisageable.

S'agissant de l'article 128, il est évident que cette disposition ne trouvera jamais à s'appliquer en matière d'assurance de groupe. Le paiement de contributions patronales, même de primes uniques importantes lorsqu'il s'agit de versements de rattrapage pour des services antérieurs, ne portera jamais manifestement atteinte aux facultés du patrimoine commun. Et ce ne sont pas les modestes contributions personnelles éventuellement retenues sur les rémunérations qui pourraient avoir jamais cet effet.

Par ailleurs, le fait que les dispositions du chapitre II du titre III de la loi du 25 juin 1992 concernent les assurances vie, n'exclut pas que d'autres dispositions légales s'appliquent à l'assurance de groupe, et que dès lors certaines des dispositions de la loi du 25 juin 1992 ne soient pas applicables à cette assurance. En fait, l'assurance de groupe est régie tout autant, sinon plus, par les dispositions sociales de la loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale et ses règlements d'application, comme aussi par certaines dispositions spécifiques de l'arrêté royal du 14 novembre 2003 relatif à l'activité d'assurance sur la vie.

Par conséquent, on ne voit pas non plus en quoi l'article 97 de la loi du 25 juin 1992 exclurait l'application d'une disposition telle que l'article 1401, 4. du Code civil à l'assurance de groupe.

Au surplus, cette affirmation que les dispositions du chapitre II du titre III sont toutes applicables à l'assurance de groupe se vérifie difficilement lorsqu'on examine de plus près les textes. De toute évidence, ceux-ci ont été écrits dans l'optique d'une assurance individuelle. Leur transposition à l'assurance de groupe est plus ou moins malaisée. D'une manière générale, la loi du 25 juin 1992 ne tient pas suffisamment compte des spécificités de l'assurance groupe, ce qui constitue une grave lacune de cette législation [12]. Le professeur Dubuisson regrettait d'ailleurs “de ne trouver nulle part dans le titre III de la nouvelle loi consacré aux assurances de personnes de dispositions consacrées à l'assurance collective ou à l'assurance de groupe” [13]. Le professeur Baeteman est du même avis: “Het is wel merkwaardig dat de wetgever van 1992 deze toch bijzondere en belangrijke verzekeringsactiviteit niet nader heeft geregeld.” [14].

L'assurance groupe, une épargne?

Selon la Cour “dans le cas d'une assurance groupe obligatoire destinée à financer une pension complémentaire payée au moment où l'affilié atteint un âge déterminé, l'assurance groupe vise à prévoir un revenu complémentaire. Il s'agit donc d'une opération d'épargne”.

L'examen de l'argument mériterait certes plus de développements que nous ne pouvons en donner ici [15]. Pour l'essentiel, nous noterons d'abord que l'assurance de groupe ne représente pas une épargne au sens commun du terme, car elle n'en présente pas les caractères.

L'épargne se caractérise par une économie volontaire de revenus et par une disponibilité de celle-ci, à tout le moins à certaines époques. L'assurance de groupe a au contraire un caractère obligatoire dans son financement. L'épargne est en outre indisponible, en raison de l'interdiction du rachat avant la mise à la retraite ou au plus tôt à partir de 60 ans, lorsque le règlement de pension le prévoit [16].

Du reste, le titulaire de cette épargne n'est pas l'affilié, mais l'organisateur, du moins tant que l'affilié n'est pas 'sorti', c'est-à-dire tant que sa carrière se déroule dans le giron de l'organisateur. Ce n'est qu'au moment de ce départ que le droit au rachat lui est cédé [17], quoiqu'il ne puisse l'exercer jusqu'au moment indiqué ci-dessus.

C'est pour extérioriser et garantir à l'égard de l'affilié l'engagement de pension souscrit par l'organisateur que les cotisations d'assurance sont versées et capitalisées en vue de la retraite. En constituant cette capitalisation et en en faisant bénéficier l'affilié, l'organisateur exécute son obligation à l'égard de l'affilié.

Il est vrai qu'en assurance de groupe, l'essentiel du financement sera porté à des comptes individuels. Ce n'est pas toujours le cas. Dans les contrats à prestations définies, une partie du financement provenant des contributions patronales peut être faite en capitalisation collective, au sein du fonds de financement. Dans ce cas, il existe un financement qui n'est pas réservé à l'affilié et ne fait pas partie de la valeur de rachat de son contrat. Le phénomène est plus fréquent et étendu dans le cas d'organismes de financement de pensions (fonds de pension), où ces contributions patronales aux plans à prestations définies sont capitalisées collectivement en dehors de la réserve des affiliés.

Enfin, les avoirs formant l'épargne sont la propriété de l'entreprise d'assurances [18]. L'affilié est titulaire d'une créance d'assurance assortie d'un droit de priorité sur ces avoirs, mais sujette à une condition suspensive de survie.

Les contributions patronales, avantage faisant partie de la communauté conjugale?

La Cour retient encore que “les cotisations payées par l'employeur font partie de la rémunération au sens de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs et constituent des avantages évaluables en argent payés en contrepartie du travail effectué dans le cadre du contrat de travail”.

Ce point aussi mériterait de plus amples développements [19]. Si l'on examine les dispositions de la loi du 12 avril 1995, on aperçoit que pratiquement aucune de celles-ci n'est applicable aux contributions patronales d'assurance groupe. Si en revanche on se penche sur la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, il apparaît que la notion de rémunération a, selon ses dispositions, un contenu différent, selon qu'il s'agit, d'une part, de la contrepartie du travail fourni ou du salaire garanti en cas de certaines formes de suspension des prestations de travail et, d'autre part, du montant de certaines indemnités, telle l'indemnité compensatoire de préavis. A ce titre, les contributions patronales interviennent dans le calcul de cette indemnité, dans la mesure où la loi indique qu'il faut alors tenir compte, non seulement de la rémunération en cours, mais des autres avantages accordés en raison de la relation de travail.

Les avantages qui complètent la rémunération brute ne forment du reste pas nécessairement un revenu de la communauté. Dans certains cas, ils peuvent même constituer un propre, lorsqu'il s'agit d'objets personnels ou destinés à l'activité professionnelle du travailleur.

Il y a de toute manière une inconséquence dans le raisonnement de la Cour. D'une part, elle considère que les contributions patronales forment un revenu de la communauté. Mais, d'autre part, elle affirme que “les prestations de cette assurance peuvent donc être considérées comme des revenus d'activités professionnelles, lesquels sont communs, en vertu de l'article 1405, 1. du Code civil”. Considérer à la fois que les contributions patronales et les prestations d'assurance qui en proviennent font partie de la communauté, c'est compter le même revenu deux fois. L'expression usuelle selon laquelle les pensions complémentaires sont des revenus différés est parlante à cet égard: le revenu est reporté au moment de la perception de la pension, il n'est pas au niveau du financement de celle-ci.

Conclusion

Le lecteur aura saisi que nous ne partageons en rien la doctrine de l'arrêt. Ce dernier a du reste l'inconvénient de traiter l'assurance de groupe en dehors du contexte général des pensions complémentaires. Ceci pourrait avoir pour conséquence des discriminations entre affiliés selon que leur pension est constituée par assurance groupe ou autrement.

Ce souci n'avait pas été perdu de vue par la Commission des assurances dans son avis n° C/2003/3 du 31 mai 2005 relatif aux articles 127 et 128 de la loi du 25 juin 1992 concernant le contrat d'assurance terrestre. On y lira que les controverses avaient été vives au sujet du statut de l'assurance de groupe en cas de divorce, mais que la question devait être traitée pour l'ensemble des pensions complémentaires dans une autre enceinte.

Nous sommes aussi frappés par le fait que le développement de la théorie de la valeur patrimoniale pour tirer d'affaire le conjoint divorcé de l'affilié (au détriment du reste de ce dernier), ait perdu de vue ses répercussions en cas de décès du conjoint, notamment du point de vue fiscal.

Qu'on ne s'y trompe pas: en matière de pensions complémentaires, toute amputation de la réserve de pension de l'affilié provoquera une diminution des droits de pension de ce dernier. Faut-il à chaque fois sacrifier les intérêts légitimes de l'affilié au regard de ses besoins de subsistance à sa retraite pour satisfaire un conjoint qui n'est pas toujours une victime, mais parfois un bourreau?

Et si on osait dire qu'il s'agit de pension, de ressources pour les vieux jours du retraité, et non pas de cagnotte?

[1] Chargé de cours honoraire à l'Université libre de Bruxelles.
[2] Ph. De Page et I. Di Stefani, “Assurance vie et régimes matrimoniaux” in L'assurance vie: outil de planification successorale, Limal, Anthémis, 2010, n° 34, p. 187; C. Devoet, “Assurance vie, mariage et divorce”, Rev.not.b. 2002, p. 579.
[3] C. Devoet, “ La Cour constitutionnelle, l'assurance groupe et les régimes matrimoniaux”, Bull.ass. 2011/4, pp. 388-389, nos 30 à 36.
[4] Civ. Charleroi (10ème ch.) 23 juin 1955, Bull.ass. 1957, p. 460; Liège 20 avril 1972, Bull.ass. 1973, p. 447, obs. H.B., JL 1981-72, p. 290, Cah.dr.fam. 1973, p. 13; Mons 14 décembre 1982, RRD 1984, p. 32, note Remon, Rec.gén.enr.not. 1984, n° 23.082; Bruxelles (4ème ch.) 27 janvier 1986, JLMB 1987, p. 1556, Rec.gén.enr.not. 1988, n° 23.613, p. 303; Mons (2ème ch.) 17 mai 1978, Rev.not.b. 1978, p. 606, Rec.gén.enr.not. n° 22.404, 1979, p. 263; Bruxelles 25 janvier 1991, RG n° 2894/89, cité par J.-L. Renchon, “Le statut des droits résultant d'un contrat d'assurance vie” in 15 années d'application de la réforme des régimes matrimoniaux, p. 91, note 33. Voy. encore Civ. Tournai 5 décembre 1994, Rev.trim.dr.fam. 1995, p. 587; Liège (13ème ch.) 15 février 2005, JLMB 2005, p. 1326.
[5] Mons (2ème ch.) 17 mai 1978, Rev.not.b. 1978, p. 606, Rec.gén.enr.not. 1979, n° 22.404, p. 263.
[6] Mons (7ème ch.) 4 mai 1999, JT 1999, p. 623; Anvers 6 octobre 2004, NjW 2005, p. 555; Gand (11ème ch.) 24 mars 2005, T.Not. 2005, p. 481; Civ. Nivelles 24 juillet 2007, Rec.gén.enr.not. 2008, n° 25889, note L. Rousseau; Anvers (3ème ch.) 4 novembre 2009, RGDC 2010, p. 329, note N. Torfs, “Hoe moeten tijdens het huwelijk verworven rechten in een groepsverzekering bij de verdeling van het gemeenschappelijk vermogen worden betrokken?”; Bruxelles (1ère ch.) 9 novembre 2010, www.juridat.be ; Bruxelles (1ère ch.) 16 novembre 2010, T.Not. 2011, p. 499. En doctrine, voy. Ph. De Page et I. Di Stefani, “Assurance vie et régimes matrimoniaux” in L'assurance vie: outil de planification successorale, Anthémis, 2010, pp. 165-202. J.-L. Renchon, “Assurances vie, pensions complémentaires et régime matrimonial” in L'assurance vie et les pensions complémentaires, Academia-Bruylant, 2006, n° 35, pp. 56-58 et n° 52, p. 66; N. Torfs, “Wat is het lot van aanvullende pensioenen in het wettelijk huwelijksvermogensstelsel?”, RGDC 2004, pp. 115-127 et son commentaire in jura “Commentaar bij artikel 127 landverzekeringsovereenkomst”, n° VIII; A. Van Geel et Ch. Declerck, “Actuele planningstechnieken in vraag gesteld”, Not.Fisc.M. 2011, pp. 196-197, nos 40 à 43.
[7] CA 26 mai 1999, n° 54/99, JLMB 1999, p. 1456, RW 1999-2000, p. 295, Bull.ass. 1999, p. 475, note Y.-H. Leleu et D. Schuermans, “Une nouvelle qualification pour certaines prestations d'assurance-vie entre époux communs en biens”, Rev.not.b. 1999, p. 710, RDC 1999, p. 849, note K. Termote, “Discriminatie bij levensverzekering tussen echtegenoten”, Rev.trim.dr.fam. 1999, p. 691.
[8] J.-C. André-Dumont, Assurance vie des particuliers. Aspects techniques, juridiques, fiscaux et de planification successorale, Malines, Kluwer, 2009, pp. 439 et s.; A. Culot, “Le contrat d'assurance et l'article 8 du Code des droits de succession” in L'assurance vie: outil de planification patrimoniale, Limal, Anthémis, 2010, pp. 117-119; C. Devoet, “Assurance vie et prédécès du conjoint. La circulaire n° 16/2006 du 31 juillet 2006: confondante et anachronique?”, Act.fisc. 2006, n° 37, pp. 1-6; C. Devoet, “Planning par le biais des assurances vie” in Manuel de planification successorale, Livre 7, Les formes alternatives de planification successorale, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 51-59; C. Devoet, Les assurances de personnes, Limal, Anthémis, 2011, nos 1929 et s.; M. Donnay, Rép.not., t. XV, livre III, nos 319 à 319-5, dans l'édition mise à jour en 2007 par B. Huts; A. Mayeur, “Problématique du droit de succession et du droit de donation sur les assurances vie”, Droits de succession, nos 4-5-6, avril 2007, pp. 1-24; P. Van Eesbeeck, “Assurance vie et communauté de biens”, Fiscologue, 1er septembre 2006, pp. 5-10; I. Verhulst et S. Nelis, “Levensverzekeringen, huwelijk en successierechten”, TFR 2006, pp. 695-706.
[9] Pour un commentaire, C. Devoet, “Le S.D.A. sape les fondements de la circulaire n° 16 du 31 juillet 2006”, Act.fisc. 3-8 avril 2010, n° 14, pp. 1-5 et “Circulaire n° 16 du 31 juillet 2006. L'Administration persiste et signe”, Act.fisc. 16-20 mai 2011, n° 20, pp. 1-4; P. Van Eesbeeck et L. Vereycken, “Ruling sur une assurance-vie au nom du conjoint survivant”, Fiscologue, 19 mars 2010, n° 1197, pp. 7-10. Comp. J. Grillet, “Een belangrijke voorafgaande beslissing over verschuldigde successierechten bij een 'levenslange tak 21 of tak 23 verzekering', afgesloten door een echtgenoot gehuwd onder een gemeenschapsstelsel”, T.Not. 2010, pp. 462 et s.
[10] P. Van Eesbeeck et L. Vereycken “Droits de succession sur l'assurance de groupe du conjoint survivant?”, Fiscologue, 7 octobre 2011, n° 1266, pp. 1-5.
[11] Cass. 24 janvier 2011, Bull.ass. 2011, 186, note C. Devoet, “Assurance groupe et régime matrimonial de communauté. La Cour de cassation ferme certaines portes”.
[12] J.-M. Binon et M.-A. Crijns, L'assurance groupe en Belgique, Bruxelles, Academia-Bruylant, 1996, n° 33 et note de bas de page 62. Les auteurs consacrent davantage de développements à l'analyse de ces difficultés à divers endroits de l'ouvrage.
[13] B. Dubuisson, “Opérations sur la réserve mathématique. Droits du bénéficiaire, des héritiers et des créanciers” in La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, Bruxelles, Academia-Bruylant, 1993, p. 336.
[14] G. Baeteman, “Huwelijksvermogensrecht en verzekeringsrecht: samengaan of afscheiding” in Liber Amicorum Jozef Van den Heuvel, Anvers, Kluwer Rechtswetenschappen België, 1999, p. 704.
[15] Voy. C. Devoet, “La Cour constitutionnelle, l'assurance groupe et les régimes matrimoniaux”, Bull.ass. 2011, pp. 392-394, nos 50 à 69.
[16] Art. 27, § 1er de la loi du 28 avril 2003.
[17] Art. 54, § 2 de l'arrêté royal du 14 novembre 2003 relatif à l'activité d'assurance sur la vie.
[18] Art. 16, § 2 de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances.
[19] Voy. C. Devoet, “La Cour constitutionnelle, l'assurance groupe et les régimes matrimoniaux”, Bull.ass. 2011, pp. 396-397, nos 81 à 89.